Evolution du contexte

Des coulisses pour la ville.

Dossier : La cité idéaleMagazine N°554 Avril 2000
Par Michel GÉRARD (55)

L’idée qui sous-tend Clé de Sol est sim­ple. Cha­cun a en effet été frap­pé, et sou­vent gêné, par le nom­bre des chantiers sur la voie publique pour l’en­tre­tien et la répa­ra­tion de réseaux divers et, plus encore, par leur suc­ces­sion dans le temps, comme si cha­cun des inter­venants igno­rait le pas­sage récent du prédécesseur. Pre­mière réflex­ion : ” Le trou est à peine bouché que d’autres arrivent et défon­cent à nou­veau au même endroit. Ne pour­raient-ils pas s’en­ten­dre pour faire tout en même temps ? ” à laque­lle suc­cède sou­vent une autre : ” Ne pour­rait-on, à notre époque, regrouper tous les réseaux dans le même gros tuyau, de telle sorte que l’on n’éven­tre pas con­tin­uelle­ment les voies publiques ?

Pour l’opin­ion com­mune, Clé de Sol est sans doute un pro­jet facile. L’homme de la rue serait d’ailleurs sur­pris d’ap­pren­dre l’ex­is­tence d’une recherche à ce pro­pos. Mais pour les pro­fes­sion­nels aver­tis, ingénieurs des villes, édiles munic­i­paux, délé­gataires de ser­vices publics, il en va tout autrement : le pro­jet frise l’u­topie. Au cours de l’en­quête de 1997–1998 con­duite par Tchen Nguyen, actuel directeur du pro­jet, auprès d’une trentaine de villes, cette opin­ion, même de la part d’in­ter­locu­teurs qui s’é­taient pour­tant déclarés intéressés, a été claire­ment ressentie.

C’est pourquoi il m’a paru intéres­sant, dans ce numéro con­sacré à la Cité idéale, mais aus­si en con­tre­point aux cités réelles, d’ex­pos­er les principes de cette recherche, en cours à l’heure où sont écrites ces lignes, et par là d’il­lus­tr­er un écart irré­ductible entre l’opin­ion com­mune et les milieux aver­tis sur les ques­tions urbaines et donc sur la recherche en ce domaine. Je suis frap­pé, en réfléchissant quo­ti­di­en­nement à Clé de Sol, mais aus­si en me remé­morant divers aspects d’une car­rière presque entière­ment con­sacrée aux ques­tions urbaines, par les dif­férences de juge­ments sur le ” pos­si­ble ” et ” l’im­pos­si­ble “, sur ” l’u­topique ” et le ” réal­is­able “, selon le degré d’in­for­ma­tion et de con­nais­sances. Je com­mencerai donc par une descrip­tion de Clé de Sol et de ses espoirs. À la lumière de l’ex­péri­ence vécue, je me per­me­t­trai ensuite quelques réflex­ions sur la ques­tion de l’u­topie et du réal­isme en matière urbaine.

Le projet Clé de Sol

Naissance et mûrissement du projet

Clé de Sol n’est pas issu d’une volon­té admin­is­tra­tive, mais d’une sol­lic­i­ta­tion privée. Je me trou­vais, en 1987, à la tête d’une société anonyme créée par quelques entre­pris­es et conçue comme une ” force de propo­si­tion ” à l’é­gard du maître d’ou­vrage et des maîtres d’œu­vre d’un très grand pro­jet d’amé­nage­ment. Divers­es car­ac­téris­tiques du site et du pro­jet don­naient à une galerie mul­ti­réseaux pri­maire, donc sans branche­ment, des chances qua­si cer­taines de réus­site, si, toute­fois, le maître d’ou­vrage accep­tait deux con­di­tions : le lance­ment simul­tané des appels d’of­fres de réseaux et le principe d’une vari­ante avec habita­cle commun.

Le manque de pré­pa­ra­tion du milieu déci­sion­nel à l’idée même de notre sug­ges­tion fit échouer la ten­ta­tive. Mais les entre­pris­es, intéressées par la démarche suiv­ie, plus juridique et finan­cière que tech­nique à pro­pre­ment par­ler, me con­va­in­quirent, quelques années après, de créer, au sein d’une struc­ture publique-privée exis­tante, l’as­so­ci­a­tion Réseau-Île-de-France, un groupe spé­cial­isé sur les galeries mul­ti­réseaux. Pra­tique­ment je ne pus m’at­tel­er à cette tâche qu’en 1994, en revenant dans l’administration.

Un col­loque organ­isé en avril 1995 par la petite équipe ini­tiale et lim­ité aux galeries exis­tantes mon­tra que lorsque, ici et là, on avait réus­si à regrouper les réseaux dans le même vol­ume, soit par la créa­tion d’habita­cle, soit par l’u­til­i­sa­tion de vides exis­tants, ces regroupe­ments fonc­tion­naient à la sat­is­fac­tion de tous, sous réserve de règles… de bonne con­duite. Il était impar­donnable de ne pas en réalis­er lorsque les cir­con­stances se présen­taient favor­able­ment. Plusieurs asso­ci­a­tions tech­niques intéressées par le sujet décidèrent alors d’u­nir leurs efforts avec ceux de Réseau-Île-de-France.

Les raisons profondes des espoirs et des chances de Clé de Sol

Plusieurs paramètres vont, dans les décen­nies à venir, favoris­er l’émer­gence du con­cept mul­ti­réseaux. Ils sont syn­thétisés dans le petit dia­gramme ci-après : la mul­ti­pli­ca­tion de nou­veaux réseaux, chauffage, cli­ma­ti­sa­tion, assainisse­ment séparatif, fibres optiques de toutes natures, la pro­liféra­tion d’ob­jets souter­rains ayant besoin de se situer sous l’e­space pub­lic et la crois­sance des vol­umes demandés. Sous leur poussée, l’u­til­ité économique de l’e­space pub­lic souter­rain aug­mente rapi­de­ment et donc ” la propen­sion à pay­er ” pour y trou­ver de la place, surtout dans les pre­miers mètres de profondeur.

Galerie du Colombier à Rennes
Galerie du Colom­bier (quarti­er neuf mais cen­tral) à Rennes.
La galerie est dite “ sèche ” (pas d’écoulement libre de l’eau plu­viale)
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Or un des deux intérêts majeurs des galeries vient de ce qu’elles économisent l’e­space pub­lic souter­rain : alors qu’on doit, dans la pleine terre, respecter des règles d’in­ter­dis­tances larges, ver­ti­cales comme hor­i­zon­tales, pour éviter les inci­dents et acci­dents de chantiers, ces règles peu­vent être réduites dans des galeries où tuyaux, fils et fibres sont vus ; les posi­tions des réseaux les uns par rap­port aux autres sont égale­ment opti­misées en fonc­tion des inter­ven­tions sur cha­cun (largeurs d’outils, ergonomie), des gênes que les uns peu­vent représen­ter pour les autres et, bien sûr, de la sécu­rité d’ensemble.

En même temps, les exi­gences envi­ron­nemen­tales con­tem­po­raines ont un dou­ble effet. Elles poussent d’abord à la créa­tion de nou­veaux réseaux (sépa­ra­tion des eaux plu­viales et des eaux usées, inter­dic­tion des sur­vers­es d’or­ages en riv­ière aug­men­tant les vol­umes d’eaux plu­viales à évac­uer, sécu­rité de la cir­cu­la­tion auto­mo­bile, etc.). Elles con­duisent aus­si à attribuer une valeur de plus en plus élevée2 aux nui­sances urbaines (bruit et salis­sures causés par les chantiers urbains, détourne­ments de cir­cu­la­tions pié­tonne et auto­mo­bile, etc.). Or l’autre intérêt majeur des galeries, si elles sont vis­ita­bles, est de sup­primer la plu­part des inter­ven­tions en voirie : c’est d’ailleurs surtout sous cet angle que les perçoit l’opin­ion commune.

Enfin, l’e­space pub­lic de sur­face, surtout dans les cen­tres, est de plus en plus l’ob­jet de travaux d’embellissement et de réha­bil­i­ta­tion his­torique. Or, les repris­es après chantier d’e­spaces ain­si améliorés sont dif­fi­ciles et de plus en plus coû­teuses. Même pour de sim­ples revête­ments, les villes ten­dent à se mon­tr­er plus exigeantes à l’é­gard des chantiers de voirie3.

Il est donc prévis­i­ble que, le temps pas­sant, les avan­tages socioé­conomiques des galeries mul­ti­réseaux croîtront et jus­ti­fieront des réal­i­sa­tions de plus en plus nom­breuses. On peut cepen­dant nour­rir l’in­quié­tude de voir la ” fenêtre de tir “, pro­gres­sive­ment ouverte depuis les années 80, se fer­mer lorsque la pres­sion des nou­veaux réseaux s’estom­pera et que le car­ac­tère inex­tri­ca­ble des sit­u­a­tions créées ren­dra extra­or­di­naire­ment coû­teuses les remis­es en ordre, même lors d’oc­ca­sions prop­ices. La péri­ode présente est prob­a­ble­ment historique.

Le contenu de Clé de Sol

Si les vents sont favor­ables, pourquoi faut-il donc une recherche ? Tout sim­ple­ment, pour résoudre des ques­tions récur­rentes qui con­tin­u­ent à faire obsta­cle aux réal­i­sa­tions quand celles-ci seraient pour­tant intéres­santes. Dans cet esprit, Clé de Sol souhaite apporter aux ingénieurs urbains une ” boîte à out­ils ” qui leur per­me­tte de réa­gir avec célérité. En effet une occa­sion, même favor­able, n’a jamais comme objec­tif prin­ci­pal de créer des galeries. Les réseaux ne sont que des ” moyens ” qui doivent s’adapter au pro­gramme envis­agé : nou­veaux quartiers ex nihi­lo, réha­bil­i­ta­tion de quartiers exis­tants, lignes de tramways, amé­nage­ments pié­ton­niers, val­ori­sa­tions de quartiers his­toriques, etc., mais ils vien­nent en tête de tous les plan­nings de travaux. Il est donc souhaitable que la déci­sion de les regrouper dans un même habita­cle ait été prise lors de la déci­sion ini­tiale ou très peu après.

Les chantiers de Clé de Sol

Ville de Rennes

En per­spec­tive, le secteur his­torique sauve­g­ardé où les ouver­tures de chaussée sont dif­fi­ciles et coû­teuses. À plus court terme, essai d’une galerie en zone non his­torique, à l’oc­ca­sion d’un amé­nage­ment de circulation.

Communauté urbaine de Lyon et Syndicat des transports lyonnais

En per­spec­tive : comme le déplace­ment des réseaux s’im­pose lors des implan­ta­tions de tramways, en prof­iter pour les regrouper en galeries. À plus court terme, com­para­i­son de la for­mule clas­sique et de la galerie sur le pro­longe­ment de la ligne 2 vers Saint-Priest.

SEMAPA (aménagement de la rive gauche Seine-Amont)

Dans un urban­isme sur dalle, où la galerie est un genre imposé, est-il pos­si­ble d’at­tir­er les restau­rants, élé­ments impor­tants d’at­trac­tiv­ité com­mer­ciale des bureaux, en leur garan­tis­sant la desserte en gaz ?
A quelles con­di­tions peut-on accepter le gaz dans une galerie ?

Ville de Besançon

12 km de galeries exis­tent depuis vingt ans dans le quarti­er de Planoise (20 000 hab.). Des galeries sont envis­agées dans une ZAC d’ac­tiv­ités à proximité.
Peut-on jus­ti­fi­er la nou­velle expéri­ence à la lumière de l’ancienne ?

Communauté d’agglomération de Grenoble et ville de Grenoble

Galerie exis­tante de la Vil­leneuve. Mise en ordre juridique de l’ex­ploita­tion. Ques­tion ana­logue à celle de Lyon pour le tramway.

EPAD (aménagement du quartier de La Défense) (1)

Réseau de 10 km de galerie ; mise en ordre juridique et finan­cière de l’ex­ploita­tion afin d’an­ticiper la sépa­ra­tion entre Nan­terre, Puteaux et Courbevoie.
_________________________
(1) Chantier encore incer­tain, l’EPAD n’ayant pas signé à ce jour la Charte de Projet.

Pour sat­is­faire cette con­trainte opéra­tionnelle, l’ex­a­m­en d’une solu­tion en galerie ne doit ni ren­con­tr­er de résis­tances psy­chologiques, ni entraîn­er dif­fi­cultés et retards dans la pré­pa­ra­tion du pro­jet prin­ci­pal. Les man­ques de normes géométriques et cin­dyniques4, de moyens pour appréci­er l’in­térêt socioé­conomique de l’al­ter­na­tive entre galerie et enfouisse­ment, de références et d’ex­em­ples var­iés pour le mon­tage juridique et financier sont à cet égard de sérieux handicaps.

Ces sujets sont répar­tis en qua­tre rubriques étudiées par des groupes ” thé­ma­tiques ” qui s’ap­puient tous sur un ensem­ble d’ex­péri­ences repérées et de cinq chantiers (chaque groupe a en fait un chantier ” préféré ” de par la nature même de la ques­tion locale dominante) :

l’é­tat de l’art : façons de faire, recom­man­da­tions en matière d’in­ter­dis­tances et de posi­tion­nement des réseaux les uns par rap­port aux autres,

- la cin­dynique com­parée entre les réseaux en pleine terre et en galeries ; out­re les recom­man­da­tions pro­pres aux galeries en matière de préven­tion, de traite­ment des inci­dents, de réac­tions face aux acci­dents, le groupe exam­ine, du point de vue cin­dynique, avan­tages et incon­vénients com­parés des réseaux enfouis et des réseaux en galeries5,

la socioé­conomie com­parée : il s’ag­it le plus sou­vent de com­par­er sur longue durée une solu­tion clas­sique en réseaux enter­rés avec un pro­jet en galerie. Les ingénieurs des villes doivent pou­voir con­seiller judi­cieuse­ment les élus locaux de réalis­er ou, au con­traire, de ne pas réalis­er, une galerie. Encore faut-il qu’ils dis­posent de cer­taines don­nées et de cer­taines sta­tis­tiques qui leur per­me­t­tent les cal­culs6,

le parte­nar­i­at : un pro­jet socioé­conomique­ment jus­ti­fié dégage une rente col­lec­tive. Mais pour que le pro­jet se réalise, il faut que cette rente soit dis­tribuée entre les acteurs de telle sorte que cha­cun y gagne et, surtout, qu’au­cun n’y perde. Aspect décisif de la réal­i­sa­tion, le mon­tage juridi­co-financier traduit ce partage et les règles de vie en com­mun, tant pour l’in­vestisse­ment que pour l’ex­ploita­tion. Là aus­si, par des exem­ples, Clé de Sol mon­tr­era les dif­férents con­trats pos­si­bles entre autorités locales, maîtress­es de l’e­space pub­lic, délé­gataires con­cernés et ges­tion­naire de l’habitacle.

L’équipe de Clé de Sol a, depuis 1994, agrégé pro­gres­sive­ment plusieurs villes et plusieurs grands délé­gataires qui ont accep­té, pour les pre­mières, de se prêter, à l’oc­ca­sion d’opéra­tion chez elles, à des obser­va­tions et des expéri­men­ta­tions, pour les sec­onds, d’ap­porter leurs savoir-faire et leurs com­pé­tences. Les chantiers (voir encadré) choi­sis au sein d’une trentaine de can­di­da­tures plus ou moins affir­mées for­ment une palette intéres­sante de cas représen­tat­ifs de toutes les sit­u­a­tions décrites plus haut : quartiers his­toriques, urban­i­sa­tion nou­velle, lignes de tramway, galeries exis­tantes aux règles imprécises.

Par ailleurs, Clé de Sol a réu­ni autour de lui des com­pé­tences de très haut niveau, par­ti­c­ulière­ment chez les délé­gataires pour les tech­niques, mais aus­si chez les juristes spé­cial­isés dans l’e­space pub­lic et chez les experts ” réseaux ” auprès des tri­bunaux, de telle sorte que les résul­tats de la recherche, prévus en févri­er 2003, soient, sinon incon­testa­bles, du moins large­ment recon­nus par l’ensem­ble des milieux pro­fes­sion­nels concernés.

Utopie et réalisme en matière urbaine

Pourquoi Clé de Sol est-il un projet difficile ?

L’ex­em­ple de Clé de Sol illus­tre à sa manière la dif­fi­culté de l’ac­tion en milieu urbain vivant. Pour l’homme de la rue, qui se place spon­tané­ment à l’échelle indi­vidu­elle, il ne doit pas être beau­coup plus dif­fi­cile de ranger le sous-sol d’une ville que de ranger sa cave. Pour l’édile urbain, à une tout autre échelle, la ques­tion est autrement com­plexe7 : il doit non seule­ment réa­gir vite lors d’oc­ca­sions favor­ables, mais il doit aus­si amen­er à s’en­ten­dre entre eux un ges­tion­naire d’habita­cle et des ges­tion­naires de réseaux, privés comme publics, à statuts d’oc­cu­pa­tion du domaine pub­lic dif­férents, à cul­tures tech­niques et à con­traintes différentes.

Galerie de Planoise à Besançon.
Galerie de Planoise à Besançon.
Not­er : • la cuvette des eaux plu­viales (à écoule­ment libre), • les deux tuyaux d’eau à 180° pour le chauffage urbain, très aisé­ment vis­i­bles et atteignables, ce qui s’est révélé très effi­cace tant en sécu­rité qu’en ren­de­ment calorifique.

Les ” coûts de trans­ac­tion ” de tels pro­jets sont donc très élevés. Beau­coup d’en­tre eux, quoique val­ables, ont avorté pour cette rai­son. Une autre forme d’échec, quand le maître d’ou­vrage est décidé ou que la galerie est un genre tech­nique imposé, comme dans l’ur­ban­isme sur dalle, vient de l’in­fla­tion des exi­gences des futurs occu­pants qui accrois­sent à l’ex­cès le coût de l’habita­cle. Enfin pour couron­ner le tout, l’in­flu­ence du droit, européen comme nation­al, sous toutes ses formes, droits du tra­vail, de l’e­space pub­lic, de la délé­ga­tion de ser­vice pub­lic, etc., et de la fis­cal­ité sur l’at­ti­tude des acteurs en présence est con­sid­érable et il faut y prêter con­tin­uelle­ment attention.

Le pari de Clé de Sol mais aus­si sa dif­fi­culté rési­dent donc dans la ” mise en fac­teur com­mun ” entre tous les acteurs d’une majorité des élé­ments qui, avant la recherche, devaient tous être négo­ciés pro­jet après pro­jet. Certes, chaque pro­jet restera un pro­to­type dépen­dant de con­traintes locales (tracé des rues, branche­ments, etc.) et la ville con­cernée aura, en tout état de cause, à l’éd­i­fi­er. Du moins pour­ra-t-elle, si Clé de Sol réus­sit, réduire délais et coûts de transaction.

Clé de Sol doit égale­ment per­me­t­tre l’ap­pro­ba­tion d’un cor­pus de règles de l’art par les plus hautes autorités tech­niques de grands délé­gataires privés des secteurs de l’eau, de l’élec­tric­ité, du gaz, de la chaleur, du froid et des télé­com­mu­ni­ca­tions. Le pro­grès serait décisif. En effet la dis­cus­sion des inter­dis­tances et du posi­tion­nement des réseaux les uns par rap­port aux autres se pra­tique aujour­d’hui avec des respon­s­ables locaux qui n’ont rien à gag­n­er à se prêter à des accom­mode­ments avec les règles de pleine terre. La baisse des coûts dans ces con­di­tions n’est pas possible.

Clé de Sol n’ex­is­terait pas si l’ensem­ble du milieu tech­nique con­cerné l’avait con­sid­éré comme totale­ment utopique. Mais il fal­lait pour cela per­fec­tion­ner l’idée de base à la lumière des cri­tiques qui lui étaient faites, pass­er par des étapes de pré­fais­abil­ité, puis de fais­abil­ité, qui man­i­fes­tent claire­ment l’ob­jec­tif du pro­jet et son inser­tion dans le réel, notam­ment par des ” chantiers ” local­isés. Tout cet effort a per­mis de con­va­in­cre de nom­breux respon­s­ables, à chaque étape, et ain­si de don­ner aujour­d’hui des chances raisonnables de suc­cès à cette recherche. Mais cela aus­si a eu un coût élevé.

Vous avez dit ” recherche ” ?

Galerie en cours de construction dans une extension du quartier de Planoise à Besançon.

Galerie en cours de con­struc­tion dans une exten­sion du quarti­er de Planoise à Besançon. Notez la forme ovoïde de l’habitacle qui réduit les arma­tures à quelques cou­tures entre radier et toit.

Lors de sa ” marche dans le désert “, l’équipe ini­tiale a dû con­va­in­cre que la mobil­i­sa­tion autour d’un bou­quet de thèmes qui n’é­taient pas tous stricte­ment tech­niques était bien de la recherche. C’é­tait essen­tiel : s’il s’ag­it d’obtenir un résul­tat, on ne peut nég­liger aucun aspect des dif­fi­cultés qui se présentent.

Or, cer­taines dis­cus­sions prélim­i­naires à la créa­tion de Clé de Sol fai­saient bal­ancer cer­tains de nos inter­locu­teurs entre deux ten­dances. Mem­bres du milieu ” aver­ti “, ils con­sid­éraient le pro­jet comme ” utopique ” car ils en savaient d’ex­péri­ence la dif­fi­culté, mais, face au détail de notre plan d’ac­tion détail­lé, ils reve­naient, sans même s’en apercevoir, à l’opin­ion de l’homme de la rue, en con­sid­érant que, puisque les ques­tions tech­niques étaient mod­estes, pour ne pas dire triv­iales, il n’y avait pas de Recherche avec un grand R.

Faire com­pren­dre que la mul­ti­plic­ité des inter­venants et le change­ment d’échelle qui en résulte font de ques­tions triv­iales des énigmes red­outa­bles n’est pas chose facile. C’est cepen­dant néces­saire car ce qui fait la ville, ce sont des hommes d’au­jour­d’hui, vivant dans un cadre bâti qu’on ne saurait trans­former d’un coup de baguette mag­ique. Vouloir agir sur ce cadre c’est inex­orable­ment ren­con­tr­er des ensem­bles rétic­ulés d’in­di­vidus, de familles, de groupes de toutes sortes dont les intérêts, les con­vic­tions et les ten­dances indi­vidu­elles et col­lec­tives con­stituent des bétons plus résis­tants que les dalles les mieux armées ou des forces actives moins endiguables que les rivières.

Cité idéale et ville réelle

Cette ques­tion n’est pas réservée à Clé de Sol. La dif­fi­culté intrin­sèque de l’ac­tion urbaine, et donc de la recherche en cette matière, vient de la résis­tance de l’e­sprit humain à accepter que le change­ment d’échelle puisse mod­i­fi­er la nature des ques­tions posées.

Les physi­ciens, les chimistes, les biol­o­gistes ont dû l’ad­met­tre pour com­pren­dre cer­tains phénomènes. Mais faire de la ville un sujet d’ob­ser­va­tion ” qua­si biologique ” heurte le sen­ti­ment com­mun : spon­tané­ment nous croyons général­is­ables à l’échelle d’une ville des expli­ca­tions val­ables à la nôtre ou à celle de notre quarti­er. Cela oblige les équipes de recherche/action urbaine à con­duire des travaux besogneux d’ob­ser­va­tion, de com­préhen­sion des mécan­ismes et, simul­tané­ment, de for­ma­tion des milieux pro­fes­sion­nels, prix à pay­er pour résoudre des ques­tions très ardues dont le résul­tat appa­raî­tra pour­tant d’une ” évi­dente ” facil­ité à leurs contemporains.

Clé de Sol est un cas mod­este et ses résul­tats sont loin d’être acquis ; c’est pourquoi j’il­lus­tr­erais volon­tiers mon pro­pos en ajoutant un autre exem­ple, d’une tout autre nature : celui du POS de Paris, œuvre remar­quable de l’Ate­lier parisien d’ur­ban­isme. Der­rière la sévère apparence admin­is­tra­tive d’un tel doc­u­ment, le prati­cien expéri­men­té dis­cerne une impres­sion­nante somme de con­nais­sances, de com­préhen­sion des mécan­ismes soci­aux et économiques à l’œu­vre dans la ville ain­si que de prise en compte des essais-erreurs antérieurs. Il s’ag­it incon­testable­ment d’un doc­u­ment volon­taire con­cer­nant l’avenir du cadre bâti de Paris, mais où la volon­té publique a su rester dans le champ du pos­si­ble, tout en en tirant le meilleur parti.

Il existe une autre voie, préférée des médias parce qu’elle sus­cite le rêve : celle de la Cité idéale. Elle ne manque pas d’in­térêt en ce qu’elle révèle, par les débats qu’elle provoque, la façon dont chaque généra­tion a imag­iné la Jérusalem céleste, réplique urbaine finale de l’É­den ini­tial. Mais elle présente en général peu d’in­térêt pour aider à résoudre les ques­tions ardues de ces ” désor­dres appar­ents /ordres biologiques cachés “, que sont les villes réelles.

Le pre­mier rêve du vision­naire c’est, avant même son pro­jet, la ” page blanche “. Il va enfin pou­voir écrire sur le sol, mais sur un sol net­toyé de tout un passé avec lequel les accom­mode­ments sont décidé­ment trop com­pliqués, ce qu’au­rait tou­jours dû être la Ville, ce qu’elle devrait tou­jours être doré­na­vant. Il a dans l’e­sprit une vision de l’homme et de son avenir. La Cité idéale, par sa con­cep­tion même, favoris­era l’émer­gence de la nou­velle société.

L’adap­ta­tion du droit

  • Pou­voir des maires en matière de coor­di­na­tion, (loi 83/663 du 22 juil­let 1983 et décrets d’application).
  • Baux emphytéo­tiques ouvrant des droits réels sur le domaine pub­lic com­mu­nal, (loi 88/13 du 5 jan­vi­er 1988).
  • Direc­tive européenne sur les indus­tries de réseaux (n° 93/88/CEE du 14 juin 1993).
  • Dis­pari­tion de la péréqua­tion tar­i­faire énergie et télécommunications.
  • Ouver­ture de droits réels sur le domaine pub­lic nation­al (loi du 25 juil­let 1994).
  • Libéral­i­sa­tion des télé­com­mu­ni­ca­tions (loi 96/659 du 26 juil­let 1996).
  • Libéral­i­sa­tion de l’élec­tric­ité (loi 2000/108 du 10 févri­er 2000).
  • Lois à venir sur le gaz, le chauffage urbain, etc.

Quelques utopies urbaines ont été réal­isées. Mal­gré les dis­po­si­tions imman­quable­ment prévues par leurs créa­teurs pour empêch­er les détourne­ments de leurs œuvres, toutes ont été apprivoisées et adap­tées par ce bernard-l’er­mite impéni­tent qu’est l’homme, mais jamais de la façon qu’avait imag­inée le visionnaire.

À Chandi­garh, Nehru demandait à Le Cor­busier et Jean­neret de con­stru­ire la cap­i­tale d’un nou­veau Pend­jab, mais aus­si et surtout un mod­èle pour la nou­velle Inde social­iste qui s’é­carterait résol­u­ment du mod­èle impér­i­al bri­tan­nique. L’or­gan­i­gramme de la société future devait se lire, et se lit, sur le plan. À Brasil­ia, en 1956, le désir con­joint de Cos­ta, de Niemey­er et de Kubitschek de con­serv­er au site sa pureté orig­inelle a amené le Prési­dent fédéral et ses urban­istes à inter­dire aux ouvri­ers des chantiers de résider à moins de 50 km. Moyen­nant quoi le dynamisme économique et la vital­ité cul­turelle insuf­flés par cette immense réal­i­sa­tion sont restés longtemps l’a­panage de cités ouvrières éloignées, aban­don­nées sans plan et sans organ­i­sa­tion à leur développe­ment ” naturel “.

Aujour­d’hui, on ne peut pas man­quer de trou­ver cer­tains mérites à ce que ces utopies sont dev­enues et admir­er en souri­ant l’ha­bileté du genre humain à tir­er par­ti de tout. Mais on doit aus­si penser à la gigan­tesque aspi­ra­tion de moyens et d’én­ergie que ces pro­jets ont coûtés et, plus encore, à ce que ces moyens et cette énergie auraient apporté aux villes exis­tantes s’ils s’y étaient investis avec plus de sagac­ité dans un ordre urbain promet­teur d’avenir. C’é­tait une tâche plus mod­este, presque besogneuse, de résul­tat sim­ple en apparence ; mais le change­ment d’échelle aurait exigé, là aus­si, plus de recherche/action qu’il n’y paraît à pre­mière vue. Seule­ment voilà, ces villes, déjà très impres­sion­nantes et qui le deve­naient chaque jour un peu plus, avaient le tort d’ex­is­ter et donc de représen­ter ce qu’on ne voulait plus voir. C’é­tait vers une vision nou­velle, mais non repro­ductible, de la Ville qu’il fal­lait porter les yeux.

Atten­tion donc à la Cité idéale : elle détourne de la ville réelle. Non seule­ment elle peut occa­sion­nelle­ment acca­parer des moyens qui eussent été mieux placés dans les villes exis­tantes, mais, plus grave­ment, elle laisse croire fausse­ment qu’il est pos­si­ble, par la créa­tion ex nihi­lo, d’échap­per aux con­traintes ” triv­iales ” de la ville réelle8. Elle dis­qual­i­fie ain­si per­fide­ment la recherche/action per­pétuelle­ment con­fron­tée au mur d’in­com­préhen­sion qu’en­gen­dre la trans­for­ma­tion d’une ques­tion sim­ple en ques­tion ardue par le seul change­ment d’échelle.

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1. Direc­tion de la Recherche et de l’Ac­tion sci­en­tifique et tech­nique (DRAST).
2. La crois­sance annuelle de l’u­til­ité économique moyenne de la sup­pres­sion de ces nui­sances est proche de celle de la con­som­ma­tion finale des ménages.
3. De plus en plus les com­munes inter­dis­ent toute inter­ven­tion en voirie dans les trois ans qui suiv­ent un nou­veau revête­ment. Elles oblig­ent sou­vent aus­si le ges­tion­naire de réseau à répar­er non seule­ment la sur­face entamée mais une large par­tie envi­ron­nante, pour éviter l’ef­fet, générale­ment désas­treux, de ” rustine “.
4. Ensem­ble des sci­ences du dan­ger (Cf. L’archipel du dan­ger G. Y. Kervern (55) et P. Rubise ; Éco­nom­i­ca, 1991).
5. L’opin­ion sur ce sujet est sou­vent dic­tée par une réac­tion instinc­tive ” d’autruche “. ” Ce qu’on voit fait peur, ce qu’on ne voit pas n’ex­iste pas. ” De fait, le groupe­ment dense des réseaux dans une galerie est impres­sion­nant. Mais on doit à ce pro­pos faire trois remarques :
— il ne faut pas con­fon­dre peur et danger ;
— si nous avions des yeux aptes à voir dans le sol, cer­taines con­cen­tra­tions de réseaux nous impres­sion­neraient tout autant. C’est pourquoi la den­si­fi­ca­tion des réseaux sous l’e­space pub­lic change la donne rapi­de­ment au prof­it des galeries ;
— un principe général de sécu­rité est pré­cisé­ment le groupage pour une meilleure sur­veil­lance, ce qui présente indé­ni­able­ment un côté para­dox­al, mais plus spon­tané­ment admis dans d’autres cas : con­vois routiers de matières dan­gereuses, regroupe­ment de malades et de virus dans les mêmes hôpi­taux, etc.Ces réflex­ions ne retirent cepen­dant rien au sérieux d’une approche cin­dynique pro­pre aux galeries multiréseaux.
6. Clé de Sol ne promeut que des pro­jets socio-économique­ment jus­ti­fiés qui appor­tent un avan­tage net sur la sit­u­a­tion qui pré­vaudrait en leur absence. Le coût de l’habita­cle, sou­vent allégué con­tre les galeries n’est pas un argu­ment accept­able : le juge de paix doit être le bilan socioé­conomique actualisé.
7. On se place ici dans le con­texte français. En Alle­magne, en Suisse et dans plusieurs pays du Nord, les ser­vices publics urbains (Stadtwerke alle­mands, Ser­vices indus­triels suiss­es p. ex.) sont forte­ment inté­grés au sein de l’ap­pareil com­mu­nal, ce qui sem­ble faciliter cer­taines réal­i­sa­tions. Clé de Sol s’in­forme à ce sujet. Nous avons appris — mais cela reste à véri­fi­er — que la Fin­lande développe sys­té­ma­tique­ment les galeries mul­ti­réseaux à Helsin­ki. Le développe­ment très rapi­de de l’in­for­ma­tique de ce pays est sans doute à met­tre en rela­tion avec ce fait.
8. Les Cités idéales réal­isées con­nais­sent toutes, et vite, des dés­ap­pointe­ments à la hau­teur des ambi­tions qu’elles affichaient. Il y a des bidonvilles à Chandigarh !

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