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Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°637 Septembre 2008Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Dans tous les domaines de la vie, il y a une dif­fé­rence majeure entre la pre­mière fois et les autres : la pre­mière fois que vous allez à Venise, que vous goû­tez un gua­na­ba­na, que vous voyez Le Champ de blé aux cor­beaux, que vous enten­dez le Qua­tuor des dis­so­nances, sans par­ler des pre­mières fois qui vous sont plus per­son­nelles. Bien sûr, il y a un grand plai­sir à retrou­ver, à redé­cou­vrir, à appro­fon­dir. Mais rien ne rem­pla­ce­ra jamais l’émerveillement de la pre­mière fois. Aus­si, quelque riche que soit votre expé­rience, gar­dez-vous en réserve quelques futures « pre­mières fois » : leur seule pers­pec­tive ajou­te­ra du sel à votre vie.

Mozart – Bach – Schubert

Le Quin­tette à cordes en ut majeur de Schu­bert est pour beau­coup de mélo­manes le som­met abso­lu de la musique de chambre. Œuvre magique, enivrante, qui défie les super­la­tifs et que vous regret­te­rez tou­jours, à juste titre, de ne plus pou­voir entendre pour la pre­mière fois. Le Qua­tuor Arte­mis le joue avec Truls Mörk au second vio­lon­celle1 : inter­pré­ta­tion exem­plaire, aérienne, sans pathos, et qui jus­ti­fie qu’on le pré­sente comme l’héritier spi­ri­tuel des Alban Berg.

Saviez-vous que Mozart avait trans­po­sé pour qua­tuor des fugues du Cla­vier bien tem­pé­ré, sui­vi par Förs­ter ? Ce sera une joie très par­ti­cu­lière que de les décou­vrir enre­gis­trées par le Qua­tuor Emer­son2, 19 fugues à quatre voix, plus 2 fugues à cinq voix avec un deuxième alto. L’interprétation toute de clar­té et de séré­ni­té des Emer­son vous per­met de suivre chaque voix mieux que dans la ver­sion au cla­vier, et confirme que la musique de Bach, indé­pen­dante des ins­tru­ments, est non pas abs­traite mais universelle.

Les Sym­pho­nies de Mozart ne sont pas émou­vantes au point que vous gar­diez en mémoire les cir­cons­tances qui vous ont fait décou­vrir telle ou telle d’entre elles. Mais Clau­dio Abba­do est un chef d’exception, un thau­ma­turge qui trans­porte cha­cun, musi­ciens de l’orchestre comme audi­teurs, hors de son enve­loppe char­nelle. Aus­si, l’édition de cinq des sym­pho­nies, de la 29, œuvre de jeu­nesse, à la 41e (Jupi­ter), en pas­sant par les 33, 35 (Haff­ner), et 38 (Prague), par Abba­do et son Orchestre Mozart3, est-elle un évè­ne­ment. Abba­do asso­cie de manière ines­pé­rée per­fec­tion for­melle, pro­fon­deur du son, géné­ro­si­té latine : un bonheur.

Solistes

Non pas pre­mière mais der­nière fois : Horo­witz a don­né son der­nier concert à Ham­bourg en juin 1987, un réci­tal avec des pièces de Liszt, Schu­bert, Mosz­kows­ki, Cho­pin, et, plus rare, les Scènes d’enfants de Schu­mann et, de Mozart, la Sonate en si bémol et le Ron­do en ré majeur4. Concert qu’une écoute à l’aveugle pour­rait faire prendre pour celui d’un jeune inter­prète : temps pres­sés, nova­tions inat­ten­dues, mais où l’on retrouve la patte d’Horowitz : au total, un adieu émouvant.

Notre cama­rade Jean-Pierre Ferey pour­suit son édi­tion de musiques de plai­sir pur avec trois cahiers de Pièces lyriques de Grieg par Daniel Prop­per, pia­no5. Petites pièces de « lumière du Nord » proches, dans l’esprit, de Déodat de Séve­rac, et qui sont à la musique ce que sont à la pein­ture les toiles pro­fon­dé­ment mélan­co­liques non de Munch mais du Danois Hammarskjöld.

Marie Can­ta­grill, jeune vio­lo­niste fran­çaise, joue avec le Buda­pest Concert Orches­tra diri­gé par Tamas Gal le Concer­to de Tchaï­kovs­ki et la Fan­tai­sie sur des thèmes russes de Rim­ski-Kor­sa­kov6. S’attaquer à une œuvre du réper­toire comme le Concer­to de Tchaï­kovs­ki, qu’ont enre­gis­tré tous les grands du vio­lon depuis cin­quante ans, demande un grand cou­rage. Eh bien, divine sur­prise : Marie Can­ta­grill y fait preuve non seule­ment d’une sono­ri­té chaude et lumi­neuse à la Perl­man, mais d’une ori­gi­na­li­té d’interprétation qui ne le cède en rien à celle de Ven­ge­rov, par exemple, si bien qu’elle semble issue de l’école russe plu­tôt que française.

Jazz X

Fré­dé­ric Mor­lot (X 2001) est bien connu des afi­cio­na­dos du jazz et ce vio­lo­niste de niveau pro­fes­sion­nel est aus­si à l’aise dans le jazz manouche que dans le jazz contem­po­rain. Il vient d’enregistrer avec le bas­siste Jean-Marc Phe­lip­peau (X 89), autre faux ama­teur et vrai pro, le pia­niste Marc Gram­fort et le bat­teur Pas­cal Cice­ro, un ensemble de pièces de Gram­fort sous le titre Hybris7. Une musique tota­le­ment ori­gi­nale et qui n’imite per­sonne, pas même Monk, bien construite, com­plexe, agréable à l’écoute, et qui s’éloigne avec bon­heur de ces impro­vi­sa­tions sur des har­mo­nies modales, ennuyeuses à mou­rir, qui sont le quo­ti­dien de nombre de jazz­men contem­po­rains. Une « pre­mière fois » dont vous vous souviendrez.

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1. 1 CD Virgin.
2. 1 CD DGG.
3. 1 CD Archiv.
4. 1 CD DGG.
5. 1 CD Skarbo.
6. 1 CD ABP.
7. 1 CD Don’t Explain.

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