les polytechniciens engagés à la ­Protection civile

En immersion avec les polytechniciens engagés à la ­Protection civile

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°764 Avril 2021
Par Alix VERDET

Invitée par Damien Bradelle (2020) à décou­vrir la Pro­tec­tion civile Paris Seine, j’ai fait la con­nais­sance de Vitali Caplain (2014), Céline Moucer (2016) mais aus­si d’Émilie, Christophe, Éme­line, Camille et Estelle, tous bénév­oles engagés avec sérieux et bon­heur à la « Pro­tec ». À l’invitation de Damien, je les ai accom­pa­g­nés dans deux de leurs mis­sions, une maraude et une garde au Samu.

Née au lende­main de la Deux­ième Guerre mon­di­ale, la Pro­tec­tion civile a pour mis­sion pre­mière d’aider les pop­u­la­tions. Début mars, ren­dez-vous est pris un jeu­di soir pour accom­pa­g­n­er une maraude auprès des sans-abris du 8e arrondisse­ment de Paris. Je retrou­ve Vitali Caplain, ingénieur dans un bureau d’études en envi­ron­nement dans le bâti­ment, Estelle et Camille à l’antenne de Paris 8–9 dont Vitali est le prési­dent. Mais ce soir, la cheffe d’équipe, c’est Estelle, 20 ans, étu­di­ante en musique et vio­lon­cel­liste. Car à la Pro­tec, on s’engage jeune, dès l’âge de 16 ans. Camille est en classe de pre­mière et a 17 ans.

Vitali Caplain, bénévole à la Protection civile
Vitali Caplain (2014), ingénieur dans un bureau d’études en envi­ron­nement dans le bâti­ment bénév­ole à la Protec.

Aider, l’aspect social de la mission de la Protection civile

C’est lors de son stage FHM effec­tué à la Brigade des sapeurs-pom­piers de Paris (BSPP) que Vitali a été for­mé au sec­ourisme puis a rejoint la Pro­tec qui pro­pose des gardes plus cour­tes donc plus con­cil­i­ables avec sa vie d’élève de l’X que celles de la BSPP qui durent 24 heures. Estelle, Vitali et Camille, vêtus de leur uni­forme bleu et orange, m’emmènent dans leur camion qui arbore les mêmes couleurs et nous voilà par­tis dans les rues désertes d’un quarti­er très coté au Monop­oly, pour en décou­vrir ses autres habi­tants. Ils leur offrent des bois­sons chaudes, leur pro­posent des vête­ments, des pro­duits d’hygiène, facile­ment accep­tés. Nous croi­sons ain­si Rachid qui vient de Gibral­tar et qui a un mag­nifique sourire, Char­lie, d’origine africaine, qui nous par­le longue­ment de la bon­té de Dieu, mais aus­si Alexan­dre, un Français, dont toutes les affaires ont été emportées pen­dant que la police le con­vo­quait au com­mis­sari­at… Notre pas­sage lui per­met de recevoir un sac de couchage, des vête­ments, une brosse à dents avec du den­ti­frice et aus­si d’être écouté dans son humiliante mésaven­ture. Plus tard, sur la plus belle avenue du monde, nous croi­sons Vitali, un Russe, qui n’en revient pas de crois­er un autre Vitali, un Français cette fois. Et sur­prise, Estelle par­le le russe – la fréquen­ta­tion de Tchaïkovs­ki peut-être ? – ce qui facilite la dis­cus­sion car Vitali ne maîtrise pas bien le français. Les bénév­oles ont des tal­ents cachés bien appré­cia­bles pour la pop­u­la­tion inter­na­tionale des sans-abris de la cap­i­tale. « Lors du pre­mier con­fine­ment, il y a eu beau­coup de licen­ciements de métiers pré­caires », témoigne Estelle. « À Madeleine, beau­coup de sans-abris se retrou­vent le soir sous les enseignes Ikea ou Decathlon pour s’abriter. Nous avons alors vu une dizaine de per­son­nes nou­velles y chercher refuge. Il y avait trois amis qui tra­vail­laient tous les trois dans le même restau­rant, qui ont été licen­ciés en même temps et qui ont décidé de se ser­rer les coudes. » Les maraudes sont dev­enues des dis­tri­b­u­tions de repas, deux ou trois par per­son­ne car la plu­part des com­merces étant fer­més et les rues désertées, les sans-abris n’avaient plus de moyens de subsistance.

Les maraudes organisées par la Protection civile.
Les maraudes organ­isées par la Pro­tec­tion civile.


Aider, secourir, former, les trois missions de la Protection civile

Aider : maraudes noc­turnes auprès des sans-abris.

Sec­ourir : inter­ven­tion pour les pre­miers sec­ours (détress­es res­pi­ra­toires, malais­es, blessures, détress­es psy­chiques, AVC, arrêts car­diaques…) ; poste de sec­ours pour les événe­ments (matchs de foot­ball au Parc des Princes, fes­ti­vals, man­i­fes­ta­tions, etc.).

For­mer : for­ma­tions mul­ti­ples aux pre­miers sec­ours, pour les entre­pris­es et le grand public.


Secourir, au cœur de l’action

Le dimanche qui suit, je rejoins Damien, un X 2020 passé d’abord par le bach­e­lor de l’X, et son équipe : Éme­line, 22 ans, la cheffe d’agrès, for­ma­trice à la Pro­tec en pre­miers sec­ours en vue de pass­er les con­cours mil­i­taires de la Brigade des sapeurs-pom­piers, qui pour l’instant sont sans cesse reportés à cause de la crise san­i­taire ; Émi­lie, 25 ans, salariée à la Pro­tec, en attente de résul­tats de con­cours ; et Christophe, 26 ans, dans la police nationale. Je les rejoins à midi à Gen­til­ly pour le début de leur garde de 12 heures. Ils n’ont pas le temps de finir de déje­uner que la régu­la­tion Samu de l’hôpital Neck­er les appelle pour une inter­ven­tion pour des pre­miers sec­ours à une per­son­ne souf­frant de gêne res­pi­ra­toire avec sus­pi­cion de Covid. Je décou­vre que des opéra­teurs de la Pro­tec­tion civile inter­vi­en­nent avec le Samu pour effectuer des régu­la­tions. « La per­son­ne a appelé le 15 et il a été déter­miné qu’elle avait besoin des pre­miers sec­ours, ce que font les pom­piers. Comme nous avons à peu près la même for­ma­tion que les pom­piers, le Samu nous envoie », m’explique Damien. Nous par­tons toute sirène hurlante dans le 16e arrondis­sement et là, Damien et Émi­lie revê­tent la com­bi­nai­son blanche régle­men­taire qui les pro­tège des pieds à la tête lors des inter­ven­tions Covid pour pénétr­er chez la vic­time et établir son bilan. La sus­pi­cion Covid est écartée mais pas la gêne res­pi­ra­toire de cette per­son­ne séniore aux nom­breux antécé­dents médi­caux. Ils l’évacuent vers l’hôpital Pom­pi­dou où elle est heureuse­ment prise en charge rapi­de­ment. « Les inter­ven­tions ont lieu dans tout Paris », pré­cise Éme­line, « mais en essayant de sec­toris­er pour éviter de per­dre du temps. Plus le soir approche, plus les inter­ven­tions ont lieu dans le nord de Paris où la den­sité de pop­u­la­tion est plus impor­tante, ain­si que la promis­cuité, ce qui aug­mente le nom­bre de cas Covid. »

La crise sanitaire, un amplificateur du rôle de la Protection civile

Comme Vitali, Céline Moucer (2016), en deux­ième année au corps des Ponts et en stage à l’Inspection générale des finances, est une anci­enne cheffe d’agrès à la caserne Blanche de la BSPP, for­mée lors de son stage FHM. Elle a rejoint la Pro­tec­tion civile récem­ment, à l’occasion de la crise san­i­taire. Alors que 50 à 70 bénév­oles par­mi les 1 400 que compte la Pro­tec­tion civile Paris Seine sont engagés chaque jour, ils étaient env­i­ron 200 sur le ter­rain 24 heures sur 24 lors du pre­mier con­fine­ment lorsque le flux des inter­ven­tions a explosé. « Aujourd’hui nous sommes posi­tion­nés comme un éch­e­lon à part entière du dis­posi­tif de sec­ours de l’État. L’utilité publique de l’association est dev­enue très forte. Nous sommes des bénév­oles aux com­pé­tences pro­fes­sion­nelles », con­state Vitali. « Nous sommes presque un ser­vice pub­lic et sommes devenus néces­saires dans cette chaîne de sec­ours. Aujourd’hui la pré­fec­ture, les pom­piers savent qu’ils peu­vent compter sur nous, par exem­ple en cas d’explosion ou d’attentat », ajoute-t-il. « Toutes les for­ma­tions se sont arrêtées. À l’inverse les for­ma­tions de préleveurs de tests PCR se sont mis­es en place et c’est nous qui réal­isons les tests PCR à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Nous avons par­ticipé aux mis­sions Chardon, les mis­sions de TGV médi­cal­isés entre Paris et le Grand Est. Des médecins du Samu étaient présents mais le trans­port des vic­times était assuré par la Pro­tec. Des bénév­oles sont égale­ment inter­venus auprès du Samu pour répon­dre aux appels du 15 car les appels ont énor­mé­ment aug­men­té et une bonne par­tie de ces appels con­sis­tait en une demande de ren­seigne­ments. Nous avons eu des mis­sions d’accueil du pub­lic et de logis­tique dans les Ehpad qui ont pu avoir des dif­fi­cultés avec leur per­son­nel et être sub­mergés par les sol­lic­i­ta­tions. Aujourd’hui nous sommes loin d’avoir retrou­vé un rythme nor­mal car les événe­ments (sportifs ou cul­turels) n’ayant pas repris, nous n’avons tou­jours pas de postes de sec­ours, pour­tant notre source de finance­ment prin­ci­pale. L’association est for­mée de bénév­oles mais nous fac­tur­ons à nos clients les postes de sec­ours privés, ce qui per­met de financer les véhicules d’intervention, les uni­formes, les locaux, etc. Depuis la crise san­i­taire, l’ARS (Agence régionale de san­té) sub­ven­tionne nos actions au pro­ra­ta du nom­bre d’heures passées en inter­ven­tions, ce qui reste insuff­isant. Nous avons lancé une cam­pagne de dons pen­dant le con­fine­ment, qui est tou­jours ouverte. C’était la pre­mière fois que la Pro­tec demande des dons. Nor­male­ment, grâce aux postes de sec­ours et aux for­ma­tions, nous sommes autonomes financièrement. »

Céline Moucer (2016), en deuxième année au corps des Ponts, a été formée lors de son stage FHM.
Céline Moucer (2016), en deux­ième année au corps des Ponts, a été for­mée lors de son stage FHM.

Formations à la Protection civile

PSE1 : pre­miers sec­ours en équipe, faire le bilan des vic­times, gér­er une vic­time dans son ensemble.

PSE2 : maîtris­er les moyens de rel­e­vage et de brancardage.

Au min­i­mum dans une garde, il faut trois bénév­oles de niveau PSE2.

Ces diplômes sont recon­nus par l’État.

Suiv­ent des for­ma­tions en interne :

CE : le chef d’équipe, qui gère les sec­ours, est respon­s­able du bilan.

CP : le chef de poste qui est respon­s­able d’un poste de secours.

Chef d’équipe prompt sec­ours : il est respon­s­able de l’intervention dans son ensem­ble et a sous sa respon­s­abil­ité le chef d’équipe. Il doit avoir de très bonnes con­nais­sances en sec­ourisme, très bien maîtris­er le référentiel.


Une motivation forte pour servir et être utiles

Ce qu’ils aiment dans leur engage­ment à la Pro­tec ? « On se sent utile. Pen­dant les maraudes c’est par­ti­c­ulière­ment exac­er­bé car on va à la ren­con­tre des gens, on dis­cute avec eux et, la plu­part du temps, on échange des sourires. Les pro­fils des bénév­oles sont très var­iés et j’apprécie aus­si de ne pas rester dans le même milieu tout le temps », me dit Vitali. « J’aime les inter­ven­tions de sec­ourisme, être au con­tact des gens, pren­dre la déci­sion la meilleure pos­si­ble pour eux », détaille Céline. « Il y a un aspect que j’ai décou­vert : c’est la mon­tée en com­pé­tences des sec­ouristes, la péd­a­gogie de ges­tion d’équipes (garder les bénév­oles motivés, rester rigoureux sur les gestes), ce qui dif­fère de mon expéri­ence à la BSPP dans la mesure où nous encadrons des bénév­oles. À côté de mes études, ça me met en con­tact avec la réal­ité du ter­rain, avec la réal­ité des sit­u­a­tions dif­fi­ciles, et ça rend réelle la crise san­i­taire quand on n’est pas trop touché dans son entourage. » Damien aime trans­met­tre et tra­vailler avec les gens. « C’est une mis­sion où il faut être empathique, c’est-à-dire être en capac­ité de voir la douleur de la per­son­ne, de l’accompagner du mieux pos­si­ble, vouloir qu’elle se sente bien, mais sans se met­tre à sa place, pour garder une bonne dis­tance. Pen­dant le bach­e­lor, j’avais besoin d’extérioriser, de faire autre chose. » Pour Éme­line, le fait qu’ils soient tous bénév­oles induit un état d’esprit qui les rap­proche beau­coup. « Nous sommes une très belle bande de potes, nous vivons des choses assez fortes, nous sommes amenés à nous dépass­er, en équipe, ce qui donne un fort esprit de corps. » Pour Christophe, la Pro­tec com­plète sa mis­sion pro­fes­sion­nelle : « Dans la police, on ne fait pas énor­mé­ment de sec­ours à la per­son­ne et ça me man­quait. Quand une vic­time nous remer­cie, ça nous donne l’envie de nous engager davan­tage. Si tout le monde don­nait un petit peu de son temps, on vivrait dans une société meilleure. » Émi­lie, comme les autres, aime le sec­ourisme. « Je fais aus­si de la for­ma­tion aux pre­miers sec­ours et c’est très intéres­sant. Mais dans le sec­ourisme, il y a plus d’adrénaline et d’actions concrètes. »

Protection civile

Les X dans la Protection civile

Pour des poly­tech­ni­ciens passés par un stage FHM qui les a for­més au sec­ourisme, la Pro­tec­tion civile se présente comme une suite logique. Vitali compte plusieurs cama­rades dans son antenne : « Lors du pre­mier con­fine­ment, les élèves qui avaient fait leur stage chez les pom­piers se sont retrou­vés comme beau­coup de gens sans avoir rien à faire et ont pro­posé leurs ser­vices. Je me suis occupé de leur recrute­ment. Ils étaient une quin­zaine qui nous ont bien aidés car ils ont une for­ma­tion de chef que l’on peut met­tre trois ou qua­tre ans à attein­dre en interne ici. Cer­tains sont restés, dans mon antenne ou celle de Damien. » C’est aus­si un engage­ment très mixte. De la pro­mo­tion 2016 de Céline, trois filles et trois garçons se sont engagés. Leur joie et leur cama­raderie entre bénév­oles sont com­mu­nica­tives. « Nous sommes tous là pour le plaisir, de manière volon­taire, il y a tou­jours une bonne ambiance. La crise san­i­taire et le con­fine­ment ont tis­sé des liens très forts entre nous », témoigne Damien. « Lors de la pre­mière garde que j’ai prise à mon compte, nous avons fail­li avoir un accouche­ment à l’arrière du camion. Nous avons juste eu le temps de l’amener à l’hôpital, le bébé est né à peine arrivé, et la maman nous a fait appel­er quelques instants plus tard pour nous le présen­ter, un petit Élie », racon­te Céline. À la Pro­tec, pour les X et leurs com­pagnons, c’est ser­vice, ami­tié et adré­naline garan­tis. Un autre pro­gramme de vie d’excellence.

Protection civile Paris 13e
Damien Bradelle (2020) lors d’une inter­ven­tion avec l’antenne Paris 13e.


Portrait de Damien Bradelle, X bachelor devenu X2020, à l’initiative de ce reportage

« Rien ne me prédes­ti­nait à faire le bach­e­lor de l’X. Mes par­ents n’ont pas fait d’études supérieures ; ils n’ont pas le bac, sont employés en entre­prise. Ma doc­trine a tou­jours été de bien tra­vailler, mais nous ne par­lions pas équa­tion dif­féren­tielle à table le soir, à la dif­férence de cer­tains de mes cama­rades. Au lycée, je voulais aller en fil­ière économique et social car mon pro­jet était de faire Sci­ences Po. Mes pro­fesseurs m’ont con­seil­lé d’aller en S, car je pou­vais tou­jours ten­ter Sci­ences Po. En ter­mi­nale, j’ai eu Sci­ences Po Paris, mais je suis allé sur le site de l’X où j’avais vu qu’ils ouvraient le bach­e­lor et j’ai pos­tulé. C’est en anglais, c’est drôle, c’est nou­veau. Je suis volon­tiers icon­o­claste, je n’aime pas être comme les autres. Et j’ai été pris dans la pre­mière pro­mo. Et je suis allé vis­iter le cam­pus – il fai­sait beau ce jour-là – c’était très agréable, je me suis dit que je serai bien au bach­e­lor de l’X. Mon pro­jet ini­tial était de faire maths économie, et ensuite d’intégrer Sci­ences Po en mas­ter. Finale­ment j’ai fait maths physique puis je suis allé à l’EPFL en troisième année et j’ai recan­di­daté à Sci­ences Po. Par défi, j’ai aus­si voulu ten­ter le con­cours de l’X. J’avais envie d’aller à la Brigade des sapeurs-pom­piers de Paris pour mon stage FHM. J’ai passé le con­cours, je savais que j’avais Sci­ences Po, et j’ai eu le con­cours de l’X. Main­tenant mon pro­jet est de faire ma 4A à Sci­ences Po. »

Damien Bradelle, X bachelor devenu X2020
Damien Bradelle, X bach­e­lor devenu X2020

Protection civile Paris Seine

Pour tout ren­seigne­ment : https://www.protectioncivile.org/

Pour soutenir : http://protectioncivile.org/don

Pour le 8, l’antenne de Vitali et Céline : http://protectioncivile.org/don/paris8

Pour Gen­til­ly, l’antenne de Damien : https://www.protectioncivile.org/don/gentilly/

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