Du Collège royal au Prytanée militaire : quatre cents ans d’éducation à La Flèche

Dossier : ExpressionsMagazine N°600 Décembre 2004Par Jean BLONDEAU (55)

La fondation du Collège royal

La fondation du Collège royal

Au milieu du XVIe siècle, les grands-parents pater­nels de Hen­ri IV pos­sé­daient un petit châ­teau à La Flèche, à la limite nord de l’An­jou, où, selon la tra­di­tion orale, ses parents, Antoine de Bour­bon et Jeanne d’Al­bret, le conçurent, si bien que le Vert-Galant aurait été flé­chois avant de naître palois en 1553 ! Un demi-siècle plus tard, Hen­ri IV déci­da, par l’é­dit de Rouen (sep­tembre 1603), de fon­der à La Flèche un col­lège et d’en confier l’en­sei­gne­ment aux jésuites. Il fai­sait ain­si d’une pierre plu­sieurs coups : il se récon­ci­liait avec Rome en auto­ri­sant le retour des jésuites expul­sés du royaume en 1594, il fai­sait pièce au rayon­ne­ment de l’a­ca­dé­mie pro­tes­tante de Sau­mur, et il favo­ri­sait la ville de La Flèche en y créant un grand col­lège qui » soit comme un sémi­naire géné­ral et uni­ver­sel, auquel ils [les jésuites] ensei­gne­ront toutes les sciences et facul­tés qu’ils ont accou­tu­mé ensei­gner aux plus grands col­lèges et uni­ver­si­tés de leur com­pa­gnie… » Cet édit fut confir­mé par celui de Fon­tai­ne­bleau (mai 1607). L’at­ta­che­ment de Hen­ri IV à la ville de La Flèche était réel et se mani­fes­ta notam­ment par son désir qu’à leur mort son cœur et celui de la reine fussent conser­vés dans des urnes pla­cées dans le chœur de la splen­dide cha­pelle du Col­lège.

Les pre­miers élèves arri­vèrent en jan­vier 1604, en même temps que débu­tèrent les tra­vaux ; assez vite, un magni­fique ensemble de bâti­ments vit le jour. La noto­rié­té du Col­lège s’é­ten­dit rapi­de­ment à tout le royaume et même au-delà, au point que Des­cartes, son plus illustre ancien élève, put écrire, dans le Dis­cours de la Méthode, qu’il avait étu­dié dans » l’une des plus célèbres écoles de l’Eu­rope « .

En 1761, le Par­le­ment de Paris ordon­na la fer­me­ture de tous les col­lèges diri­gés par les jésuites, puis l’an­née sui­vante leur expul­sion du royaume et leur dis­per­sion. Cet évé­ne­ment cau­sait un lourd pré­ju­dice à la ville de La Flèche qui vivait en grande par­tie grâce à son col­lège. Les édiles flé­chois firent face en créant un petit col­lège muni­ci­pal, mais il était évident que ce n’é­tait qu’un pal­lia­tif. Ils se déci­dèrent à envoyer à Louis XV un long mémoire pré­sen­tant tous les avan­tages de l’é­ta­blis­se­ment de leur ville. Leur sup­plique fut enten­due : en 1764, Choi­seul créait à La Flèche un Col­lège royal mili­taire pré­pa­ra­toire à l’É­cole mili­taire de Paris. 

En 1776, le comte de Saint-Ger­main sup­pri­ma l’ex­clu­si­vi­té du col­lège de La Flèche, et créa douze Écoles royales mili­taires dépen­dant du minis­tère de la Guerre, mais confiées à diverses congré­ga­tions reli­gieuses, les frères de la doc­trine chré­tienne en ce qui concerne La Flèche.

Vinrent la Révo­lu­tion et tous les troubles qu’elle entraî­na. Le Col­lège vivo­ta jus­qu’à la Ter­reur, puis fut fer­mé ; mais dès 1795 un éta­blis­se­ment dénom­mé petit col­lège fut éta­bli dans les bâti­ments char­gés de près de deux siècles d’histoire. 

La création du Prytanée

Le 1er ger­mi­nal an VIII (22 mars 1800), le ministre de l’In­té­rieur, Lucien Bona­parte, crée le Pry­ta­née fran­çais, com­por­tant quatre col­lèges ins­tal­lés à Paris, Fon­tai­ne­bleau, Ver­sailles et Saint-Ger­main. Celui de Ver­sailles occu­pait les locaux de la Mai­son d’é­du­ca­tion fon­dée par Madame de Main­te­non à Saint-Cyr. Le 15 ven­dé­miaire an XII (8 octobre 1803), un arrê­té attri­bue au seul col­lège de Saint-Cyr le nom de Pry­ta­née fran­çais. Le 13 fruc­ti­dor an XIII (31 août 1805), depuis le camp de Bou­logne, un décret est pris déci­dant que Saint-Cyr s’ap­pel­le­rait désor­mais Pry­ta­née mili­taire fran­çais.

Pen­dant ce temps, à La Flèche, les conseillers muni­ci­paux se déme­naient pour qu’un éta­blis­se­ment impor­tant occu­pât les locaux de l’an­cien col­lège royal ; ils contac­tèrent en par­ti­cu­lier M. de Cham­pa­gny, ancien élève du Col­lège royal mili­taire, ministre de l’In­té­rieur puis des Rela­tions exté­rieures et le géné­ral Clarke, ministre de la Guerre et, lui aus­si, ancien élève du Col­lège royal. Leurs vœux furent fina­le­ment com­blés puis­qu’à son retour à Paris, après la qua­trième coa­li­tion, Napo­léon déci­da le trans­fert de l’É­cole spé­ciale mili­taire de Fon­tai­ne­bleau à Saint-Cyr et celui du Pry­ta­née de Saint-Cyr à La Flèche qu’il ne devait plus quitter.

Tout au long du XIXe siècle, le nom de l’é­ta­blis­se­ment chan­gea selon les divers sou­bre­sauts poli­tiques que connut la France, s’ap­pe­lant École royale mili­taire pré­pa­ra­toire à la Res­tau­ra­tion, Col­lège royal mili­taire sous la Monar­chie de Juillet, Col­lège natio­nal mili­taire sous la seconde Répu­blique, puis enfin, le 9 jan­vier 1853, Pry­ta­née impé­rial mili­taire ; sa voca­tion mili­taire demeu­rait bien constante. À la chute du Second Empire, il devient Pry­ta­née mili­taire, et plus récem­ment Pry­ta­née natio­nal mili­taire.

Les anciens élèves du Prytanée

Pen­dant très long­temps et jus­qu’aux années 1970 les anciens élèves du Pry­ta­née ont pour la plu­part fait des car­rières mili­taires, sou­vent pres­ti­gieuses. Par­mi les maré­chaux de France Ber­wick, Clarke, Gal­lie­ni et quelques autres sous l’An­cien Régime étaient issus du Pry­ta­née ; il en était de même pour les géné­raux Catroux, Mas­su et Simon, plus proches de nous, et c’est le cas de presque mille offi­ciers géné­raux d’ac­tive ou de réserve qui sont vivants aujourd’­hui, et par­mi les­quels on compte un cer­tain nombre d’in­gé­nieurs géné­raux de l’ar­me­ment issus de l’É­cole polytechnique. 

Moins illustres étaient le plus sou­vent les deux mille cinq cents anciens élèves qui, sous l’u­ni­forme de ses armées, sont morts pour la France dans les com­bats des guerres des cent der­nières années. Plus que tous les autres, ce sont eux qui ont don­né au Pry­ta­née ses titres de noblesse et de gloire ; et le culte de ces héros, tou­jours vivace à La Flèche, marque à jamais les anciens élèves de l’établissement. 

À côté des mili­taires, et outre Des­cartes, de nom­breux hommes célèbres ont été élèves du Col­lège royal ou du Pry­ta­née. Bor­nons-nous à en citer quelques-uns : Le Royer de la Dau­ver­sière, l’un des fon­da­teurs de Mont­réal, des hommes de lettres comme l’ab­bé Pré­vost, Klé­ber Hae­dens, des savants comme Bor­da, les frères Chappe, Ponte, des ecclé­sias­tiques comme le car­di­nal Régnier, des marins comme Dupe­tit-Thouars, des ministres comme Nom­père de Cham­pa­gny, Mis­soffe, des acteurs comme Sil­vain, Bria­ly, et même des astro­nautes comme Bau­dry et le poly­tech­ni­cien Cler­voy. De très nom­breux poly­tech­ni­ciens ont pré­pa­ré l’X au Pry­ta­née : Ros­sel, Guillau­mat, Vir­lo­geux, Caro­line Aigle, pre­mière femme pilote de chasse, et, avec ou après eux, des hauts fonc­tion­naires des grands corps, des indus­triels, des diri­geants d’en­tre­prise, comme Mar­cel Rou­let (54), qui fut pré­sident de l’AX il y a quelques années, et bien d’autres qui ont de même ser­vi le pays avec honneur. 

Le Prytanée aujourd’hui

Depuis 1982, le Pry­ta­née a per­du une par­tie de sa spé­ci­fi­ci­té : il est deve­nu l’un des quatre lycées mili­taires pla­cés sous la tutelle de l’É­tat-major de l’ar­mée de terre, avec ceux d’Au­tun, d’Aix-en-Pro­vence et de Saint-Cyr-l’É­cole. À la même époque les classes de la 6e à la 3e ont été sup­pri­mées, et des filles ont été admises ; elles repré­sentent actuel­le­ment envi­ron 20 % des quelque neuf cents élèves. Depuis lors on a assis­té à une cer­taine démi­li­ta­ri­sa­tion de l’é­ta­blis­se­ment : l’u­ni­forme mili­taire a été rem­pla­cé par le bla­zer bleu marine et le pan­ta­lon gris clair qui se portent tête nue. Mais dans les grandes occa­sions le céré­mo­nial mili­taire est res­pec­té ; le dra­peau de l’é­cole, déco­ré de la Légion d’hon­neur et de la Croix de guerre, est por­té digne­ment par des élèves choi­sis par leurs condis­ciples et revê­tus de la tenue de tra­di­tion, moder­ni­sée dans les années 1960, et toutes les classes s’a­lignent dans l’ordre rigou­reux des grandes parades des armées.

Le Pry­ta­née compte deux éta­blis­se­ments géo­gra­phi­que­ment sépa­rés où l’in­ter­nat est le régime qui s’im­pose à tous les élèves : 

  • l’un, au centre de La Flèche, occupe les locaux his­to­riques du Col­lège et accueille, sur dos­sier, les élèves des classes pré­pa­ra­toires aux grandes écoles sans autre condi­tion par­ti­cu­lière de recru­te­ment que celle de la volon­té de pré­pa­rer le concours d’en­trée d’une grande école mili­taire. Il s’a­git de l’aide au recru­te­ment, les élèves s’en­ga­geant à ser­vir l’É­tat pen­dant un cer­tain nombre d’an­nées, ou à rem­bour­ser leurs frais d’études ; 
  • l’autre, à la péri­phé­rie de la ville, accueille envi­ron 560 élèves de la seconde à la ter­mi­nale, au titre de l’aide à la famille. Il s’a­git d’en­fants de mili­taires en acti­vi­té ou en retraite, de fonc­tion­naires et de magis­trats, sélec­tion­nés éga­le­ment sur dossier. 


Le Pry­ta­née conti­nue de jus­ti­fier sa répu­ta­tion d’é­cole aux excel­lents résul­tats sco­laires ; sa longue et brillante his­toire et la voca­tion de ses diri­geants et anciens élèves de per­pé­tuer le culte qu’on y sert de l’hon­neur et de la gran­deur du ser­vice de la Nation marquent sans doute davan­tage la for­ma­tion qui y est dis­pen­sée depuis quatre cents ans sous le regard des diri­geants du pays. 

Un ouvrage por­tant le même titre que cet article a été édi­té par l’As­so­cia­tion des anciens du Pry­ta­née, 13, rue de Turin, 75008 Paris.

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