Projet Pico-Wind : maîtriser l’interaction vent-éoliennes

Dossier : Dossier FFEMagazine N°700 Décembre 2014
Par Philippe ALEXANDRE

Pico-Wind est un projet de grande envergure. Quel en est l’objectif ?

La rentabil­ité d’un pro­jet éolien dépend du vent qu’il fait sur le site choisi, ou plutôt du vent qu’il va faire sur les 20 ans de vie du futur parc. Pour cela, une cam­pagne de mesures de la vitesse et de la direc­tion du vent est réal­isée sur une péri­ode d’au moins une année, à par­tir de laque­lle une sta­tis­tique long terme est déduite par cor­réla­tion avec une sta­tion météo.

“ Si l’énergie éolienne est belle et propre, elle demande en contrepartie qu’on lui injecte beaucoup d’intelligence, un vrai régal pour les ingénieurs du métier.”

Mais ce n’est pas tout : le vent varie aus­si spa­tiale­ment selon la hau­teur, et n’est pas le même en tout point du site, ce qui sig­ni­fie que chaque éoli­enne ver­ra un vent dif­férent. Ces vari­a­tions spa­tiales sont pris­es en charge par des out­ils de sim­u­la­tion numérique de mécanique des flu­ides qui tien­nent compte du relief et de l’occupation du sol (forêt, champs, zones d’urbanisme).

Vient ensuite la dernière étape con­sis­tant à con­ver­tir ces don­nées de vent en pro­ductible élec­trique grâce à la courbe de puis­sance de l’éolienne. Réalis­er une telle étude dite de « poten­tiel éolien » cor­re­spond à un vrai méti­er de la fil­ière éoli­enne, stratégique­ment très impor­tant pour con­solid­er le pro­jet et son financement.

Amélior­er nos méth­odes de pré­dic­tion doit donc être un souci permanent.

Quel constat a encouragé cette initiative scientifique ?

Après la mise en ser­vice du parc, les « experts du vent » sont amenés à com­par­er leur pré­dic­tion à la réal­ité de la production.

Sodar

Résul­tat des cours­es : des écarts très dis­parates selon les sites sont con­statés, cor­re­spon­dant assez sou­vent à des pro­ductibles sures­timés. Ces écarts n’étonnent plus les spé­cial­istes qui savent que de mul­ti­ples phénomènes com­plex­es ne sont pas assez bien con­nus et modélisés.

L’éolienne tout d’abord ne saurait se réduire à une sim­ple courbe math­é­ma­tique (la fameuse courbe de puis­sance) cen­sée résumer tout ce qu’elle doit gér­er : vent trop faible, rafales ou tem­pêtes, cisaille­ment exces­sif, tur­bu­lence débridée !

Le vent ensuite, qui, out­re sa com­plex­ité intrin­sèque et capricieuse, réag­it à la présence des éoli­ennes. Si l’énergie éoli­enne est belle et pro­pre, elle demande en con­trepar­tie qu’on lui injecte beau­coup d’intelligence (un vrai régal pour les ingénieurs du méti­er !), et c’est bien tout l’enjeu du pro­jet Pico-Wind.

Est-ce à dire qu’au fond, on ne connaît pas si bien le vent qu’on exploite sur les parcs éoliens ?

Si la pro­duc­tion d’un parc éolien se con­state, le vent qui lui a don­né nais­sance, lui, se discute.

installation Lidar-nacelle : réglage horizontalité par théodolite.
Instal­la­tion Lidar-nacelle :
réglage hor­i­zon­tal­ité Sodar. par théodolite.

Quel vent est réelle­ment exploité par les machines ? Est-ce le vent qui arrive sur le rotor et qui a déjà prob­a­ble­ment subi une mod­i­fi­ca­tion ? Est-ce le vent plus en amont, vierge de toute influ­ence de la bar­rière d’éoliennes ? Et si oui, à quelle distance ?

Ou bien, le « vrai » vent ne serait-il pas plutôt celui mesuré sur le site « nu » ? Mais dans ce cas, com­ment faire le lien entre ces deux types de vent site « nu » et site « con­stru­it » ? Et lequel de ces deux-là est le plus en accord avec la réal­ité de la pro­duc­tion du parc, etc ?

En fait, le vent inter­ag­it avec tout, n’importe quel obsta­cle (dont les éoli­ennes elles-mêmes), loin en amont comme en aval. De là naît une com­plex­ité par­ti­c­ulière qu’il faut appren­dre à maîtris­er car elle a un impact direct sur notre capac­ité à prédire et sur le niveau d’incertitude associé.

Les répons­es à ces ques­tions et bien d’autres encore sont impor­tantes, si l’on veut par­venir à mieux iden­ti­fi­er les caus­es des écarts de pro­duc­tion (en plus ou en moins par rap­port à une pré­dic­tion don­née) et du même coup amélior­er aus­si bien les méth­odes d’évaluation du poten­tiel éolien en phase Pro­jet, que les analy­ses de per­for­mance des parcs en fonctionnement.

Concrètement, quels équipements avez-vous choisi de mettre en place ?

La meilleure chose à faire est cer­taine­ment de mesur­er le vent en dif­férents endroits du parc. Même si la référence par excel­lence en matière de mesure du vent reste le mât de mesure bardé d’anémomètres et de girou­ettes, de nou­velles tech­nolo­gies émer­gent peu à peu et vien­nent enrichir les solu­tions métrologiques à dis­po­si­tion de l’ingénieur du vent.

Parc éolien de la PicoterieDeux appareils per­me­t­tent aujourd’hui de mesur­er le vent de manière non inva­sive, à dis­tance depuis le sol : le SODAR et le LIDAR. Le principe est le suiv­ant : Une onde, sonore pour le pre­mier, lumineuse pour le sec­ond, est envoyée à la ver­ti­cale, rebon­dit sur les aérosols de la couche atmo­sphérique (à dif­férentes hauteurs).

Comme ces aérosols se dépla­cent à la vitesse du vent, l’onde réfléchie qui revient sur l’appareil n’a pas la même longueur d’onde que l’onde inci­dente qui en est par­tie (effet Doppler). C’est cet écart qui per­met d’en déduire la vitesse du vent.

Ces appareils présen­tent claire­ment des avan­tages sur le mât de mesures. Ils per­me­t­tent de mesur­er plus haut, s’installent plus facile­ment et aucune autori­sa­tion admin­is­tra­tive n’est néces­saire. Ces points forts sont d’autant plus déter­mi­nants pour un pro­jet dont la valeur ajoutée est d’effectuer une mesure en dif­férents endroits.

Au mât de mesures auto­por­tant de 40 m de hau­teur, déjà exis­tant sur le site, il a été ajouté deux SODARs posi­tion­nés à 400 m de part et d’autre de l’alignement des machines, ain­si qu’un LIDAR-Nacelle sur le toit de la nacelle de l’une des éoli­ennes, des­tiné à mesur­er le vent qui arrive sur l’éolienne. Enfin, un nou­veau LIDAR a été instal­lé un peu à l’écart du parc afin d’estimer le fac­teur glob­al d’influence des éoli­ennes sur le vent.

Le projet est lancé depuis plus d’un an.
Quelles en sont les avancées et les étapes à venir ?

Un impor­tant tra­vail d’acquisition puis de traite­ment des don­nées a été effec­tué, qui a déjà per­mis d’évaluer la fia­bil­ité, et la pré­ci­sion des sys­tèmes de mesures, puis de met­tre en lumière les car­ac­téris­tiques du champ de vent sur le parc, en par­ti­c­uli­er les pertes d’énergie dues à la présence des éoliennes.

Lidar-nacelle. sur le parc éolien de la Picoterie
Lidar-nacelle.

La deux­ième phase du pro­jet vient de débuter et s’étalera sur toute l’anneé 2015. Elle con­sis­tera à con­fron­ter la mod­éli­sa­tion du vent avec les résul­tats de la cam­pagne de mesures.

La sim­u­la­tion numérique du vent est com­posée d’une suc­ces­sion de mod­èles de fia­bil­ité vari­able : extrap­o­la­tion du pro­fil ver­ti­cal des vitesses, extrap­o­la­tion « hor­i­zon­tale » (vari­a­tion de la vitesse le long du site grâce à la CFD ou « Com­pu­ta­tion­al Flu­id Dynam­ics »), mod­éli­sa­tion de la tur­bu­lence et effets de sil­lage, cor­réla­tion long terme… Tous ces mod­èles seront sus­cep­ti­bles de subir quelques cor­rec­tifs, tou­jours dans le même objec­tif d’améliorer la pré­dic­tion de pro­duc­tion et réduire l’écart à la réal­ité du terrain.

Enfin, une troisième étape con­sis­tera à faire le lien entre deux péri­odes, avant et après con­struc­tion, jusqu’ici traitées séparé­ment du point de vue de l’évaluation de la ressource. Avant con­struc­tion, en phase Pro­jet, le vent est mesuré sur site « nu ». Après con­struc­tion, le suivi de per­for­mance est déduit de la mesure en présence des éoliennes.

Il est tout à fait plau­si­ble que l’énergie glob­ale du vent soit dif­férente dans les deux cas, et la ques­tion est de savoir de combien.

Poster un commentaire