Editorial

Dossier : Les X en Amérique du NordMagazine N°617 Septembre 2006
Par Jean-David LEVITTE

Voilà déjà bien longtemps que les chercheurs, ingénieurs et hommes d’af­faires français con­tribuent, effi­cace­ment, au développe­ment sci­en­tifique économique des Etats-Unis : aux tout débuts de la jeune république améri­caine, des anciens des armées napoléoni­ennes, notam­ment poly­tech­ni­ciens, ont aidé à créer West Point, à bâtir un réseau de for­ti­fi­ca­tions pour pro­téger les côtes améri­caines encore men­acées par l’an­ci­enne puis­sance colo­niale, ou à trac­er la pre­mière voie de chemins de fer tra­ver­sant les Appalach­es. Plus tard, des noms comme ceux de Dupont de Nemours ou de Schlum­berg­er sont devenus syn­onymes d’im­menses suc­cès industriels.

Le numéro de la revue men­su­elle des anciens élèves de l’Ecole Poly­tech­nique, La Jaune et la Rouge, con­sacré aux Etats-Unis, vient à point pour rap­pel­er l’am­pleur que cette con­tri­bu­tion garde de nos jours et don­ner à ce sujet de pré­cieuses infor­ma­tions. Elles sont sta­tis­tiques, d’abord, encore qu’elles con­cer­nent plus spé­ciale­ment les ingénieurs et sci­en­tifiques sor­tis des Grandes Ecoles. Mais elles se décli­nent égale­ment en ter­mes d’analyse fine, par­fois proche de la psy­ch­analyse, des moti­va­tions qui sous-ten­dent les quelques par­cours qui y sont décrits, uni­ver­si­taires ou indus­triels, et des ingré­di­ents de leur suc­cès : attrait du risque ; accep­ta­tion du car­ac­tère inéluctable des change­ments, qui peu­vent être pénibles, comme quand la restruc­tura­tion d’une entre­prise en dif­fi­cultés impose des licen­ciements ; volon­té de se couler dans un monde cul­turel sou­vent bien dif­férent de celui qui pré­vaut en France, ou même en Europe… Il est frap­pant de con­stater qu’au­cune des car­rières à suc­cès présen­tées ne s’est déroulée de façon con­tin­ue dans un même envi­ron­nement : pas­sage de l’u­ni­ver­sité à l’in­dus­trie d’une grande entre­prise à une société en créa­tion sont la règle, autant que la mobil­ité géographique.

Car la société améri­caine elle-même est ain­si faite, et elle impose à qui veut y réus­sir de s’y adapter. Elle a ses faib­less­es, for bien analysées : une spé­cial­i­sa­tion sou­vent trop pré­coce pour les étu­di­ants, dès la fin des études sec­ondaires et aux pre­mières années des uni­ver­sités, au détri­ment de l’ac­qui­si­tion de dis­ci­plines de bases, voire de la for­ma­tion cul­turelle ; une forme d’in­di­vid­u­al­isme touchant par­fois à la dureté ; un attrait sans failles aux change­ment, que man­i­feste, entre autres, son accep­ta­tion de toutes formes de for­ma­tion con­tin­ue ; une capac­ité à écouter et à expli­quer, acquise dès les pre­mières années de la vie, sur les bancs des écoles ; une apti­tude à décider vite… Le suc­cès du développe­ment d’une économie améri­caine, sou­vent dynamique à l’ex­em­ple d’un secteur des télé­com­mu­ni­ca­tions qui a su créer des sociétés cham­pi­onnes en taille et en inno­va­tion, découle large­ment de ces qual­ités : elle sait faire appel aux com­pé­tences, ou qu’elles se situent, se restruc­tur­er rapi­de­ment, même si c’est par­fois bru­tale­ment, et s’ap­puy­er sur une recherche publique qui béné­fi­cie d’un finance­ment généreux mais, surtout, qui favorise à la fois l’ex­cel­lence et les ini­tia­tives de petits groupes.

Il serait intéres­sant de deman­der aux cadres améri­cains qui tra­vail­lent en France de se livr­er au même exer­ci­ce, “en miroir”. Je suis con­va­in­cu que nous y décou­vrirons l’im­age d’une France dont la qual­ité de l’en­seigne­ment, de la recherche et des infra­struc­tures, n’a rien à envi­er aux Etats-Unis tout en reflé­tant un héritage cul­turel fort dif­férent. L’at­trac­tion réciproque demeure très forte. La lec­ture des médias en porte témoignage, comme l’am­pleur des investisse­ment croisés : les fil­iales des sociétés améri­cains en France emploient le même nom­bre d’employés que les fil­iales des sociétés français­es aux Etats-Unis : entre 500 000 et 600 000, et les investisse­ment dans les deux sens se pour­suiv­ent à un rythme rapide.

Poster un commentaire