La traditionnelle cérémonie de remise des bicornes à la promo 2004 par la promo 2003

Remise des bicornes à la promo 2004 par la promo 2003

Dossier : ExpressionsMagazine N°607 Septembre 2005

CHERS CAMARADES,

CHERS CAMARADES,

Soix­ante-quinze pro­mo­tions sépar­ent ma pro­mo­tion de la vôtre. Trois quarts de siè­cle. L’espièglerie du des­tin (dis­ait Mon­taigne) veut que quar­ante- cinq ans après ma dernière con­férence à des X ce soit à 97 ans que je prononce l’allocution la plus courte, à l’auditoire le plus nom­breux, mais aus­si la plus impor­tante peut-être. J’ai vécu comme acteur et comme témoin les drames du siè­cle passé. Il y eut d’immenses souf­frances et d’immenses destruc­tions. Je suis un peu gêné d’être vivant. Si je vous par­le aujourd’hui ce n’est pas pour évo­quer de loin­tains sou­venirs de l’X. Ce serait puéril. Mais pour vous par­ler de choses plus graves. C’est pour vous dire quelques leçons à tir­er de ce passé dra­ma­tique et vous alert­er sur les devoirs qui en résultent.

Vous aurez la chance, que nous n’avons eue que tar­di­ve­ment, d’avoir une expéri­ence sur la manière de vivre et de tra­vailler sur le plan inter­na­tion­al. J’ai moi-même eu la chance rare de pass­er presque trois ans au Pen­tagone. Vous en tir­erez un grand enrichisse­ment intel­lectuel si vous prenez soin d’éviter toute atti­tude van­i­teuse française et vous fondez mod­este­ment dans le milieu étranger. Devenez un bon Améri­cain ou un bon Alle­mand par le com­porte­ment. Il vous faut acquérir une manière de faire afin de con­va­in­cre. Afin d’entendre ce qui n’a pas été dit. Dès aujourd’hui tra­vaillez âpre­ment la langue étrangère visée.

Vous appren­drez notam­ment à mesur­er les défauts nationaux français car les désas­tres que nous avons con­nus au siè­cle dernier sont, en bonne part, dus à ces fautes de notre part qui vont se répé­tant comme des con­stantes. Ten­dez vos cœurs à com­bat­tre ce déclin… Les défauts, une fois mesurés, peu­vent être cor­rigés… on peut si l’on veut.

Votre ancien, le grand écon­o­miste Alfred Sauvy, avait dénon­cé ce refus de voir pro­pre à la société française. Refus de voir les faits qui con­tredi­raient les thès­es que l’on aime. La for­mule du Con­ven­tion­nel Verg­ni­aud s’écriant : “ Que périsse la France mais que vivent les Principes ” est la for­mu­la­tion poussée au ridicule de défauts exis­tants, l’amour des idées pri­mant sur l’objectivité.

Ce refus est accru, flat­té par les médias. Les médias mod­ernes ont le pou­voir de tromper en dis­ant une vérité et d’induire en erreur sans dire de mensonge.

Par le sen­sa­tion­nel ce démon élim­ine les petites choses. Par l’urgence on élim­ine les vues loin­taines. On arrive à un phénomène d’autodés­in­for­ma­tion et à la loi, ce qui n’est pas médi­atisé n’existe pas.

Or un esprit sci­en­tifique se doit de ne pas nég­liger les détails. Le savant qu’était Hen­ri Poin­caré dis­ait : “Lorsque je fais une expéri­ence pour véri­fi­er une loi et qu’un résul­tat s’inscrit en sens con­traire du résul­tat escomp­té ce n’est pas un ennui, c’est une grande chance ! C’est qu’une cer­taine vari­able m’a échap­pé. Je suis peut-être sur le point de faire une décou­verte ! ”

La médi­ati­sa­tion du sen­sa­tion­nel et de l’urgence empêche de voir l’avenir. Assur­er l’avenir impose des âmes fortes qui savent sac­ri­fi­er le présent. Il faut le sens du devoir. Le prési­dent Eisen­how­er dis­ait au cours de son voy­age en Chine que le sens du religieux fai­sait la force du peu­ple améri­cain (la phrase fut coupée en beau­coup de tra­duc­tions). C’est pour­tant très vrai. Si nous n’avons pas le courage qu’ont les Améri­cains de dire la force du sen­ti­ment religieux dis­ons au moins la force du sens du devoir. En votre code X, chers cama­rades, il est dit que l’X vous impose des devoirs avant de don­ner des droits.

Notre vie sociale est déséquili­brée du fait que la Déc­la­ra­tion des droits de l’Homme n’est pas bal­ancée par une Déc­la­ra­tion des devoirs de l’Homme comme elle l’était au début.

Vous, chers cama­rades, pour­riez immé­di­ate­ment être fort utiles à la France et à l’Europe si vous pre­niez l’initiative d’inviter tous les étu­di­ants d’université européenne à faire une Déc­la­ra­tion des devoirs de l’Homme européen, déc­la­ra­tion ten­ant en juste deux mots nous venant de la Grèce antique, elle qui fut pour une bonne part à la base de notre civil­i­sa­tion européenne d’aujourd’hui, la sagesse et le courage. Tout est en ces deux mots.

Une telle déc­la­ra­tion venant des jeunes d’Europe aurait de la grandeur et serait un sur­saut pour une Europe blessée.

Main­tenant, chers jeunes cama­rades, ayez la sagesse, dans quelques années, de fonder une famille nom­breuse qui vous apportera ten­dresse, espiè­g­lerie et le bon­heur d’aimer. C’est par les familles que se trans­met­tent les valeurs.

Ceci afin d’être heureux et afin…
Que Vive la France.

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