Entreprise et environnement : histoire d’une longue intégration

Dossier : Entreprise et environnementMagazine N°587 Septembre 2003Par : Thierry LIBAERT, chef de projet EDF R&D, maître de conférences IEP Paris

On peut fix­er sché­ma­tique­ment qua­tre péri­odes pour cette inté­gra­tion de la préoc­cu­pa­tion envi­ron­nemen­tale, qui cor­re­spon­dent cha­cune à des com­porte­ments, des atti­tudes de l’en­tre­prise envers les écosys­tèmes. Elles regroupent tout à la fois des événe­ments écologiques, un type d’opin­ion publique et un mode de régle­men­ta­tion similaires.

Les quatre étapes clés

1. Exploiter

La pre­mière péri­ode dure près de deux siè­cles, et démarre vers 1780, date de ce que l’on a cou­tume d’ap­pel­er la révo­lu­tion indus­trielle. C’est le moment où sous l’ef­fet de la général­i­sa­tion de la machine à vapeur, des pre­miers chemins de fer, des pre­miers fours indus­triels, l’en­tre­prise com­mence à pren­dre son essor. L’An­gleterre est le pre­mier pays à con­naître cette évo­lu­tion ; la France ne débu­ta sa révo­lu­tion indus­trielle qu’une quar­an­taine d’an­nées plus tard, vers 1820. L’en­vi­ron­nement est une notion totale­ment absente des préoc­cu­pa­tions de l’époque.

La révo­lu­tion indus­trielle coïn­cide avec l’a­pogée de la philoso­phie des Lumières, un mou­ve­ment intel­lectuel qui pense que l’his­toire a un sens et que le pro­grès est con­stant. Con­dorcet (1743–1794), per­suadé de la per­fectibil­ité infinie de l’homme, est l’un des représen­tants emblé­ma­tiques de ce courant de pensée.

Cette philoso­phie des Lumières inspire la sci­ence économique qui prend alors son essor, dont Adam Smith (1723–1790) est l’un des pères fon­da­teurs. Dans La richesse des nations, écrit en 1767, il dis­tingue trois fac­teurs de pro­duc­tion : le tra­vail, le cap­i­tal et la terre. C’est de leur util­i­sa­tion com­binée que les richess­es peu­vent être produites.

Toute l’é­cole clas­sique qui en est issue (Ricar­do, Stu­art Mill) ain­si que les phys­iocrates regroupés autour de leur chef de file Ques­nay ont ceci en com­mun que l’en­vi­ron­nement, qu’ils appel­lent la Terre, est tou­jours perçu exclu­sive­ment comme une ressource à exploiter. Ils s’in­ter­rogeront certes sur les dan­gers des proces­sus de pro­duc­tion qui aboutis­sent à une raré­fac­tion des ressources naturelles et donc à une diminu­tion de la rente fon­cière et du taux de prof­it. Cette idée d’une lim­ite naturelle à la crois­sance et d’un stock lim­ité de ressources naturelles dévelop­pée surtout par Ricar­do (1772–1823) et sous une forme dif­férente par Marx (1818–1883) a été prin­ci­pale­ment pop­u­lar­isée par Malthus (1766–1834).

Toute­fois, si l’on analyse l’ensem­ble des théories économiques, il appa­raît claire­ment que l’en­vi­ron­nement est tou­jours perçu comme un fac­teur de pro­duc­tion, jamais comme une ressource naturelle à sauve­g­arder. Seuls quelques rares auteurs comme Antoine-Augustin Cournot (1801–1871), qui pub­lie Les principes de la théorie des richess­es en 1838, relèvent le décalage entre max­i­mal­i­sa­tion immé­di­ate du prof­it et rentabil­ité à long terme au tra­vers de l’ex­tinc­tion des ressources non renou­ve­lables et la dis­pari­tion de cer­taines espèces animales.

Les théories économiques, même plus récentes comme le keynésian­isme, qui se con­cen­tre sur la recherche du plein emploi par une poli­tique économique axée sur la demande, sont totale­ment silen­cieuses sur l’en­vi­ron­nement. La théorie moné­tariste, dévelop­pée par Mil­ton Fried­man, prix Nobel d’é­conomie, illus­tre jusqu’à la car­i­ca­ture cette con­cep­tion min­i­male : ” Il existe peu de courants plus dan­gereux pour les fonde­ments mêmes de notre société libre que l’ac­cep­ta­tion par les dirigeants d’en­tre­prise d’une con­cep­tion de la respon­s­abil­ité sociale autre que de servir du mieux pos­si­ble les intérêts de leurs action­naires. ” (Cap­i­tal­isme et lib­erté, Chica­go Press, 1962).

Prin­ci­pales dis­po­si­tions con­cer­nant l’environnement édic­tées avant 1965
1289 Créa­tion de la maîtrise des eaux et forêts.
1669 Ordon­nance sur les eaux et forêts.
1810 Décret (15.10.1810) relatif aux man­u­fac­tures et ate­liers insalu­bres, incom­modes ou dangereux.
1845 Loi (25.07.1845) sur les sub­stances vénéneuses.
1917 Loi (19.12.1917) rel­a­tive aux étab­lisse­ments dan­gereux, insalu­bres ou incommodes.
1961 Loi (02.08.1961) rel­a­tive à la lutte con­tre les pol­lu­tions atmo­sphériques et les odeurs
1964 Loi (16.12.1964) rel­a­tive à la lutte con­tre la pol­lu­tion des eaux.

On peut pos­tuler que la sci­ence économique clas­sique a fait autant de bien au développe­ment indus­triel qu’elle a fait de mal à l’en­vi­ron­nement. Il paraît cer­tain, que, con­juguée aux idées philosophiques de l’époque basées sur une croy­ance infinie en l’homme et en la tech­nique, l’é­conomie poli­tique a jeté les pre­mières bases d’une théori­sa­tion de la destruc­tion de la nature. Elle s’est aperçue de la lim­i­ta­tion des ressources naturelles mais, à aucun moment, elle n’en a tiré de con­séquences pos­i­tives pour la pro­tec­tion de l’environnement.

Ces idées d’un homme dom­i­na­teur et exploiteur de la nature se retrou­vent aujour­d’hui dans les États du tiers-monde. Les bases philosophiques et religieuses sont certes totale­ment opposées, et les philoso­phies ori­en­tales, par exem­ple, pos­tu­lent une inser­tion totale de l’homme dans la nature avec laque­lle il ne fait qu’un. Toute­fois, elles se retrou­vent autour d’une évi­dence qui est que la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement ne passe qu’après la pro­tec­tion de soi-même et de sa famille. Dans les États du tiers-monde, tout comme dans les pays occi­den­taux du siè­cle précé­dent, l’im­pératif indus­triel est plus fort que la pro­tec­tion de l’environnement.

C’est une notion essen­tielle pour la com­préhen­sion des grands débats mon­di­aux sur l’en­vi­ron­nement. Chic­co Tes­ta, par­lemen­taire ital­ien, avait cou­tume d’ex­pli­quer ceci : ” Com­ment pou­vons-nous faire com­pren­dre aux habi­tants du tiers-monde qu’il faut pro­téger l’en­vi­ron­nement pour sauver les futures généra­tions qui vien­dront sur terre dans cinquante ou cent ans, alors qu’ils ont un prob­lème immé­di­at et urgent, qui est de se nour­rir eux-mêmes et si pos­si­ble leurs enfants ?

Durant toute cette péri­ode, qui s’é­tend jusque vers la fin des années soix­ante, les voix de l’opin­ion publique ne se font qua­si­ment pas enten­dre sur l’en­vi­ron­nement. Les Français d’après-guerre ont d’autres cen­tres d’in­térêt : les craintes budgé­taires, puis de loge­ment, et surtout le désen­gage­ment de l’Afrique du Nord les préoc­cu­pent bien plus que la pro­tec­tion de l’environnement.

Il est aus­si intéres­sant de con­stater qu’au cours de cette péri­ode les Français sont plutôt fiers de leur indus­trie et des grandes réus­sites tech­niques. C’est ain­si que les pre­mières cen­trales nucléaires, qui nais­sent dans les années 1950, sont saluées comme des réus­sites tech­niques, et ne se heur­tent à aucune opposition.

Par­al­lèle­ment à cette absence de demande sociale envers la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement, les régle­men­ta­tions sont peu nom­breuses et peu con­traig­nantes. Il y a eu plus de règle­ments sur la pro­tec­tion de la nature durant les vingt dernières années que durant toute l’his­toire qui a précédé.

Au sein des entre­pris­es, l’en­vi­ron­nement appa­rais­sait comme une don­née absente des straté­gies à long terme : si le pro­grès tech­nique pou­vait apporter des nui­sances, il pou­vait égale­ment les faire disparaître.

Absent des préoc­cu­pa­tions, il était égale­ment absent des organ­i­grammes où il n’é­tait envis­agé que sous l’an­gle des risques poten­tiels. Cette activ­ité de préven­tion des pol­lu­tions était alors gérée soit par le ser­vice con­cerné, soit par un délégué à la sécu­rité. Pour le reste, des rejets extérieurs lim­ités et l’ab­sence de réelle con­nais­sance du fonc­tion­nement des écosys­tèmes ne néces­si­taient pas de la part de l’en­tre­prise d’autre préoc­cu­pa­tion que la ges­tion des risques immédiats.

2. Gérer

La sec­onde époque s’éch­e­lonne entre les années 1967–1968 et 1973–1974. Elle représente l’émer­gence de l’en­vi­ron­nement sur la scène poli­tique, sociale et industrielle.

Le 18 mars 1967, le super-tanker Tor­rey-Canyon s’é­choue en Cornouailles. 12 000 tonnes de pét­role brut s’échap­pent des soutes et se répan­dent sur près de 400 kilo­mètres de côtes. On comptera 35 000 tonnes d’an­i­maux exter­minés, dont 1 500 pin­gouins et 4 000 macareux.

Cet acci­dent aura un pro­fond reten­tisse­ment dans l’opin­ion publique. Il s’ag­it du pre­mier acci­dent indus­triel de cette impor­tance et, surtout, il est large­ment médi­atisé. La télévi­sion mon­tre des images d’oiseaux englués, de pois­sons flot­tant ven­tre en l’air, l’é­mo­tion­nel est atteint.

Mai 1968 n’est pas un événe­ment écologique stric­to sen­su. Il exprime des idées anti-indus­trielles, mais est davan­tage dirigé con­tre la société de con­som­ma­tion que pour l’environnement.

Les slo­gans de l’époque ” Sous les pavés la plage “, ” On ne fait pas l’amour avec un taux de crois­sance ” traduisent plutôt des préoc­cu­pa­tions con­tre que pour un idéal. En ce sens, il est un mou­ve­ment de révolte qui, s’il paraît avoir échoué en juin 1968, aura cer­taine­ment été un des événe­ments majeurs de l’é­colo­gie française.

Si Mai 1968 ne prô­nait pas le respect de la nature, voire le retour à la terre, il aura été le déclencheur de com­porte­ments en ce sens qui s’ex­primeront quelques années plus tard.

En 1969 paraît en France Quelle terre lais­serons-nous à nos enfants ? de l’Améri­cain Bar­ry Com­mon­er. Ce livre, paru en 1963 aux États-Unis, inter­pelle la com­mu­nauté sci­en­tifique sur les déviances pos­si­bles du pro­grès tech­nologique et relaye un autre grand clas­sique paru l’an­née précé­dente, Le print­emps silen­cieux de l’Améri­caine Rachel Car­son. L’ou­vrage Avant que nature ne meure, du respon­s­able du Muséum d’his­toire naturelle, Jean Dorst (1924–2001) eut égale­ment un grand reten­tisse­ment. Paru en 1965 et traduit en 17 langues, ce livre s’él­e­vait con­tre l’ex­ploita­tion destruc­trice de l’en­vi­ron­nement et appelait à la sauve­g­arde de la bio­di­ver­sité. Une ver­sion abrégée La nature dénaturée parut cinq ans plus tard.

L’af­faire du Larzac, à la même époque, prend fig­ure, notam­ment pour les asso­ci­a­tions écologiques, d’un véri­ta­ble sym­bole. L’ar­mée souhaitait l’ex­ten­sion d’un camp mil­i­taire, ce qui néces­si­tait l’ex­pul­sion d’une quar­an­taine de fer­mes. ” Les chars con­tre les char­rues “, ” Des bre­bis, pas des bombes “…, le Larzac aura forte­ment mar­qué toute une généra­tion de mil­i­tants écologiques ou anti­mon­di­al­istes. La charge émo­tion­nelle fut telle que la pre­mière déci­sion prési­den­tielle après le 10 mai 1981 sera d’an­nuler le pro­jet d’ex­ten­sion du camp.

En 1972 se déroule sous l’égide des Nations unies la pre­mière con­férence inter­na­tionale sur l’en­vi­ron­nement à Stock­holm. Elle mar­que pour la pre­mière fois la prise de con­science des prob­lèmes d’en­vi­ron­nement, et souligne surtout que ceux-ci sont planétaires.

La même année paraît le pre­mier rap­port du Club de Rome, mal­adroite­ment traduit en français sous le titre Halte à la crois­sance ? (le titre anglais est The lim­its to growth). Ce tra­vail, qui réac­tu­al­i­sait d’an­ci­ennes thès­es économiques sur l’in­com­pat­i­bil­ité entre une crois­sance économique et démo­graphique illim­itée et des ressources naturelles lim­itées, se basait sur des mod­èles économétriques très sophis­tiqués. Son reten­tisse­ment fut d’au­tant plus impor­tant que ses com­man­di­taires étaient des respon­s­ables d’en­tre­pris­es comme Aurélio Pec­cei (vice-prési­dent d’O­livet­ti) ou Gio­van­ni Agnel­li (prési­dent de Fiat), ses auteurs des chercheurs du MIT, et que son con­tenu n’é­tait pas une charge idéologique mais une étude quan­ti­ta­tive détaillée.

Par­mi les événe­ments qui illus­trent cette époque, il faut sig­naler égale­ment la nais­sance des pre­mières grandes asso­ci­a­tions de pro­tec­tion de la nature.

En 1969, elles se regroupent au sein de la Fédéra­tion française des sociétés de pro­tec­tion de la nature (qui devien­dra France Nature Environnement).

L’an­née suiv­ante est créée l’as­so­ci­a­tion ” Les Amis de la Terre ” qui s’or­gan­ise immé­di­ate­ment en réseau pour s’im­planter dans la plu­part des grandes villes. Une presse spé­cial­isée relaya ces débuts du mou­ve­ment écologique, notam­ment Com­bat Nature, lancé en 1971, et surtout Le Sauvage (1973) dirigé par Alain Hervé, trimestriel de réflex­ion écologique qui eut une grande influ­ence sur les mou­ve­ments de pro­tec­tion de la nature.

L’é­colo­gie com­mence à s’in­sti­tu­tion­nalis­er. Jacques Cha­ban-Del­mas sera à l’o­rig­ine, en 1971, du pre­mier min­istère de l’En­vi­ron­nement, con­fié à Robert Pou­jade. Elle com­mence aus­si à pénétr­er les entre­pris­es qui se dotent d’embryons de ser­vice envi­ron­nement, comme Elf Aquitaine qui crée en 1971 son Cen­tre d’in­for­ma­tion et de recherche sur les nuisances.

La sen­si­bil­ité de l’opin­ion publique à l’é­gard de l’en­vi­ron­nement com­mence égale­ment à être per­cep­ti­ble dans les sondages. C’est vers 1970 que ceux-ci devi­en­nent ciblés sur des ques­tions plus spé­ci­fique­ment écologiques (pol­lu­tion, qual­ité de vie, pro­tec­tion de la nature), alors que, quelques années aupar­a­vant, les ques­tion­nements por­taient davan­tage sur des thèmes d’amé­nage­ment du ter­ri­toire ou d’urbanisme.

En mars 1973, une enquête de Pub­limétrie réal­isée pour la 2e chaîne de télévi­sion indique que 77 % des Français esti­ment que les dan­gers de la pol­lu­tion sont sous-estimés. Selon le même sondage, 46 % de Français se déclar­ent prêts à pay­er plus cher des pro­duits dont la fab­ri­ca­tion est non pol­lu­ante : en 1973, l’é­co­lo-mar­ket­ing était déjà en germe.

3. Répondre aux attentes du public

La péri­ode suiv­ante, que l’on peut situer entre 1974 et 1985, cor­re­spond avant tout à ce qui fut appelé “crise économique”, mais qui n’est peut-être qu’une péri­ode de crois­sance “nor­male” après l’e­uphorie des trente glorieuses.

Cette crise a eu des effets décisifs sur l’é­colo­gie et son rap­port au monde indus­triel. Elle a ruiné toute idée de crois­sance zéro, mis le chô­mage au pre­mier plan des préoc­cu­pa­tions des Français, et entraîné une recon­nais­sance de l’en­tre­prise, surtout après 1981, comme acteur essen­tiel de la vie économique.

Quelques cat­a­stro­phes marquantes
10 juil­let 1976 Acci­dent chim­ique à Seveso.
24 jan­vi­er 1976 Naufrage de l’Olympic Brav­ery au large d’Ouessant.
13 octo­bre 1976 Naufrage du Boehlen au large de l’île de Sein.
16 mars 1978 Naufrage de l’Amo­co Cadiz au large des côtes bretonnes
28 mars 1979 Acci­dent nucléaire à Three Mile Island en Pennsylvanie.
3 décem­bre 1984 Cat­a­stro­phe chim­ique à Bhopal en Inde.

Toute­fois de nom­breux acci­dents, large­ment médi­atisés, émail­lèrent cette péri­ode. Toutes ces cat­a­stro­phes, qui trou­vèrent un très fort écho dans l’opin­ion publique, ont eu des inci­dences fortes sur le développe­ment du mou­ve­ment écologique et sur la régle­men­ta­tion des activ­ités industrielles.

Un autre événe­ment, pure­ment français, aura mar­qué cette époque : il s’ag­it du lance­ment, le 5 mai 1974, d’un ambitieux pro­gramme de développe­ment de l’én­ergie nucléaire. Le plan Mess­mer, adop­té en Con­seil des Min­istres, prévoit l’en­gage­ment de 50 tranch­es nucléaires de 1 000 mégawatts à l’hori­zon 1980. L’ar­gu­ment avancé est la recon­quête de l’indépen­dance nationale après le pre­mier choc pétrolier.

La maturité institutionnelle et industrielle

La péri­ode 1974–1985, si elle mar­que un cer­tain essouf­fle­ment du mou­ve­ment ” vert “, aura para­doxale­ment été prop­ice au niveau gou­verne­men­tal et industriel.

Au niveau gou­verne­men­tal, on con­state surtout l’ap­pari­tion d’une réelle régle­men­ta­tion con­cer­nant la pro­tec­tion de la nature. Une loi est par­ti­c­ulière­ment impor­tante, celle du 19 juil­let 1976 rel­a­tive aux instal­la­tions classées pour la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement, qui sub­or­donne toute implan­ta­tion nou­velle à une autori­sa­tion préal­able. Cette dernière, soumise à une enquête publique, doit con­tenir entre autres une étude d’im­pact sur l’en­vi­ron­nement et les éventuels risques présen­tés par l’ex­ploita­tion. Cette loi sera ren­for­cée par la loi du 12 juil­let 1983 (loi Bouchard­eau) rel­a­tive à la démoc­ra­ti­sa­tion des enquêtes publiques et à la pro­tec­tion de l’environnement.

Devant cette régle­men­ta­tion stricte, assor­tie de sanc­tions très lour­des, l’in­dus­trie a dû inté­gr­er l’en­vi­ron­nement dans ses choix économiques.

Les entre­pris­es se sont dotées de ser­vices envi­ron­nement à part entière, voire de Direc­tions spé­ci­fiques, comme Elf Aquitaine en 1982.

La moitié des cent pre­mières entre­pris­es français­es pos­sé­daient en 1986 leur pro­pre ser­vice envi­ron­nement. Cette fonc­tion envi­ron­nement, his­torique­ment issue des direc­tions qual­ité-sécu­rité, n’é­tait générale­ment con­sti­tuée que de quelques personnes.

C’est aus­si le début de l’en­vi­ron­nement comme élé­ment d’une stratégie de posi­tion­nement d’im­age, et l’on voit quelques entre­pris­es sor­tir les pre­mières cam­pagnes sur ce thème, comme Total qui, dès 1978, plac­ar­dait des affich­es représen­tant un paysage de cam­pagne avec pour accroche “C’est beau chez nous”.

4. Construire une image durable

La dernière péri­ode débute en 1986. Elle se traduit par un remod­e­lage de “l’idée écologique” dû à trois facteurs :

1) de nou­velles cat­a­stro­phes : Tch­er­nobyl, Bâle, Exxon Valdez ;
2) l’émer­gence de prob­lèmes mon­di­aux : CFC et couch­es d’o­zone, CO2 et effet de serre, destruc­tion de la forêt ama­zoni­enne, pluies acides ;
3) le retour tran­si­toire à la crois­sance à par­tir des années 1986–1987.

Une prise en compte décisive au niveau gouvernemental et industriel

À par­tir de 1988–1989, toute une série de mesures sont pris­es sur le plan insti­tu­tion­nel. Les plus orig­i­nales con­cer­nent cer­taine­ment le développe­ment de la coopéra­tion inter­na­tionale. Ain­si, 1989, année européenne de l’en­vi­ron­nement, voit tout à la fois la créa­tion de l’A­gence européenne de l’en­vi­ron­nement, le Som­met inter­na­tion­al de La Haye sur l’en­vi­ron­nement, la Con­férence inter­na­tionale sur la couche d’o­zone à Lon­dres, le Som­met du G7 à l’oc­ca­sion du bicen­te­naire de la Révo­lu­tion française qui fait une large place aux ques­tions d’en­vi­ron­nement, la pre­mière réu­nion à Paris des États sig­nataires du traité de l’Antarctique…

Au niveau inter­na­tion­al com­mence à émerg­er une série de pro­jets gou­verne­men­taux sur les éco­bi­lans, les audits envi­ron­nement, la tax­a­tion pol­lueurs-payeurs, des encour­age­ments fis­caux à la dépol­lu­tion. Le min­istère de l’En­vi­ron­nement tâche, davan­tage par des procédés inci­tat­ifs que régle­men­taires, d’a­gir mal­gré une marge de manœu­vre assez étroite.

Quant aux entre­pris­es, elles parais­sent défini­tive­ment inté­gr­er l’en­vi­ron­nement dans leur stratégie. 40 % des 130 pre­mières entre­pris­es ont créé leur pro­pre ser­vice envi­ron­nement depuis 1987. Par­al­lèle­ment, elles met­tent en place des indi­ca­teurs de suivi de l’en­vi­ron­nement et s’en­ga­gent sur des objec­tifs pré­cis. Cer­taines entre­pris­es s’aperçoivent du créneau et déci­dent de porter leurs efforts sur l’en­vi­ron­nement. Ain­si, la Lyon­naise des Eaux qui écrit dans son rap­port d’ac­tiv­ité 1988 : “le futur est l’en­vi­ron­nement”.

En fait, c’est le rôle assigné à l’en­tre­prise qui a con­sid­érable­ment évolué. De sim­ple pro­duc­teur, elle appa­raît de plus en plus comme un acteur social aux mul­ti­ples activ­ités. L’en­tre­prise cherche à devenir “citoyenne”, et d’elle-même, sans demande extérieure, agit et essaye d’an­ticiper les évolutions.

La prise en compte de l’en­vi­ron­nement à tous les stades de la vie de l’en­tre­prise appa­raît alors comme pou­vant entraîn­er des effets posi­tifs, comme celui de mobilis­er son per­son­nel, de réduire ses coûts, ou de con­quérir de nou­veaux marchés grâce au posi­tion­nement écologique des pro­duits, comme l’il­lus­trèrent dès 1989 les actions mar­ket­ing des entre­pris­es Henkel (Le Chat Machine) ou Reckitt et Cole­man (Mai­son Verte).

Quant à l’avenir — le développe­ment durable est-il durable ? — plusieurs paramètres mili­tent dans le sens de l’am­pli­fi­ca­tion de l’in­té­gra­tion envi­ron­nemen­tale dans l’en­tre­prise : sa place dans la nor­mal­i­sa­tion com­mer­ciale, les enjeux financiers asso­ciés à l’ori­en­ta­tion des flux bour­siers, la val­ori­sa­tion du con­som­ma­teur qu’elle per­met, le poids des inter­locu­teurs externes, ONG et asso­ci­a­tions, l’am­pli­fi­ca­tion du droit de l’en­vi­ron­nement, la demande sociale et poli­tique et bien sûr le con­stat d’une nature perçue comme de plus en plus fragile.

Les Français, l’environnement et l’entreprise

Si les Français se déclar­ent préoc­cupés des prob­lèmes d’en­vi­ron­nement, ils éprou­vent quelques dif­fi­cultés à cern­er les enjeux et la réal­ité de ces problèmes.

Ils ne sont ain­si que 26 % à déclar­er con­naître le terme de “développe­ment durable”. Ils sont près de 2/3 à estimer que le pro­grès tech­nique ne résoudra pas ces prob­lèmes alors qu’ils n’é­taient que la moitié dix ans aupar­a­vant. Les entre­pris­es restent le prin­ci­pal accusé con­cer­nant la dégra­da­tion de l’en­vi­ron­nement, puisque 47 % des Français esti­ment qu’elles en por­tent la respon­s­abil­ité majeure, loin devant les gou­verne­ments, les con­som­ma­teurs ou les agricul­teurs. Qua­tre Français sur dix vont jusqu’à s’ac­corder à qual­i­fi­er le dis­cours des entre­pris­es sur l’en­vi­ron­nement de “bidon” (Source : Baromètre Envi­ron­nement EDF — R & D 2002).

Déjà en 1995, un sondage pub­lié par l’In­sti­tut français de l’en­vi­ron­nement enseignait qu’à la ques­tion “Quelles sources d’in­for­ma­tion, à votre avis, dis­ent la vérité en ce qui con­cerne la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement ?” l’in­dus­trie avait recueil­li 0 %. Pour être posi­tif, on peut con­clure que cela lui laisse une belle marge de progression.

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