Performance économique des territoires français

Des territoires métropolitains bien desservis pour soutenir la croissance

Dossier : Les travaux publicsMagazine N°614 Avril 2006
Par Jean POULIT (57)

Le ter­ri­toire m’ha­bite de longue date : pre­mier plan de cir­cu­la­tion à Rouen avec réser­va­tion aux pié­tons du cœur his­to­rique de la ville, exten­sion de cette pra­tique à une cen­taine d’ag­glo­mé­ra­tions fran­çaises, étude appro­fon­die des rela­tions entre urba­nisme et trans­port, lan­ce­ment de l’o­pé­ra­tion » bison futé » puis de la » chasse au gas­pi » au moment du deuxième choc pétro­lier, amé­na­ge­ment de la ville nou­velle de Marne- la-Val­lée et notam­ment de son qua­trième sec­teur Val d’Eu­rope, refonte du sché­ma direc­teur de la région capi­tale, direc­tion géné­rale de l’Ins­ti­tut géo­gra­phique national.

Jus­qu’en 1975, j’ob­serve l’en­thou­siasme des Fran­çais, qui vivent dans l’es­prit des trente glo­rieuses. L’am­bi­tion est par­tout pré­sente. Il s’a­git de rebâ­tir le pays, de relan­cer l’é­co­no­mie. Le pays déve­loppe des infra­struc­tures modernes. L’ef­fer­ves­cence créa­trice est à l’œuvre. Puis le cli­mat change. Les grands inves­tis­se­ments se tarissent. Les débats met­tant l’ac­cent sur les dan­gers d’un déve­lop­pe­ment éco­no­mique exa­cer­bé s’é­pa­nouissent. Le doute s’ins­talle. La crois­sance éco­no­mique s’é­tiole et le chô­mage s’ins­talle, créant un pro­fond trau­ma­tisme dans le corps social, notam­ment chez les jeunes. Depuis plus de vingt ans, le pays vit dans la morosité.

Pour­tant, les fac­teurs per­met­tant à notre pays de sou­te­nir un rythme de déve­lop­pe­ment rai­son­nable et de retrou­ver un faible niveau de chô­mage existent. La vita­li­té éco­no­mique d’un pays repose sur » des cer­veaux nom­breux, bien for­més, qui tra­vaillent, ensemble « . Des ter­ri­toires bien des­ser­vis, per­met­tant aux hommes d’é­chan­ger leur savoir-faire et d’am­pli­fier ain­si l’ef­fi­ca­ci­té de leur action indi­vi­duelle consti­tuent la façon de mettre en œuvre le der­nier fac­teur : ensemble. 45 % du PIB du pays résulte de ce trans­fert de com­pé­tences de proxi­mi­té que seuls les échanges phy­siques per­mettent d’établir.

C’est ce thème que j’é­tu­die depuis plus de trente ans. C’est celui dont je vais pré­sen­ter, en quelques mots, le contenu.

Le territoire est un outil de production de richesses et de bien-être

Un ter­ri­toire bien des­ser­vi per­met aux hommes de tra­vailler en coopé­ra­tion et induit, grâce à un meilleur échange de savoir-faire, la créa­tion de richesses plus nombreuses.

S’il est admis que les inves­tis­se­ments au sein des entre­prises amé­liorent la pro­duc­ti­vi­té des actifs, créant de la richesse et sou­te­nant l’emploi, il n’en est pas tra­di­tion­nel­le­ment de même pour les inves­tis­se­ments qui des­servent des ter­ri­toires et y créent pour­tant les condi­tions d’un tra­vail coopé­ra­tif per­for­mant. Or l’ef­fi­ca­ci­té de ces inves­tis­se­ments est équi­va­lente et par­fois supé­rieure à celle des inves­tis­se­ments consa­crés par les entre­prises à l’a­mé­lio­ra­tion de leur propre outil de pro­duc­tion. De plus, un ter­ri­toire bien des­ser­vi donne accès à de nom­breux espaces natu­rels, source de bien-être.

Le temps consacré aux déplacements ne varie pas

Quel est le phé­no­mène qui est à l’œuvre ? Les hommes consacrent tou­jours le même temps à par­cou­rir le ter­ri­toire au sein duquel ils vivent. Sur les vingt-quatre heures que com­portent une jour­née, une heure et demie est consa­crée à se dépla­cer pour tra­vailler, faire des achats, se for­mer, se dis­traire (en moyenne 2,5 dépla­ce­ments moto­ri­sés d’une demi-heure cha­cun et un dépla­ce­ment à pied de quinze minutes). Dans ce temps qui ne varie pas, les hommes sou­haitent éta­blir les contacts les plus per­ti­nents pos­sibles, ceux qui leur per­mettent de résoudre effi­ca­ce­ment les pro­blèmes qui se posent à eux : pro­duire des biens ou des ser­vices, ache­ter des biens répon­dant à leur attente, rece­voir une for­ma­tion de qua­li­té, accé­der à des espaces natu­rels variés et agréables.

La vitesse et la portée des déplacements augmentent

Lorsque les infra­struc­tures de trans­port s’a­mé­liorent, les vitesses moyennes de dépla­ce­ment moto­ri­sé pro­gressent, les dis­tances par­cou­rues à temps de trans­port inva­riant, c’est-à-dire les por­tées de dépla­ce­ment, croissent. Les ter­ri­toires com­mo­dé­ment acces­sibles s’é­pa­nouissent. Ce phé­no­mène est uni­ver­sel. Il est le fait tout autant des trans­ports col­lec­tifs que des trans­ports indi­vi­duels. À titre d’exemple, en Île-de-France, la super­fi­cie des ter­ri­toires acces­sibles dans une heure de trans­port a pro­gres­sé de 70 % en l’es­pace de vingt-cinq ans et le nombre de biens et ser­vices acces­sibles a aug­men­té dans une pro­por­tion sem­blable. Ce puis­sant phé­no­mène est à l’o­ri­gine de la créa­tion de valeur induite par des ter­ri­toires tou­jours plus épanouis.

L’épanouissement du territoire est source de valeur économique et « ergonomique »

Plus le nombre de des­ti­na­tions poten­tielles dans un temps don­né est éle­vé, plus la per­ti­nence du choix effec­tué est éle­vée et plus le pro­blème posé (pro­duire, ache­ter, se for­mer…) est effi­ca­ce­ment réso­lu. Il y a, pour les dépla­ce­ments à voca­tion éco­no­mique, amé­lio­ra­tion de la pro­duc­ti­vi­té, créa­tion de richesses et sou­tien de l’emploi. L’ob­ser­va­tion atten­tive des com­por­te­ments des hommes qui se déplacent au sein d’un ter­ri­toire montre que, chaque fois que le nombre de des­ti­na­tions poten­tielles com­mo­dé­ment acces­sibles double, la pro­duc­ti­vi­té col­lec­tive aug­mente d’une quan­ti­té donnée.

Ain­si, lorsque le nombre d’ac­tifs, auquel un employeur peut com­mo­dé­ment accé­der, double, la pro­duc­ti­vi­té de son entre­prise s’a­mé­liore d’une quan­ti­té don­née. En fait, l’employeur peut trou­ver des actifs dont la for­ma­tion cor­res­pond mieux à ses besoins. L’in­ter­pé­né­tra­tion du mar­ché des actifs et de celui des emplois s’a­mé­liore et le tra­vail coopé­ra­tif des hommes pro­gresse, créant effi­ca­ci­té et richesse supplémentaires.

Pour les dépla­ce­ments à voca­tion de « loi­sirs verts », plus la super­fi­cie des espaces natu­rels acces­sibles dans un temps don­né croît, plus la satis­fac­tion ergo­no­mique se mani­feste et plus le sen­ti­ment de bien-être s’amplifie.

Une corrélation impressionnante entre suppléments de salaire ou de PIB et suppléments d’utilité liés aux destinations économiques commodément accessibles

Des obser­va­tions sur une ving­taine d’ag­glo­mé­ra­tions fran­çaises font appa­raître une cor­ré­la­tion remar­quable entre les sup­plé­ments d’u­ti­li­té des dépla­ce­ments, au sens éco­no­mique du terme, dans ces dif­fé­rentes agglo­mé­ra­tions par rap­port aux zones rurales dis­per­sées où les choix sont réduits et les sup­plé­ments de salaire ou de PIB publiés par l’IN­SEE. Ain­si, alors que l’IN­SEE indique que le salaire net moyen d’un actif est, en euros 2000, de 11 850 € dans les zones rurales dis­per­sées, de 16 350 € à Gué­ret et de 28 600 € en Île-de-France, l’u­ti­li­té d’un dépla­ce­ment moyen pour le motif domi­cile tra­vail, mul­ti­pliée par le nombre de dépla­ce­ments annuels pour ce motif, donne à Gué­ret une valeur de 4 500 €, soit exac­te­ment la dif­fé­rence entre les salaires dis­tri­bués à Gué­ret et ceux dis­tri­bués dans les zones rurales dis­per­sées et donne, en Île-de-France, une valeur de 16 750 €, soit, là aus­si, exac­te­ment la dif­fé­rence entre les salaires dis­tri­bués en Île-de-France et ceux dis­tri­bués dans les zones rurales dis­per­sées. Si on adopte comme réfé­rence tous les dépla­ce­ments qui ont une fonc­tion éco­no­mique tels que le tra­vail, les achats, les affaires, l’en­sei­gne­ment…, on obtient une très bonne cor­ré­la­tion avec les sup­plé­ments de PIB.

Une illustration de cette corrélation sur l’ensemble des communes de France et de neuf pays voisins d’Europe : les cartes des performances économiques des territoires

En uti­li­sant des bases de don­nées géo­gra­phiques per­met­tant de déter­mi­ner les ter­ri­toires acces­sibles en une heure à par­tir du centre de chaque com­mune de France et de neuf pays voi­sins d’Eu­rope et en décomp­tant, à l’in­té­rieur de cha­cun de ces ter­ri­toires, les actifs publiés par l’IN­SEE ou par EUROSTAT, on peut déter­mi­ner la valeur de l’u­ti­li­té des dépla­ce­ments à voca­tion de tra­vail et plus géné­ra­le­ment des dépla­ce­ments à voca­tion éco­no­mique incluant les affaires, les achats, l’en­sei­gne­ment. Le résul­tat de ces cal­culs fait l’ob­jet de repré­sen­ta­tions car­to­gra­phiques par­ti­cu­liè­re­ment péda­go­giques. Chaque com­mune est illus­trée par la valeur de l’u­ti­li­té annuelle des dépla­ce­ments à voca­tion éco­no­mique effec­tués à par­tir de cette com­mune. Dans les zones rurales dis­per­sées dont les choix de des­ti­na­tion sont très faibles, l’u­ti­li­té des des­ti­na­tions à voca­tion éco­no­mique y est modeste, voire négli­geable. Dans les zones urba­ni­sées les plus impor­tantes dont les choix de des­ti­na­tion sont très éle­vés, l’u­ti­li­té des des­ti­na­tions à voca­tion éco­no­mique atteint des valeurs de l’ordre de 40 000 €, voire davan­tage. Si on ajoute à ces valeurs d’u­ti­li­té liées à la diver­si­té des des­ti­na­tions acces­sibles à par­tir du centre de chaque com­mune une valeur de base qui est le PIB obser­vé dans les zones rurales dis­per­sées, soit 28 600 € (c’est-à-dire, obser­vons-le, le niveau de salaire net en Île-de-France, le PIB par actif de la région capi­tale étant 2,6 fois supé­rieur), on obtient une expres­sion quan­ti­ta­tive qui peut être direc­te­ment com­pa­rée aux résul­tats de PIB publiés par les ins­ti­tuts natio­naux ou euro­péens. En France, la com­pa­rai­son des résul­tats des cal­culs cumu­lés région par région et des résul­tats des PIB régio­naux publiés par l’IN­SEE fait appa­raître une cor­ré­la­tion d’une pré­ci­sion étonnante.

Les destinations à vocation de « loisirs verts »

L’u­ti­li­té des des­ti­na­tions à voca­tion de » loi­sirs verts » est reliée à la diver­si­té des espaces natu­rels acces­sibles dans un temps de trans­port don­né. Le résul­tat des cal­culs fait éga­le­ment l’ob­jet de repré­sen­ta­tions car­to­gra­phiques péda­go­giques. Chaque com­mune est illus­trée par la valeur de l’u­ti­li­té annuelle des dépla­ce­ments à voca­tion de » loi­sirs verts » à par­tir de cette com­mune. Les zones rurales offrent des valeurs de haut niveau, ce qui est natu­rel. La carte montre éga­le­ment que les grandes métro­poles donnent des résul­tats satis­fai­sants alors qu’on pou­vait s’at­tendre à un résul­tat contraire. En réa­li­té, les sché­mas d’ur­ba­nisme des grandes métro­poles com­portent de vastes espaces natu­rels pro­té­gés. Compte tenu de la puis­sance des infra­struc­tures de trans­port, la diver­si­té des espaces natu­rels com­mo­dé­ment acces­sibles y est élevée.

Le cercle vertueux

Lors­qu’on com­pare le poids de la créa­tion de valeur aux coûts de trans­port et au poids des nui­sances induites, on trouve, au niveau de la France, les résul­tats sui­vants : 100 pour la créa­tion de valeur, 33 pour les coûts de trans­port (dont 22 pour le temps pas­sé et 11 pour les dépenses moné­taires, y com­pris 4 d’éner­gie) et 3 pour les nui­sances (dont 2 pour l’in­sé­cu­ri­té rou­tière et 1 pour le bruit et la pol­lu­tion). On ne peut donc, au nom du terme 3, blo­quer l’é­pa­nouis­se­ment du terme 100. Ce serait effec­tuer un choix en faveur d’une éco­no­mie peu dyna­mique et d’un chô­mage durable.

Il faut, pour conci­lier éco­no­mie et éco­lo­gie, pro­té­ger par le droit les espaces natu­rels, source de bien-être pour l’homme et siège de la bio­di­ver­si­té. Dans les espaces auto­ri­sés à l’ur­ba­ni­sa­tion, il convient de ne pas bri­der la mobi­li­té et de réa­li­ser pour cela des infra­struc­tures de qua­li­té totale ou en tout cas opti­male. Quelques pour cent à peine de la richesse pro­duite suf­fisent à créer ces infra­struc­tures opti­males. Le mal­thu­sia­nisme en termes de des­serte des ter­ri­toires a d’im­por­tants effets per­vers : blo­cage de la créa­tion de valeur et d’emplois durables, aug­men­ta­tion des nui­sances induites. Les véhi­cules ne dis­po­sant pas d’in­fra­struc­tures cor­rec­te­ment dimen­sion­nées sont en effet plus pol­luants que les véhi­cules évo­luant en milieu adapté.

Des infrastructures d’un haut niveau d’efficacité économique et naturelle

Les zones péri­phé­riques des métro­poles urbaines qui se déve­loppent très rapi­de­ment ont un impor­tant besoin d’in­fra­struc­tures de des­serte des­ti­nées à offrir des uni­vers de choix satis­fai­sants aux rési­dents. Ces infra­struc­tures ont un taux d’ef­fi­ca­ci­té très éle­vé, tout à fait com­pa­rable à celui des inves­tis­se­ments que les entre­prises peuvent consa­crer à leur propre outil de pro­duc­tion. À titre d’exemple, les 24,9 mil­liards d’eu­ros d’in­fra­struc­tures de voi­rie rapide ins­crits au sché­ma direc­teur de l’Île-de-France indui­raient, s’ils étaient inves­tis, 9,8 mil­liards d’eu­ros de richesses éco­no­miques annuelles sup­plé­men­taires, ce qui cor­res­pond à un temps de retour infé­rieur à trois ans. Les 25,6 mil­liards d’eu­ros d’in­fra­struc­tures de trans­port col­lec­tif indui­raient de leur côté 4,3 mil­liards d’eu­ros de richesses annuelles sup­plé­men­taires, ce qui conduit à un temps de retour plus modeste mais déjà très signi­fi­ca­tif de six ans. Ce qui coûte en fait le plus cher, c’est de ne pas investir.

En tout état de cause, les infra­struc­tures nou­velles doivent être de qua­li­té totale afin d’é­vi­ter d’in­duire des nui­sances. Il convient éga­le­ment d’as­so­cier à leur réa­li­sa­tion la requa­li­fi­ca­tion des rues et ave­nues tra­di­tion­nelles dans le but de réa­li­ser de véri­tables pro­jets d’ur­ba­nisme et de créer un envi­ron­ne­ment de qualité.

Au moment où le pays tra­verse une période de faible crois­sance éco­no­mique, des inves­tis­se­ments bien ciblés, essen­tiel­le­ment dans les péri­phé­ries des aires métro­po­li­taines, là où est à l’œuvre le vol­ca­nisme éco­no­mique, ayant des temps de retour de trois ou quatre ans, sus­cep­tibles de ce fait de trou­ver des conces­sion­naires sans faire appel à l’argent public, sont un moyen effi­cace de redon­ner du dyna­misme et de l’op­ti­misme à notre pays.

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Le thème trai­té dans le pré­sent article est déve­lop­pé dans l’ou­vrage
Le ter­ri­toire des hommes, paru en mai 2005 chez Bou­rin Édi­teur, 5, rue Royale, 75008 Paris.

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