Deux témoignages sur La main à la pâte

Dossier : De l'écoleMagazine N°613 Mars 2006
Par Alexandre MOATTI (78)

Nous avons choisi d’il­lus­tr­er con­crète­ment, sur la base des rap­ports de stage très détail­lés de deux X 2004, la coopéra­tion exis­tant depuis 2000 entre l’É­cole poly­tech­nique et La main à la pâte. Cinq élèves français et qua­tre élèves étrangers de la pro­mo­tion 2004 ont effec­tué le stage de six mois de La main à la pâte, dans le cadre des activ­ités civiles ayant rem­placé le ser­vice nation­al ; par­mi les neuf élèves, Clé­men­tine Broutin a fait son stage à Berg­er­ac (Dor­dogne) et Vin­cent Le Biez à Pamiers (Ariège).


Clé­men­tine Broutin (X 2004) avec une jeune élève de Bergerac.

Les jeunes X par­ticipent à l’ac­com­pa­g­ne­ment sci­en­tifique de class­es du pri­maire, c’est-à-dire qu’ils assis­tent l’in­sti­tu­teur dans la réal­i­sa­tion d’un mod­ule de La main à la pâte ; ils par­ticipent aus­si, avec les ani­ma­teurs locaux, à la créa­tion de nou­veaux modules.

Grâce à ce stage, après deux années de classe pré­para­toire pen­dant lesquelles la pri­or­ité était don­née à la quan­tité de savoir plutôt qu’à la démarche, j’ai redé­cou­vert le sens réel du mot sci­en­tifique. J’ai aus­si ouvert les yeux sur de nom­breuses appli­ca­tions qui jus­ti­fient la théorie étudiée pen­dant ces deux ans. Enfin, je me suis remise à la biolo­gie !” (Clé­men­tine Broutin).

La démarche priv­ilégie l’ex­péri­ence à la con­nais­sance a pri­ori ; les élèves par­tent d’une expéri­ence dont ils doivent com­pren­dre le fonc­tion­nement en faisant vari­er cer­tains paramètres. Il faut enlever de la tête des élèves qu’en sci­ences il y a ceux qui savent (sci­en­tifiques, dic­tio­n­naires, livres…) et eux qui ne savent pas : la sci­ence est présen­tée comme une démarche d’in­ves­ti­ga­tion plutôt que comme une accu­mu­la­tion de connaissances.

Tous les élèves sont émer­veil­lés quand quelque chose d’in­hab­ituel se pro­duit, et ces expéri­ences don­nent sou­vent lieu à une bat­terie de ques­tions de leur part.” (Vin­cent Le Biez).

Les sché­mas jouent un rôle impor­tant dans la démarche : les élèves sont incités à faire des sché­mas rapi­des, même grossiers, pour pos­er l’ex­péri­ence ou résumer ses résul­tats. À l’in­verse, l’outil infor­ma­tique ne doit être là qu’en sup­port, par exem­ple pour des tableaux de résul­tats : l’ex­péri­ence n’est pas celle qu’on réalise sur un logi­ciel, même en faisant vari­er ses paramètres. L’om­niprésence du virtuel rend la con­fronta­tion avec le réel nécessaire.

Le déroule­ment des ate­liers réserve des sur­pris­es à tous : des élèves réputés “mau­vais” s’é­panouis­sent dans les ate­liers. Sans vouloir idéalis­er les choses, la dis­tinc­tion entre bons et mau­vais élèves perd une part de sa sig­ni­fi­ca­tion lors des séances d’ex­péri­men­ta­tion, où le bon sens et la logique pri­ment sur les connaissances.

La for­ma­tion ini­tiale des insti­tu­teurs pen­dant leurs études sec­ondaires, selon qu’ils étaient plutôt lit­téraires ou plutôt sci­en­tifiques, est un critère impor­tant de leur approche : ceux qui ont eu la fibre sci­en­tifique sont ceux qui abor­dent le plus les sci­ences dans leur classe, et qui deman­dent des for­ma­tions en science.

La physique, notam­ment, est sou­vent réduite à la por­tion con­grue, même chez ces enseignants, au prof­it de la biolo­gie qui prend alors une place très importante.

“Ce n’est pas tant une mécon­nais­sance des thèmes abor­dés qu’une absence de “cer­ti­tude”, de vérités sur lesquelles ils peu­vent s’ap­puy­er. Leur manque de con­fi­ance en leurs con­nais­sances fait naître en eux un doute tenace dès qu’une ques­tion d’élève est plus pré­cise ou qu’une expéri­ence ne marche pas totale­ment comme prévu.” (Vin­cent Le Biez).

V. Le Biez sug­gère qu’un enseigne­ment de cul­ture sci­en­tifique soit dis­pen­sé y com­pris après la sec­onde générale, de la même manière qu’un enseigne­ment lit­téraire est dis­pen­sé en fil­ière scientifique.

“Cet enseigne­ment serait non quan­ti­tatif et ori­en­té vers la com­préhen­sion générale du monde afin de fournir aux élèves des élé­ments objec­tifs qui leur per­me­t­tront d’af­fron­ter les débats de société autour de sujets sci­en­tifiques (bioéthique, OGM, énergie nucléaire…). Il per­me­t­trait égale­ment à ceux qui se des­ti­nent à devenir pro­fesseur de ne pas arrêter l’ap­pren­tis­sage des sci­ences en sec­onde, sans con­naître les fonde­ments de la géné­tique, de l’im­munolo­gie, des forces et de la dynamique en physique, de la for­ma­tion des océans en géologie…”

Les débats sur les sci­ences sont tenus par les jeunes X avec les enseignants dans des stages de for­ma­tion, et ils notent l’im­age dégradée de la sci­ence, à tra­vers deux per­cep­tions — d’ailleurs assez liées — qu’ont ces enseignants

• La sci­ence qui “fait peur” (OGM, nucléaire, télé­phone portable…) ; l’idée que l’in­ter­ven­tion de l’homme dans la nature est dan­gereuse est large­ment répan­due. “Beau­coup ont une vision “religieuse” de la nature qui, par essence, ferait bien les choses tan­dis que l’homme ne pour­rait que déré­gler cette mer­veilleuse horlogerie.”

• Le rel­a­tivisme total, où cha­cun vient avec ses opin­ions, dis­cute puis repart avec : en sci­ences, toutes les opin­ions ne se valent pas du moment qu’elles sont un tant soit peu argu­men­tées, les opin­ions de cha­cun sont con­fron­tées aux faits, et ceux-ci sont têtus. “Au cours d’une de ces dis­cus­sions, une enseignante a reproché aux sci­en­tifiques présents d’être étroits d’e­sprit et intolérants au motif qu’ils réfu­taient de manière un peu trop insis­tante à son goût des idées avec lesquelles ils étaient en désaccord.”

Béné­fique pour les X con­cernés, créant un pont entre l’É­cole poly­tech­nique et l’É­d­u­ca­tion nationale, cette coopéra­tion avec La main à la pâte par­ticipe au ray­on­nement de l’X, et à une évo­lu­tion pro­gres­sive des méth­odes d’en­seigne­ment des sci­ences à l’école.

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