EDF : devenir une entreprise chinoise en Chine

Dossier : Regards sur la ChineMagazine N°589 Novembre 2003
Par Hervé MACHENAUD (68)
Par Didier CORDERO (84)

Pourquoi s’intéresser au marché énergétique en Chine ?

Pourquoi un élec­tricien “au long nez” peut-il s’in­téress­er au secteur de l’én­ergie en Chine, surtout quand son marché tra­di­tion­nel est l’Eu­rope ? Il n’y a pas d’in­ter­con­nex­ion avec le parc européen, le secteur de la dis­tri­b­u­tion élec­trique reste fer­mé et EDF n’y pos­sède encore qu’une capac­ité de pro­duc­tion de quelques mil­liers de mégawatts.

Penser hors de l’Unité n’est pas penser chinois

Ce serait oubli­er la crois­sance moyenne annuelle de 10 % depuis vingt ans, soit un dou­ble­ment tous les sept ans. De plus, cette crois­sance s’ac­com­pa­gne d’une évo­lu­tion socio-poli­tique réelle­ment plus ouverte et prag­ma­tique que ce qui est perçu habituelle­ment hors de Chine.

La sta­bil­ité poli­tique d’un ensem­ble de 1 mil­liard 300 mil­lions d’habi­tants fondée sur l’ac­cès à la con­som­ma­tion, la fierté nationale et l’ac­cès au savoir. L’u­nivers de la diver­sité et des écarts : il suf­fit de regarder les livreurs trans­portant des car­cass­es de cochons sur le porte-bagages de leur vélo, le télé­phone mobile col­lé à l’or­eille. Mais c’est aus­si l’u­nivers de la cohé­sion : 1,3 mil­liard de per­son­nes utilisent la même langue… Cette notion d’u­nité a con­duit les grandes ori­en­ta­tions de la Chine au cours des derniers mil­lé­naires et fait par­tie inté­grante du mode de pen­sée de cha­cun. C’est l’empire du Cen­tre, du Milieu. Penser hors de l’U­nité n’est pas penser chinois.

Un mod­èle poli­tique et social en train de s’in­ven­ter, à par­tir d’une approche human­iste liée à une iden­tité cul­turelle chi­noise large­ment répan­due en Asie. Le trait fon­da­men­tal de la Chine est l’U­nité, mais c’est aus­si la coex­is­tence d’une mul­ti­tude de réal­ités qui enrichissent l’i­den­tité nationale. C’est aus­si l’ap­port d’une dias­po­ra qui a injec­té plus de 200 mil­liards de dol­lars en investisse­ments directs dans la Chine continentale.

L’en­vi­ron­nement est iden­ti­fié comme une cause poli­tique impor­tante car sa per­cep­tion par le citoyen chi­nois est liée à l’amélio­ra­tion de sa qual­ité de vie. La Chine vient d’ailleurs de rat­i­fi­er le pro­to­cole de Kyoto.

Il faut donc voir là les raisons d’un posi­tion­nement pour l’avenir.

Un pays développé ou en voie de développement ?

La Chine est désor­mais très con­sciente de son poten­tiel humain, cul­turel et indus­triel, et elle entend le faire fruc­ti­fi­er pour acquérir une posi­tion qui la mette défini­tive­ment hors des dan­gers liés à la pau­vreté. Le PIB par habi­tant est pour­tant 20 fois moins élevé que celui d’un pays industrialisé.

Si une par­tie de la pop­u­la­tion est désor­mais dans la classe “aisée”, la Chine reste toute­fois un pays en voie de développe­ment, souf­frant d’un déséquili­bre entre la côte Est, cen­tre de développe­ment et de crois­sance et l’in­térieur ou l’Ouest qui ne reçoit que 3 % des investisse­ments étrangers con­tre 78 % pour la côte Est.

Dans ce con­texte, les attentes de la Chine vis-à-vis des acteurs étrangers con­cer­nent la maîtrise tech­nologique (trans­ferts), l’amélio­ra­tion du man­age­ment, la rigueur de ges­tion et la qual­ité. Les coopéra­tions avec les entre­pris­es étrangères lead­ers sont les bien­v­enues à cet égard, mais aux con­di­tions chi­nois­es, y com­pris un appui pour le développe­ment hors Chine.

La voie est l’engagement dans une logique de développement local

La voie est donc l’en­gage­ment dans le développe­ment local, au plus près des besoins de ses parte­naires et de ses clients. Il faut devenir une entre­prise chi­noise en Chine.


Le poids économique de la Chine au XXe siè­cle était anor­male­ment bas. Va-t-il bien­tôt retrou­ver sa posi­tion his­torique ? (source Banque Mon­di­ale).

La Chine se situe désor­mais au cen­tre de grav­ité du monde. Son entrée dans l’OMC et les jeux Olympiques à Pékin en 2008 en sont des signes clairs. Il ne s’ag­it pas seule­ment d’une con­sid­éra­tion économique, mais de la prise en compte d’un mou­ve­ment d’ensem­ble poli­tique, cul­turel et social, dynamique, et cohérent.

Dans cette Chine ouverte, en marche, une entre­prise doit représen­ter bien plus qu’une somme de pro­jets ; c’est un état d’e­sprit, une présence, une attitude.

L’é­tat d’e­sprit, c’est la con­fi­ance que don­nent la vision du développe­ment et la prise en compte de sa réal­ité : les entre­pris­es chi­nois­es n’ont plus seule­ment besoin de cap­i­taux et de tech­nolo­gies étrangers. En fait, un grand nom­bre a franchi ce seuil de matu­rité au cours des trois dernières années. Beau­coup d’autres vont suiv­re rapi­de­ment, du fait de l’en­trée de la Chine dans l’OMC, et des con­traintes que cela impose. La Chine accède ain­si à l’au­tonomie qu’elle s’est fixée comme objec­tif. Mais l’au­tonomie, ce peut être la ten­ta­tion, tou­jours présente, de la fermeture.

La présence est la con­séquence logique de ce change­ment fon­da­men­tal. D’une cer­taine manière, l’en­trée dans l’OMC est une cau­tion d’ou­ver­ture durable que la Chine se donne à elle-même, pour con­jur­er ses regrets. La présence des étrangers dans les pro­jets chi­nois relève de la même pré­cau­tion. Elle se mérite, par l’ex­cel­lence des savoir-faire, dans le développe­ment inter­na­tion­al, par la qual­ité et la rigueur de la ges­tion et du man­age­ment, par la maîtrise et les avancées tech­niques. Cette présence est donc aus­si, pour les Chi­nois, la garantie d’une con­tri­bu­tion à l’amélio­ra­tion des performances.

L’at­ti­tude qui découle de cette volon­té d’ac­céder à la présence par le mérite est donc celle qui per­met de met­tre en évi­dence la valeur ajoutée dans les domaines évo­qués, et sa con­tri­bu­tion aux per­for­mances des pro­jets. C’est une atti­tude qui con­siste à faire évoluer le parte­nar­i­at, en l’in­scrivant dans l’u­til­ité, la réciproc­ité et la durée.

C’est avec la con­vic­tion que le sens du développe­ment durable est de réin­té­gr­er l’é­conomie dans la nature et l’hu­man­ité que les équipes doivent œuvr­er locale­ment. Cette philoso­phie est la con­di­tion de la réus­site dans la durée.

Un parc électrique français construit tous les cinq ans

La poli­tique énergé­tique du Xe plan quin­quen­nal est struc­turée selon trois axes :

1) pro­duire l’élec­tric­ité à l’Ouest (bar­rages hydrauliques, cen­trales ther­miques près des mines de char­bon) et la trans­porter à l’Est,
2) trans­porter le gaz vers l’Est à par­tir des champs gaziers de l’Ouest,
3) achem­iner au Nord l’eau du Sud pour faire face à la désertification.

Pour com­pren­dre l’am­pleur de la tâche, il faut s’imag­in­er le change­ment rad­i­cal qui est en train de s’opérer.

Entre 1990 et 2001, la puis­sance élec­trique instal­lée en Chine est passée de 138 000 MW à 338 000 MW et la crois­sance ne fléchi­ra pas dans le futur ! Pour don­ner une idée, rap­pelons que la capac­ité totale implan­tée en France est d’un peu plus de 100 000 MW, c’est-à-dire ce que la Chine con­stru­it en cinq ans !

Entrée de la centrale nucléaire de Daya Bay en chine
Entrée de la cen­trale nucléaire de Daya Bay. PHOTO EDF

Pour­tant, la con­som­ma­tion par habi­tant est seule­ment de 1 300 kWh/ per­son­ne en 2001, soit 5 fois moins qu’en Europe, 10 fois moins qu’aux États-Unis, ce qui laisse donc de belles per­spec­tives au secteur élec­trique. Trente mil­lions de Chi­nois n’ont tou­jours pas accès à l’électricité.

En out­re, de gross­es dis­par­ités exis­tent entre les provinces chi­nois­es et il faut dis­tinguer la sit­u­a­tion des moins dévelop­pées économique­ment (dans le Nord-Est ou le Nord-Ouest par exem­ple) mais riche­ment dotées en ressources énergé­tiques, des régions côtières qui doivent importer des régions voisines.

Par exem­ple, la province du Guang­dong (Can­ton, Shen­zhen…), dont le PNB est deux fois le total de ses trois provinces voisines de l’Ouest : Guangxi, Yun­nan et Guizhou, ne pos­sède que 3,5 % de leurs ressources énergé­tiques et importe 90 % de son énergie.

Ce déséquili­bre con­jugué à une sous-esti­ma­tion des besoins dans le Xe plan quin­quen­nal amène la ques­tion de l’ap­pro­vi­sion­nement énergé­tique de la Chine sur l’a­gen­da du gouvernement.

Le développement de l’énergie nucléaire de façon “appropriée à sa situation”

La centrale nucléaire de Daya Bay, de fourniture Framatome et Alstom, en Chine
La cen­trale nucléaire de Daya Bay, de four­ni­ture Fram­atome et Alstom prin­ci­pale­ment. EDF qui avait assuré la direc­tion tech­nique de la con­struc­tion entre­tient un parte­nar­i­at avec l’exploitant chi­nois qui obtient d’excellentes performances.
PHOTO EDF

La Chine est très riche en char­bon qui lui four­nit 75 % de son énergie, mais les infra­struc­tures sont sat­urées : les deux tiers des chemins de fer trans­portent du char­bon ou des matéri­aux de construction.

L’én­ergie nucléaire occupe pour le moment une place mar­ginale, lim­itée aux régions les plus dévelop­pées économique­ment : l’én­ergie nucléaire représente 1,2 % de la pro­duc­tion totale d’élec­tric­ité de la Chine et les prévi­sions pour 2020 font état de 3 à 5 %.

En valeur absolue cela représente des puis­sances nou­velles nota­bles, de 30 000 à 50 000 MW à l’hori­zon 2020. La France, dont le parc nucléaire est une référence mon­di­ale, “n’a que” 63 000 MW.

Si les esti­ma­tions fluctuent selon les sources, il est toute­fois acquis que la crois­sance énergé­tique ne pour­ra se faire sans le nucléaire, surtout après la rat­i­fi­ca­tion du pro­to­cole de Kyoto.

Quel avenir pour le système énergétique chinois ?

La restruc­tura­tion du sys­tème élec­trique chi­nois est engagée. La trans­parence du marché et la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement y pren­nent de plus en plus d’importance.

Non seule­ment la Chine con­stru­it l’équiv­a­lent d’un parc français tous les cinq ans, mais en plus elle déclasse ses plus vieilles cen­trales (-14 GW en cinq ans). Cela cor­re­spond à une dou­ble préoc­cu­pa­tion : d’une part l’amélio­ra­tion des per­for­mances économiques (40 % du parc est con­sti­tué de cen­trales de puis­sance inférieure à 200 MW) et d’autre part à un con­trôle des dom­mages écologiques.

150 milliards d’euros d’actifs et 1,4 million d’employés à allouer dans la réforme du secteur électrique.

En 2002, le gou­verne­ment a amor­cé la réforme du secteur élec­trique : le mono­pole d’É­tat, la State Pow­er, est scindé en deux ges­tion­naires de réseaux et cinq pro­duc­teurs nationaux. L’événe­ment est à l’échelle du pays : 150 mil­liards d’eu­ros d’ac­t­ifs et 1,4 mil­lion d’employés sont à allouer entre les nou­velles sociétés.

Dans les moyens de pro­duc­tion, la poli­tique gou­verne­men­tale est de dévelop­per en pri­or­ité l’hy­draulique qui porte aus­si les enjeux de l’al­i­men­ta­tion en eau du nord de la Chine, en sec­ond lieu le nucléaire, en aug­men­tant les local­i­sa­tions indus­trielles et l’au­tonomie dans la con­cep­tion et l’ingénierie des cen­trales en exploitation.

La spé­ci­ficité du sys­tème élec­trique français intéresse les autorités chi­nois­es. Elles veu­lent tir­er prof­it de ses meilleures car­ac­téris­tiques, dans la recherche de leur pro­pre mode d’or­gan­i­sa­tion : chaque année, 300 à 400 ingénieurs, man­agers et décideurs chi­nois se ren­dent en France pour tra­vailler sur le sujet. Out­re les ques­tions pure­ment tech­niques, les prin­ci­paux sujets de dis­cus­sions sont :

  • les rap­ports EDF-État,
  • le marché européen de l’électricité,
  • la ges­tion des ressources humaines,
  • le ser­vice pub­lic et le ser­vice du client.


Il y a quelques années, au moment où cela était favor­able pour son développe­ment, la Chine a util­isé le mod­èle BOT (Built Oper­ate and Trans­fer). Dans ce mod­èle, le gou­verne­ment garan­tit un taux de retour via le tarif et le vol­ume acheté, et les investis­seurs finan­cent la cen­trale par un finance­ment dit “de pro­jet” à recours limité.

Trouver sa voie.

Aujour­d’hui cette phase est ter­minée. La Chine n’est plus intéressée par un mod­èle unique, fondé sur un sys­tème qui porte ses pro­pres limites.

La centrale nucléaire chinoise de Ling Ao.
La cen­trale nucléaire de Ling Ao, une étape vers l’autonomie. LANPC, la société chi­noise pro­prié­taire, a dirigé la con­struc­tion qui a com­porté une part locale de plus en plus impor­tante grâce à l’expérience acquise avec EDF à Daya Bay. PHOTO EDF

La Chine est con­sciente de la con­tra­dic­tion entre la rentabil­ité des investisse­ments et la néces­sité de faire baiss­er le prix du kWh, qui est une vari­able sociale impor­tante. Entre ces con­tra­dic­tions, elle essaye de trou­ver sa voie. Le choix de con­serv­er ensem­ble le trans­port et la dis­tri­b­u­tion est l’indi­ca­tion de sa volon­té de rechercher une solu­tion pro­pre, une solu­tion chi­noise qui se démar­que des pra­tiques essayées ailleurs dans le monde.

Doré­na­vant, pour les nou­veaux pro­jets, il n’y aura plus de garantie de retour sur investisse­ment fixe. La Chine préfère faire appel à des parte­nar­i­ats indus­triels durables impli­quant des par­tic­i­pa­tions de type “cor­po­rate” et des emprunts en mon­naie locale.

Le chantier de la réforme est immense : il faut restruc­tur­er les organ­i­sa­tions et sociétés actuelles, con­stru­ire de nou­velles capac­ités de pro­duc­tion, appren­dre à gér­er un nou­veau pro­fil de con­som­ma­teurs, imprévis­i­bles, générant des pics de con­som­ma­tion. Ce ne sont plus les grands clients éta­tiques qui con­som­maient en base 24 heures sur 24 heures 365 jours par an. Il y a un impact direct sur le parc de pro­duc­tion notam­ment avec l’im­por­tance accrue de la ges­tion prévi­sion­nelle du réseau, des sta­tions de pompage-turbinage.

Pour pro­téger l’en­vi­ron­nement, la Chine implantera pro­gres­sive­ment des équipements de désul­fu­ra­tion pour les cen­trales à char­bon, met­tra en ser­vice de nou­velles tech­nolo­gies char­bon plus pro­pres et ren­forcera la part du nucléaire. La Chine, en route vers la maîtrise indus­trielle d’un pro­gramme nucléaire nation­al, peut s’ap­puy­er sur l’in­dus­trie française qui y a con­quis une place prépondérante au tra­vers de ses partenariats.


Schema : Le poids économique de la Chine au XXème siè­cle était anor­male­ment bas. Va-t-il bien­tôt retrou­ver sa posi­tion his­torique ? (source Banque Mondiale).

Pho­togra­phies : Entrée de la cen­trale nucléaire de Daya Bay. La cen­trale nucléaire de Daya Bay, de four­ni­ture Fram­atome et Alstom prin­ci­pale­ment. EDF qui avait assuré la direc­tion tech­nique de la con­struc­tion entre­tient un parte­nar­i­at avec l’ex­ploitant chi­nois qui obtient d’ex­cel­lentes per­for­mances. La cen­trale nucléaire de Ling Ao, une étape vers l’au­tonomie. LANPC, la société chi­noise pro­prié­taire, a dirigé la con­struc­tion qui a com­porté une part locale de plus en plus impor­tante grâce à l’ex­péri­ence acquise avec EDF à Daya Bay.

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