Évolutions annuelles des prix à la consommation de 1950 à 2022

Énergie, alimentation : comment expliquer la hausse récente de l’inflation ?

Dossier : InflationMagazine N°783 Mars 2023
Par Nicolas CARNOT (X92)
Par Julien POUGET (X96)

La hausse des prix à la con­som­ma­tion en France a atteint 5,2 % en moyenne en 2022. Cela s’explique par une con­jonc­tion de ten­sions mon­di­ales sur les appro­vi­sion­nements, les matières pre­mières et l’énergie, ampli­fiées en Europe par la guerre en Ukraine. Mais cette infla­tion, d’ailleurs con­tenue par les poli­tiques con­duites, devrait se modérer.

La hausse des prix en 2022 est venue prin­ci­pale­ment du dynamisme des prix de l’énergie (+ 23 % par rap­port à 2021), de l’alimentation (+ 7 %) et dans une moin­dre mesure des autres pro­duits. Un tel niveau d’inflation n’avait pas été con­staté depuis le milieu des années 1980. Si cette « infla­tion importée » s’est dif­fusée aux prix intérieurs, elle a aus­si été lim­itée par les mesures publiques et n’annonce pas for­cé­ment le retour d’une dynamique de prix autoentretenue.

Des tensions au niveau mondial

Les restric­tions d’ampleur entraînées par les con­fine­ments de 2020–2021 sur les chaînes de pro­duc­tion mon­di­ales n’ont eu d’abord que peu d’effet sur les prix à la con­som­ma­tion. Cer­tains biens ont même vu leurs prix baiss­er pen­dant les con­fine­ments, par exem­ple l’essence, faute de demande. Les déséquili­bres sont apparus lors de la réou­ver­ture des économies : la demande a rebon­di dans les pays occi­den­taux, tan­dis que la pro­duc­tion restait par­fois grip­pée, notam­ment en Asie.

La demande de biens a été notoire­ment forte aux États-Unis, où le sou­tien budgé­taire aux ménages a été mas­sif, plus encore qu’en Europe. Les cours mon­di­aux de l’énergie et des matières pre­mières, indus­trielles comme ali­men­taires, ont alors forte­ment grim­pé, de même que les prix du fret mar­itime. Puis, début 2022, la guerre en Ukraine a accen­tué les ten­sions, en par­ti­c­uli­er sur les den­rées ali­men­taires et le gaz, surtout en Europe. Du point de vue de la France et même de l’Europe, la poussée des prix a donc à l’origine des caus­es extérieures (certes elles-mêmes reflé­tant nos « dépen­dances »). Mais la base de l’inflation s’est élargie au cours de l’année 2022…

Évolutions annuelles des prix à la consommation de 1950 à 2022
Évo­lu­tions annuelles des prix à la con­som­ma­tion de 1950 à 2022
Champ : indice des prix à la con­som­ma­tion série parisi­enne jusqu’en 1962, ménages « urbains » jusqu’en 1992, France prét­ro­pol­i­taine depuis 1993, France entière depuis 1999.
Source : Insee

Une diffusion aux prix intérieurs

Sur longue péri­ode, par­mi les com­posantes de l’indice des prix à la con­som­ma­tion en France, les prix de l’énergie sont tout à la fois les plus volatils et les plus dynamiques. À cet égard, la péri­ode récente ne fait bien sûr pas excep­tion. Mais elle se dis­tingue par l’ampleur de l’envolée des prix et par le fait que l’électricité, le gaz et les pro­duits pétroliers y ont net­te­ment con­tribué. De la mi-2021 à la mi-2022, l’énergie, dont le poids dans le panier de con­som­ma­tion ne dépasse pour­tant pas 9 %, a été ain­si le pre­mier poste à con­tribuer à l’inflation d’ensemble en France. Mais, depuis l’été 2022, c’est l’alimentation (un peu plus de 16 % du panier) qui a pris le relai : la forte poussée des cours mon­di­aux des matières pre­mières ali­men­taires s’est en par­tie réper­cutée dans les prix à la con­som­ma­tion, avec quelques trimestres de décalage.

“Les biens manufacturés ont vu leur prix augmenter plus rapidement que ceux des services au cours de la période récente.”

Davan­tage exposés aux con­traintes d’offre et notam­ment d’approvisionnement, les biens man­u­fac­turés ont par ailleurs vu leur prix aug­menter plus rapi­de­ment que ceux des ser­vices au cours de la péri­ode récente. Ce que l’on n’avait pas observé depuis bien longtemps : sur les dernières décen­nies, les prix des ser­vices ont tou­jours été plus dynamiques que ceux des biens man­u­fac­turés, car ces derniers sont d’ordinaire con­tenus par les gains de pro­duc­tiv­ité et le com­merce mondial.

L’observation, inédite depuis les années 1980, d’une hausse du prix des biens indus­triels est un signe clair des effets de dif­fu­sion des hauss­es de coûts importés vers les prix de la plu­part des biens de con­som­ma­tion. On remar­que aus­si une accéléra­tion pro­gres­sive des salaires nom­inaux, sous l’effet des reval­ori­sa­tions du salaire min­i­mum (indexé sur l’inflation) et des négo­ci­a­tions salar­i­ales. Pour autant, le salaire moyen exprimé en ter­mes réels a bien bais­sé en 2022 : les effets de sec­ond tour sont là, mais on ne voit pas d’emballement. Et le net dur­cisse­ment des poli­tiques moné­taires vise bien à se pré­mu­nir d’une dérive trop mar­quée des antic­i­pa­tions de prix.

Prix à la consommation(en niveau - base 100 en janvier 1990. Dernier point : décembre 2022)
Prix à la con­som­ma­tion (en niveau — base 100 en jan­vi­er 1990. Dernier point : décem­bre 2022)
Source : Insee

Les écarts entre pays : le rôle des mesures

La mon­tée des prix a été observée presque partout. Mais avec des vari­a­tions nota­bles d’un pays à l’autre, y com­pris au sein de la zone euro. Une par­tie des dif­férences s’explique par les poli­tiques publiques, ou encore par des prob­lèmes d’approvisionnement régionaux. Les États-Unis ont été en avance de phase, compte tenu de la vigueur de la demande et du marché du tra­vail. Par ailleurs, si le marché et donc les cours du pét­role sont mon­di­aux, ceux du gaz et de l’électricité sont en revanche régionaux. En par­ti­c­uli­er, la guerre en Ukraine a fait flam­ber les cours en Europe, mais les prix du gaz sont restés beau­coup plus sages outre-Atlantique.

S’agissant des pays européens, les écarts provi­en­nent notam­ment des prix de l’énergie : les modes de fix­a­tion des prix à la con­som­ma­tion du gaz et de l’électricité dif­fèrent, même si les « prix de gros » s’établissent, eux, au niveau européen. Surtout, si la plu­part des gou­verne­ments ont adop­té des poli­tiques de sou­tien au pou­voir d’achat, leur cal­en­dri­er et les modal­ités (lim­i­ta­tions de prix ou sou­tien au revenu) ont var­ié d’un pays à l’autre.

“Le plus probable est que le chiffre de l’inflation recule courant 2023 et au-delà.”

La France est ain­si le pre­mier pays à avoir mis en place, dès l’automne 2021, un boucli­er tar­i­faire sur le gaz et l’électricité. S’y est ajoutée, au print­emps 2022, la remise à la pompe sur les prix du car­bu­rant. Au total, l’Insee estime que ces dis­posi­tifs ont con­tribué à réduire l’inflation d’environ trois points de pour­cent­age : deux points d’effet direct et un point d’effet indi­rect, pas­sant par les con­som­ma­tions inter­mé­di­aires des entre­pris­es pour leur pro­duc­tion. Ces mesures ont per­mis à la France d’afficher une infla­tion par­mi les plus faibles d’Europe en 2022.

Glissement annuel des prix à la consommation harmonisé (IPCH)
Glisse­ment annuel des prix à la con­som­ma­tion har­mon­isé (IPCH)


Lire aus­si : Com­ment mesur­er l’inflation ? Indi­ca­teurs con­jonc­turels et évolution


Et maintenant ?

Au total, la poussée infla­tion­niste récente est frap­pante, mais elle peut aus­si être rel­a­tivisée. Il y a eu con­jonc­tion de ten­sions sur les con­di­tions de pro­duc­tion, dans un con­texte où la demande est restée soutenue. L’inflation a été plus élevée en 2021–2022 que ce qui avait été prédit, et moins éphémère. Mais, s’il y a bien eu trans­mis­sion des chocs de coûts aux prix de vente et si l’on n’est pas encore au bout de ce proces­sus, on ne peut pas non plus dire que l’on soit entré dans une dynamique auto-entretenue, type années 1970. Sans doute y a‑t-il le risque d’y arriv­er, et c’est ce qui explique la réac­tion vigoureuse des ban­ques centrales.

Les prochains mois pour­raient – sauf nou­velle sur­prise – voir se pro­duire la jux­ta­po­si­tion de deux effets : la pour­suite de la prop­a­ga­tion des chocs passés d’un côté, les fac­teurs de mod­éra­tion de l’autre, comme la nor­mal­i­sa­tion observée depuis quelques mois sur les appro­vi­sion­nements mon­di­aux. Le plus prob­a­ble, si l’on veut se ris­quer à une prévi­sion, est que le chiffre de l’inflation recule courant 2023 et au-delà, même si le niveau des prix, lui, con­tin­uerait d’augmenter. Et ce sans préjuger des évo­lu­tions de plus long terme, qui, quant à elles, ressor­ti­raient à une analyse beau­coup plus vaste, inté­grant les con­di­tions struc­turantes (ouver­ture des économies, décar­bon­a­tion…) et les régimes de poli­tique économique.

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