Des villes yin et yang

Dossier : La ChineMagazine N°684 Avril 2013
Par Clément-Noël DOUADY

« Une ville chi­noise, c’est car­ré. » Cette asser­tion fait référence à un texte datant de plusieurs siè­cles avant notre ère et trai­tant plus pré­cisé­ment de la créa­tion d’une capitale.

Ce texte pré­conise d’édifier en pre­mier lieu, sur un ter­rain plat, une enceinte car­rée ori­en­tée nord-sud et est-ouest, munie de trois portes sur chaque côté et de neuf larges voies intérieures dans cha­cune des deux direc­tions. Puis d’y implanter le palais du sou­verain, avec le marché à proximité.

REPÈRES
La forme régulière dom­i­nante dans les cap­i­tales du Nord, Pékin ou Xi’an, se rat­tache à l’organisation sociale hiérar­chique prônée par Confucius.
On lui a opposé la forme plus sou­ple des villes d’eau du Sud, forme qu’on peut retrou­ver par exem­ple dans l’ancien Shang­hai ou les trois bourgs con­sti­tu­ant Wuhan, et où la con­for­ma­tion aux don­nées naturelles évoque l’harmonie entre l’homme et la nature, recher­chée dans le taoïsme par Laozi et Zhuangzi.

Capitales du Nord, villes d’eau du Sud

Les choses ne sont pas si sim­ples. Même si, dans les cap­i­tales du Nord, les exten­sions proches s’efforcent de repro­duire hors les murs le même type de quadrillage réguli­er, les élé­ments naturels et les néces­sités pra­tiques con­duisent à intro­duire d’autres formes comme les tracés sou­ples des plans d’eau, les tracés spon­tanés ou l’arrondi des périphériques à Pékin, ou encore le change­ment d’orientation à la ren­con­tre des reliefs à Xi’an.

Les tours expri­ment un désir de puissance

Inverse­ment, les villes d’eau du Sud ont pu voir leur sou­p­lesse ini­tiale rai­die, au moins locale­ment, par une organ­i­sa­tion orthog­o­nale. À Wuhan, autour de la rési­dence prin­cière d’un par­ent de l’empereur devenu « roi du pays de Chu », ou à Shang­hai, au nord de la ville chi­noise, lors de l’installation des étrangers puis lorsqu’un nou­veau cen­tre y a été conçu par les Chi­nois eux-mêmes.

Si l’on rap­proche la ville régulière du yang (ver­sant ensoleil­lé, ou relief érigé, principe mas­culin) et la ville organique du yin (ver­sant ombreux, ou zone humide, principe féminin), il est ten­tant tout d’abord de suiv­re le classe­ment selon ces deux caté­gories. L’examen plus détail­lé mon­tre que, selon la for­mule chi­noise, « il y a du yin dans le yang » (et récipro­que­ment), comme le mon­trent les tra­di­tions con­fucéenne et taoïste qui ont su cohab­iter dans le passé, même si aujourd’hui c’est d’abord le con­fu­cian­isme qui revient en force.

Le triomphe du yang

Dans un passé récent, c’est la con­cep­tion géométrique « régulière », appliquée sans nuance, qui a pré­valu dans le développe­ment urbain chi­nois. Les tours qui s’érigent comme dans un con­cours de hau­teur dans le quarti­er Pudong, à Shang­hai, expri­ment plus un désir de puis­sance qu’une sen­si­bil­ité à l’environnement.

Un pat­ri­moine à protéger
La notion de pat­ri­moine matériel a longtemps été ignorée, au béné­fice d’un pat­ri­moine cul­turel immatériel (l’écrit, le savoir-faire). Évo­quée d’abord dans les écoles d’architecture, puis dans les ser­vices d’urbanisme, la pro­tec­tion du pat­ri­moine archi­tec­tur­al et urbain est aujourd’hui large­ment admise en Chine, même si elle reste sou­vent sur le ter­rain en con­flit avec les tracés de voirie nou­velle ou les pro­jets immobiliers.

De même, la voirie nou­velle qui découpe la périphérie de la plu­part des grandes villes adopte la forme d’un vaste quadrillage, délim­i­tant des îlots rec­tan­gu­laires d’une ving­taine d’hectares con­cédés à un pro­mo­teur unique, pour des pro­grammes de loge­ment suiv­ant quelques types répéti­tifs, et pou­vant accueil­lir plusieurs mil­liers d’habitants sans autres équipements que ceux directe­ment néces­saires à l’habitat.

Les emplois n’y ont pas leur place, et les act­ifs doivent se ren­dre aux cen­tral busi­ness dis­tricts par de longs et pénibles par­cours, sou­vent en voiture au milieu des embouteillages.

Même dans les petites villes ou les quartiers de grandes villes que l’histoire avait dotés d’une struc­ture organique (comme Qingyang dans le Gan­su, Hanyang à Wuhan, etc.), les tis­sus anciens ont été éven­trés par de larges voies nou­velles selon un sché­ma orthog­o­nal, sous cou­vert de modernité.

Mais la Chine con­naît des proces­sus d’évolution plus rapi­des que nous ne l’imaginons. Les notions d’environnement et de développe­ment urbain durable sont désor­mais inté­grées par les uni­ver­sités, ou par les agences d’architecture qui se pré­par­ent à ce futur marché.

Le retour du yin

Une nou­velle approche de l’armature urbaine se met en place. Les grandes villes d’un même secteur géo­graphique, par exem­ple Pékin et Tian­jin, se con­sid­éraient comme con­cur­rentes. Le nou­veau con­cept de « grande région urbaine », ou plus sim­ple­ment de « groupe de villes », apparu en 2008, regroupe dans une stratégie com­mune ces grandes villes, avec sou­vent une voca­tion col­lec­tive par­ti­c­ulière à l’échelle nationale.

Plan de la ville de Xi'an
À gauche, Wuhan (ici, l’ancien bourg de Han­k­ou) : la struc­ture urbaine s’organise en fonc­tion de l’eau (fleuve Yangzi, riv­ière Han, lacs).
À droite, Xi’an, type des cap­i­tales du Nord : mail­lage rigoureux dans la ville et à ses abor­ds, infléchi au sud à la ren­con­tre des collines.

SOURCE : OPEN STREET MAP

Circulation douce et axe commercial

Les fortes den­sités sont aujourd’hui con­sid­érées comme plus favor­ables à la ville durable que l’étalement urbain, en rai­son de leur cohérence avec les trans­ports en commun.

Les grandes régions urbaines
Pékin et Tian­jin, mais aus­si d’autres villes du Hebei, ont désor­mais une organ­i­sa­tion com­mune. Il en est de même pour Nankin, Shang­hai, Hangzhou et Ningbo.
Dans ce cadre, la nou­velle « grande région urbaine » rassem­blant Wuhan et huit autres villes du Hubei a reçu le label « Développe­ment urbain durable », avec voca­tion à dévelop­per des ini­tia­tives exemplaires.

Pékin, Shang­hai, mais aus­si bien d’autres villes, comme Wuhan, dévelop­pent un réseau de métro au rythme approx­i­matif d’une nou­velle ligne chaque année. En ce qui con­cerne les « cir­cu­la­tions douces », la tra­di­tion cycliste chi­noise a été un temps con­trar­iée au béné­fice de la cir­cu­la­tion automobile.

Quelques signes mon­trent une inver­sion de ce mou­ve­ment, comme le développe­ment dans plusieurs villes d’un Vélib ana­logue à celui de Paris. Notons aus­si les grands axes com­mer­ci­aux réservés aux pié­tons, dans les grandes villes, comme la rue Wang­fu­jing à Pékin, la rue de Nankin à Shang­hai ou la rue Jiang­han à Wuhan.

Un retour à l’équilibre

Dans le domaine de l’environnement aus­si, si l’on recon­naît une bru­tal­ité yang dans le développe­ment effréné de l’urbanisation chi­noise récente, on sent percer une cer­taine ten­dresse yin dans l’esquisse d’un développe­ment urbain plus durable. Il y a désor­mais un peu de yin dans le yang, amorce d’un retour à l’équilibre.

Chaque Améri­cain pol­lue autant que cinq Chinois

Glob­ale­ment, l’empreinte écologique de la Chine égale désor­mais celle des États-Unis, mais avec une pop­u­la­tion cinq fois supérieure en nom­bre : chaque Améri­cain pol­lue donc autant que cinq Chi­nois. Si chaque Chi­nois souhaite accéder à un niveau de vie équiv­a­lent à celui de l’Américain d’aujourd’hui, mais sous une forme sup­port­able par la planète, ce pro­grès doit s’accompagner d’une réduc­tion par­al­lèle de l’empreinte écologique.

Dans cette per­spec­tive le yin aura un bel avenir devant lui, et un retour de la cul­ture taoïste pour­rait con­stituer une ressource appré­cia­ble à cet effet.

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