Finances publiques et inflation

Finances publiques : L’inflation peut-elle vraiment résorber l’endettement ?

Dossier : InflationMagazine N°783 Mars 2023
Par Agnès BÉNASSY-QUÉRÉ

L’inflation a apparem­ment un effet arith­mé­tique ten­dant à la réduc­tion du poids de la dette publique. Mais les choses sont moins sim­ples et un cumul de fac­teurs liés à l’inflation con­tribue à l’alourdissement de cette dette, au con­traire. Pour que la charge dimin­ue pour l’État, il faudrait que le secteur privé accepte un report de charge à son détri­ment : lorsque l’inflation vient des matières pre­mières importées, c’est glob­ale­ment un jeu à somme négative.

La France démarre l’année avec une dette publique de 111,6 % du PIB (chiffre encore pro­vi­soire pour fin 2022) et un déficit budgé­taire prévu à 5 % du PIB pour l’année 2023. Un lecteur pressé pour­rait être ten­té d’additionner les deux chiffres pour anticiper une dette de 116,6 % du PIB fin 2023. Ce cal­cul serait cepen­dant erroné car le PIB (le dénom­i­na­teur du ratio de dette) devrait aug­menter entre 2022 et 2023, en euros courants : si, comme le prévoit le gou­verne­ment, le PIB aug­mente de 4,6 % en valeur entre 2022 et 2023, alors le ratio d’endettement devrait rester fin 2023 proche de son niveau de fin 2022, et ce mal­gré le nou­veau déficit de l’année.

Arithmétique de la dette

De manière générale, le ratio dette sur PIB dimin­ue lorsque le déficit est inférieur au ratio de dette mul­ti­plié par le taux de crois­sance du PIB en euros courants. C’est d’ailleurs comme cela qu’on peut com­pren­dre les critères de Maas­tricht : avec une crois­sance nom­i­nale de 5 % (dont 3 % de crois­sance réelle et 2 % d’inflation) et un déficit pub­lic inférieur à 3 %, une dette publique ini­tiale­ment à 60 % du PIB a ten­dance à dimin­uer. Cette arith­mé­tique fonc­tionne aus­si aujourd’hui, avec une dette supérieure à 100 % du PIB et une crois­sance nom­i­nale tirée par les prix. Est-ce à dire que l’inflation sauvera les finances publiques du pays ? Deux argu­ments pour­raient le laiss­er penser. 

D’une part, comme on vient de le voir, si on divise une dette publique fixée en euros par un dénom­i­na­teur qui aug­mente sous l’effet de l’inflation, alors le rap­port dette sur PIB dimin­ue. D’autre part, la hausse des prix des biens à la con­som­ma­tion entraîne mécanique­ment un relève­ment des recettes de TVA ; la hausse des salaires élève les coti­sa­tions sociales ver­sées ; et ain­si de suite pour chaque prélève­ment sur une assi­ette en valeur. Les recettes fis­cales aug­mentent avec les prix, ce qui réduit d’autant le déficit, en plus d’éroder la dette. 

Toute­fois, d’autres élé­ments vont dans le sens d’une détéri­o­ra­tion des finances publiques. 

Hausse des dépenses

D’abord, le coût de finance­ment de la dette est affec­té par l’inflation. L’effet est immé­di­at pour env­i­ron un dix­ième de la dette qui est indexée sur l’inflation, de sorte que chaque point d’inflation sup­plé­men­taire entraîne une hausse immé­di­ate du taux appar­ent d’environ 0,1 point de pour­cent­age (et donc une dépense sup­plé­men­taire d’environ 2,5 Md€). Le reste de la dette est à taux fixe. La matu­rité moyenne étant supérieure à huit ans (voir Copin et Dal­bard, 2022), la hausse des taux con­séc­u­tive au sur­croît d’inflation met du temps à se trans­met­tre dans la charge de la dette. Pour sim­pli­fi­er, on peut con­sid­ér­er une dette de 100 points de PIB. Le cal­cul est alors facile : chaque point d’inflation per­sis­tante en plus implique, à terme, via le rehausse­ment des taux d’intérêt, une hausse d’un point de PIB de la charge de la dette. Toutes choses égales par ailleurs, le déficit pub­lic augmente.

“L’inflation n’est malheureusement pas une baguette magique.”

Ensuite, une grande par­tie des dépens­es courantes des admin­is­tra­tions publiques sont indexées. C’est le cas des retraites, des allo­ca­tions famil­iales, des allo­ca­tions loge­ment, du revenu min­i­mum, dans un délai inférieur à un an. Chaque point d’inflation en plus aug­mente automa­tique­ment ces dépens­es sociales de près de 5 Md€. L’inflation a égale­ment des con­séquences sur les autres dépens­es, mais de manière moins directe et avec une ampleur vari­able, si l’on pense par exem­ple aux con­trats de four­ni­ture des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales et des hôpi­taux ou aux salaires de la fonc­tion publique, dont l’indexation n’est pas automatique.

Enfin, le gou­verne­ment peut décider de dépens­es excep­tion­nelles pour pro­téger le pou­voir d’achat des ménages et lim­iter l’impact du renchérisse­ment des appro­vi­sion­nements pour les entre­pris­es. L’indemnité infla­tion, le ren­force­ment excep­tion­nel du chèque énergie, les boucliers tar­i­faires sur le gaz et l’électricité, les aides accordées aux entre­pris­es les plus exposées sont autant de dépens­es dis­cré­tion­naires provo­quées par l’inflation. Le coût en France est de l’ordre de 50 Md€ en 2022 comme en 2023.

Et ce n’est pas tout…

Une inflation importée

Le dernier élé­ment à pren­dre en compte est l’origine de l’inflation, qui aujourd’hui n’est pas la sur­chauffe de l’économie mais le renchérisse­ment des éner­gies et matières pre­mières importées. Ce renchérisse­ment appau­vrit mécanique­ment le pays (voir Clavères, 2022) et pèse sur la crois­sance. Il en découle une attri­tion des assi­ettes fis­cales en ter­mes réels. Un point de crois­sance en moins, c’est une réduc­tion du PIB de 28 Md€ en euros con­stants et donc une réduc­tion des recettes fis­cales d’un peu moins de la moitié de ce mon­tant, le taux de prélève­ments oblig­a­toires étant anticipé à 44,9 % en 2023. Or, entre févri­er et novem­bre 2022, la Com­mis­sion européenne a abais­sé ses prévi­sions pour la crois­sance française de 1 point en 2022 et d’un peu moins de 2 points en 2023. L’effet est donc important.

À cet effet vol­ume s’ajoute un effet prix relat­ifs. En effet, le renchérisse­ment des éner­gies et matières pre­mières importées a pour con­séquence une hausse plus rapi­de des prix à la con­som­ma­tion que celle des prix à la pro­duc­tion. Comme le détail­lent Fipeco, le site d’informations sur les finances publiques (2021) et l’OFCE, Obser­va­toire français des con­jonc­tures économiques (2022), les dépens­es publiques sont affec­tées par les prix à la con­som­ma­tion, tan­dis que les assi­ettes de l’impôt sur le revenu, des coti­sa­tions sociales ou des impôts de pro­duc­tion suiv­ent plutôt le prix du PIB.

Lorsque le prix du PIB croît moins vite que celui de la con­som­ma­tion, les recettes aug­mentent spon­tané­ment moins que les dépens­es et le déficit se creuse. Cet effet peut être mod­éré à court terme par des délais d’indexation. La baisse de la crois­sance réelle ain­si que la hausse moins mar­quée du prix du PIB que du prix de la con­som­ma­tion ont aus­si pour effet de lim­iter l’érosion du ratio dette sur PIB men­tion­née plus haut.


Lire aus­si : Analyse macroé­conomique de l’inflation et de la per­ti­nence de nos modèles


Un partage du fardeau ? 

On le voit, l’inflation n’est mal­heureuse­ment pas une baguette mag­ique qui va résor­ber notre excès d’endettement pub­lic, notam­ment parce qu’elle a pour orig­ine le renchérisse­ment de biens importés qu’on ne pro­duit pas en France. Pour que l’inflation réduise petit à petit l’endettement pub­lic, il faudrait par exem­ple que les presta­tions n’augmentent pas, que le barème de l’impôt sur le revenu ne soit pas indexé, que les épargnants acceptent de durable­ment prêter à un taux d’intérêt inférieur à l’inflation, etc. En bref, il faudrait qu’une part de la charge soit portée par le secteur privé plutôt que par les finances publiques.


Références

  • Clavères G. (2022), « Répar­ti­tion des pertes dues à la dégra­da­tion des ter­mes de l’échange énergé­tiques », Tré­sor-Éco n° 318, 7 décembre. 
  • Copin P. et Dal­bard J. (2022), « La stratégie d’émission de la dette sou­veraine française », Tré­sor-Éco n° 297, janvier. 
  • Fipeco (2021), « L’impact de l’inflation sur le déficit pub­lic », Les fich­es de l’encyclopédie, https://www.fipeco.fr/fiche/Limpact-de-linflation-sur-le‑d%C3%A9ficit-public
  • OFCE (2022), « L’économie mon­di­ale sous les chocs », Pol­i­cy Brief 106, 25 mai. 

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