Et l’homme dans tout ça ?

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°559 Novembre 2000Par : Axel KAHN, préface de Lucien Sève, philosophe, membre du Comité national d’éthiqueRédacteur : Jacques BOURDILLON (45)

J’ai lu cet ouvrage avec un immense plaisir, je le tiens pour l’un des meilleurs livres parus en l’an 2000, et je le recom­mande vive­ment aux lecteurs de La Jaune et la Rouge.

J’ai énor­mé­ment d’estime pour Axel Kahn que j’ai eu l’honneur de fréquenter à l’occasion de la pré­pa­ra­tion col­lec­tive du col­loque “ Ali­men­ta­tion mon­di­ale 2050, bien nour­rir les hommes sans dégrad­er la planète ” qui s’est tenu au Sénat le 4 décem­bre 1998 sous la prési­dence d’Hubert Curien. J’ai beau­coup appré­cié dans le n° 558 de notre revue le mer­veilleux dis­cours qu’il a pronon­cé le 15 juil­let 2000 à Palaiseau à la céré­monie de remise des diplômes à la pro­mo­tion 1997.

Mais revenons à l’ouvrage d’Axel Kahn : j’ai rarement trou­vé dans un livre autant de réflex­ions pas­sion­nantes por­tant sur des ques­tions essen­tielles. J’ai pu en out­re grâce à cette lec­ture amélior­er mes con­nais­sances sci­en­tifiques. J’ai aimé la lucid­ité, l’honnêteté, la rigueur, le courage d’Axel Kahn. Il pos­sède une qual­ité rare : celle de présen­ter avec une très grande objec­tiv­ité les thès­es éventuelle­ment antin­o­miques de dif­férents experts, se réser­vant in fine de don­ner son point de vue personnel.

Dans ce beau livre, on trou­vera à la fois :

  • Une présen­ta­tion de l’histoire du vivant jusqu’à l’homme, dernier avatar de cette évo­lu­tion, accom­pa­g­née d’une mise en valeur des derniers pro­grès sci­en­tifiques, une protes­ta­tion con­tre l’inanité de cer­taines cri­tiques de la sci­ence et du pro­grès, une véri­ta­ble dédi­a­boli­sa­tion du génie géné­tique dont les avan­tages poten­tiels con­sid­érables pour l’humanité sont mis en valeur (ali­men­ta­tion, santé).
    Au pas­sage l’auteur mon­tre sans con­ces­sion les hor­reurs et cru­autés thérapeu­tiques pra­tiquées à tra­vers les âges et il évoque le code de Nurem­berg (juge­ment du Tri­bunal en 1947).
  • Une inter­ro­ga­tion sur la ques­tion de la place de l’homme sur terre, et de sa dig­nité, avec déjà quelques répons­es : ayant rap­pelé que depuis Coper­nic la planète des hommes n’est plus le cen­tre du monde, que depuis Lamar­ck et Dar­win l’homme appa­raît comme le pro­duit d’une évo­lu­tion mul­ti­mil­lé­naire, l’auteur s’appuie sur la plas­tic­ité excep­tion­nelle du cerveau humain liée aux immenses capac­ités de con­nex­ion des neu­rones pour affirmer la dis­con­ti­nu­ité animal/homme pour­tant niée par Singer, pour con­tester les déter­min­ismes biologique ou soci­ologique affir­més par Dawkins.
    Selon lui, les gènes humains per­me­t­tent de desser­rer l’étau de ces déter­min­ismes et con­stituent la con­di­tion de notre respon­s­abil­ité et de notre lib­erté. Sa posi­tion nous paraît plus proche de celle de Luc Fer­ry que de celle d’André Comte-Sponville (cf. La sagesse des Mod­ernes, chapitre III, Robert Laf­font, 1998).
  • Une propo­si­tion des grandes lignes d’une nou­velle éthique (partielle/universelle) pour le XXIe siè­cle qui tienne compte des élé­ments nou­veaux apportés par la sci­ence et la tech­nique tout en restant pru­dent. Il évoque sans indul­gence l’histoire de l’Occident chré­tien (anti­ju­daïsme de saint Louis, anti­sémitisme des Rois Catholiques espag­nols, géno­cide des Taïnos par Christophe Colomb et ses suc­cesseurs, etc.), il dénonce les idéolo­gies qui ont pro­fondé­ment mar­qué le XIXe siè­cle (racisme, déter­min­isme, eugénisme, dar­win­isme social et socio­bi­ologique), et les trag­iques syn­thès­es que l’on peut faire en les asso­ciant, après avoir pris ses dis­tances avec la morale utilitariste.
    Mais à par­tir d’un cer­tain point, il rap­pelle qu’il y a des lim­ites à ne pas franchir. Il évoque les cat­a­stro­phes san­i­taires dues à la con­t­a­m­i­na­tion à par­tir de tis­sus ani­maux ou humains (virus du sida ou hépatites trans­mis aux hémophiles, mal­adie de Creutzfeldt-Jacob trans­mise par l’hormone de croissance).
    Or le trans­fert de gènes humains dans des microor­gan­ismes inof­fen­sifs per­met de fab­ri­quer la pro­téine humaine (dite recom­bi­nante) en sup­p­ri­mant totale­ment ces risques infec­tieux. Com­ment, sachant cela, peut-on encore s’opposer par pure idéolo­gie à la pour­suite de la recherche en biotech­nolo­gie ? On trou­vera des développe­ments pas­sion­nants à pro­pos des innom­brables prob­lèmes éthiques nou­veaux : repro­duc­tion assistée, clon­age repro­duc­tif, clon­age util­i­tariste, diag­nos­tic pré­na­tal, tri des embryons, xéno­gr­effes, etc.

Et si l’on s’occupait aus­si de l’enfant ? s’écrie-t-il après avoir exam­iné toutes les nou­velles tech­niques de plus en plus sophis­tiquées d’assistance à la procréation.

On aura com­pris (je cite Lucien Sève) que ce livre de bio­médecine, écrit par un biol­o­giste médecin, est en même temps de bout en bout un livre d’éthique… Ani­mé d’un incon­di­tion­nel respect de l’humanité (en tous les humains, et en cha­cun). Axel Kahn ne fait nul mys­tère : entre une arith­mé­tique util­i­tariste des plaisirs et un uni­ver­sal­isme kantien, son choix est fait.

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