Du produit au service — de l’usager au client

Dossier : La réforme de l'ÉtatMagazine N°595 Mai 2004
Par Philippe CAILLE (69)
Par Olivier MAIRE (89)

La qualité du service rendu comme vecteur premier de la transformation de l’État

L’ad­min­is­tra­tion française souf­fre d’un para­doxe appar­ent : alors que dans de nom­breux domaines la qual­ité intrin­sèque de la presta­tion est élevée, sa per­cep­tion est con­sid­érable­ment altérée par les con­di­tions dans lesquelles cette presta­tion est délivrée.

De nom­breux élé­ments peu­vent ain­si nuire à l’ef­fi­cac­ité glob­ale perçue :

  • les délais exces­sifs dans lesquels le ser­vice est rendu,
  • la dif­fi­culté à iden­ti­fi­er le bon organ­isme ou le bon interlocuteur,
  • la lour­deur des démarch­es admin­is­tra­tives demandées,
  • les horaires d’ou­ver­ture restreints ou le temps d’at­tente au guichet,
  • la dif­fi­culté à join­dre une per­son­ne par téléphone…


Habitué en tant que con­som­ma­teur à un niveau de ser­vice crois­sant, à la pos­si­bil­ité de chang­er de pro­duit en cas d’in­sat­is­fac­tion, l’usager attend désor­mais de l’ad­min­is­tra­tion un niveau de per­for­mance équiv­a­lent à celui qu’il pense obtenir dans la sphère privée. Et de la même façon que son ” expéri­ence client ” se forge sur l’ensem­ble de son acte d’achat et de con­som­ma­tion du pro­duit, son ” expéri­ence d’ad­min­istré ” se con­stru­it sur l’ensem­ble de son acte de ” con­som­ma­tion ” de la démarche admin­is­tra­tive. De fait, à tra­vers les con­di­tions insat­is­faisantes dans lesquelles sa presta­tion est réal­isée, l’usager se sen­ti­ra le témoin de dys­fonc­tion­nements plus pro­fonds de l’administration :

  • la com­plex­ité interne,
  • l’ab­sence de logique de ” performance “,
  • une cul­ture de moyens plutôt que de résultats,
  • une notion de ser­vice peu développée.


Il ne s’ag­it plus seule­ment de déter­min­er si la presta­tion ren­due a été effi­cace, mais si les con­di­tions dans lesquelles cette presta­tion a été ren­due ont été sat­is­faisantes. L’amélio­ra­tion du ser­vice ren­du n’est plus la con­séquence du change­ment mais la cause qui déter­mine quels change­ment opér­er et com­ment les opér­er. En (re)plaçant l’ad­min­istré au cœur du sys­tème, c’est l’ensem­ble de l’or­gan­i­sa­tion qui devra s’adapter pour trou­ver des solu­tions — court, moyen et long terme — pour amélior­er son fonctionnement.

C’est le sens des démarch­es qual­ité qui appa­rais­sent au niveau des col­lec­tiv­ités locales, des hôpi­taux ou des admin­is­tra­tions cen­trales. Bien au-delà des déc­la­ra­tions de bonne inten­tion, la fix­a­tion d’ob­jec­tifs quan­ti­tat­ifs, par­fois très sim­ples (moins de X min­utes d’at­tente au guichet, moins de N son­ner­ies pour décrocher le télé­phone…) per­met de mobilis­er l’ensem­ble des agents autour d’ax­es fédéra­teurs pour des évo­lu­tions plus profondes.

À cet égard, il est intéres­sant de con­stater qu’In­ter­net a très rapi­de­ment été perçu dans le secteur pub­lic comme un levi­er par­ti­c­ulière­ment intéres­sant pour attein­dre ces objec­tifs. Inter­net offre un sup­port de la rela­tion usager avec une acces­si­bil­ité per­ma­nente et immé­di­ate, per­met de ” gom­mer ” la com­plex­ité interne de l’ad­min­is­tra­tion, automa­tise cer­tains traite­ments… Le suc­cès de la déc­la­ra­tion en ligne de l’im­pôt sur le revenu ou le traf­ic con­staté sur service-public.fr témoignent de l’in­térêt des usagers pour une rela­tion et un accès sim­pli­fiés à l’administration.


À 64 %, les inter­nautes atten­dent d’Internet qu’il les rap­proche de l’administration.

L’amélioration du service rendu passe par une phase préalable de connaissance des besoins et des attentes dans une logique marketing

La sat­is­fac­tion de l’usager passe par une phase indis­pens­able de con­nais­sance fine et régulière de ses critères de sat­is­fac­tion et du niveau de per­for­mance qu’il attend sur cha­cun de ses critères de sat­is­fac­tion. À l’in­térieur du cadre général des mis­sions et des objec­tifs du ser­vice pub­lic, dont la déf­i­ni­tion relève de la vision poli­tique, la décli­nai­son ” opéra­tionnelle ” de ces mis­sions et objec­tifs ” stratégiques ” gag­n­era grande­ment en effi­cac­ité si elle est basée sur une con­nais­sance préal­able des pop­u­la­tions, de leurs attentes et de leurs besoins. Il ne s’ag­it pas de con­solid­er des appré­ci­a­tions ou ressen­tis per­son­nels, notam­ment des acteurs du ter­rain, mais bien de met­tre en place une démarche processée, rigoureuse et sys­té­ma­tique d’analyse des attentes et des besoins des populations.

Pour repren­dre l’analo­gie avec l’en­tre­prise évo­quée au début de cet arti­cle, il s’ag­it d’adopter une logique mar­ket­ing basée sur des dis­posi­tifs d’é­tude (quan­ti­tat­ifs-qual­i­tat­ifs) con­ti­nus. Dans cet esprit, il est intéres­sant de con­stater dans cer­taines admin­is­tra­tions l’u­til­i­sa­tion du terme ” client “, naguère ban­ni, pour mieux car­ac­téris­er la rela­tion à dévelop­per entre l’ad­min­is­tra­tion et l’administré.

Cette con­nais­sance acquise per­met de men­er trois types d’analyses.

  • Seg­menter les pop­u­la­tions : à l’in­térieur d’une même prob­lé­ma­tique générale (se faire soign­er, trou­ver un emploi, ren­dre la jus­tice…), on va trou­ver des sit­u­a­tions dif­férentes qui devront amen­er des répons­es dis­tinctes (exem­ple : pour l’ac­cès aux soins, les besoins ne sont pas les mêmes pour une femme enceinte, un ado­les­cent, une per­son­ne atteinte d’une mal­adie grave…).
  • Dévelop­per des offres de ser­vices adap­tées aux dif­férents seg­ments : la con­nais­sance dif­féren­ciée des attentes per­met de con­stru­ire des offres de ser­vices com­plètes et trans­ver­sales, définies non plus en fonc­tion d’une presta­tion que l’ad­min­is­tra­tion four­nit mais en fonc­tion d’une attente d’un seg­ment de pop­u­la­tion sur une prob­lé­ma­tique donnée.
  • Mesur­er de manière objec­tive la per­for­mance atteinte au regard d’ob­jec­tifs fixés sur cha­cune des com­posantes de cette offre de ser­vices pour chaque seg­ment de pop­u­la­tions. L’en­jeu est encore une fois, au-delà du débat poli­tique et de la notion de ser­vice pub­lic qui relève d’une autre sphère, de déter­min­er com­ment il est pos­si­ble de met­tre en regard la per­for­mance ren­due avec les attentes des populations.

Actionner les leviers du changement

La mise en place de cette ” logique mar­ket­ing ” demande d’ac­tion­ner un ensem­ble de leviers du change­ment en gérant con­join­te­ment deux échelles de temps : une approche à long terme pour aboutir aux réformes struc­turelles et une approche à court ou moyen terme pour don­ner une vis­i­bil­ité à ces chantiers à long terme. Plusieurs axes de réflex­ion peu­vent être envis­agés pour struc­tur­er cette approche.

  • Créer des struc­tures ayant des domaines de com­pé­tence trans­vers­es sur des seg­ments de ” publics ” : l’or­gan­i­sa­tion de l’ad­min­is­tra­tion est très ver­ti­cal­isée. Les struc­tures trans­ver­sales actuelles (inter­min­istériel, obser­va­toires…) intro­duisent un pre­mier niveau de trans­ver­sal­ité, mais qui reste cen­tré sur une prob­lé­ma­tique par­ti­c­ulière. À quelque niveau que ce soit dans la fonc­tion publique, il n’ex­iste pas actuelle­ment de struc­ture ou d’or­gan­isme dis­posant d’une vision con­solidée de l’ensem­ble des besoins ou des attentes par typolo­gie de populations.
     
  • Gér­er la qual­ité du ser­vice ren­du comme un pro­gramme glob­al : de nom­breux chantiers de réforme vont déjà dans le sens d’une amélio­ra­tion du ser­vice ren­du : e‑administration, cen­tres de con­tacts inter­min­istériels, plates-formes de ser­vice… Il s’ag­it d’un vaste pro­gramme qui doit être géré en tant que tel avec une ges­tion de porte­feuille et des cohérences et des pri­or­ités entre projets.
     
  • Mobilis­er les moyens adéquats pour réus­sir le change­ment cul­turel : la con­duite du change­ment est prob­a­ble­ment la con­di­tion la plus cru­ciale pour réus­sir la réforme. C’est un chantier à part entière, et prob­a­ble­ment un des plus impor­tants, pour lequel doivent être alloués des moyens pro­por­tion­nels à l’am­pleur des évo­lu­tions à venir en ter­mes de fonc­tion­nement, de man­age­ment, de culture…
     
  • Priv­ilégi­er une mise en œuvre par étapes, en iden­ti­fi­ant les domaines sur lesquels il est pos­si­ble d’af­fich­er des résul­tats rapi­des avec une valeur ajoutée perçue forte et immé­di­ate : ” Rome ne s’est pas con­stru­ite en un jour “. Le suc­cès d’une telle démarche dépend étroite­ment de sa capac­ité à pro­duire des résul­tats tout au long de sa mise en œuvre, même si ces résul­tats sont par­tiels au regard de l’ob­jec­tif final.
     
  • Con­sid­ér­er que le sys­tème d’in­for­ma­tion peut être un accéléra­teur impor­tant de la dif­fu­sion d’une cul­ture client : la con­sti­tu­tion de bases de don­nées et d’ap­pli­cat­ifs inté­grés per­met sou­vent de matéri­alis­er en interne une vision client et d’ac­célér­er la refonte des proces­sus et des organ­i­sa­tions autour de cette vision intégrée.

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