mesurer l'inflation

Comment mesurer l’inflation ? Indicateurs conjoncturels et évolution

Dossier : InflationMagazine N°783 Mars 2023
Par Christel COLIN (X89)
Par Aurélien DAUBAIRE (X97)

L’inflation, ce n’est pas exacte­ment l’évolution de l’indice des prix, mais l’indice des prix à la con­som­ma­tion est encore ce qu’on fait de mieux pour la mesur­er. Cet indice est en per­pétuelle amélio­ra­tion depuis des décen­nies, pour refléter tou­jours mieux la réal­ité de l’inflation vécue par les agents économiques. Il est dif­fusé par de nou­veaux moyens, pour touch­er notam­ment les jeunes.

En France, l’indice des prix à la con­som­ma­tion est le loin­tain des­cendant de l’« indice des 13 arti­cles », établi par la Sta­tis­tique générale de la France, ancêtre de l’Insee, à par­tir de 1913 (Un siè­cle d’indice des prix de détail français (1913–2013) ou la méta­mor­phose d’un pio­nnier de la poli­tique du chiffre, Béa­trice Touchelay, Poli­tiques et man­age­ment pub­lic, 2014). Depuis lors, la mesure de l’évolution des prix n’a eu de cesse de cou­vrir un champ de plus en plus com­plet de la con­som­ma­tion en ter­mes de biens et de ser­vices et de représen­ta­tiv­ité de l’ensemble du ter­ri­toire, de répon­dre de mieux en mieux aux attentes des écon­o­mistes et des util­isa­teurs, de sat­is­faire des normes de plus en plus pré­cis­es, en par­ti­c­uli­er pour per­me­t­tre des com­para­isons et des util­i­sa­tions au plan international.

L’indice des prix à la con­som­ma­tion a de mul­ti­ples usages : indi­ca­teur macroé­conomique des ten­sions infla­tion­nistes, indi­ca­teur de référence pour des index­a­tions, comme celle du Smic, défla­teur d’évolutions nom­i­nales comme celles des salaires, du revenu disponible des ménages, de la con­som­ma­tion, pour en déduire les évo­lu­tions « réelles »… Com­ment mesure-t-on l’évolution des prix en pratique ?


Inflation et indice des prix

L’inflation est la perte de pou­voir d’achat de la mon­naie, qui se traduit par une aug­men­ta­tion générale des prix : prix de pro­duc­tion, prix
à la con­som­ma­tion… Par­mi les indi­ca­teurs con­jonc­turels qui la mesurent, le plus fréquem­ment com­men­té est l’indice des prix à la con­som­ma­tion, con­sumer price index en anglais. C’est un indi­ca­teur men­su­el, présen­té le plus sou­vent en évo­lu­tion sur douze mois ou en moyenne annuelle. On mesure ain­si l’évolution du prix d’un panier de dif­férents pro­duits et ser­vices représen­tat­ifs de la con­som­ma­tion finale des ménages.

L’apparition de pro­duits nou­veaux est prise en compte pour que l’indice soit représen­tatif. En revanche, l’inflation mesure une évo­lu­tion des prix à qual­ité con­stante : une amélio­ra­tion de la qual­ité pro­cure un meilleur ser­vice au con­som­ma­teur (les écon­o­mistes par­lent d’une util­ité plus impor­tante), qui jus­ti­fierait un prix plus élevé.


Couvrir l’ensemble de la consommation

Pour cou­vrir de manière com­plète le champ de la con­som­ma­tion, les sta­tis­ti­ciens se réfèrent à une nomen­cla­ture, la clas­si­fi­ca­tion européenne des fonc­tions de con­som­ma­tion, qui com­prend plusieurs cen­taines de postes. L’indice des prix cou­vre aus­si bien les loy­ers, les assur­ances, l’achat de véhicules, les voy­ages, que les pro­duits ali­men­taires, man­u­fac­turés ou les car­bu­rants. Il s’agit égale­ment de cou­vrir l’ensemble de la con­som­ma­tion sur le ter­ri­toire, y com­pris les départe­ments et régions d’outre-mer, et l’ensemble des formes de vente, la vente en mag­a­sin comme les achats sur inter­net ou les marchés sur éventaire.

En cela, l’indice des prix se dis­tingue forte­ment d’indices con­stru­its par des sociétés d’études ou des asso­ci­a­tions de con­som­ma­teurs, qui cou­vrent des seg­ments de la grande dis­tri­b­u­tion ou du com­merce spé­cial­isé, ou suiv­ent des prix sur inter­net à par­tir de comparateurs.

La collecte des tarifs

Le prix de cer­tains pro­duits est suivi à par­tir de tar­ifs (gaz et élec­tric­ité pour la par­tie tar­ifs régle­men­tés, don­nées de la Sécu­rité sociale pour les biens et ser­vices de san­té, etc.), de relevés de prix réal­isés par d’autres organ­ismes (prix du trans­port aérien de pas­sagers relevés par la direc­tion générale de l’aviation civile, prix des car­bu­rants relevés par le min­istère de la Tran­si­tion énergé­tique, etc.) ou de relevés de prix sur inter­net, soit manuels et uni­taires, soit automa­tisés par moisson­nage (web scrap­ing) en rela­tion avec les sociétés con­cernées (le prix du trans­port fer­rovi­aire de voyageurs à par­tir du site de la SNCF notam­ment). Au total, 500 000 relevés de prix sont réal­isés chaque mois sur internet.

La nécessité des enquêtes sur le terrain

Une part impor­tante de la con­som­ma­tion des ménages est local­isée et relève de dif­férentes formes de vente, y com­pris des formes de vente tra­di­tion­nelles comme les marchés. Il est donc néces­saire de réalis­er des relevés de prix « sur le ter­rain » : 260 enquê­teurs effectuent, chaque mois, 150 000 relevés de prix dans 26 000 points de vente. La recherche d’efficience deman­dant d’optimiser les déplace­ments des enquê­teurs, un échan­til­lon de 99 aggloméra­tions est sélec­tion­né par­mi l’ensemble des aggloméra­tions de plus de 2 000 habitants.

Le choix des aggloméra­tions est effec­tué aléa­toire­ment au sein de dif­férentes strates de taille d’agglomération, pour opti­miser la pré­ci­sion sous con­trainte de coût. Cha­cune des 1 100 familles de pro­duits au niveau le plus fin est alors suiv­ie mois après mois dans chaque aggloméra­tion et dans les divers­es formes de vente. Dans ces con­di­tions, la pré­ci­sion (écart type) de l’indice d’ensemble est éval­uée à un ordre de grandeur inférieur à 0,1 % (L. Jalu­zot et P. Sil­lard, Échan­til­lon­nage des aggloméra­tions de l’IPC pour la base 2015).

Un panier évolutif 

Un indice de prix doit s’adapter à l’évolution de la con­som­ma­tion. Chaque année, un nou­veau « panier » est con­sti­tué en cher­chant à cou­vrir tous les types de pro­duits et ser­vices représen­tant au moins 0,1 % de la con­som­ma­tion des ménages. Leur part dans la con­som­ma­tion est égale­ment réé­val­uée, pour servir de pondéra­tion des dif­férents postes. Cet exer­ci­ce revêt une impor­tance par­ti­c­ulière, notam­ment sur les seg­ments de con­som­ma­tion en forte évo­lu­tion. C’est par exem­ple le cas, ces dernières années, pour les véhicules auto­mo­biles : out­re l’évolution des mod­èles, l’échantillon com­prend une part de plus en plus impor­tante de véhicules électriques.

L’effet qualité

En cours d’année, il s’agit de suiv­re les mêmes pro­duits au fil des mois, pour mesur­er l’évolution des prix de pro­duits iden­tiques ou de car­ac­téris­tiques com­pa­ra­bles. Le principe est sim­ple mais la prise en compte de « l’effet qual­ité » con­stitue en pra­tique l’un des prin­ci­paux enjeux méthodologiques pour le sta­tis­ti­cien. Des pro­duits dis­parais­sent ou sont rem­placés. Par­fois, pour des pro­duits de car­ac­téris­tiques sim­ples, on trou­ve un pro­duit équiv­a­lent. Dans d’autres, on observe un nou­veau pro­duit de la même famille, dans le même point de vente, sans qu’il soit de la même qualité.

Com­par­er directe­ment le prix du pro­duit ini­tial et celui de son suc­cesseur fausserait la mesure de l’indice des prix. Lorsque les car­ac­téris­tiques qui dif­fèrent sont sim­ples, en par­ti­c­uli­er un vol­ume ou une con­te­nance pour un pro­duit de même gamme, on en tient compte directe­ment (par exem­ple : une baisse de con­te­nance d’un paquet de gâteaux est prise en compte comme de l’inflation ; c’est la shrink­fla­tion. Lorsque les dif­férences sont plus sub­tiles, on applique faute de mieux l’évolution de familles de pro­duits les plus proches. Pour cer­tains types de pro­duits, il est pos­si­ble d’établir un mod­èle dit hédonique : par­tant de l’observation du prix et des car­ac­téris­tiques d’un assez grand nom­bre de pro­duits, on mod­élise par des tech­niques économétriques le prix comme une fonc­tion des caractéristiques.

En cas d’apparition d’un nou­veau mod­èle, l’équation ain­si obtenue per­met de dis­tinguer l’évolution du prix et l’évolution de la qual­ité du produit.

L’apport des données massives privées

L’Insee utilise égale­ment depuis 2020 les don­nées de caisse trans­mis­es par les grands dis­trib­u­teurs (Utilis­er les don­nées de caisse pour le cal­cul de l’indice des prix à la con­som­ma­tion, M. Leclair, Cour­ri­er des sta­tis­tiques, 2019). La loi pour une République numérique de 2016 a établi un cadre pour la trans­mis­sion oblig­a­toire de don­nées privées, aux fins exclu­sives d’établir des sta­tis­tiques publiques et pour rem­plac­er une enquête sta­tis­tique oblig­a­toire (comme l’est l’indice des prix à la con­som­ma­tion). Elle apporte aux dis­trib­u­teurs toutes les garanties néces­saires sur le traite­ment et la con­fi­den­tial­ité de ces données.

L’Insee dis­pose ain­si, à un rythme quo­ti­di­en, du prix et du vol­ume ven­du par code-bar­res (Glob­al Trade Item Num­ber) et par point de vente et de libel­lés descrip­tifs de l’article. L’utilisation des don­nées de caisse con­stitue un véri­ta­ble change­ment d’échelle. Env­i­ron 80 mil­lions d’enregistrements sont suiv­is chaque jour, cou­vrant env­i­ron 8 000 points de vente. Les don­nées util­isées chaque mois se comptent en mil­liards, même si elles ne con­cer­nent pour l’instant qu’une par­tie du champ de la con­som­ma­tion (ali­men­ta­tion indus­trielle, pro­duits d’entretien et hygiène-beauté).

Les avantages de données de caisse

Les don­nées de caisse offrent des avan­tages impor­tants par rap­port à une col­lecte par échan­til­lon­nage. Elles cou­vrent un champ de manière com­plète et con­tin­ue dans le temps. Cela sup­prime toute erreur sta­tis­tique due à l’échantillonnage spa­tial, au choix des pro­duits et points de vente dans chaque zone, au choix de la date à laque­lle le relevé du prix d’un pro­duit dans un point de vente est effec­tué. L’utilisation des don­nées de caisse demande en revanche de con­cevoir une méthodolo­gie spé­ci­fique, de manière à respecter les con­cepts que l’indice de prix doit satisfaire.

Le code-bar­res serait un niveau de cal­cul trop fin : des mar­ques utilisent des code-bar­res dif­férents selon l’usine de fab­ri­ca­tion, le code-bar­res est mod­i­fié en cas de mod­i­fi­ca­tion de l’emballage pour des relances com­mer­ciales… On suit donc env­i­ron 200 000 « class­es d’équivalence » de code-bar­res, en fonc­tion des car­ac­téris­tiques du pro­duit (10 à 30 car­ac­téris­tiques selon les familles de pro­duits) telles que le poids ou la con­te­nance, la mar­que, l’emballage, le taux de matière grasse, le fait qu’il s’agisse ou non d’un pro­duit bio, etc. La prise en compte de l’effet qual­ité en cas de rem­place­ment de pro­duits est améliorée par rap­port à des relevés sur le ter­rain : avec des don­nées quo­ti­di­ennes, il est le plus sou­vent pos­si­ble d’observer dans les bases de don­nées l’ancien et le nou­veau pro­duit simul­tané­ment ou à des dates proches.

Un cadre juridique et conceptuel précis

La mesure de l’inflation s’inscrit dans un cadre pré­cis. Un règle­ment européen définit depuis 1996 le champ, les con­cepts, le cal­en­dri­er de dif­fu­sion de l’indice des prix à la con­som­ma­tion har­mon­isé. Ce dernier a été mis en place avec l’Union économique et moné­taire et con­stitue un indi­ca­teur cen­tral pour la poli­tique moné­taire de la BCE. Il dif­fère légère­ment de l’indice des prix à la con­som­ma­tion nation­al, du fait d’écarts de périmètre (Indice des prix à la con­som­ma­tion vs indice des prix har­mon­isé au niveau européen, A. Daubaire, blog de l’Insee, 2022).

Les règles suiv­ies pour mesur­er l’indice des prix s’inscrivent plus large­ment dans le cor­pus des règles et recom­man­da­tions d’un manuel inter­na­tion­al régulière­ment actu­al­isé et dif­fusé par le FMI, l’OCDE, l’ONU, la Banque mon­di­ale, l’OIT et Euro­stat. En France, l’indice des prix à la con­som­ma­tion est une pro­duc­tion de la sta­tis­tique publique. Il fait l’objet d’un avis d’opportunité du Con­seil nation­al de l’information sta­tis­tique et le Comité du label de la sta­tis­tique publique lui attribue péri­odique­ment le label d’intérêt général et de qual­ité sta­tis­tique. Les choix méthodologiques sont donc présen­tés et dis­cutés avec les util­isa­teurs, les chercheurs, les représen­tants des parte­naires soci­aux notam­ment. La dif­fu­sion de l’indice des prix obéit à des règles strictes.

Faire parler les chiffres

L’Insee con­sacre un effort par­ti­c­uli­er à la com­mu­ni­ca­tion sur ses sta­tis­tiques et ses études, auprès des experts comme du grand pub­lic. Le principe est celui de la péd­a­gogie et de la trans­parence. L’Insee dif­fuse chaque mois près de 260 indices de prix à la con­som­ma­tion élé­men­taires (360 dans les don­nées annuelles, plus détail­lées) et dif­férents niveaux d’agrégation. La doc­u­men­ta­tion méthodologique est en ligne, tout comme la liste détail­lée des familles de pro­duits. La dif­fu­sion des chiffres d’inflation sus­cite chaque mois de nom­breuses ques­tions ou deman­des d’interviews des médias, aux­quelles l’Insee répond.

“L’indice des prix n’est pas un indicateur reflétant l’évolution du coût de la vie.”

Au-delà de ce canal, il est néces­saire de « faire par­ler les chiffres » pour les expli­quer, leur don­ner du sens et répon­dre aux mul­ti­ples inter­ro­ga­tions soulevées dans le débat pub­lic par un indi­ca­teur qui a des con­séquences con­crètes : index­a­tion du Smic, reval­ori­sa­tion des retraites, util­i­sa­tion pour l’indice de référence des loy­ers, pour la poli­tique moné­taire et le niveau des taux d’intérêt… Il s’agit d’expliquer que le pou­voir d’achat est autant une ques­tion de revenu que d’inflation, que les indi­ca­teurs sont des moyennes qui ne reflè­tent évidem­ment pas la diver­sité des sit­u­a­tions indi­vidu­elles, que l’indice des prix est un indice à qual­ité et car­ac­téris­tiques con­stantes et non un indi­ca­teur reflé­tant l’évolution du coût de la vie, qui tiendrait compte de l’évolution des normes de consommation.


Lire aus­si : Infla­tion : apports et lim­ites de l’indice des prix à la consommation


Personnaliser l’inflation

Une manière de répon­dre à ce besoin est de fournir des indi­ca­teurs sta­tis­tiques au plus près de réal­ités vécues. C’est ain­si que l’Insee dif­fuse des indices des prix selon dif­férentes caté­gories de ménages : par décile de niveau de vie, selon la com­po­si­tion famil­iale, le statut d’occupation du loge­ment, la caté­gorie socioprofessionnelle.

La pro­por­tion de chaque pro­duit dif­fère selon la caté­gorie, menant à une moyenne pondérée dif­férente. Cet exer­ci­ce mené à un rythme annuel a été réal­isé sur don­nées men­su­elles lors de la péri­ode infla­tion­niste récente. Il a mon­tré que les écarts d’inflation effec­tive étaient par­ti­c­ulière­ment impor­tants entre les ménages vivant en zone rurale ou péri­ur­baine et ceux vivant dans les zones les plus urban­isées, en péri­ode de hausse des prix de l’énergie. Une vari­ante de ce type d’approche est le « sim­u­la­teur per­son­nal­isé d’inflation » disponible sur le site insee.fr : cha­cun peut entr­er la part des prin­ci­paux pro­duits dans son bud­get et cal­culer sa pro­pre infla­tion (https://www.insee.fr/fr/statistiques/2418131).

Moderniser la communication

Enfin, il est désor­mais néces­saire d’investir toutes les formes de com­mu­ni­ca­tion pour être enten­du et com­pris dans le débat pub­lic, par­ti­c­ulière­ment auprès des jeunes généra­tions. L’Insee est ain­si présent sur des réseaux soci­aux et utilise des sup­ports diver­si­fiés, qui per­me­t­tent de par­ler des sta­tis­tiques de façon plus évo­ca­trice. Une série de cour­tes vidéos sur l’inflation et sa mesure a ain­si été mise en ligne en 2021 : en quelques min­utes, elle per­met d’en savoir presque autant, de manière sim­pli­fiée, qu’à la lec­ture de cet arti­cle (https://www.insee.fr/fr/statistiques/4268033#onglet‑3).


Glossaire en ligne

Défla­teur : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1715

2 Commentaires

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alexandre.lefebvre.1983répondre
12 mars 2023 à 21 h 14 min

Pour info, le lien de télécharge­ment dans cette page est erronné et le lien cor­rect est https://www.lajauneetlarouge.com/wp-content/uploads/2023/02/La_Jaune_et_la_Rouge_783_26-29.pdf

Anne Bou­vi­errépondre
13 mars 2023 à 9 h 03 min
– En réponse à: alexandre.lefebvre.1983

Mer­ci pour ce com­men­taire. Le lien est corrigé.

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