Des Physiciens de A à Z

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°557 Septembre 2000Par : André ROUSSET (51) et Jules SIXRédacteur : Raphaël VISOCEKAS (51)

Cet ouvrage ency­clopédique nous pro­pose les notices d’un bon mil­li­er de physi­ciens de l’Antiquité à nos jours, leurs vies et leurs œuvres.

Si nous ne sommes plus à l’ère de la marine à voile et des lam­pes à huile, nous le devons pour beau­coup à ces physi­ciens, coude à coude avec les autres sci­en­tifiques, math­é­mati­ciens, chimistes, biol­o­gistes… et sec­ondés par les ingénieurs qui ont su “met­tre leurs résul­tats en musique”. Tout cela est conçu assez claire­ment par les poly­tech­ni­ciens qui, dans le monde des cadres supérieurs en France ou à l’étranger, présen­tent la bizarrerie d’avoir une véri­ta­ble cul­ture scientifique.

Une telle col­lec­tion alphabé­tique de biogra­phies ne présen­terait donc pour les X qu’un intérêt folk­lorique ? Nous con­nais­sons la belle “ Sci­ence ” bien léchée qu’on nous a enseignée à l’École, c’est-à-dire la fin du roman, la con­clu­sion des expéri­ences et travaux de ces savants… Que faire du “ fac­teur humain ” qui l’a précédé ?

Eh bien, selon nos âges et nos pro­mo­tions respec­tives, nous avons pu con­stater de notre vivant bien des mod­i­fi­ca­tions, voire de véri­ta­bles révo­lu­tions dans ce bel édi­fice de la Sci­ence qu’on nous avait présen­té. Ceux d’entre nous qui ont eu une car­rière dans la recherche ou la tech­nique ont pu voir de près com­ment des idées ou inno­va­tions s’y sont insin­uées, à par­tir de théories para­doxales, de brico­lages dans divers lab­o­ra­toires qui passent d’abord le plus sou­vent inaperçus ou incom­pris : le tran­sis­tor, le laser (“ solu­tion sans prob­lème ” dis­ait-on), le cir­cuit inté­gré, la fibre optique… cela est venu ébran­ler le bel édi­fice d’il y a cinquante ans. Il en a été sans cesse ain­si au cours du temps : la mécanique quan­tique, la rel­a­tiv­ité, les théories de la lumière, la mécanique… Les inno­va­tions sci­en­tifiques ont été imprévis­i­bles et dérangeantes, elles ont dû con­sid­érable­ment à la per­son­nal­ité avant tout non con­formiste de ceux qui les ont proposées.

Tels sont les per­son­nages qui nous sont présen­tés par MM. Rous­set et Six : leur rétro­spec­tive s’étend des grands ancêtres à demi-légendaires – Archimède, Aris­tote… – à la foule des physi­ciens con­tem­po­rains, sou­vent tout aus­si mal con­nus, parce que trop nom­breux. Ne dit-on pas qu’avec l’accroissement expo­nen­tiel du nom­bre des chercheurs, il y autant de savants vivants que de savants ayant existé depuis l’Antiquité ? Cela ressort bien de l’ouvrage proposé.

Dans cette foule con­tem­po­raine, on remar­quera les nom­breux physi­ciens dans le domaine de la physique des par­tic­ules, domaine d’exercice des auteurs de l’ouvrage, ou de la mécanique quan­tique ; tous physi­ciens dont les travaux de plus en plus spé­cial­isés devi­en­nent fort ésotériques non seule­ment pour le poly­tech­ni­cien moyen, mais aus­si pour ceux qui tra­vail­lent dans un domaine en principe voisin.

Mais il y a aus­si tous ceux qui ont “ fait la sci­ence ” dans l’intervalle, dis­ons essen­tielle­ment depuis la Renais­sance, et dont les résul­tats nous sont sou­vent plus familiers.

Dans cette grande fresque, on voit fig­ur­er une hon­or­able séquence de quelque 25 poly­tech­ni­ciens : ceux qui ont su se faire un nom dans le grand pub­lic, comme Ara­go ou H. Bec­quer­el. Mais d’autres aus­si, dont les noms sont bien con­nus d’un pub­lic plus aver­ti : Carnot, l’homme du principe, fils du grand Lazare ; Cori­o­lis et son accéléra­tion ; Pois­son et ses dis­tri­b­u­tions ; Fres­nel et ses lentilles, orne­ment de nos auto­bus ; Fab­ry et son inter­féromètre, sans lequel il n’est point de laser ; Cor­nu et ses spi­rales ; Le Ver­ri­er et la planète Nep­tune ; Malus et la polar­i­sa­tion de la lumière ; et d’autres, aux travaux peutêtre un peu moins pop­u­lar­isés : Lamé, Friedel, Poin­caré, précurseur de la rel­a­tiv­ité, sinon par­rain des rues et avenues du même nom ; Poiseuille et la vis­cosité ; Lagar­rigue, que cer­tains d’entre nous ont pu con­naître à l’École ; Rebut ; Regnault…

Que peut-on atten­dre, ou crain­dre, a pri­ori de la lec­ture d’une telle ency­clopédie de physiciens ?

On peut se retrou­ver face à un ouvrage d’une fâcheuse fac­ture uni­ver­si­taire, au style aus­si recher­ché que pos­si­ble et délibéré­ment ésotérique ; ou alors être con­fron­té à un tra­di­tion­nel ouvrage de style jour­nal­is­tique, avec des descrip­tions de per­son­nages zigza­gant entre le savant Cos­i­nus et l’Académicien sacral­isé et hiéra­tique, rem­plies de fas­ti­dieuses vul­gar­i­sa­tions de travaux sci­en­tifiques avec abon­dance de non-sens voire de contresens.

Eh bien à la lec­ture, on voit les notices bib­li­ographiques pro­posées présen­ter les faits sci­en­tifiques “ sans bavures ”, et demeur­er néan­moins écrites dans un style acces­si­ble et alerte. On recon­naît le “ coup de pat­te ” d’un enseignant de la Physique “ blanchi sous le harnois ” comme notre cama­rade A. Rousset.

On a des descrip­tions de fortes per­son­nal­ités peu idéal­isées : foin des images d’Épinal ! Le plus sou­vent, certes, ces exis­tences ont com­mencé par une grande pré­coc­ité intel­lectuelle. Mais elles ne se sont pas rit­uelle­ment pour­suiv­ies dans des “ tours d’ivoire ”. Bien au con­traire, on voit beau­coup de biogra­phies mêlées à l’actualité du temps : prob­lèmes de car­rière qui se réduit sou­vent à trou­ver un mod­este gagne-pain, surtout dans l’ère antérieure à la révo­lu­tion indus­trielle (très peu de mil­lion­naires par­mi les scientifiques !).

Prob­lème des con­textes poli­tiques : beau­coup, Galilée, Kepler, Pas­cal…, se sont trou­vés mêlés aux querelles et guer­res de reli­gion. Plus récem­ment ce furent les péripéties révo­lu­tion­naires de 1789, 1948… En dernier lieu, il y eut les inci­dences des idéolo­gies nazies, la frac­ture de la guerre froide qui boulever­sèrent bien des exis­tences de sci­en­tifiques et donc les évo­lu­tions sci­en­tifiques. On peut aus­si not­er le rôle de l’environnement, ain­si l’absence de tout physi­cien en dehors du monde développé.

Mais presque à tout coup on voit ressor­tir l’extrême per­sévérance, “ l’idée fixe ” qui fait non seule­ment les savants Cos­i­nus mais aus­si les vrais scientifiques.

À côté des théoriciens de grande enver­gure, des Ein­stein ou Maxwell, les auteurs n’ont pas hésité à présen­ter des chercheurs beau­coup plus mod­estes, des inven­teurs comme Bell, Ruhmko­rff, Edi­son, Woz­ni­ak ou Gramme.

En fil­igrane on voit aus­si ressor­tir déjà avant le Siè­cle des lumières toutes les inter­con­nex­ions informelles et les rela­tions entre chercheurs de toute l’Europe. On voit ain­si se for­mer l’informelle et bizarre inter­na­tionale du “monde savant ” telle qu’elle fonc­tionne encore de notre temps à l’échelle de la planète.

Pour con­clure les auteurs n’ont pas hésité à agré­menter leurs textes d’anecdotes con­cer­nant leurs per­son­nages, ain­si sor­tis un peu plus d’une imagerie idéale : qu’il s’agisse des tal­ents divers de forceur de tiroirs ou de bat­teur de sam­ba de Feyn­man, des con­cep­tions ves­ti­men­taires d’Einstein, des tro­pismes nazis de Lénard.

En fait les auteurs sont restés très mod­estes dans ce domaine où il y aurait beau­coup à dire. Bien des savants ont “ fait leur trou ” avec quelque dif­fi­culté et ont dû avoir beau­coup de car­ac­tère, donc en par­ti­c­uli­er du mau­vais car­ac­tère, sans exclure des man­i­fes­ta­tions de culte de la per­son­nal­ité et de propen­sion à d’ardentes polémiques. Ain­si beau­coup n’ont pas man­qué de pittoresque.

Pour con­clure, c’est un livre où on trou­vera son intérêt, non seule­ment le physi­cien qui y décou­vre l’origine de bien des con­nais­sances de son méti­er, mais aus­si un pub­lic sci­en­tifique­ment cul­tivé, qui pour­ra y assou­vir sa curiosité.

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