Les trois clés du modèle chinois

Dossier : La ChineMagazine N°684 Avril 2013
Par Charles-Edouard BOUÉE

On peut dis­tinguer trois phas­es dans le développe­ment du mod­èle chi­nois depuis les années 1980.

La pre­mière est celle de l’influ­ence améri­caine. Beau­coup de jeunes Chi­nois sont allés étudi­er dans les busi­ness schools améri­caines. Deng Xiaop­ing avait fait du prof­it un objec­tif noble. Le plus court chemin pour y par­venir était alors d’imiter le cap­i­tal­isme américain.

Le tournant de 2008

Puis­er dans l’histoire, la philoso­phie et les valeurs chinoises

La deux­ième phase du développe­ment de la Chine inter­vient à par­tir de 2008. La crise finan­cière qui débute aux États-Unis provoque un choc en Chine. On se met à douter de l’excellence du mod­èle améri­cain. Les résul­tats des entre­pris­es chi­nois­es, mais aus­si la crois­sance de l’économie poussent les dirigeants poli­tiques et les chefs d’entreprise à faire preuve de davan­tage d’assurance dans le mod­èle chinois.

Les Jeux olympiques de Pékin sont une expres­sion spec­tac­u­laire du fait que la Chine a atteint une sorte de matu­rité et de con­fi­ance en elle-même qui lui per­met de se dis­soci­er pro­gres­sive­ment de tout mod­èle étranger.

Enfin, la troisième phase est en train de se met­tre en place. C’est celle de la mon­tée en puis­sance d’un mod­èle authen­tique­ment chi­nois de développe­ment et de man­age­ment, qui puise à la fois dans les leçons appris­es à Har­vard ou à Prince­ton, mais aus­si dans l’histoire, la philoso­phie, les valeurs spé­ci­fique­ment chinoises.

REPÈRES
Le point de départ du mir­a­cle économique chi­nois se situe à la fin des années 1970, lorsque Deng Xiaop­ing, après la mort de Mao, choisit une méth­ode assez risquée. Puisqu’il ne peut pas chang­er d’un coup la Chine entière, il choisit d’expérimenter, dans des zones spé­ci­fiques, les fameuses « zones économiques spé­ciales » (ZES), dont les règles de fonc­tion­nement dérogeront aux principes du Par­ti et lais­seront libre cours à l’entreprise et à l’enrichissement. À par­tir de 1978, les ZES fleuris­sent dans toute la Chine, les résul­tats sont spec­tac­u­laires. La trans­for­ma­tion du pays reprend de plus belle après 1989.

Une combinaison d’éléments

Il existe des élé­ments fon­da­men­taux dont la nature per­met de saisir l’essence d’un pays. Ces trois élé­ments s’appellent l’esprit, la nation, l’énergie. La Chine en présente une com­bi­nai­son unique qui façonne aujourd’hui sa puis­sance économique et politique.

L’esprit

Le zèle et l’honnêteté
Le con­fu­cian­isme val­orise les admin­is­tra­teurs, ceux dont le zèle et l’honnêteté assurent le bon fonc­tion­nement de l’État, portés aux nues par Gao Zu, le pre­mier empereur de la dynas­tie Han (206 avant J.-C.–220 après J.-C.). Le fait que le nou­veau maître de la Chine, Xi Jin­ping, fasse de la lutte con­tre la cor­rup­tion l’un de ses objec­tifs pri­or­i­taires est le signe que l’idéal con­fucéen est totale­ment d’actualité dans la Chine d’aujourd’hui. Beau­coup d’entrepreneurs chi­nois par­lent ouverte­ment et fréquem­ment de spir­i­tu­al­ité, de philoso­phie, de morale et de la façon dont leurs valeurs et leur style de ges­tion reflè­tent la cul­ture et les tra­di­tions chinoises.

En dépit des années dif­fi­ciles de la Révo­lu­tion cul­turelle et de l’explosion de l’économie social­iste de marché, le fond de la pen­sée chi­noise s’articule tou­jours autour des notions dévelop­pées par Con­fu­cius et ses dis­ci­ples. Le con­fu­cian­isme repose sur des idées et des principes clés (le rit­uel, le com­porte­ment éthique, la hiérar­chie, etc.) qui sont néces­saires à la bonne organ­i­sa­tion de la société, elle-même essen­tielle au main­tien de la stabilité.

Les domes­tiques doivent obéir à leurs maîtres, les sujets doivent obéir à leur sou­verain, les enfants à leurs par­ents. De cette struc­ture hiérar­chique vient l’idée du ren (la bien­veil­lance), du yi (la pro­priété), du xiao (la piété fil­iale) et du zhong (la loy­auté). La famille joue un rôle cen­tral dans la pen­sée con­fucéenne, depuis la notion de base des par­ents et des enfants, jusqu’à une accep­tion plus com­plète, comme l’État et le peu­ple et, par analo­gie, le chef d’entreprise et ses employés.

La nation

La prise de décision
En Chine, la prise de déci­sion poli­tique est un proces­sus long et minu­tieux. Les propo­si­tions font sys­té­ma­tique­ment l’objet de « fuites » dans les médias d’État afin qu’elles don­nent lieu à des débats avant de devenir des déci­sions poli­tiques. Il n’y a pas de change­ment rad­i­cal ou soudain de direc­tion. Il s’agit davan­tage d’encourager des ten­dances, de chang­er d’intensité ou de pri­or­ité. Ce sens de la nation fait aus­si que les entre­pre­neurs chi­nois pren­nent leur rôle très au sérieux. Leurs suc­cès, en Chine ou à l’étranger, sont aus­si des suc­cès de la Chine.

Les dirigeants chi­nois sem­blent aujourd’hui davan­tage con­scients de leurs respon­s­abil­ités his­toriques envers le peu­ple, sous le man­dat du Ciel. Ils utilisent tou­jours le pou­voir de con­vic­tion et de con­trôle avec beau­coup d’efficacité, mais sem­blent con­scients aus­si de leurs lim­ites et du dan­ger de pouss­er l’énorme masse de la pop­u­la­tion trop fort ou trop vite dans quelque direc­tion que ce soit.

L’énergie

L’énergie de com­mercer et d’entreprendre est aux orig­ines de la Chine. Les Chi­nois ont com­mencé à faire com­merce du sel il y a plus de 4 000 ans. Ne revenons pas sur l’extraordinaire expan­sion économique de la Chine au Moyen Âge puis, plus tard, entre les XVe et XIXe siècles.

1895 (lorsque Zhan Jian créa Dasheng Cot­ton Mill) et 1915, 549 entre­pris­es ont vu le jour, un quart d’entre elles étant dirigées par des entre­pre­neurs privés. Out­re Zhang, les héros chi­nois des affaires comp­taient dans leurs rangs les frères Rong (soie, farine, tis­sage de coton), Mu Ouchou (coton), Zhou Xuexi (mines, ciment), Fan Xudong (chimie), Lu Zuo­fu (trans­ports mar­itimes), Liu Hong­shen (ciments, allumettes), Yu Qiaqing (trans­ports), et Chen Guang­fu (1880–1976), con­nu aus­si sous le patronyme de K. P. Chen, act­if dans la banque, le tourisme, l’assurance.

Au service de la nation

L’importance don­née à la per­son­ne par rap­port au savoir

La com­bi­nai­son de l’esprit, de la nation, de l’énergie explique pour une part les suc­cès des entre­pre­neurs chi­nois qui savent puis­er dans la cul­ture mil­lé­naire de l’empire du Milieu, qui s’estiment au ser­vice de la nation chi­noise et de l’État, et qui sont des tra­vailleurs et des entre­pre­neurs infatigables.

Ils appor­tent dans la ges­tion des entre­pris­es des ingré­di­ents intéres­sants à étudi­er pour les dirigeants occi­den­taux, comme l’élément spir­ituel, l’observation très atten­tive de l’environnement qui leur donne réac­tiv­ité et sou­p­lesse, l’importance don­née à la per­son­ne par rap­port au savoir, la capac­ité de chang­er très rapi­de­ment de stratégie pour s’adapter à un envi­ron­nement en muta­tion très rapi­de, un mode de com­man­de­ment cen­tral­isé et une grande exi­gence à l’égard de leurs collaborateurs.

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