Employabilité et transition de carrières

Dossier : ExpressionsMagazine N°617 Septembre 2006
Par Michel PRUDHOMME (64)

Accom­pa­g­nant depuis des années des cadres supérieurs et des dirigeants dans des tran­si­tions de car­rière (Bilans, Out­place­ment, Coach­ing), je dis­pose d’un cap­i­tal de plus de 250 expéri­ences vécues qui m’ont apporté quelque éclairage sur l’employabilité et les tran­si­tions de carrière.

De quoi s’agit-il ?

La car­rière de cha­cun d’entre nous est une suite d’étapes séparées par des transitions.

Une car­rière peut être sous-ten­due par un fil con­duc­teur, un pro­jet pro­fes­sion­nel, mais ce n’est pas tou­jours le cas. Il existe des car­rières don­nant l’impression d’un avion sans pilote.

Une étape de carrière

D’une durée moyenne de trois ou qua­tre ans, elle se définit par un employeur, une fonc­tion, des mis­sions, des respon­s­abil­ités, des résul­tats. Elle présente les car­ac­téris­tiques d’une pièce de théâtre classique :
• unité de temps,
• unité de lieu,
• unité d’action.

Il y a en effet un décor, le con­texte dans lequel s’inscrit une action, avec des acteurs (l’intéressé lui-même, sa hiérar­chie, son équipe), et un dénoue­ment (pro­mo­tion, muta­tion, démis­sion, éviction).

Les intérêts de l’employeur et du col­lab­o­ra­teur peu­vent diverg­er à la fin de l’étape, don­nant lieu à plusieurs types de transition.

Transitions de carrière

Tran­si­tion vers un nou­veau poste, un nou­v­el employeur, un nou­veau méti­er, une activ­ité indépen­dante, la créa­tion de son entreprise…

L’intéressé sait ce qu’il quitte, mais ne sait pas ce qu’il va trou­ver demain dans ses nou­velles activ­ités. Cette sit­u­a­tion d’inconnu est dif­fi­cile à vivre, surtout pour les pro­fils rationnels.

Il y a en fait plusieurs types de transition :
• tran­si­tion interne, con­séquence d’une pro­mo­tion, d’une muta­tion, ou d’un change­ment de métier ;
• tran­si­tion externe, quand la sépa­ra­tion est décidée, licen­ciement, démission ;
• tran­si­tion floue, quand l’employeur ou le col­lab­o­ra­teur hési­tent, fusion, retour de l’étranger, poste d’attente.

La tran­si­tion peut être voulue par le col­lab­o­ra­teur, ou subie. Une tran­si­tion de car­rière est le moment de faire avancer son pro­jet pro­fes­sion­nel, s’il y en a un, en se posant un cer­tain nom­bre de ques­tions et en se don­nant les moyens d’y répondre.

Ne pas se pos­er ces ques­tions à l’occasion d’une tran­si­tion revient à jouer son avenir à la roulette russe.

Le projet professionnel

En fonc­tion des répons­es aux ques­tions ci-dessus, et plus spé­ci­fique­ment de “ Qu’est-ce que j’ai envie de faire ? ”, l’intéressé peut aboutir à deux types de projets :
• pro­jet de la raison,
• pro­jet du cœur.

Un pro­jet se définit comme le cahi­er des charges de la future activ­ité, avec des élé­ments qual­i­tat­ifs et quan­ti­tat­ifs : méti­er, type, taille et cul­ture d’entreprise, secteur d’activité, style de man­age­ment, équipe, budgets.

Avoir un pro­jet est fon­da­men­tal : il per­met de faire la dif­férence entre un emploi quel­conque et le meilleur emploi. Cette dif­férence est pri­mor­diale entre 35 et 45 ans, à l’âge où la car­rière prob­a­ble peut être pro­jetée à par­tir des étapes déjà vécues.

Un pro­jet de la rai­son s’inscrit dans la con­ti­nu­ité : le bateau con­tin­ue sur son cap, en changeant une voile ou ses réglages.

Un pro­jet du cœur con­siste à faire un vire­ment de bord, vers un autre port : chang­er de méti­er, de secteur, créer ou repren­dre une entre­prise, devenir indépen­dant, faire des mis­sions, du conseil.

La plu­part des per­son­nes en tran­si­tion pro­fes­sion­nelle ont un pro­jet de la rai­son, dans la continuité.

Il est intéres­sant de not­er que par­mi les per­son­nes béné­fi­ciant d’un accom­pa­g­ne­ment pour leur réori­en­ta­tion de car­rière les amenant à se pos­er les ques­tions ci-dessus, la moitié d’entre elles ont aus­si un pro­jet du cœur.

L’âge de l’intéressé est fon­da­men­tal pour arbi­tr­er entre les deux types de pro­jets. Au-delà de 50 ans, la ques­tion d’envie est prépondérante, favorisant les pro­jets du cœur, mais cela peut arriv­er beau­coup plus tôt.

En effet, il y a une énorme dif­férence entre un méti­er que l’on a envie de faire et un méti­er que l’on n’a pas, ou plus, envie de faire. Nous pou­vons nous forcer quelques mois à faire quelque chose qui ne nous plaît plus à 40 ans, mais pas audelà de 50 ans.

L’employabilité

Cette notion est naturelle pour cer­tains, mais ignorée par beaucoup.

La théorie

Elle con­siste à con­duire sa car­rière autour d’un pro­jet pro­fes­sion­nel pré­cis, en faisant des choix per­ti­nents lors des tran­si­tions (voulues ou subies), afin de main­tenir, et éventuelle­ment d’augmenter, les choix pos­si­bles pour les étapes restantes. Dévelop­per son employ­a­bil­ité, c’est jouer un jeu de sécu­rité per­me­t­tant d’éviter, autant que pos­si­ble, les aléas de la vie pro­fes­sion­nelle tout au long de sa carrière :
• change­ment de dirigeant,
• change­ment d’actionnaire,
• change­ment de stratégie,
• fusion acquisition,
• restructuration.

C’est à l’individu que revient la respon­s­abil­ité de con­duire sa car­rière, et à per­son­ne d’autre : ni l’employeur, ni les chas­seurs de tête ne peu­vent être tenus pour respon­s­ables de mau­vais choix.

La réalité

Or que se passe-t-il dans la pra­tique à la fin d’une étape de car­rière ? En dehors des cas d’éviction où le col­lab­o­ra­teur devra agir de toute façon, plusieurs cas peu­vent se présenter :
• un job existe dans l’entreprise, et il cor­re­spond à un bon choix pour le col­lab­o­ra­teur, encore faut-il l’obtenir.
• l’entreprise pro­pose un job sans intérêt, ou bien ne pro­pose rien en lais­sant pour­rir la sit­u­a­tion, faut-il rester ?
• l’entreprise pro­pose un change­ment de méti­er en son sein, en insis­tant, faut-il accepter ?
• l’entreprise souhaite que le col­lab­o­ra­teur reste à son poste sans lim­ite de temps , faut-il rester ?
• de retour d’un séjour à l’étranger, il n’y a pas de poste disponible, faut-il attendre ?

L’expérience mon­tre que le cadre, con­fron­té à ces ques­tions, ne sait pas com­ment s’y pren­dre et accepte sou­vent la pre­mière propo­si­tion interne ou externe, en fonc­tion de ses critères du moment :
• niveau appar­ent du poste,
• con­fi­ance au chas­seur de tête,
• prox­im­ité Direc­tion générale,
• nou­veau défi,
• rémunération,
• élar­gisse­ment des compétences,
• sat­is­fac­tion intellectuelle…

Or les critères du choix doivent s’inscrire dans le pro­jet pro­fes­sion­nel et être mûre­ment réfléchis et pesés.

Il faut donc réfléchir avant d’accepter un poste en interne ou de démis­sion­ner : la déci­sion va influer sur le pro­fil de car­rière, et peut con­di­tion­ner tout le reste de la vie professionnelle.

Le profil de carrière

Que regarde un recru­teur pro­fes­sion­nel sur un cur­ricu­lum vitæ : le pro­fil de car­rière. De quoi s’agit-il ? Ce pro­fil se situe entre deux extrêmes, car­i­cat­u­raux comme tous les extrêmes.

Le profil “mercenaire ”

Son pre­mier job a duré deux ans, puis il est par­ti ailleurs, dans un autre secteur, reste trois ans, puis repart pour un autre méti­er, pen­sant ain­si élargir sa gamme de com­pé­tences. À 35 ans, il a fait 5 ou 6 employeurs, 3 ou 4 métiers et, par con­séquent, estime être prêt pour un poste de Direc­tion générale, qui seul lui per­me­t­tra d’utiliser toutes ses com­pé­tences. Le trouvera-t-il ?

Le profil “ fonctionnaire ”

Il ren­tre dans une entre­prise au sor­tir de son école, y apprend un méti­er, et ne sait pas en chang­er. Il se retrou­ve à 35 ans con­nais­sant par­faite­ment son domaine, et aspire à plus de respon­s­abil­ités. Lui en donnera-t-on ?

Le profil optimal

Il se situe bien enten­du entre les deux. Une entre­prise hésit­era en général à embauch­er un pro­fil mer­ce­naire, car elle se deman­dera à juste titre si celui-ci va s’investir chez elle pour y réus­sir dans la durée. De même, elle hésit­era à embauch­er un pro­fil fonc­tion­naire, car elle se deman­dera si celui-ci sur­vivra à la trans­plan­ta­tion. Elle va donc plutôt rechercher un nou­veau col­lab­o­ra­teur qui aura prou­vé à plusieurs repris­es dans son par­cours pro­fes­sion­nel qu’il a été pro­mu à de plus larges respon­s­abil­ités, à l’intérieur de son groupe.

Conséquence : il faut agir

Cela implique qu’il faut savoir chang­er d’entreprise, de groupe, de méti­er à bon escient. Cela ne s’apprend pas à l’école.

L’idéal est donc, en exclu­ant le pre­mier poste, de rester suff­isam­ment chez le même employeur pour avoir au moins deux étapes mon­trant claire­ment une pro­mo­tion, puis de chang­er pour refaire la même chose dans un autre groupe. Cela implique de faire des choix per­ti­nents, et de ne pas par­tir à la pre­mière fric­tion avec son respon­s­able. Cela implique aus­si de savoir décider, et de ne pas accepter n’importe quelle propo­si­tion interne : il faut savoir négoci­er et lancer une recherche d’emploi.

La recherche d’emploi

Chercher une nou­velle activ­ité est un tra­vail à temps plein. Il faut con­juguer tous ses efforts au pro­ra­ta des chances respectives :
• Cab­i­nets de search : 10%
• Petites annonces (grandes écoles et autres) : 10%
• Can­di­da­tures spon­tanées : 10%
• Le reste : le réseau

Une recherche efficace

La recom­man­da­tion du Bureau des Car­rières est claire : il faut pré­par­er et organ­is­er sa recherche d’emploi, et ne démar­rer que quand on est prêt. Ne pas brûler ses con­tacts trop vite : les car­touch­es ne ser­vent qu’une fois.

La démarche réseau est très naturelle pour cer­taines per­son­nes. Pour d’autres, et en par­ti­c­uli­er les pro­fils rationnels, elle est dif­fi­cile. Mais, après avoir appris, tous y arrivent, jusqu’à y pren­dre plaisir pour certains !

En effet, trou­ver un poste néces­site 10 pistes, et 10 pistes néces­si­tent 100 entre­tiens, répar­tis sur cinq à six mois en général. Il s’agit bien d’un tra­vail à plein temps, à rai­son de 6 à 8 entre­tiens par semaine.

Les entre­pris­es met­tent longtemps à choisir un nou­veau cadre supérieur : le can­di­dat va ren­con­tr­er en moyenne 7personnes de sa future entre­prise, ce qui peut pren­dre deux mois.

Ces entre­tiens auront per­mis de juger de ses com­pé­tences tech­niques, mais aus­si et surtout de sa moti­va­tion, de sa com­pat­i­bil­ité avec la cul­ture de l’entreprise et l’équipe en place, de sa disponi­bil­ité, de son écoute…

Quand une recherche est bien menée, il arrive que l’intéressé ait plusieurs propo­si­tions : il lui fau­dra jouer, accélérant l’une, freinant l’autre, pour finale­ment choisir la meilleure.

Une recherche en poste

Si la recherche est faite alors que l’intéressé est en poste, il est prob­a­ble qu’elle se con­cen­tr­era sur les Cab­i­nets de search et les petites annonces : seule la par­tie vis­i­ble du marché sera explorée. La par­tie non vis­i­ble est pour­tant beau­coup plus intéres­sante, à la fois quan­ti­ta­tive­ment et qualitativement.

Mais explor­er avec suc­cès cette par­tie demande un appren­tis­sage, une organ­i­sa­tion et des efforts, donc du temps, ce qu’on ne peut pas cacher à son employeur. Cela inter­dit, à mon sens, toute recherche sérieuse menée à l’insu de son employeur.

Si une per­son­ne se pose des ques­tions, il est fort prob­a­ble que son employeur s’en pose aus­si. Une dis­cus­sion franche avec un inter­locu­teur bien choisi peut met­tre en évi­dence l’intérêt de se quit­ter bons amis.

En d’autres ter­mes, si l’employeur pro­pose un poste inac­cept­able ou ne pro­pose rien, il faut en par­ler avec lui plutôt que faire le dos rond en se tour­nant vers les petites annonces.

L’intégration

Tout recrute­ment est un pari pour l’entreprise et pour l’intéressé.

L’analyse des échecs que nous avons observés mon­tre que c’est rarement sur les com­pé­tences que la sit­u­a­tion s’est dégradée : un déficit d’écoute, un sens poli­tique lim­ité, une com­mu­ni­ca­tion trop entière peu­vent se révéler à l’origine d’incompréhensions con­duisant au rejet dans les pre­miers mois, péri­ode dif­fi­cile car l’intéressé n’a pas encore toutes les clés.

C’est encore plus vrai pour le pro­fil “fonc­tion­naire ”, ou pour ceux qui ne se sont pas posé les ques­tions cidessus avant de pren­dre leur poste.

Les attentes réciproques

Pour les entreprises

Dans le passé, les entre­pris­es attendaient de leurs cadres du méti­er, des com­pé­tences, de la disponi­bil­ité et un engage­ment per­son­nel dans la durée. Cer­taines d’entre elles n’ont pas hésité à créer un vivi­er de cadres dans lequel elles pui­saient en fonc­tion de leurs besoins, tout en par­lant de hauts poten­tiels, de plans de car­rière et d’évolution des métiers : le pro­fil “ fonc­tion­naire ” était adop­té par beaucoup.

La donne a changé : recen­trage, exter­nal­i­sa­tion, fusions acqui­si­tions, fonds d’investissement, LBO font que les entre­pris­es atten­dent des cadres opéra­tionnels rapi­de­ment, pour une étape ou deux, sans vis­i­bil­ité ultérieure, se rap­prochant du pro­fil “ mercenaire ”.

Pour les cadres

Par­al­lèle­ment, les attentes des cadres doivent évoluer. Il n’est plus raisonnable d’espérer un plan de car­rière garan­ti. Les autres formes de tra­vail doivent être con­sid­érées : mis­sions, CDD, intérim man­age­ment, portage salarial.

Enfin, le diplôme, s’il reste un bon moyen au départ, n’est plus du tout une garantie de sécu­rité. Il appar­tient à cha­cun de main­tenir son employ­a­bil­ité, indépen­dam­ment de sa formation.

Michel PRUDHOMME (X 64)
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