Aéroport Osaka, vue d'avion

En stage à Osaka

Dossier : Vie du PlateauMagazine N°734 Avril 2018
Par Cécile KLINGUER (15)

Un stage de deux­ième année à Osa­ka pen­dant trois mois pour le compte de Vin­ci. Sit­u­a­tion dif­fi­cile car au Japon être jeune et femme vous met dou­ble­ment au bas de la hiérar­chie, alors qu’on vous demande un rôle de coor­di­na­trice. Mis­sion accom­plie néanmoins. 

Durant l’été 2017, j’ai eu la chance de réalis­er mon stage de deux­ième année au sein de l’entreprise Kan­sai Air­ports à Osa­ka, au Japon, pen­dant trois mois. 

Intéressée par la biolo­gie et l’environnement, j’ai inté­gré l’équipe « envi­ron­nement » sur le site du Kan­sai Inter­na­tion­al Air­port (KIX). Ce stage a été une oppor­tu­nité incroy­able de décou­vrir au moins deux cul­tures : la cul­ture d’entreprise et la cul­ture japonaise. 


La société Kan­sai Air­ports, majori­taire­ment détenue, depuis 2016, par la fil­iale française Vin­ci Air­ports et par la société japon­aise Orix, gère les deux aéro­ports d’Osaka, le KIX et Osa­ka Inter­na­tion­al Air­port. © CHARUSPORN

L’AÉROPORT D’OSAKA

J’aimerais d’abord revenir sur le con­texte dans lequel s’inscrit l’entreprise Kan­sai Air­ports. Cette société gère les deux aéro­ports d’Osaka, le KIX et Osa­ka Inter­na­tion­al Air­port, aus­si appelé Ita­mi (ITM).

L’entreprise est majori­taire­ment détenue, depuis 2016, par la fil­iale française Vin­ci Air­ports et par la société japon­aise Orix (action­naires à hau­teur de 40 % cha­cun). La moitié des directeurs de départe­ment sont français, salariés de Vin­ci (l’autre moitié vient d’Orix).

“ Je n’avais aucune idée de ce que pouvait bien être un master plan ! ”

Les autres employés de l’aéroport sont presque exclu­sive­ment japon­ais. C’est le cas pour l’équipe « envi­ron­nement » con­sti­tuée de qua­tre Japon­ais. Une de leur mis­sion à mon arrivée était la rédac­tion du mas­ter plan Envi­ron­nement de l’aéroport.

Les man­agers français m’ont demandé de coor­don­ner le pro­jet et de faire en sorte qu’il pro­gresse significativement. 

PREMIERS PAS

Au pre­mier jour de mon stage, ma sit­u­a­tion était la suiv­ante : je par­lais très peu le japon­ais (j’ai bien suivi des cours à l’X, ain­si qu’un stage lin­guis­tique inten­sif de trois semaines à Kyoto, mais la langue japon­aise est décidé­ment bien com­pliquée !) ; je n’avais presque aucune expéri­ence du tra­vail en entre­prise, peu de con­nais­sances sur le fonc­tion­nement d’un aéro­port en général et de celui-ci en par­ti­c­uli­er, et aucune idée de ce que pou­vait bien être un mas­ter plan !

Mon pre­mier réflexe a été de deman­der des infor­ma­tions à mes col­lègues japon­ais. Mal­heureuse­ment, cette solu­tion a vite mon­tré ses lim­ites… Nous ne nous com­pre­nions pas. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un prob­lème pure­ment lin­guis­tique : je par­lais trop peu le japon­ais et eux trop peu l’anglais.

Quant aux gestes, ils peu­vent se révéler déli­cats : dans un pays où le signe de main qui sig­ni­fie « viens par ici » cor­re­spond chez nous à celui qui veut dire « fiche-moi le camp », on se méfie des mau­vais­es inter­pré­ta­tions des gestes que l’on peut faire ! 

COMMENT DIT-ON « ET/OU » EN JAPONAIS ?

Enfin, même le lan­gage que je pen­sais le plus uni­versel, celui des math­é­ma­tiques, a fail­li à sa tâche. Je me rap­pelle avoir passé trois heures (sans exagér­er) avec deux de mes col­lègues sur un prob­lème qui reve­nait sim­ple­ment à la dif­férence entre le ET et le OU logiques. 

Ini­tiale­ment, j’avais ques­tion­né ces col­lègues sur la notion d’unité de traf­ic, une manière de compt­abilis­er l’activité d’un aéro­port. Je n’avais pas com­pris si une unité de traf­ic était un pas­sager ET 100 kg de car­go, ou un pas­sager OU 100 kg de cargo. 

Je me suis rapi­de­ment ren­du compte que cette ques­tion était assez absurde, puisque cer­tains aéro­ports n’ayant pas d’activité de fret, la ver­sion ET n’a pas de sens. La réponse de mes col­lègues, it’s the same, nous a cepen­dant con­duit à dis­cuter longue­ment. J’ignore la manière dont les math­é­ma­tiques sont enseignées au Japon (ou l’étaient lorsque mes col­lègues étaient jeunes), mais en tout cas, ils ne con­nais­saient pas ou ne se rap­pelaient pas le signe « > » et mes ten­ta­tives d’explications et d’illustrations numériques ne nous ont pas aidés à nous comprendre. 

Je reste per­suadée que nous pen­sions tous les trois la même chose, mais que nous n’avions pas de code com­mun pour nous comprendre. 

Quoi qu’il en soit, j’ai réal­isé que le prob­lème n’était pas seule­ment lin­guis­tique, il était bien plus profond. 

CHOC DE CULTURES

J’ai vécu lors de mon pre­mier mois de stage le choc silen­cieux de deux cul­tures com­plète­ment dif­férentes. Silen­cieux, car dans la société japon­aise il ne faut pas faire « de vagues », il faut être poli, respectueux, et surtout, rester à sa place. Or, je pense que, pour mes col­lègues, je n’étais pas à ma place. 

D’un autre côté, les Français qui m’avaient recrutée avaient à mon égard une attente pré­cise : faire aboutir la rédac­tion du mas­ter plan Envi­ron­nement du Kan­sai Air­port, en mon­trant à leurs col­lab­o­ra­teurs japon­ais une autre manière de tra­vailler, avec peut-être moins de pres­sion et plus de dis­cus­sions et d’échanges informels. 

J’ai par­fois eu l’impression d’être placée par les man­agers français en posi­tion de coor­di­na­trice d’équipe, ce qui ne cor­re­spondait pas au rôle qu’aurait eu une jeune Japon­aise nou­velle­ment arrivée dans l’entreprise.

Equipe à l'aéroport d'OSAKA
J’ai par­fois eu l’impression d’être placée en posi­tion de coor­di­na­trice d’équipe, ce qui ne cor­re­spondait pas au rôle qu’aurait eu une jeune Japon­aise nou­velle­ment arrivée dans l’entreprise.

EN BAS DE L’ÉCHELLE ?

Traditionnellement, la hiérarchie dans une entreprise japonaise est le reflet de la pyramide des âges. On est promu quand on est resté suffisamment longtemps dans l’entreprise.
D’autre part, pour diverses raisons, dont un machisme plus ou moins latent, la travailleuse japonaise n’a toujours pas le même statut que son équivalent masculin.
Étant jeune, inexpérimentée et femme, je cumulais trois bonnes raisons d’occuper la position la plus basse dans la hiérarchie de l’entreprise !

PATIENCE + ADAPTATION = SUCCÈS

Sit­u­a­tion déli­cate ! Je me suis sen­tie tirail­lée : je me suis adap­tée, comme il est nor­mal de le faire dans tout nou­v­el envi­ron­nement, par exem­ple à la cou­tume qui con­siste à rap­porter à ses col­lègues des spé­cial­ités de l’endroit où on a passé son week-end. 

J’ai égale­ment veil­lé à respecter les for­mules de politesse d’usage à l’arrivée et au départ du bureau. J’ai en revanche con­servé cer­tains « réflex­es de Française » : j’ai con­tin­ué de pos­er des ques­tions (et je suis du genre à pos­er beau­coup de ques­tions, surtout si la réponse me paraît vague ou si je ne la com­prends pas !) et j’ai osé con­tredire mes supérieurs pour faire val­oir mes idées et mes arguments. 

J’ai donc sen­ti au début de mon stage une cer­taine sur­prise, voire par­fois une réti­cence à mon égard, mais elles ont heureuse­ment dis­paru avec le temps. Mes mal­adress­es et mes bizarreries ont sans doute été imputées à mon statut d’étrangère, ce qui a ren­du mes col­lègues plus con­ciliants et moins prompts à me juger sévèrement. 

Puis, au fil du temps, voy­ant que mes méth­odes de tra­vail, quoique atyp­iques pour eux, étaient effi­caces et enrichissantes pour l’équipe, mes col­lègues se sont ouverts. J’étais à la fin de mon stage bien inté­grée dans l’équipe, et nous avons pu tous ensem­ble men­er à bien le projet. 

Étant celle qui par­lait le mieux anglais, j’ai pu, grâce aux infor­ma­tions don­nées par mes col­lègues, rédi­ger une grande par­tie du mas­ter plan Environnement. 

Mes ques­tions leur ont per­mis de pren­dre con­science de cer­taines inco­hérences dans leurs pra­tiques envi­ron­nemen­tales, ain­si que d’adopter une approche éventuelle­ment plus cri­tique des don­nées statistiques. 

De mon côté, j’ai énor­mé­ment appris, entre autres sur la dif­fi­culté de man­ag­er une équipe dans un envi­ron­nement cul­turel éloigné du nôtre, et l’enrichissement mutuel que la con­fronta­tion des pra­tiques et des modes de pen­sée pou­vait apporter.

2 Commentaires

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emmanuel ajdarirépondre
6 mai 2018 à 14 h 35 min

Un témoignage très
Un témoignage très intéres­sant, à rap­proche du livre “stu­peur et trem­ble­ment” d’Amélie Nothomb, avec apparem­ment une con­clu­sion plus pos­i­tive au point de vue professionnel.

denis.flory.1972répondre
17 mai 2018 à 18 h 39 min

cul­ture nationale

En tant que Directeur Général Adjoint de l’A­gence Inter­na­tionale de l’En­ergie Atom­ique de 2010 à 2015, en charge du départe­ment de sûreté et de sécu­rité nucléaires sous un DG Japon­ais (péri­ode de l’ac­ci­dent nucléaire de Fukushi­ma), j’ai vécu directe­ment deux épisodes qui sont des échos directs des expéri­ences relatées par A Nothomb dans son livre Stu­peurs et tremblements. 

Venant de recruter un col­lègue européen (appelons le M) arrivant de 20 ans de tra­vail au Japon, mar­ié à une japon­aise et par­lant par­faite­ment japon­ais, lors d’un entre­tien en tête à tête avec le DG japon­ais, celui-ci com­mença par me met­tre en garde con­tre les étrangers qui pensent bien con­naître le Japon, ce sont ceux qui font les plus gross­es erreurs. Il con­tin­ua en me faisant remar­quer que M était encore dans sa péri­ode d’es­sai, et qu’on pou­vait le licenci­er sans autre forme de procès. Je mis M rapi­de­ment à l’abri de tous con­tacts avec le DG. Un étranger qui com­prend le Japon est vu comme une men­ace par la tech­nocratie japonaise ! 

Une autre fois, en juin 2011, je con­tes­tais une phrase de son pro­jet de dis­cours à la con­férence min­istérielle sur la sûreté nucléaire organ­isée par l’AIEA directe­ment après l’ac­ci­dent de Fukushi­ma. Celle-ci en effet tendait à rejeter sur la faib­lesse des normes de sûreté de l’AIEA la respon­s­abil­ité de l’ac­ci­dent, exonérant par là-même le Japon de ses erreurs en ter­mes de sûreté nucléaire. Le DG entra dans une fureur non con­tenue con­tre moi en présence de plusieurs de mes directeurs, m’ac­cu­sant de vouloir le dén­i­gr­er parce qu’il était japon­ais, m’in­sul­tant, et finale­ment annu­lant tous ses entre­tiens de la journée en rai­son de son exci­ta­tion qui ne lui per­me­t­tait pas de raison­ner cor­recte­ment. Son dis­cours a finale­ment retenu ma ver­sion. Un tech­nocrate japon­ais ne peut vis­cérale­ment pas accepter que son pays com­mette des erreurs.

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