Éoliennes en mer

Éolien marin : un financement légitime ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°725 Mai 2017
Par Xavier GORGE (66)

L’éolien marin béné­fi­cie d’un grand intérêt de la part des investis­seurs par son régime de finance­ment actuel de la sub­ven­tion publique. Le prix de rachat de l’élec­tric­ité devrait être mieux mod­ulé en fonc­tion des coûts vari­ables du prix de l’én­ergie pour ren­dre cette tech­nolo­gie plus vertueuse et proche des objec­tifs de la tran­si­tion énergétique. 

Les arti­cles con­sacrés à l’éolien marin dans La Jaune et la Rouge d’avril 2016 (n° 714) présen­tent beau­coup d’intérêt : rédigés par des spé­cial­istes de la pro­fes­sion, ils don­nent un éclairage favor­able sur le déploiement en cours de ce moyen de pro­duc­tion d’énergie.

“ Les subventions allouées à l’éolien permettraient de mettre aux normes thermiques 100 000 à 200 000 logements ”

Mais ils n’abordent pas son fonc­tion­nement économique, alors que de nom­breux citoyens s’interrogent en obser­vant chaque année la mon­tée inex­orable de la con­tri­bu­tion au ser­vice pub­lic de l’énergie (CSPE), insti­tuée pour per­me­t­tre, en par­ti­c­uli­er, le finance­ment des éner­gies renouvelables. 

L’éolien béné­fi­cie, comme le pho­to­voltaïque, de deux priv­ilèges exor­bi­tants : l’obligation faite à EDF d’enlever sa pro­duc­tion, quelles que soient les con­di­tions de charge du réseau, et un tarif d’achat supérieur aux prix de marché, fixé pour vingt ans ou plus. 

LA LOGIQUE ÉCONOMIQUE EST À REPENSER

La logique économique voudrait que l’obligation de reprise de l’énergie pro­duite s’accompagne d’un tarif d’achat fixé sur le marché EPEX SPOT (soit 31 €/ MWh le 1/04/2017).

LA CSPE EXPLOSE

La CSPE augmente régulièrement, passant de 2 600 M€ en 2009 à 4 800 M€ en 2012 et 7 000 M€ (hors TVA) en 2016, dont 65 % pour financer les EnR.
Les charges à couvrir en 2025, essentiellement du fait du développement de l’éolien marin, atteindraient plus de 10 G€ et la CSPE augmenterait de 50 % d’ici là. Observons que le taux actuel de la CSPE ne permet pas de couvrir toutes les obligations et qu’il subsistait un défaut de recouvrement cumulé de 4,9 G€ fin 2015.

On pour­rait aus­si admet­tre que le prix accordé aux champs éoliens marins, dont la pro­duc­tion est assez con­stante et prévis­i­ble, soit un tarif de base plus élevé que le tarif SPOT, mais à la con­di­tion que le pro­mo­teur prenne en charge le coût d’immobilisation des moyens néces­saires au main­tien de la pro­duc­tion en cas d’absence de vent, 40 à 50 % du temps. 

Des cal­culs assez sim­ples per­me­t­tent de con­clure que chaque mégawattheure pro­duit par un champ éolien marin, ven­du aux envi­rons de 200 € à ERDF, pour les pre­miers pro­jets en cours, béné­fi­cie d’une sub­ven­tion de 100 à 150 €. Ain­si pour le champ de Fécamp en cours de con­struc­tion (83 éoli­ennes de 6 MW), le total des sub­ven­tions sur vingt ans serait de l’ordre de 3 à 5 G€, pour un investisse­ment de 2 G€. 

À terme, la réal­i­sa­tion du plan de 6 000 MW instal­lés en 2020–2025, même avec un tarif de rachat en baisse, pour­rait exiger un besoin de sub­ven­tions de 2 à 3 G€ chaque année. En com­para­i­son, une telle somme per­me­t­trait de met­tre aux normes ther­miques 100 000 à 200 000 loge­ments, suiv­ant le taux d’aide retenu. 

UNE UTILITÉ ENVIRONNEMENTALE DOUTEUSE

Du côté des émis­sions de CO2, l’analyse n’est pas non plus favor­able à l’éolien marin : en effet, chaque mégawattheure pro­duit par l’éolien « évite » la pro­duc­tion de 0,85 t de CO2, par rap­port au gaz naturel. 


Pour le champ éolien de Fécamp en cours de con­struc­tion (83 éoli­ennes de 6 MW), le total des sub­ven­tions sur vingt ans serait de l’ordre de 3 à 5 G€, pour un investisse­ment de 2 G€.
© GIUSEPPE PORZANI / FOTOLIA.COM

Pour éval­uer économique­ment ce béné­fice, il faut don­ner une valeur à la tonne de CO2 : soit la valeur du marché (env­i­ron 10 €/t), soit une valeur de référence définie par les autorités pour éval­uer les investisse­ments publics, valeur fixée à env­i­ron 40 €/t aujourd’hui et à 100 €/t à l’horizon 2030 (rap­port de la Com­mis­sion Quinet de 2009). 

On peut donc facile­ment con­clure que le niveau des sub­ven­tions accordées à l’éolien marin (100 à 150 €/MWh, soit 120 à 180 € par tonne de CO2 évitée) est exces­sif, en util­isant les out­ils d’évaluation des investisse­ments publics. 

Tout cela laisse penser que le plan de déploiement de l’éolien marin est d’abord dû à la con­jonc­tion de l’activisme des pro­mo­teurs et des indus­triels, avec une cer­taine bien­veil­lance dog­ma­tique des respon­s­ables poli­tiques, sans que l’opinion publique, assez mal éclairée, ne prenne con­science de ses conséquences. 

“ Ne mélangeons pas protection du climat et transition énergétique ”

Des voix émi­nentes com­men­cent à s’élever pour dire que cet argent serait mieux dépen­sé à réduire la demande d’énergie, à séquestr­er le car­bone, à dévelop­per une pro­duc­tion élec­tronu­cléaire encore plus effi­cace ou à met­tre en place des tech­nolo­gies nou­velles plus per­for­mantes : ain­si, notre cama­rade Claude Mandil (61), ancien directeur de la DGEMP et de l’Agence inter­na­tionale de l’énergie, a pub­lié un excel­lent arti­cle dans Le Monde du 7 mai 2016, inti­t­ulé « Ne mélan­geons pas pro­tec­tion du cli­mat et tran­si­tion énergé­tique », qui analyse avec lucid­ité l’impasse dans laque­lle le déploiement de l’éolien marin pour­rait nous conduire. 

UNE MEILLEURE APPROCHE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE EST POSSIBLE

Un vrai débat s’impose pour ten­ter de fix­er un cadre de marché européen pour un sys­tème de pro­duc­tion énergé­tique com­péti­tif, le plus décar­boné pos­si­ble, homogène, avec une sécu­rité de four­ni­ture satisfaisante. 

COP 21 : POUR UNE POLITIQUE GLOBALE

Seule la gestion objective d’un véritable mécanisme de taxe carbone « énergie » européenne, à un niveau suffisant, combinant taxation et subvention, à somme nulle, permettrait la conduite d’une politique globale visant à atteindre les objectifs de la COP 21, en sanctionnant économiquement le recours aux énergies fossiles ou les projets purement spéculatifs, et en facilitant le développement de moyens alternatifs dans la production, dans l’économie d’énergie ou dans le stockage de carbone.

Une pre­mière étape serait de fix­er une valeur tutélaire européenne pour le CO2 à un niveau élevé, avec des mécan­ismes cohérents d’application. En effet, si aujourd’hui la France, l’Irlande, le Roy­aume-Uni, la Suède, la Slovénie, le Dane­mark et la Fin­lande ont mis en place des tax­a­tions du car­bone, ces pays utilisent des tar­ifs très vari­ables de 3,50 €/tCO2 à 110 €/tCO2, avec de nom­breuses exemp­tions, des assi­ettes et des util­i­sa­tions très hétérogènes. 

N’oublions pas aus­si un autre moyen de finance­ment évi­dent : la réduc­tion des coûts d’investissement, d’exploitation et de déman­tèle­ment des champs éoliens ; mais s’agissant d’une indus­trie mature (11 000 MW instal­lés en Europe fin 2015) et oli­gop­o­lis­tique, peut-on espér­er la baisse sig­ni­fica­tive promise par les promoteurs ? 

Enfin, une voie mérite d’être explorée, celle du tarif vari­able de rachat de l’électricité EnR, selon les coûts réels, les besoins du réseau, les capac­ités de stock­age hydrauliques disponibles, les prix du marché SPOT, en y inté­grant bien sûr un bonus pour une pro­duc­tion décarbonée.

Commentaire

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Guil­laume SIMONrépondre
25 juin 2017 à 11 h 34 min

Éolien marin : un finance­ment légitime ?

Aujour­d’hui, avec des mécan­ismes d’ap­pel d’of­fre ouvert dans l’éolien en mer, des pays européens approchent, ou atteignent les prix de marché dans cer­taines con­di­tions. Les réduc­tions de coût à venir avec des tur­bines de 13 à 15 MW en pro­jet et d’autres inno­va­tions seront encore importantes. 

Les coûts obtenus en 2011 pour des parcs qui seront con­stru­its au mieux 10 ans plus tard reflè­tent un investisse­ment pour démar­rer en France une fil­ière indus­trielle d’avenir, dont la place majeure dans le mix futur dans le monde appa­raît claire aujour­d’hui. Je n’en­tends pas de cri­tique sur le très fort sup­port d’un état stratège pour pré­par­er l’avenir d’une autre fil­ière que vous con­nais­sez bien, dans le passé et encore aujour­d’hui, pourquoi y aurait-il eu deux poids, deux mesures ? 

Divers décideurs enfer­més dans une mono­cul­ture énergé­tique monop­o­lis­tique ont par le passé empêché qu’une fil­ière éoli­enne ter­restre prenne à temps son essor. La perte d’op­por­tu­nité en ter­mes d’emploi et de bal­ance com­mer­cial est affligeante par rap­port à l’Alle­magne, au Dane­mark, à l’Es­pagne, au Por­tu­gal, aux USA, à la Chine, à l’Inde… Le retard ne sera jamais rattrapé. 

Sachons inve­stir à temps pour ne pas répéter les erreurs du passé. Sur l’ob­jec­tif à terme de par­venir à une com­péti­tiv­ité dans un cadre de prix de marché, je suis d’ac­cord avec vous, et la forte dynamique com­péti­tive au niveau européen per­met déjà d’être très con­fi­ant ! Et cela ne doit pas empêch­er non plus d’in­ve­stir dans l’ef­fi­cac­ité énergé­tique, la réponse aux défis de demain néces­site d’avoir plus d’une corde à notre arc !

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