Étymologie latine de défense

Étymologie : À propos de la défense

Dossier : Défense & souverainetéMagazine N°769 Novembre 2021
Par Pierre AVENAS (X65)

La langue latine avait à l’origine deux mots pour les dis­posi­tifs et engins mil­i­taires : telum pour les offen­sifs, tels qu’un javelot ou une lance, et arma pour les défen­sifs, tels qu’une muraille ou un glaive (cf. l’ÉtymologiX d’avril 2018). Il se trou­ve que telum n’a pas lais­sé de trace en français, alors qu’arma a prospéré, désig­nant à l’origine un arme­ment défen­sif, puis finale­ment une arme en général. Il reste que le rôle essen­tiel d’une armée est bien la défense d’un pays, ce qui néces­site par­fois de pass­er à l’offensive.

En latin, un verbe qui n’existe que préfixé

Le verbe défendre vient du latin defend­ere « repouss­er, écarter », d’abord par les armes, puis dans un débat par la parole, de même qu’offenser vient du latin offend­ere « heurter, bless­er », au pro­pre puis au fig­uré. Le latin avait aus­si infend­ere « atta­quer », sans descen­dance en français. Avec defend­ere, offend­ere, infend­ere, on s’attend à trou­ver le verbe sim­ple, *fend­ere, pré­fixé avec de-, of- (de ob-) et in-, et dont le sens pre­mier devrait être « frap­per ». Un tel verbe pour­tant n’apparaît pas en latin.

Le par­ticipe passé de defend­ere étant defen­sum, on trou­ve en français : défense, défenseur, défen­sif, ain­si que défendre, défend­eur (en droit)… Les mots sont ana­logues dans les autres langues romanes, comme en espag­nol, defen­sa, defen­sor, defen­si­vo, ain­si que defend­er, defen­di­do… et aus­si en anglais, par ses emprunts à l’ancien français, avec une singularité.

En anglais, des mots abrégés

En anglais, à côté des mots ana­logues aux français, defence (Brit.) ou defense (US) – excep­té tusk « défense d’éléphant » –, defen­sive, defen­si­ble, to defend, defend­er, defen­dant « défend­eur », l’usage courant a fait émerg­er des mots plus inat­ten­dus : le verbe to fend et fence, abrévi­a­tions (aphérès­es) du verbe to defend et de defence. Ces mots s’emploient dans des usages assez fam­i­liers tels que to fend for one­self « se débrouiller tout seul », to fend off « repouss­er, élud­er » et fend­er désigne divers objets pro­tecteurs tels qu’un pare-feu ou une aile de voiture. On trou­ve aus­si fence « bar­rière, palis­sade » et to fence « pra­ti­quer l’escrime », fenc­ing « escrime ». Comme si l’anglais tenait compte du verbe sim­ple *fend­ere, pour­tant absent de l’usage en latin.

En français, une ressemblance trompeuse

L’anglais fence vient de defence, mais il n’y a pas de rap­port entre fendre et défendre, même s’il faut pour­fendre son enne­mi pour se défendre.

Le verbe fendre vient en effet du latin find­ere « fendre, divis­er », dont le par­ticipe passé est fis­sum, d’où fis­sure, fis­sion… et les verbes *fend­ere et find­ere se rat­tachent à deux racines indo-européennes dis­tinctes. Ain­si, *fend­ere (racine *ghwen-) est lié entre autres au grec phonos « meurtre » et find­ere (racine *bhid-) entre autres à l’anglais to bite « mordre ».

Épilogue

Éty­mologique­ment, défendre con­siste à repouss­er par la force, c’est la défense mil­i­taire, et par analo­gie, comme en latin, la notion de défense s’applique à d’autres domaines, dont le judi­ci­aire. C’est l’inverse en alle­mand avec Vertei­di­gung, qui est d’abord la défense judi­ci­aire, d’où la défense en général, y com­pris mil­i­taire. Dans Vertei­di­gung en effet, l’élément -tei­dig- se relie à Tag « jour », ici « ses­sion, ordre du jour » et à Ding « affaire », ce qui évoque la défense d’une cause au tri­bunal. L’autre mot alle­mand pour la défense, Abwehr, comme dans Immunab­wehr « défense immu­ni­taire », se relie à la notion de barrière.

La défense sous toutes ses formes.

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