Serge Bizouerne, fondateur de Domplus, société spécialisée dans l'écoute et l'intermédiation sociale

DOMPLUS : L’écoute et l’intermédiation sociale, les raisons d’un succès

Dossier : ExpressionsMagazine N°760 Décembre 2020
Par Michel BERRY (63)
Par Alix VERDET

Fondé il y a plus de vingt ans par Serge Bizouerne, Dom­plus groupe, entre­prise privée dans l’intérêt général, agit au quo­ti­di­en pour per­me­t­tre à cha­cun d’être acteur de sa sit­u­a­tion. Olivi­er Voirin (69) l’accompagne depuis sa créa­tion. Alors que la crise sociale prend chaque jour de l’ampleur, Dom­plus groupe pro­pose son exper­tise : l’écoute et l’intermédiation sociale pour offrir à cha­cun une réponse adap­tée et glob­ale pour le compte de grands don­neurs d’ordre.

Qu’est-ce que Domplus ? 

Dom­plus est une entre­prise d’écoute et d’intermédiation sociale créée au Québec dans ses fonde­ments. Dom­plus agit au quo­ti­di­en pour 20 mil­lions de per­son­nes en France dans le but de per­me­t­tre aux gens d’être acteurs de la prise en charge de leurs sit­u­a­tions de vie (entrée dans l’emploi, parental­ité, démé­nage­ment, décès d’un proche, hos­pi­tal­i­sa­tion, acci­dent, etc.). Être acteur de sa sit­u­a­tion, c’est une prise de posi­tion très nord-améri­caine. C’est le par­ti pris de Dom­plus depuis vingt ans, per­me­t­tre un empow­er­ment social et économique.

L’universalité de la crise actuelle mon­tre, plus que jamais, que nous sommes tous vul­nérables, à un titre ou à un autre. Les dif­fi­cultés des gens « volent en escadrille », elles sont sys­témiques et, en général, les répons­es – admin­is­tra­tives, dans l’accès aux droits soci­aux et de san­té, etc. – sont en silo. Entre les prob­lèmes et les répons­es apportées, il faut un tra­duc­teur inter­prète : cet enjeu s’appelle l’intermédiation sociale. Dom­plus a conçu et dévelop­pé une méthode : l’écoute unique et l’intermédiation afin de don­ner la capac­ité à cha­cun d’être acteur de sa sit­u­a­tion. L’écoute unique est une méthode pro­pre à Dom­plus qui per­met à nos experts d’apporter un diag­nos­tic glob­al de la per­son­ne et de sa sit­u­a­tion, suite à l’analyse de ses besoins, exprimés ou non.

Qu’est-ce qui permet d’être accompagné par Domplus ? 

Dom­plus tra­vaille pour le compte d’organisations col­lec­tives comme des organ­ismes de pro­tec­tion sociale, des mutuelles, des assureurs, des entre­pris­es, des ser­vices publics. Que ce soit pour les salariés ou leurs béné­fi­ci­aires, nous dévelop­pons des répons­es adap­tées aux publics de chaque organisation.

Comment contacter Domplus ?

Le ser­vice est dédié à cha­cun des don­neurs d’ordre. L’accès au ser­vice il y a plus de vingt ans se fai­sait exclu­sive­ment par la voix au télé­phone. Depuis 2012, nous avons intro­duit des ser­vices numériques en pous­sant des con­tenus dans l’accompagnement (fich­es pra­tiques, quiz d’autoévaluation, etc.). Un débat entre humain et numérique s’est invité. Dès lors nous avons la con­vic­tion que lorsqu’on flu­id­i­fie la rela­tion par le numérique il faut d’autant plus dévelop­per la rela­tion humaine : le numérique est de l’humain.

Domplus avait remarqué l’importance de la voix pour accueillir la personne. Comment trouve-t-on ça dans le numérique ?

Nous avions cette sin­gu­lar­ité de l’expression de l’écoute. La voix est tou­jours très présente mais nous avons con­sid­éré qu’il y avait des moments off et des moments on. Les moments on – l’accompagnement rela­tion­nel cen­tré sur l’écoute – inter­vi­en­nent à des moments clés au sein d’un par­cours plus glob­al qui con­tient des moments off. Les moments off numériques sont très rela­tion­nels. Nous con­sta­tons que plus on va sim­pli­fi­er la rela­tion de ser­vice et la numéris­er, plus on aura une den­sité de la rela­tion humaine qui va s’imposer. Nous avons anticipé ce virage numérique au ser­vice du béné­fi­ci­aire, ce qui nous octroie la capac­ité de traiter 100 % de la pop­u­la­tion qui s’adresse à nous et d’identifier les plus fragiles.

Le contact est-il plus facile par téléphone que via le numérique ? 

Il y a plusieurs façons d’entrer en rela­tion avec le ser­vice. Par exem­ple, en parte­nar­i­at avec la Macif est pro­posé aux socié­taires « Macif sol­i­dar­ité coups durs » un ser­vice numérique et humain. Si je suis en détresse finan­cière, je ne vais pas facile­ment pass­er un coup de fil ni déclar­er mon vrai prob­lème. Alors que si j’ai accès à de l’information sur ma sit­u­a­tion, je vais avoir une inter­ac­tion sur ces con­tenus et l’on va me deman­der si je veux être appelé. Cette capac­ité d’écoute, nous l’avons traduite en con­nais­sances et en infor­ma­tions intel­li­gentes. On par­lerait d’IA et de data en lan­gage ingénieur. Nous avons dévelop­pé une expéri­ence util­isa­teurs qui nous per­met de mieux traiter les deman­des en antic­i­pant la com­préhen­sion des sit­u­a­tions et la détec­tion des fragilités.

Combien de personnes jouent ce rôle de conseillers à Domplus ?

Nous avons trois sites dédiés (Lyon, Greno­ble et Aix-en-Provence), ce qui représente plus d’une cen­taine de col­lab­o­ra­teurs à l’écoute au quo­ti­di­en. La capac­ité de traite­ment de nos sit­u­a­tions ne passe pas que par la voix. En moyenne 2 000 sit­u­a­tions sont traitées par jour. Notre méti­er, c’est d’être sys­té­ma­tique­ment en réponse aux per­son­nes pour le compte de nos don­neurs d’ordre et les 20 mil­lions de béné­fi­ci­aires qui ont accès aux services.

Quelles sont les aides que vous apportez ?

La pre­mière aide que nous appor­tons con­siste à pos­er un diag­nos­tic sur l’expression des dif­fi­cultés. En effet le vrai prob­lème n’est pas for­cé­ment celui par lequel les per­son­nes nous con­tactent. Der­rière une annonce de change­ment d’adresse, on va diag­nos­ti­quer une sit­u­a­tion de fragilité économique due par exem­ple à un divorce, qui entraîne une charge de respon­s­abil­ité finan­cière impor­tante. Mais le dépôt d’une demande d’aide sur la plate­forme numérique de la CAF engen­dre qua­tre mois de délai. S’ensuit une suc­ces­sion de prob­lèmes pour les per­son­nes. Le pre­mier volet de notre action con­siste notam­ment à apporter de l’information et d’accompagner l’accès aux droits et aux prestations.

Nous sommes dans un pays dont les répons­es sont nor­mées et en silo, une vision très finan­cière des aides où la per­son­ne est coupée en ron­delles : une logique de l’offre. L’enjeu réside dans le fait de retrou­ver ses droits. Dans 50 % des fragilités sociales, il s’agit d’un défaut d’accès aux droits. Dom­plus va redonner du sens en pri­or­isant la demande et en faisant val­oir auprès des organ­ismes con­cernés les aides sociales. Le deux­ième volet est celui de la détec­tion. Lorsque des per­son­nes con­nais­sent des dif­fi­cultés finan­cières, elles n’en par­lent pas for­cé­ment à leur famille, leurs col­lègues ou leurs amis. Plus c’est détec­té en amont, plus on peut prévenir les sit­u­a­tions inex­tri­ca­bles. Dom­plus est à l’intermédiation ce qu’est Google à la recherche d’informations. Nous sommes dans ce tra­vail d’orientation, d’accompagnement dans une approche holis­tique de la personne.

Qu’est-ce qui permet d’aider efficacement les personnes ?

La réponse dépend de la capac­ité de la per­son­ne à accepter sa sit­u­a­tion, de sa capac­ité à être accom­pa­g­née sans que ce soit de l’assistanat. Plus les gens sont frag­iles, plus leur besoin est d’être autonomes, pas d’être dépen­dants. Dans la société civile, nous sommes con­sid­érés comme des objets, on est dans une logique de l’offre. L’enjeu, c’est que les per­son­nes devi­en­nent sujets. Tout le monde essaye de réformer les répons­es alors que le sujet c’est la tra­duc­tion de la demande.

Quel rôle joue le « tableau de bord des galères et difficultés des Français » réalisé par Domplus ?

Le tableau de bord que nous pub­lions tous les mois est un lanceur d’alerte, il ne fait pas sim­ple­ment remon­ter les dif­fi­cultés des gens mais aus­si des émo­tions, des peurs. Nous avons accom­pa­g­né plus de 100 000 per­son­nes depuis le mois de mars. Si les émo­tions ne sont pas désamor­cées, elles engen­drent des prob­lèmes. Le mar­ket­ing de la peur effec­tué de façon stricte­ment san­i­taire dans la crise actuelle masque une réal­ité sur laque­lle les décideurs publics et privés devraient se pencher. Il me paraît urgent d’accompagner en par­ti­c­uli­er la prob­lé­ma­tique de l’emploi qui est une prob­lé­ma­tique à 360°, qui touche les familles et divers envi­ron­nements liés à la sit­u­a­tion sociale des bénéficiaires.

Le groupe Dom­plus a dévelop­pé un écosys­tème de ser­vices, un ser­vice pub­lic sur les ter­ri­toires à des­ti­na­tion des admin­istrés (com­munes, départe­ments, régions). Dom­plus est une entre­prise à mis­sion qui œuvre dans sa pra­tique au quo­ti­di­en depuis plus de vingt ans, dotée en par­ti­c­uli­er d’un comité d’éthique dans ses statuts. Notre rai­son d’être est de ren­dre autonome la per­son­ne et cela en étant acces­si­ble au plus grand nombre.

Le tableau de bord est-il alimenté par vos interventions ?

Oui, c’est l’expression spon­tanée des per­son­nes écoutées, diag­nos­tiquées, et accom­pa­g­nées par nos con­seillers. Dès la deux­ième quin­zaine de mars et la pre­mière quin­zaine d’avril, nous fai­sions remon­ter des sit­u­a­tions qui sont apparues lors du décon­fine­ment au mois de juin. Les sondages par­laient de crise san­i­taire, alors que, nous, nous fai­sions remon­ter des ques­tions comme : « Qu’est-ce que je vais devenir ? » Les sondages par­laient de télé­tra­vail, Dom­plus posait la ques­tion : « Com­ment peut-on télé­tra­vailler dans 40 m2, avec des enfants ? » On est allé chercher la don­née brute de ce que vit Dom­plus dans la prise en charge des per­son­nes, jusqu’aux émotions.

Quelle population est concernée ?

Si on regarde les échelles de cibles de pop­u­la­tion, en moyenne sur l’ensemble des tableaux de bord, on a un tiers d’actifs dans le secteur privé, un tiers dans le secteur pub­lic et un tiers de retraités. Les ver­ba­tims, dont nous faisons l’analyse séman­tique, font remon­ter des sit­u­a­tions de vie.

Le pouvoir actuel semble avoir deux peurs : ne pas en faire assez sur le sanitaire et l’économie. Domplus fait autre chose. Trouvez-vous de l’écoute auprès des dirigeants et décideurs publics ?

Le tableau de bord a eu un écho très fort auprès des élus locaux. Les ter­ri­toires pren­nent de plein fou­et le ressac des dif­fi­cultés des gens. Les ser­vices soci­aux sont débor­dés. Les corps inter­mé­di­aires ont des rôles impor­tants. Nous avons aus­si pris le par­ti d’informer le gou­verne­ment de ces remon­tées car il est impor­tant pour nous de porter cet obser­va­toire de la vie quo­ti­di­enne à la con­nais­sance de toutes celles et tous ceux qui ont besoin de com­pren­dre ce qui se passe, sur le ter­rain, pour nos conci­toyens, et dis­pos­er ain­si de clés pour répon­dre à leurs besoins.

En quelques mois, on est passé d’une société des risques, face aux­quels on est sujet et on peut se cou­vrir par la préven­tion, à un monde des men­aces sous lesquelles on vit et dont on peut anticiper par la pré­cau­tion les vul­néra­bil­ités qu’elles provo­quent de façon iné­gal­i­taire. La dis­cus­sion est polar­isée sur les prob­lèmes de soins et non sur les per­son­nes. Pourquoi n’intègre-t-on pas l’aspect social ? Deux­ième point, la com­mu­ni­ca­tion erra­tique sur le port du masque par exem­ple a pré­cip­ité de la défi­ance vis-à-vis de la postvérité. Troisième point, le plus impor­tant pour moi : il n’y aura pas d’économie réelle sans rela­tion­nel et sans sub­strat relationnel.

“Pas de développement durable de la société et de l’économie sans substrat relationnel.”

On le voit tous les jours : pas de développe­ment durable de la société et de l’économie sans sub­strat rela­tion­nel, par essence non marchan­disé. Il faudrait éval­uer le syn­drome post­con­fine­ment, les rav­ages dans les entre­pris­es (les grandes com­pag­nies n’ont pas ou peu fait revenir leurs salariés), les col­lec­tifs ont implosé. Il n’y aura pas de véri­ta­ble économie sans inter­ac­tions dans la société, sans sub­strat rela­tion­nel devenu un bien com­mun et une con­di­tion préal­able. Les pou­voirs publics sont dès lors forte­ment atten­dus dans la réponse mais nous avons la con­vic­tion que le levi­er vien­dra dans sa dimen­sion ter­ri­to­ri­ale, voire ultra-locale, seul niveau où on est cer­tain de pou­voir agir effi­cace­ment en prox­im­ité. Il est, de fait, fon­da­men­tal d’associer les corps inter­mé­di­aires et les col­lec­tiv­ités locales.

Quel est l’événement fondateur personnel de votre engagement dans Domplus ?

Nous sommes sur la réforme hos­pi­tal­ière de 1996 (ordon­nances Jup­pé), j’avais pour mis­sion de tra­vailler sur la prise en charge des réseaux de soins et de men­er des réflex­ions out­re-Atlan­tique (Cana­da), le lég­is­la­teur s’étant forte­ment inspiré de la réforme de san­té au Québec. Une réponse de poli­tique publique mais aus­si opéra­tionnelle qui m’amène à pro­pos­er une solu­tion : l’intermédiation sociale en prenant en compte la demande et pas unique­ment l’offre. À l’époque s’agissant de la créa­tion de Dom­plus, il me parais­sait naturel de pro­pos­er un ser­vice pub­lic et on m’a dit : « Tu con­fonds ser­vice pub­lic et objet socié­tal. » Nous avons débuté par l’action sociale des régimes de retraite com­plé­men­taire et la prise en charge du vieil­lisse­ment. Vingt ans après Dom­plus est un acteur privé d’utilité publique et d’intérêt général pour le plus grand nombre.

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