Rues et voies de Paris, avec trottoirs et chaussées bombées

L’aménagement des cités : quelques figures françaises du XIXe siècle

Dossier : La cité idéaleMagazine N°554 Avril 2000Par : Alexandre OSSADZOW (55), article publié sous le patronage du Secrétariat du Comité d'histoire du ministère de l'Equipement

Du XVIIIe au XIXe siècle, ou la nécessité de l’aménagement urbain

Du XVIIIe au XIXe siècle, ou la nécessité de l’aménagement urbain

La période qui pré­cède le XIXe siècle lègue à la France des villes repliées sur elles-mêmes et dont l’a­mé­na­ge­ment n’a pas été la pré­oc­cu­pa­tion pre­mière des gou­ver­neurs. Sécu­ri­té d’a­bord, les villes sont géné­ra­le­ment ceintes de murailles. Pour le reste, par­mi les rares mesures inter­ve­nues on cite­ra, après l’ins­ti­tu­tion en mai 1599 de la charge de grand voyer de France confiée à Sul­ly, le célèbre Édit du 16 décembre 1607 sur les attri­bu­tions du grand voyer de France, pres­cri­vant notam­ment le res­pect de l’a­li­gne­ment par les construc­tions, en des articles demeu­rés en vigueur jus­qu’à la publi­ca­tion en 1989 du code de la voi­rie rou­tière1. Les rues vont s’a­li­gner mais demeurent étroites, per­met­tant le pas­sage d’une, ou le croi­se­ment, de deux charrettes.

Jusque-là rela­ti­ve­ment modé­ré, le mou­ve­ment d’ac­crois­se­ment des cités va s’ac­cé­lé­rer au XIXe siècle.

Des pro­blèmes de plus en plus aigus de cir­cu­la­tion, d’ap­pro­vi­sion­ne­ment, d’hy­giène, de pro­pre­té, et plus géné­ra­le­ment de qua­li­té de vie vont se poser : notre pays trou­ve­ra des hommes qui auront à cœur de leur appor­ter des réponses, met­tant ain­si leur savoir et leurs dons au ser­vice de leurs concitoyens.

Du XVIIIe au XIXe siècle, sur l’alimentation en eau de Paris et sur la circulation dans ses rues

On nous par­don­ne­ra de com­men­cer par la capi­tale : l’ordre ici sui­vi est chronologique.

Alimentation de Paris en eau : le canal de l’Ourcq, ou une réalisation critiqué

eLe pre­mier pro­blème urbain trai­té au xixe siècle, d’une façon que l’on va voir, est celui de l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en eau de Paris. Comme ses sœurs de pro­vince, la ville souffre d’un manque chro­nique de ce pré­cieux liquide. Plu­sieurs pro­jets ont été et sont pro­po­sés ; Louis Bruyère en par­ti­cu­lier a défi­ni le tra­cé d’un canal des­ti­né à déri­ver vers la capi­tale les eaux de la Beu­vronne, qui se jette dans la Marne à envi­ron 15 km à l’est de Paris.

Plus ambi­tieux, le pro­jet de Pierre Simon Girard se veut à double usage, de four­ni­ture d’eau de consom­ma­tion, et de pré­sence d’une voie de navi­ga­tion ; ce qui néces­site d’a­jou­ter à la Beu­vronne les eaux de tous les affluents rive droite de la Marne situés dans le dépar­te­ment de Seine-et-Marne, jus­qu’à et y com­pris l’Ourcq qui coule vingt kilo­mètres plus à l’est.


Rues et voies de Paris, avec trot­toirs et chaus­sées bom­bées. Des­sin de J.-B. Par­tiot – Annales des Ponts et Chaus­sées, 1838, II. © ENPC MÉDIATHÈQUE

Chap­tal se vante d’a­voir fait déci­der par le Consu­lat conduit par Napo­léon Bona­parte, la construc­tion du canal de l’Ourcq. D’a­près ce qui m’a été rap­por­té, entre le pro­jet de Bruyère et celui du jeune Girard, Bona­parte aurait choi­si la jeu­nesse… Nom­mé chef du ser­vice du canal et des eaux de Paris, Girard s’empresse d’en­tre­prendre les tra­vaux. Ne se conten­tant pas de ras­sem­bler de mul­tiples sources, il apporte d’im­por­tantes et mal­heu­reuses modi­fi­ca­tions au tra­cé Bruyère (en aval de la Beu­vronne), ce qui lui vaut de la part d’É­mi­land Gau­they de sévères cri­tiques, reprises par le Conseil géné­ral des Ponts et Chaus­sées2.

Girard n’en a cure : il ne traite qu’a­vec l’Em­pe­reur. Dès 1808 les pre­mières eaux (celles de la Beu­vronne) abou­tissent au Bas­sin de la Vil­lette, mais les tra­vaux sont loin d’être ter­mi­nés ; un pre­mier ébou­le­ment ne tarde pas à se pro­duire et de sérieux pro­blèmes finan­ciers se posent. Pour les résoudre, Girard fait appel à la for­mule de la conces­sion ; mais sa comp­ta­bi­li­té est dans un tel désordre qu’en 1817 il est prié de quit­ter le ser­vice, qui est confié à Hageau.

Celui-ci » remet sur des bases sérieuses les tra­vaux du canal de l’Ourcq, et pré­pare les conces­sions des canaux Saint-Mar­tin [vers la Seine au sud], et Saint-Denis [vers le même fleuve plus en aval au nord-ouest]. « 3

Les trois ouvrages seront ache­vés en 1821 (canal Saint-Denis), 1822 (canal de l’Ourcq) et 1825 (canal Saint-Mar­tin). Un ser­vice de dis­tri­bu­tion des eaux de l’Ourcq est créé, et confié en 1819 à Alexandre Bourges Saint-Génis. Celui-ci éta­blit ses prises d’eau sur le Bas­sin de la Vil­lette et veille autant qu’il peut à ce qu’au­cune éva­cua­tion sau­vage d’eaux ména­gères ne vienne souiller le canal. Mais celui-ci, par construc­tion acces­sible donc expo­sé, va déjà rece­voir les déjec­tions des bate­liers, et il y a pire ! pour ren­trer dans ses frais, le conces­sion­naire auto­ri­se­ra les rejets indus­triels. Paris rece­vra de l’eau, mais souillée.

Déçu dans son ser­vice des eaux, Bourges Saint-Génis trou­ve­ra des satis­fac­tions dans la voirie.

L’aménagement des rues de Paris : Bourges Saint-Génis, Partiot et Emmery

Revê­tues de pavés dans le centre, empier­rées à la péri­phé­rie, les rues ont, à Paris comme en pro­vince, la forme d’un U ou d’un V éva­sé, et assurent par un ruis­seau cen­tral l’é­cou­le­ment de toutes les eaux : celles de pluie tom­bant direc­te­ment sur la voie, mais aus­si, dans les cas fré­quents d’ab­sence d’é­gout, les eaux plu­viales des toits des mai­sons, enfin les conte­nus des vases de nuit géné­reu­se­ment déver­sés au petit matin ; le tout abou­tis­sant fina­le­ment aux pieds des arbres (quand il y en a), ou bien dans des creux où les eaux stag­nent, ou enfin à la Seine, laquelle est par ailleurs grand four­nis­seur d’eau de consommation…

Les rues sont par­cou­rues par des voi­tures diverses (char­rettes, cha­riots, car­rosses), par des cava­liers, et même, les trans­ports fri­go­ri­fiques n’exis­tant pas encore, par du bétail sur pied, tout ceci se mêlant joyeu­se­ment à la cir­cu­la­tion des piétons.

D’un car­rosse en tour­nant il accroche une roue
Et du choc le ren­verse en un grand tas de boue (…)
Vingt car­rosses bien­tôt, arri­vant à la file,
Y sont en moins de rien sui­vis de plus de mille,
Et pour sur­croît de maux, un sort malencontreux
Conduit en cet endroit un grand trou­peau de bœufs (…)
.

Lorsque les grands de ce monde ne sont pas en car­rosse, en chaise à por­teurs ou à che­val, leur rang leur donne le droit de mar­cher près des mai­sons de bor­dure, tenant ain­si le haut du pavé, au-des­sus et hors du peu ragoû­tant ruis­seau cen­tral qui occupe une bonne lar­geur de la voie. De celui-ci se jouent les pié­tons agiles, comme les com­mis de course des études de notaires et d’a­voués, sur­nom­més saute-ruisseaux.

Je saute vingt ruis­seaux, j’es­quive, je me pousse ;
Gué­naud sur son che­val en pas­sant m’éclabousse.

(Nico­las Boi­leau, Les embar­ras de Paris ; l’au­teur pré­ci­se­ra aima­ble­ment que » Gué­naud (qui l’a écla­bous­sé sans ver­gogne), était le plus célèbre méde­cin de Paris, et qui allait tou­jours à cheval »).

Il fal­lait s’ap­pe­ler Madame de Staël pour pré­fé­rer, aux clairs ruis­seaux des coteaux, son ruis­seau de la rue du Bac ; et tout le monde n’est pas agile. Il y a aus­si des mères de famille, des per­sonnes peu valides et des enfants, jus­ti­fiant la pose de pro­tec­tions particulières.

Le difficile début des trottoirs

En 1660, un trot­toir est selon Duez  » une piste où les maqui­gnons font trot­ter leurs che­vaux » ; en 1782, nous dit J. S. Mer­cier c’est un  » espace sur­éle­vé réser­vé à la cir­cu­la­tion des pié­tons, sur les côtés d’une rue » (peut-être parce que les mamans peuvent y faire trot­ter tran­quille­ment leurs mar­mots ?). Ces indi­ca­tions du Tré­sor de la langue fran­çaise éta­bli par le CNRS (tome XXe, 1994) sont com­plé­tées par celles d’Al­fred des Cil­leuls, His­toire de l’ad­mi­nis­tra­tion pari­sienne au XIXe siècle, 1900 :  » Depuis la fin duX­VIIIe siècle, le prin­cipe des trot­toirs avait été appli­qué [par l’é­che­vi­nage] sur les quais de Paris ; sous le règne de Louis XVI, l’é­ta­blis­se­ment de ces ouvrages devint une condi­tion pres­crite aux entre­pre­neurs de rues nou­velles, et elle fut main­te­nue pen­dant la période révo­lu­tion­naire. [Le comte] Fro­chot [pré­fet de la Seine de 1800 à 1812] ouvrit une enquête auprès des ingé­nieurs et des membres de la cor­po­ra­tion sur la géné­ra­li­sa­tion à reti­rer d’un mode par­ti­cu­lier de struc­tures sur la zone réser­vée aux pié­tons. Mais les hommes de l’art n’é­taient pas favo­rables à l’innovation (…). »

Affir­mée ensuite par le baron de Cha­brol, pré­fet de la Seine de 1815 à 1830, la volon­té de mise en place de trot­toirs sur les voies exis­tantes devra attendre un réa­li­sa­teur pour se concrétiser.

Bourges Saint-Génis et les trottoirs de Paris

En 1823 Bourges Saint-Génis est nom­mé chef du ser­vice du pavé et des bou­le­vards de Paris. A‑t-il été choi­si à cet effet par Cha­brol ? Dès sa nomi­na­tion le nou­veau chef du ser­vice entre­prend l’œuvre de pose sys­té­ma­tique de trot­toirs sur les rues exis­tantes. La tech­nique uti­li­sée est celle qui était sui­vie sur les quais puis sur les rues nou­vel­le­ment ouvertes : des dalles de lave d’Au­vergne ou de gra­nit, coû­teuses mais rete­nues en rai­son de leur résis­tance. En sept ans, près de 20 000 mètres de voies sont ain­si équipées.

Les rues de Paris offrent enfin une cer­taine sécu­ri­té aux pié­tons ain­si d’ailleurs qu’aux mai­sons rive­raines ; il est temps de s’oc­cu­per du peu ragoû­tant ruis­seau cen­tral.

Partiot et ses rues bombées, associé d’Emmery avec ses égouts

En 1830 Bourges Saint-Génis prend une légi­time retraite. Nom­mé à son tour au ser­vice du pavé et des bou­le­vards de Paris, Jean-Bap­tiste Par­tiot pour­suit l’œuvre de son prédécesseur.Il vou­drait bien aller plus loin, et rem­pla­cer le pro­fil en U ou V éva­sé dit des rues fen­dues par un pro­fil bom­bé dans lequel la par­tie cen­trale serait en hau­teur, comme le Conseil géné­ral des Ponts et Chaus­sées le recom­mande pour les routes hors des villes et comme cela existe déjà dans cer­taines voies de Londres, mais les bor­dures de trot­toirs n’offrent que des rigoles insuf­fi­santes pour rem­pla­cer un ruis­seau cen­tral qui véhi­cule toutes les eaux.

Un troi­sième lar­ron entre alors en scène. En 1832 Hen­ri Charles Emme­ry est nom­mé chef du ser­vice muni­ci­pal de Paris, char­gé des eaux et des égouts. Il s’at­telle d’au­tant plus vite à ces deux sortes d’ou­vrages que la même année une nou­velle épi­dé­mie de cho­lé­ra ravage la ville. Des chasses d’eau sont néces­saires pour vidan­ger les égouts, les­quels sont de leur côté néces­saires pour éva­cuer une eau four­nie en plus grande quan­ti­té :  » Pas d’é­gouts sans ali­men­ta­tion en eau, pas d’a­li­men­ta­tion en eau sans égouts « , dira plus tard Alphand.

À par­tir de 1833 Emme­ry reçoit l’aide effi­cace du jeune ingé­nieur Alexandre Michal, qui se charge de l’œuvre humble et néces­saire des égouts. À eux les eaux plu­viales des toits et les eaux ména­gères ; les rues n’ayant plus à véhi­cu­ler que les eaux plu­viales (et les déjec­tions) arri­vant direc­te­ment sur leur sur­face, pour­ront les cana­li­ser dans les rigoles de trot­toirs, que par pru­dence, Par­tiot amé­nage en semi-sou­ter­rain pour un plus grand débit sous la forme de cani­veaux

Déchar­gé par Michal de l’œuvre des égouts, Emme­ry peut de son côté se consa­crer au pro­blème de l’a­li­men­ta­tion en eau. En sept ans sont posés 80 kilo­mètres d’é­gouts et 100 kilo­mètres de conduites d’eau… du canal (navi­gable) de l’Ourcq. L’é­chec de la for­mule de Girard est patent, mais trop récent ; l’heure d’une nou­velle déri­va­tion consa­crée à la seule consom­ma­tion n’a pas encore sonné.

Dans l’at­tente, Emme­ry appor­te­ra un cer­tain sou­la­ge­ment en diri­geant, sur une étude scien­ti­fique de Fran­çois Ara­go, la réa­li­sa­tion par l’en­tre­pre­neur Georges Mulot du puits arté­sien de Gre­nelle, mis en ser­vice en février 1841 et qui four­ni­ra durant de nom­breuses années 900 m3 d’eau pure par jour (ce puits s’est peu à peu tari au début du XXe siècle).

Par­tiot ren­contre cepen­dant quelques résis­tances pour trans­for­mer les chaus­sées fen­dues en chaus­sées bom­bées avec trot­toirs : on apprend à cette occa­sion que les fers des che­vaux doivent régu­liè­re­ment être mouillés, et les voi­tu­riers n’ap­pré­cient pas la dis­pa­ri­tion d’un ruis­seau cen­tral bien com­mode à cet effet…

Sou­te­nu par Cha­brol, Par­tiot per­siste.  » La géné­ra­li­sa­tion du sys­tème des égouts et des chaus­sées bom­bées per­met bien­tôt d’é­ta­blir pour chaque îlot de mai­son un point bas du cani­veau avec bouche d’é­gout et un point haut avec borne-fon­taine. Celle-ci fonc­tionne libre­ment deux fois par jour pen­dant une heure, l’eau entraî­nant jus­qu’à la bouche eaux sales, boues, et ordures. « 4

À leur départ en 1839, Par­tiot et Emme­ry laissent une œuvre qui sera pour­sui­vie à Paris et bien­tôt imi­tée par la pro­vince. La capi­tale devra en revanche attendre le Second Empire, avec Hauss­mann et Bel­grand, pour dis­po­ser d’eau de source ; en ce domaine la pro­vince, où Mont­pel­lier a mon­tré l’exemple dès le XVIIIe siècle avec l’illustre Hen­ri Pitot, va conti­nuer à tenir la tête avec Dar­cy à Dijon et Mon­tri­cher à Marseille.

Darcy et l’alimentation en eau de Dijon

Henri Darcy. Médaillon en bronze
Hen­ri Dar­cy. Médaillon en bronze, hall d’entrée du bâti­ment de la Direc­tion dépar­te­men­tale de l’Équipement de la Côte‑d’Or à Dijon. 
© PIERRE BARASTIER, DDE DE LA CÔTE‑D’OR

Ma paresse natu­relle m’in­ci­tant à ne pas refaire un tra­vail déjà accom­pli par quel­qu’un d’autre, je livre ici au lec­teur de larges cita­tions de l’ou­vrage Hen­ry Dar­cy, Ins­pec­teur géné­ral des Ponts et Chaus­sées, 1803–1858, publié en 1957 à Dijon par son des­cen­dant Paul Darcy. »

(…) Pen­dant son enfance et sa jeu­nesse, Dar­cy avait été écœu­ré par l’eau qu’il avait été obli­gé de boire et s’é­tait pro­mis de mettre fin à cette situa­tion si jamais il était nom­mé à un poste lui en don­nant les moyens. Dijon était en effet l’une des villes de France les plus dépour­vues d’eau et cette eau était infecte

. » (…) D’as­sez nom­breuses petites sources, sur de faibles mon­ti­cules à l’est de la ville, avaient ali­men­té jus­qu’au XVIIe siècle quelques bas­sins et quelques bornes-fon­taines, mais elles taris­saient sou­vent en été et n’é­taient plus uti­li­sées. La popu­la­tion se rési­gnait donc à n’u­ti­li­ser que les puits creu­sés dans la ville, au nombre d’une cen­taine (…) et l’eau de pluie recueillie dans des citernes. Ces puits étaient ali­men­tés par une nappe d’eau peu pro­fonde. Elle était dans presque toute son éten­due infec­tée, et depuis bien long­temps, les Dijon­nais se plai­gnaient de l’eau mal­odo­rante et de mau­vais goût qu’il leur fal­lait boire. »

(…) La ville avait été le siège d’é­pi­dé­mies de fièvre typhoïde, de cho­lé­ra et même de peste, comme celle de la fin du XVIIe siècle. Ajou­tons que, lorsque les étés étaient secs, les puits n’é­taient pas loin de tarir. L’in­fec­tion de ces eaux s’ex­plique (…) par les matières cor­rom­pues, pro­ve­nant d’une nom­breuse popu­la­tion et cri­blant le ter­rain (…). Outre les fosses d’ai­sance non tou­jours étanches, il y avait le » cloaque » : le lit de ce tor­rent fan­tai­siste qu’é­tait le Suzon, tra­ver­sant la ville (…) à ciel ouvert sur 1 350 mètres et rece­vant les déjec­tions de seize égouts secon­daires et de cent soixante lieux d’aisance (…).

» Il n’a­vait jamais été pos­sible de cou­vrir ce cloaque et de le trans­for­mer en un égout sou­ter­rain. Les rive­rains (…) se réfu­giaient dans le maquis de la pro­cé­dure et pré­ten­daient qu’ayant acquis des ser­vi­tudes ils ne pou­vaient être délogés (…).

» La situa­tion allait s’ag­gra­vant chaque année (…). Bien sou­vent les magis­trats muni­ci­paux s’en inquié­tèrent. De nom­breux pro­jets leur furent pro­po­sés mais, soit insuf­fi­sance de fonds, soit décou­ra­ge­ment de leurs auteurs, soit sur­tout vice de leurs concep­tions, tous furent aban­don­nés (…). Il n’y avait que deux solu­tions, tou­jours les mêmes : ou ras­sem­bler les petites sources de débit ané­miques situées à l’est de Dijon, ou rendre per­ma­nent le Suzon (…) pour les usages domes­tiques et la bois­son. Depuis trois siècles on ne se déci­dait pas (…).

» Plu­sieurs expé­di­tions furent entre­prises pour explo­rer les sources du Suzon (le Val-Suzon, Sainte-Foy et le Rosoir), et de nom­breux pro­jets pro­po­sés, notam­ment sur la source du Rosoir, et sur une autre source, celle du Neu­von entre Plom­bières et Velars (…). Une ultime ten­ta­tive eut lieu en 1829 : le creu­se­ment à la place Saint-Michel d’un puits qu’on espé­rait arté­sien (…). À 150 mètres de pro­fon­deur on attei­gnit une autre nappe mais la pres­sion n’é­tait pas assez forte pour que l’eau jaillisse et le pom­page n’au­rait pas per­mis d’ob­te­nir une quan­ti­té d’eau suf­fi­sante, le pro­jet fut abandonné.

» Telle était la situa­tion à l’é­poque où Dar­cy fut nom­mé ingé­nieur en chef. Il prit pos­ses­sion de ses nou­velles fonc­tions avec la volon­té bien arrê­tée d’en finir (…). Arri­vé à cette conclu­sion que seule la source du Rosoir méri­tait une étude atten­tive, il s’y trans­por­tait à maintes reprises, pro­cé­dait avec un géo­logue à l’exa­men des ter­rains et fai­sait régu­liè­re­ment jau­ger la source à sa sor­tie de terre. Il consta­tait ain­si avec satis­fac­tion que, pen­dant l’é­té extrê­me­ment sec de l’an­née 1832, la source n’a­vait jamais débi­té à moins de 2 770 litres à la minute ; alors qu’en hiver on recueillait en moyenne le triple. Sa déci­sion est vite prise.

» Au début de l’an­née 1834, quatre mois après avoir effec­tué son der­nier jau­geage, il remet de sa propre ini­tia­tive et sans avoir été man­da­té par per­sonne, un mémoire très com­plet et très pré­cis au maire Dumay et au pré­fet Cha­per qui seront séduits et qui l’ap­puie­ront. Le 5 mars sui­vant, il est convo­qué devant le Conseil muni­ci­pal, expose son pro­jet avec sa fougue habi­tuelle et vient à bout de la résis­tance tenace que lui opposent ceux qui trouvent la dépense trop forte. Il adresse ensuite son mémoire au Conseil géné­ral des Ponts et Chaus­sées qui, après l’a­voir enten­du, donne son accord, puis au Conseil d’É­tat qui se com­porte de même.

Le 31 décembre 1834, une ordon­nance royale déclare d’u­ti­li­té publique l’ins­tal­la­tion hydrau­lique pré­vue et auto­rise la Ville de Dijon à acqué­rir à l’a­miable ou par expro­pria­tion for­cée les ter­rains néces­saires à la déri­va­tion des eaux. Grâce aux concours actifs du maire et du pré­fet, les récla­ma­tions et les oppo­si­tions des pro­prié­taires de la val­lée du Suzon sont levées sans trop de difficultés.

Le 21 mars 1839, le pre­mier coup de pioche est don­né et dix-huit mois plus tard, le 6 sep­tembre 1840, sans qu’il y ait eu aucun mécompte, une masse d’eau de 7 000 litres par minute arri­vait au réser­voir de la Porte Guillaume aux applau­dis­se­ments de la popu­la­tion. Le 18 juillet de l’an­née sui­vante, une gerbe d’eau de 9 mètres de hau­teur jaillis­sait dans le bas­sin de la place Saint-Pierre à l’é­ba­his­se­ment et aux accla­ma­tions des Dijon­nais accou­rus en foule pour assis­ter à ce spec­tacle si nou­veau pour eux.

» Dar­cy répar­tit toute cette eau, depuis si long­temps dési­rée, dans toute la ville. Il com­mence par construire deux réser­voirs d’en­semble 57 000 hec­to­litres (…) et exé­cute un impor­tant réseau de cana­li­sa­tions qui sillon­ne­ront toutes les rues (…). Cent qua­rante deux bornes-fon­taines sont ins­tal­lées (…). Tous les anciens puits sont bien enten­du bouchés.

Alimentation en eau de Dijon : carte de l’aqueduc du Rosoir.
Ali­men­ta­tion en eau de Dijon : l’aqueduc du Rosoir.
Docu­ment aima­ble­ment com­mu­ni­qué par la Socié­té Lyon­naise des Eaux-Dumez.

» Ce sera ensuite le tour du cloaque immonde. Mais, pour le cou­vrir et en faire un égout sou­ter­rain déblayé par la chasse d’eau ren­due per­ma­nente grâce aux eaux du Rosoir, Dar­cy devra attendre six ans, jus­qu’au jour, en 1847, où les rive­rains peu dégoû­tés de ces lieux mal­odo­rants et qui ont fait oppo­si­tion aux arrêts de la muni­ci­pa­li­té, aient été défi­ni­ti­ve­ment déboutés.

» À cette époque, la dis­tri­bu­tion de l’eau était assi­mi­lée à un ser­vice gra­tuit. On ne payait pas l’eau qu’on allait cher­cher aux bornes-fon­taines. Ceux qui vou­laient évi­ter cette cor­vée avaient recours aux por­teurs d’eau qu’ils rému­né­raient. Mais, dans les grandes villes du Conti­nent, à l’ins­tar de ce qui se pas­sait à Londres, on com­men­çait à ame­ner l’eau dans les mai­sons et à tous les étages, grâce à l’emploi des pompes à vapeur. Ceux qui vou­laient pro­fi­ter de ce luxe payaient les frais d’ins­tal­la­tion et un abon­ne­ment. À Dijon, le 8 août 1847, l’ac­tif maire Dumay, sur la sug­ges­tion de Dar­cy, fit prendre à son Conseil muni­ci­pal la déci­sion d’i­mi­ter Paris où 20 % des mai­sons rece­vaient leur eau. Mais, à son éton­ne­ment, le nombre des abon­nés dijon­nais ne crût que très len­te­ment (…). C’é­tait sur­tout à cause du nombre des bornes-fon­taines beau­coup plus éle­vé qu’ailleurs par rap­port à la popu­la­tion et notam­ment qu’à Paris (…).

» L’ap­port repré­sen­tait une moyenne jour­na­lière d’en­vi­ron 350 litres par habi­tant, sur laquelle 110 à 120 litres pou­vaient être pré­le­vés pour les besoins de la Ville. À la même époque et par habi­tant, Paris dis­tri­buait 84 litres, Tou­louse 75, Bor­deaux 170, et Lyon 85. À l’é­tran­ger, Londres et Bruxelles dis­tri­buaient 80 litres. Ain­si Dijon était deve­nu, pro­por­tion­nel­le­ment au nombre de ses habi­tants, la ville de France la mieux pour­vue d’eau et la seconde ville d’Eu­rope. À l’é­tran­ger en effet, une seule ville la dépas­sait, Rome, qui en sou­ve­nir de sa magni­fi­cence pas­sée, dis­po­sait de 1 500 litres par habi­tant et par jour.

» Dar­cy, qui ne vou­lut rece­voir aucune rému­né­ra­tion d’au­cune sorte, pas même pour ses frais de dépla­ce­ment dans la val­lée du Suzon et ses frais de voyage à Paris, ren­dit ain­si avec usure à sa ville natale la bourse [que celle-ci lui avait accor­dée et] qui lui avait per­mis de pour­suivre ses études.

« Dar­cy ren­dra ensuite un autre ser­vice émi­nent à sa ville natale, puis atta­che­ra son nom à la science hydrau­lique dans le domaine de la fil­tra­tion. Fière de son enfant, Dijon don­ne­ra ce même nom à une belle place de la ville (voir les notices biographiques).

Montricher et l’alimentation en eau de Marseille

En matière de four­ni­ture d’eau, Dijon avec Dar­cy est sui­vie de près par Mar­seille, qui béné­fi­cie des ser­vices de Mon­tri­cher dans des condi­tions assez dif­fé­rentes. Je passe ici la parole à Auguste Jou­ret, ingé­nieur de l’É­cole cen­trale de Lyon, auteur de l’ar­ticle Frantz Mayor de Mon­tri­cher (1810 – 1858) paru dans le numé­ro V de Tech­ni­ca, la revue de cette école.

Frantz Mayor de Montricher.
Frantz Mayor de Montricher.
Auto­por­trait fixé en place d’honneur dans le hall d’entrée du bâti­ment de la Socié­té des Eaux de Mar­seille. Pho­to­gra­phie aima­ble­ment com­mu­ni­quée par la Socié­té des Eaux de Marseille.

» Le pro­blème de l’a­li­men­ta­tion en eau de Mar­seille n’a été réso­lu qu’au XIXe siècle. Jusque-là toute l’his­toire locale mar­seillaise était domi­née par un sou­ci grave : quel sera le pro­chain été ? Sera-t-il sec ou plu­vieux ? (…). À quelques kilo­mètres du rivage les col­lines rocheuses ali­mentent deux maigres ruis­se­lets, les Ayga­lades et le Jar­ret, et une courte rivière, l’Hu­veaune, tous trois plus égouts que ruisseaux (…).

» Trois prises d’eau éta­blies sur l’Hu­veaune, et une qua­trième sur le Jar­ret ali­men­taient Mar­seille. Elles four­nis­saient en hiver 108 litres par seconde et moi­tié moins pen­dant cinq ou six mois de l’an­née. C’est dire que Mar­seille, pri­vi­lé­giée par la sûre­té de son antique Vieux-Port, était pra­ti­que­ment dénuée de res­source en eau. Encore faut-il ajou­ter que cette infime dota­tion se com­po­sait » d’eaux crasses, immondes, boueuses « , source ou sti­mu­lant de redou­tables fléaux. À cer­taines époques la popu­la­tion devait être ration­née sévè­re­ment comme un équi­page de voi­lier à la mer ; la foule assié­geait les fon­taines où cou­lait un mince filet d’eau. En 1834 chaque habi­tant vit sa part tom­ber à moins d’un litre et demi par jour. Le cho­lé­ra fit son appa­ri­tion, suc­cé­dant à une ving­taine de pestes mémorables.

» Pour­tant la popu­la­tion gran­dis­sait. De 80 000 habi­tants sous l’Em­pire, elle était pas­sée, mal­gré les ravages de l’é­pi­dé­mie (…) à 160 000 en 1845. C’é­tait bien plus qu’il n’en fal­lait à la mal­heu­reuse cité qui, mal­gré l’es­sor indus­triel et com­mer­cial du siècle, voyait l’a­ve­nir irré­mé­dia­ble­ment fermé.

» De tout temps, est-il besoin de le dire, Mar­seille avait cher­ché un remède à son état déplo­rable. Elle n’en voyait qu’un : conduire sur son ter­ri­toire une déri­va­tion de la Durance. Au XVIe siècle, avec Adam de Cra­ponne, elle avait failli réa­li­ser ce pro­jet. Plus tard, Vau­ban lui-même s’é­tait inté­res­sé à l’ou­vrage : » Je revien­drai bien­tôt, avait-il dit, et nous remue­rons des terres. » Mais la mort de Vau­ban comme celle de Cra­ponne avait tout remis en question.

Vers le milieu du XVIIe siècle, on fut bien près d’a­bou­tir. Un ingé­nieur habile, J. A. Flo­quet, » archi­tecte hydrau­lique, ces­sion­naire du Pri­vi­lège du Roy pour la déri­va­tion des eaux de la Durance « , avait étu­dié de nou­veaux plans (…). Flo­quet ne man­quait pas de cou­rage mais, mal­gré ses appels intel­li­gents et une science hydrau­lique très pous­sée (il était l’é­mule de Béli­dor), il ne fut pas enten­du. Les tra­vaux furent entre­pris, puis vite aban­don­nés faute de res­sources. L’ar­chi­tecte hydrau­lique en mou­rut de chagrin (…).

» Comme trop d’in­té­rêts dans tout le dépar­te­ment étaient en jeu pour qu’on abou­tît, la muni­ci­pa­li­té déci­da en 1834 (…) qu’elle construi­rait elle-même le canal, à ses frais et pour l’u­sage exclu­sif de ses habi­tants (…). Mais la réso­lu­tion ne suf­fi­sait pas. Il fal­lait des hommes pour la pour­suivre. Mar­seille eut alors deux chances rares, la pre­mière d’a­voir à sa tête un maire – et dans cette bonne ville la chose est à sou­li­gner – la seconde de ren­con­trer l’in­gé­nieur le plus capable de mener la tâche à bien (…). En 1836 Mon­tri­cher fut nom­mé à Mar­seille (…). Le maire, Conso­lat, jeta les yeux sur le jeune ingé­nieur – il n’a­vait alors que 26 ans – et n’eut pas lieu de regret­ter son choix.

Le canal d’alimentation en eau de Marseille depuis La Durance
Le canal d’alimentation en eau de Mar­seille. Cro­quis aima­ble­ment com­mu­ni­qué par la Socié­té des Eaux de Marseille.

» Le [tra­cé du] canal de Mar­seille se détache de la Durance près du pont de Per­thuis, à la cote 186. Il va en direc­tion de l’Ouest, domi­nant à par­tir de Lan­son le vieil ouvrage de Cra­ponne, puis tra­verse du Nord au Sud la chaîne des Côtes, vers le châ­teau de Taillades non loin de Lam­besc. Plus loin, près de Cou­doux, il s’in­flé­chit à l’Est, en direc­tion d’Aix-en-Pro­vence, dans la val­lée de l’Arc qu’il fran­chit à Roque­fa­vour, et touche enfin le péri­mètre de Mar­seille à Saint-Antoine, à la cote 161, après un par­cours de 83 kilo­mètres envi­ron com­pre­nant trente-huit gale­ries sou­ter­raines d’une lon­gueur cumu­lée de 16 kilo­mètres. Arri­vé à Saint-Antoine, extré­mi­té de la branche-mère et ori­gine des pre­mières déri­va­tions, le canal contourne à flanc de coteau les 9 000 hec­tares du bas­sin mar­seillais (…). Une déri­va­tion ali­mente Aubagne, Cas­sis et La Ciotat (…).

» Tan­dis que se pour­sui­vaient les études, recherches de car­rières et essais de maté­riaux et de maté­riel (…) les pre­miers coups de pioche étaient don­nés en octobre 1838 aux sou­ter­rains de l’As­sas­sin et de Notre-Dame, répu­tés les plus dif­fi­ciles. En 1839 le chan­tier était en acti­vi­té sur à peu près toute sa lon­gueur. Michel Che­va­lier eut l’oc­ca­sion de consta­ter que l’or­ga­ni­sa­tion des chan­tiers était supé­rieure à tout ce qu’il avait vu tant en Europe qu’en Amérique (…).

» Mon­tri­cher avait devant lui plu­sieurs mil­liers d’ou­vriers et une tâche que chaque jour ren­dait plus com­plexe (…). Or le tra­cé com­por­tait plu­sieurs ouvrages sor­tant vrai­ment de l’or­di­naire : (…) la prise de la Durance, un pont-aque­duc de plus de 80 mètres de hau­teur, et sur­tout trois sou­ter­rains de grande lon­gueur, dont un au moins aurait pu épui­ser le plus intré­pide des ingé­nieurs après avoir décou­ra­gé les entre­pre­neurs qui s’y succédèrent.

» En 1838 per­sonne n’a­vait encore l’ex­pé­rience de ce qu’on appelle aujourd’­hui les grands tra­vaux modernes (…). On ne connais­sait aucun pro­cé­dé de per­fo­ra­tion méca­nique. La machine à vapeur était peu uti­li­sée aux tra­vaux. On tra­vaillait comme au temps des Romains. Un chan­tier comme celui de Roque­fa­vour, qui ne pose­rait aujourd’­hui que des pro­blèmes clas­siques d’or­ga­ni­sa­tion, entraî­na Mon­tri­cher à des études variées : toutes les ins­tal­la­tions y consti­tuaient de véri­tables inven­tions per­son­nelles de l’ingénieur.

» Les tra­vaux de la prise de la Durance (…) furent entre­pris en sep­tembre 1842 (…). Ils durèrent cinq ans et il fal­lut plu­sieurs fois refaire (…) ce que les crues avaient détruit. » L’ou­vrage le plus connu du canal de Mar­seille est le pont-aque­duc de Roque­fa­vour, sur l’Arc, à quelques kilo­mètres à l’ouest d’Aix-en-Pro­vence. Sa lon­gueur entre culées est de 375 mètres et sa hau­teur de 83 mètres. Il est com­po­sé de trois étages d’arcs ; le pre­mier a douze arches de 15 mètres d’ou­ver­ture sur 34 mètres de hau­teur ; le second quinze arches de 16 mètres d’ou­ver­ture sur 38 mètres de hau­teur ; le der­nier, cin­quante-trois arches de cinq mètres sur 11 mètres.

Bien qu’ins­pi­ré du Pont du Gard, l’a­que­duc de Roque­fa­vour est loin d’être un pas­tiche de l’ou­vrage romain. Tan­dis qu’à celui-ci les étages sont net­te­ment mar­qués, comme trois ouvrages dif­fé­rents construits sépa­ré­ment l’un au-des­sus de l’autre, à Roque­fa­vour au contraire, la ligne ver­ti­cale l’emporte sur les deux pre­miers étages par la conti­nui­té des piles, et la voûte inter­mé­diaire des grandes arcades n’ap­pa­raît qu’en entretoise (…).

Com­pa­ré à Roque­fa­vour, le Pont du Gard est bas, à la fois par sa hau­teur bien moindre (49 mètres) et par la dis­po­si­tion hori­zon­tale de ses lignes maî­tresses – ce qui d’ailleurs ne retranche rien à son har­mo­nieuse beau­té – et si l’on vou­lait pous­ser plus loin la com­pa­rai­son, on pour­rait dire, mal­gré l’im­pro­prié­té mani­feste et l’a­na­chro­nisme des termes, que chefs-d’œuvre tous les deux, l’un est roman, l’autre gothique. L’a­que­duc de Roque­fa­vour, avec la chaude patine de sa pierre illu­mi­nant la cam­pagne d’Aix (…) est une des plus belles choses de Pro­vence, des plus déli­cates et originales.

» Après une longue pré­pa­ra­tion et maints essais d’é­cha­fau­dages et de monte-charges, les tra­vaux du pont-aque­duc furent entre­pris en 1841, mais les entre­pre­neurs, effrayés de l’é­nor­mi­té de la tâche, aban­don­nèrent. Il fal­lut conti­nuer en régie. L’or­ga­ni­sa­tion était remar­quable ; elle était condi­tion­née par le trans­port et le » bar­dage » des pierres (…) qui furent modu­lées en assises de 0,60 m à 1,25 m d’é­pais­seur, et même jus­qu’à 2 mètres.

» Véri­table tra­vail d’É­gypte, cer­tains blocs pesaient 15 tonnes ! Un petit che­min de fer de neuf kilo­mètres reliait la car­rière à l’ou­vrage. Les moel­lons étaient his­sés par des grues jus­qu’au pont de ser­vice situé sur les piles mêmes et une petite usine hydrau­lique por­tait par­tout la force par des cour­roies et des câbles. Mon­tri­cher avait fait preuve de beau­coup d’in­gé­nio­si­té dans la concep­tion des écha­fau­dages, qu’il fal­lait éle­ver au fur et à mesure de la mon­tée des maçon­ne­ries (…). L’ou­vrage fut ache­vé en juin 1846. Louis Napo­léon III le visi­ta en 1852 et en fut enthou­sias­mé [ain­si que] Lamartine (…).

Le pont-aqueduc de Roquefavour, près d’Aix-en-Provence.
Le pont-aque­duc de Roque­fa­vour, près d’Aix-en-Provence.
Pho­to­gra­phie aima­ble­ment com­mu­ni­quée par la Socié­té des Eaux de Marseille.

» Le reste du tra­cé était beau­coup plus ingrat (…). Pour le sou­ter­rain de Notre-Dame (3 491 mètres) il fal­lut batailler pen­dant toute la durée de la construc­tion, de 1838 à 1845, contre les venues d’eau et les ébou­le­ments. Quant au sou­ter­rain des Taillades, de 3 674 mètres, il don­na à Mon­tri­cher les pires ennuis (…). Effrayés par les pertes de che­vaux les entre­pre­neurs aban­don­nèrent (…). Il ne fut plus pos­sible de trou­ver des entre­pre­neurs qui vou­lussent se char­ger des épui­se­ments et des fon­çages. Les tra­vaux furent conti­nués en régie directe. [Après de fortes dif­fi­cul­tés, dont une venue d’eau] d’une source énorme, les tra­vaux de ce sou­ter­rain furent ache­vés en 1846. Plu­sieurs ouvriers y avaient trou­vé la mort. Les eaux ren­con­trées furent recueillies dans le canal.

» Au long de ce pénible tra­vail (…) il arri­va un moment où tout le per­son­nel fut sai­si d’un décou­ra­ge­ment pro­fond, où les ouvriers refu­saient de tra­vailler (…). Le pre­mier sur les chan­tiers, Mon­tri­cher (…) sait com­mu­ni­quer à tous sa confiance dans le résul­tat final, son zèle, son abné­ga­tion ; depuis le chef jus­qu’au plus humble, cha­cun reprend une ardeur nouvelle.

» Les eaux de la Durance arri­vèrent sur le ter­ri­toire de Mar­seille en 1847 (…). Dès le com­men­ce­ment de 1849, elles cou­laient dans toutes les direc­tions. Alté­rée depuis des siècles, Mar­seille se voyait brus­que­ment deve­nir la ville du monde la mieux dotée en eau (…). »

Dijon, Marseille, Avallon et Paris

Aver­tis sans doute par leurs aînés du Conseil géné­ral des Ponts et Chaus­sées, Dar­cy et Mon­tri­cher se sont bien gar­dés de renou­ve­ler l’er­reur de Girard, et ont construit des ouvrages réser­vés à la seule ali­men­ta­tion en eau de leurs concitoyens.

Ain­si qu’on a pu le voir, les condi­tions de pré­pa­ra­tion et d’exé­cu­tion des opé­ra­tions ont été fort dif­fé­rentes. À Dijon, Dar­cy a dû conce­voir tout son pro­jet, puis le faire approu­ver par les auto­ri­tés com­pé­tentes, ce qui a pris du temps ; il s’est trou­vé ensuite devant des tra­vaux de dif­fi­cul­té cou­rante. À Mar­seille Mon­tri­cher a béné­fi­cié de sérieuses études effec­tuées avant lui, tan­dis que la muni­ci­pa­li­té avait déjà accom­pli une bonne par­tie des démarches ; les tra­vaux en revanche ont été par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­ciles et leur menée à bonne fin a consti­tué une véri­table prouesse.

Dar­cy a pla­cé sa déri­va­tion dans une conduite fer­mée. Le tra­cé a été modi­fié par la suite, et d’autres sources (Val-Suzon, Sainte-Foy) sont aujourd’­hui uti­li­sées ; mais le Rosoir conti­nue à être une des prin­ci­pales res­sources en eau de Dijon.

À Mar­seille, Mon­tri­cher a construit sous le nom de canal une déri­va­tion non enfer­mée sur le tra­jet cou­rant, mais non acces­sible et pra­ti­que­ment fer­mée dans les par­ties sou­ter­raines. La Socié­té des Eaux de Mar­seille, conces­sion­naire pour la Ville de Mar­seille, a d’ailleurs entre­pris un pro­gramme de cou­ver­ture des par­ties non sou­ter­raines, actuel­le­ment lar­ge­ment réa­li­sé. Aujourd’­hui encore la déri­va­tion de Mon­tri­cher ali­mente en eau, moyen­nant des trai­te­ments en bas­sin, non seule­ment Mar­seille mais aus­si les villes situées sur son parcours.

Alors qu’il était en poste de 1845 à 1852 dans l’ar­ron­dis­se­ment d’A­val­lon, Bel­grand put visi­ter les ouvrages de Dar­cy à Dijon et s’en­tou­rer de ses conseils pour réa­li­ser l’a­li­men­ta­tion en eau de cette sous-pré­fec­ture. Mise en ser­vice en 1849, cette œuvre fit l’ad­mi­ra­tion du pré­fet de l’Yonne, un cer­tain Georges Hauss­mann ; nom­mé pré­fet de la Seine en 1853, ce der­nier fait venir Bel­grand en 1855 et lui demande de recom­men­cer dans la capi­tale (Mémoires du baron Haussmann).

De Dijon à Paris, la route de l’a­li­men­ta­tion en eau passe par Aval­lon. Bel­grand inter­vint d’ailleurs auprès de Hauss­mann pour que deux des rues entou­rant le réser­voir de Ménil­mon­tant où se déversent les eaux de la Dhuis reçoivent les noms de ses aînés : Emme­ry le pion­nier, et Dar­cy, le maître.

Les grandes dates d’a­li­men­ta­tion en eau de source des cités de France au XIXe siècle sont rap­pe­lées ci-après.

Ville Dijon Mar­seille Paris
Réalisateur Hen­ry Darcy Frantz Mayor de Montricher Eugène Belgrand
Sources ou rivières dérivées Le Rosoir (une des sources du Suzon) La Durance La Dhuis et la Vanne
Études et démarches administratives 1831 à 1838 1836 à 1838 (démarches seules) 1854 à 1862
Début des travaux 1839 1838 Dhuis : 1863
Vanne : 1867
Mise en service 1841 1850 Dhuis : 1865
Vanne : 1874

Une opération d’urbanisme au XIXe siècle : Mongy et les liaisons entre Lille, Roubaix et Tourcoing

Après ces réa­li­sa­tions poly­tech­ni­ciennes je suis heu­reux de pro­po­ser au lec­teur le rap­pel de l’œuvre, par un non X, de ce qui a peut-être été notre pre­mière opé­ra­tion d’ur­ba­nisme au sens où nous l’en­ten­dons aujourd’­hui, et en appelle à cet effet à trois auteurs : Anne Len­glet, Gérard Blon­deau, et Alfred Mon­gy lui-même5.

Lille au XIXe siècle, ou un nouveau besoin d’agrandissement

En ce XIXe siècle le pro­blème le plus aigu res­sen­ti à Lille n’est pas celui de l’a­li­men­ta­tion en eau.

C’est en effet par ce sec­teur du Nord, observe Anne Len­glet, que se dif­fuse en France, dans la pre­mière moi­tié du XIXe siècle, la révo­lu­tion indus­trielle née en Angle­terre vers 1780.

Pla­cée au cœur d’un puis­sant mou­ve­ment d’in­dus­tria­li­sa­tion qui attire de plus en plus d’ou­vriers, la ville et ses abords res­sentent un besoin de des­ser­re­ment et une demande crois­sante de loge­ments, ce pour quoi des ter­rains sont néces­saires. Et entre la ville et ses abords il y a des murailles d’en­ceinte, qui font obs­tacle aux trans­ports et dépla­ce­ments, mais aus­si, par les ser­vi­tudes ins­ti­tuées à leurs abords, aux construc­tions ; et il y a aus­si les sépa­ra­tions admi­nis­tra­tives communales.

Cha­cune à sa façon, ces deux sortes de fron­tières sont autant de freins à l’ex­ten­sion de l’ur­ba­ni­sa­tion. La bonne ville de Lille s’est déjà plu­sieurs fois agran­die dans le pas­sé ; et depuis 1834 la ques­tion se pose d’un nou­vel agran­dis­se­ment. Qui va en être le moteur ? Lille va-t-elle se por­ter acqué­reur des com­munes voi­sines ? Non, c’est d’une de celles-ci que va par­tir le signal.

 » Le 28 août 1856 le maire de Wazermes, pré­oc­cu­pé des incon­vé­nients qui résultent pour les admi­nis­trés du main­tien des zones de ser­vi­tude, adresse une demande au ministre de la Guerre, ten­dant à repor­ter les for­ti­fi­ca­tions de la ville de Lille au-delà des limites de Wazermes, d’Es­quermes et de Mou­lins-Lille. » (Anne Lenglet).

Après exa­men sur place des ser­vices du génie, cette demande reçoit l’ac­cord du gou­ver­ne­ment, for­mel­le­ment expli­ci­té dans un décret du 2 juillet 1858.

La bonne entente tra­di­tion­nelle entre Lille et les com­munes voi­sines faci­lite la suite. Pré­pa­ré par le bureau d’é­tudes de la Ville de Lille en liai­son avec les trois autres muni­ci­pa­li­tés, le plan d’en­semble de l’a­gran­dis­se­ment est approu­vé par un arrê­té pré­fec­to­ral du 27 avril 1862.

À côté des murailles qui res­tent en place, des ter­rains deviennent par­tiel­le­ment dis­po­nibles : encore faut-il pré­ci­ser la façon de les uti­li­ser, com­ment répar­tir les sur­faces entre voies de liai­son et de des­serte, équi­pe­ments, et immeubles bâtis pour des loge­ments ou des acti­vi­tés ; et puis ces ter­rains conti­nuent à appar­te­nir à des per­sonnes pri­vées : com­ment, dans quel ordre, lan­cer les pro­cé­dures d’expropriation ?

Nous ne sommes pas dans la capi­tale où des ordres exé­cu­tables rapi­de­ment viennent d’en haut ; à Lille les auto­ri­tés muni­ci­pales hésitent quelque peu.

À l’in­verse de Paris, les opé­ra­tions vont être lan­cées et se dérou­ler de façon pro­gres­sive, après étude et sur pro­po­si­tion d’un homme du ter­rain qui va s’y atta­cher et leur atta­cher son nom.

Alfred Mongy, de la rue de la Gare aux terrains liés aux fortifications

Dans les ser­vices tech­niques de la Ville de Lille se trouve un homme, qui par ses qua­li­tés gra­vit rapi­de­ment les éche­lons admi­nis­tra­tifs. Ins­pec­teur prin­ci­pal dans le ser­vice des études, Alfred Mon­gy éla­bore en 1868 un pro­jet d’ou­ver­ture de la rue de la Gare :

Alfred MONGY
Alfred Mon­gy.
Petit por­trait conser­vé à la Médiathèque
muni­ci­pale Jean Lévy, à Lille. 

 » Le but de ce pro­jet est d’ob­te­nir une rue de vingt-cinq mètres de lar­geur bor­dée de gale­ries (…) lar­ge­ment éclai­rées (…). Les habi­tants auraient [ain­si] un lieu de ren­dez-vous et de pro­me­nade à cou­vert, qui manque com­plè­te­ment à Lille (…) et qui serait par­ti­cu­liè­re­ment pré­cieux pen­dant les entre actes du spec­tacle (…). Les lon­gueurs des gale­ries (…) sont tout à fait conve­nables pour la divi­sion des pro­me­neurs en groupe, de façon à évi­ter les encom­bre­ments. Enfin, les voya­geurs pres­sés de se rendre à la gare ou d’en­trer en ville, cir­cu­le­ront sur les trot­toirs de deux mètres de lar­geur cha­cun, ména­gés en dehors de la gale­rie, sans gêner les pro­me­neurs et sans être gênés par eux (…). »

 » Enthou­sias­més par ce pro­jet, pour­suit Anne Len­glet, les conseillers muni­ci­paux André-Charles Catel-Béghin et Gus­tave Tes­te­lin le firent triom­pher. Les expro­pria­tions (…) eurent lieu à la fin de 1869 et les tra­vaux de voi­rie com­men­cèrent en 1870. Jamais opé­ra­tion ne fut conduite plus rapi­de­ment. Six semaines après la prise de pos­ses­sion du sol, l’é­gout et le pavage étaient ter­mi­nés et la rue fut inau­gu­rée lors de la fête de Lille. »

Les désastres de 1870 donnent un coup d’ar­rêt, et la pour­suite rue Faid­herbe ne repren­dra qu’en 1874. Mais dès 1870 Mon­gy (deve­nu l’an­née pré­cé­dente chef du ser­vice des études) est choi­si comme expert par le pré­fet pour par­ti­ci­per, avec un repré­sen­tant de l’ad­mi­nis­tra­tion des domaines et un agent mili­taire, à l’é­tude et aux indem­ni­tés à pré­voir sur les ter­rains à expro­prier autour des for­ti­fi­ca­tions, à Lille et à Ronchin.

Le plan d’agrandissement de 1872, puis le recours aux tramways… à chevaux

Pour l’a­gran­dis­se­ment de la ville, les édiles conti­nuent à ne dis­po­ser que du plan d’en­semble de 1862, qui se borne pour l’es­sen­tiel à fixer les nou­velles limites admi­nis­tra­tives. En 1872 Mon­gy estime avoir assez de connais­sance tant de la ville que de ses besoins, pour dres­ser et pro­po­ser un plan détaillé de l’a­gran­dis­se­ment, avec voi­rie nou­velle, espaces et équi­pe­ments publics, et zones de construc­tion. Ses pré­oc­cu­pa­tions dif­fèrent quelque peu de celles d’un Haussmann.

 » Il fal­lait que la classe ouvrière, si inté­res­sante à tant de titres, n’eut plus à souf­frir de l’exi­guï­té ou de l’in­sa­lu­bri­té des loge­ments qu’elle habi­tait, et que, sans s’é­loi­gner de la par­tie de la ville qu’elle sem­blait affec­tion­ner plus par­ti­cu­liè­re­ment, elle trou­vât des demeures saines et com­modes, construites dans des condi­tions d’hy­giène et d’es­pace qui puissent exer­cer sur leurs habi­tants une influence aus­si favo­rable au bon état de leur san­té qu’à l’a­mé­lio­ra­tion de leur état moral et de famille.

 » S’il impor­tait que la nou­velle ville pût offrir aux indus­triels et aux com­mer­çants les condi­tions les plus favo­rables à leurs tra­vaux, il n’é­tait pas moins sou­hai­table que les pro­prié­taires et les ren­tiers qui l’ha­bi­te­raient y puissent goû­ter dans quelques-unes de ses par­ties les plai­sirs d’une pro­me­nade agréable et tran­quille (…). » (A. Mon­gy).

Dans cette même année 1872, Mon­gy étu­die la créa­tion d’un réseau de tram­way puis éta­blit, sous la direc­tion d’Au­guste Mas­que­lez, chef du ser­vice géné­ral des tra­vaux muni­ci­paux, le cahier des charges de la conces­sion, qui est approu­vé par le conseil muni­ci­pal en sep­tembre 1873. Les deux pre­mières lignes sont inau­gu­rées le 7 juin 1874 : Lille suit ain­si de près Paris pour le début du recours en France, à l’é­chelle de l’ex­ploi­ta­tion urbaine, de ce nou­veau mode de trans­ports6. Dans ces deux villes, ces lignes de tram­ways sont d’a­bord à trac­tion chevaline.

Le plan d’aménagement d’ensemble

Au cours des années sui­vantes, Mon­gy est l’i­ni­tia­teur de halles, jar­dins et pro­me­nades amé­na­gées dans les vastes sur­faces lais­sées vacantes après l’a­gran­dis­se­ment de 1858. À par­tir de 1878, il pré­pare sous la direc­tion de Mas­que­lez un plan d’en­semble de l’a­mé­na­ge­ment de la Ville agran­die, com­pre­nant notam­ment la pour­suite des réseaux d’é­gout et de dis­tri­bu­tion d’eau avec construc­tion du réser­voir de la Lou­vière, des élar­gis­se­ments de voies et l’a­mé­lio­ra­tion du quar­tier Saint-Sauveur.

Au début de l’an­née 1879, Auguste Mas­que­lez quitte le ser­vice de la Ville pour se consa­crer à l’a­ve­nir de l’Ins­ti­tut indus­triel ; le conseil muni­ci­pal, qui le laisse par­tir avec regrets, confie dans un pre­mier temps à Mon­gy l’in­té­rim du ser­vice géné­ral des tra­vaux muni­ci­paux, puis le nomme chef de ce ser­vice en sep­tembre de la même année. L’aug­men­ta­tion régu­lière des res­sources de la Ville et des contrats avec l’É­tat per­mettent au nou­veau chef du ser­vice de lan­cer les tra­vaux pré­vus au plan.

Le projet du grand boulevard de Lille, en direction de Roubaix et de Tourcoing…

De Lille à Rou­baix et Tour­coing, nom­breux sont les trans­ports et dépla­ce­ments, et longue et sinueuse la route ; le pro­blème de l’a­mé­lio­ra­tion de la liai­son, depuis long­temps posé, est repris en 1880 par Mon­gy en liai­son avec Arthur-Ghis­lain Sto­ck­let, ingé­nieur que la Ville de Lille a mis à la dis­po­si­tion du pré­fet pour s’oc­cu­per de la voi­rie dépar­te­men­tale. Les deux hommes s’ac­cordent pour pro­po­ser, à par­tir de la sor­tie nord-est de Lille, une ave­nue large de 50 m, se divi­sant ensuite en deux branches pour des­ser­vir Rou­baix et Tourcoing.

 » Cette voie magis­trale (…) per­met­tait d’é­cou­ler tous les flux de circulation :
– axe cen­tral pour la cir­cu­la­tion automobile ;
– deux pistes, l’une cava­lière, l’autre cyclable ;
– une plate-forme en site propre pour une double voie de che­min de fer ;
– de larges trot­toirs pour les piétons ;
– pose de réver­bères et plan­ta­tion en ali­gne­ments de 6 000 arbres. »

 (G. Blon­deau).

Dres­sé en 1885, le pro­jet atten­dra un cer­tain temps avant son appro­ba­tion ; mais à son habi­tude Mon­gy ne chôme pas : construc­tion, en appli­ca­tion des lois sco­laires de 1881 et 1882, d’un réseau d’é­coles pri­maires et de deux écoles pri­maires supé­rieures (gar­çons, et filles) ; de l’Ins­ti­tut de chi­mie, de celui des sciences natu­relles, de la facul­té des droits et lettres ; pro­jet d’as­sai­nis­se­ment du quar­tier de la Basse Deûle ; négo­cia­tion avec les auto­ri­tés mili­taires de la créa­tion du Bois de Bou­logne autour de la citadelle…

En 1895, un chan­ge­ment de la muni­ci­pa­li­té le conduit à quit­ter la ville pour le dépar­te­ment où il conti­nue à exer­cer une égale activité.

… et sa réalisation, avec concession ferroviaire… à Mongy

Le sou­tien affir­mé d’es­prits clair­voyants comme l’in­dus­triel Eugène Motte, élu maire de Rou­baix en 1902, et le conseiller géné­ral Antoine-Florent Guillain per­mettent enfin d’ob­te­nir l’ac­cord des col­lec­ti­vi­tés concer­nées sur le pro­jet de bou­le­vard pré­sen­té par Mon­gy et Sto­ck­let. Il ne reste plus qu’à réunir le finan­ce­ment du pro­jet, esti­mé à sept mil­lions de francs or.

Et si le dépar­te­ment et les Chambres de com­merce sont favo­rables, la plu­part des muni­ci­pa­li­tés renâclent..

.Acca­blé par ses mul­tiples acti­vi­tés de ser­vice public, Mon­gy quitte l’ad­mi­nis­tra­tion en 1898. En 1900 il fonde la Com­pa­gnie des tram­ways et des voies du Nord. Le finan­ce­ment du bou­le­vard n’é­tant tou­jours pas réuni, il pro­pose en 1902 d’ap­por­ter deux mil­lions sur la table des négo­cia­tions, en échange de la conces­sion fer­ro­viaire (la somme sera obte­nue auprès d’in­ves­tis­seurs fran­çais et belges). Après de nou­velles dis­cus­sions, l’ac­cord géné­ral est obte­nu en février 1904, avec publi­ca­tion au Jour­nal offi­ciel d’un décret décla­rant l’u­ti­li­té publique du réseau de tramways.

L’an­née 1905 voit le début des tra­vaux, tan­dis que pour assu­rer l’ex­ploi­ta­tion du réseau de tram­ways inter­ur­bains Mon­gy fonde l’Élec­trique Lille – Rou­baix – Tour­coing (ELRT) qu’il sub­sti­tue à la com­pa­gnie précédente.

Le Mongy, tramway du Nord…

Le same­di 4 décembre 1909 sont inau­gu­rés conjoin­te­ment à Rou­baix le grand bou­le­vard et le tram­way de la socié­té ani­mée par Mon­gy. Pas de ministre ! Dûment sol­li­ci­té, M. Ruau, ministre de l’A­gri­cul­ture, » a remis sa visite à une date ulté­rieure « . La céré­mo­nie est pré­si­dée par le maire, Eugène Motte, en pré­sence de nom­breuses per­son­na­li­tés locales.

Le réseau com­prend cinq lignes, reliant les villes de Lille, Tour­coing, Leers, Hem, Rou­baix et Roncq. À côté des tram­ways lil­lois, pas­sés à la trac­tion élec­trique mais n’a­van­çant guère plus vite que leurs aînés à che­vaux, les motrices de Mon­gy marquent un net pro­grès per­met­tant aux usa­gers d’ap­pré­cier plei­ne­ment le chan­ge­ment du mode de traction.

Depuis cette belle réa­li­sa­tion, dans le Nord on ne prend pas le tram­way, mais le Mon­gy, terme adop­té par le par­ler popu­laire. » Pour les Nor­distes, le Mon­gy est beau­coup plus qu’une machine : c’est un per­son­nage à part entière qui, depuis quatre-vingt-cinq ans, accom­pagne la vie de toute une métro­pole. Les tra­mo­philes, eux, ver­ront en l’Élec­trique Lille – Rou­baix – Tour­coing (ELRT) l’un des trois réseaux ayant sur­vé­cu à la mon­tée de l’au­to­bus dans les années d’a­près-guerre. Mais, dans cet ouvrage, les uns comme les autres appren­dront que le Mon­gy fut tout d’a­bord l’élé­ment cen­tral d’une opé­ra­tion d’ur­ba­nisme sans pré­cé­dent qui don­na nais­sance aux grands boulevards.

(Gérard Blon­deau).

… ou une œuvre d’urbanisme

Je tiens à expri­mer ici tous mes remer­cie­ments aux per­sonnes et orga­nismes qui m’ont aidé dans la pré­pa­ra­tion de cet article :

  • Mme Mar­tine Chau­ney-Bouillot, de la Biblio­thèque muni­ci­pale de la Ville de Dijon ;
  • Mme Cathe­rine De Boel et M. Wael El Kader, de la Média­thèque muni­ci­pale Jean Lévy, à Lille ;
  • Mme Natha­lie Mon­tel et M. Laurent Saye, de l’École natio­nale des ponts et chaus­sées à Marne-la-Vallée ;
  • M. Pierre Baras­tier, pho­to­graphe maquet­tiste à la Direc­tion dépar­te­men­tale de l’Équipement de la Côte‑d’Or ;
  • M. Jean-Pierre Codac­cio­ni, de la Biblio­thèque muni­ci­pale de la Ville de Marseille ;
  • M. Jacques Klein, de la Socié­té Lyon­naise des Eaux–Dumez, Centre régio­nal Dijon-Haute-Marne ;
  • M. Yves Lefresne, ancien chef du ser­vice des canaux à la Ville de Paris ;
  • M. Jean-Claude Mar­tin, de la Socié­té des Eaux de Marseille ;
  • enfin les direc­tions et les équipes de la Biblio­thèque natio­nale de France et des deux grandes biblio­thèques de la Ville de Paris : admi­nis­tra­tive et historique.

En octobre 1968 était paru dans ce qui s’ap­pe­lait alors la Revue du PCM (Asso­cia­tion pro­fes­sion­nelle des ingé­nieurs des Ponts et Chaus­sées et des Mines), sous la signa­ture de mon aîné Jean-Paul Lacaze, un petit article inti­tu­lé Plai­doyer.

Fort inquiet sur l’a­ve­nir de sa ville dont la crois­sance s’ac­com­pagne d’une conges­tion elle aus­si crois­sante de la cir­cu­la­tion des véhi­cules, un urba­niste consulte un pre­mier expert, puis passe une nuit agi­tée où il se voit entou­ré d’au­to­routes urbaines en tran­chées ou en via­ducs, flan­quées d’é­chan­geurs en forme de » plats de nouilles « . Consul­té à son tour, un deuxième expert » à la sil­houette longue et un peu voû­tée, au visage triste « , lui expose d’a­bord que la seule solu­tion vrai­ment satis­fai­sante, le trans­port en site propre, néces­site des tra­vaux très coû­teux, qu’on ne peut rai­son­na­ble­ment envi­sa­ger, et encore pour une pre­mière ligne, que pour une ville mil­lion­naire en habitants.

À l’ur­ba­niste gagné à son tour par la tris­tesse, ce second expert pro­pose ensuite la for­mule du tram­way, d’a­bord timi­de­ment, puis avec des expli­ca­tions mon­trant l’in­té­rêt de ce mode de trans­port. Mais il faut avoir pris long­temps à l’a­vance les mesures néces­saires, en par­ti­cu­lier avoir ména­gé des emprises d’au moins 40 m de large…

L’expert conclut tris­te­ment : “ L’ennui, c’est qu’une déci­sion en faveur du tram­way ne consti­tue pas un choix tech­nique, mais une option d’urbaniste. ”

En pro­po­sant dès 1885, puis en obte­nant en 1904–1905 la réa­li­sa­tion de son bou­le­vard de liai­son de 50 m de large pré­vu pour tous les flux de cir­cu­la­tion dont le tram­way, le gad­zarts Mon­gy a ouvert brillam­ment la série des ingé­nieurs fai­sant oeuvre d’urbanisme.

Index bio­gra­phique

Bourges Saint-Génis (Alexandre). Né à Libourne en 1772, il est admis en 1792 à l’École des ponts et chaus­sées, puis en 1794 comme chef de bri­gade à la toute récente École cen­trale des tra­vaux publics (qui devient l’année sui­vante l’École poly­tech­nique), dont il sort en 1796. Après un ser­vice dans le dépar­te­ment de la Lys à Bruges, il suit l’expédition d’Égypte où il par­ti­cipe aux levers des prin­ci­paux monu­ments, puis est en ser­vice dans diverses affec­ta­tions : Libourne, la Corse et l’île d’Elbe, puis de nou­veau le dépar­te­ment de la Lys. En 1819 il est nom­mé à Paris, chef du ser­vice de dis­tri­bu­tion des eaux de l’Ourcq, puis en 1823 chef du ser­vice du pavé et des bou­le­vards de Paris. En 1830 il prend une légi­time retraite dans sa bonne ville de Libourne, où il s’éteint pai­si­ble­ment en 1839.

Bruyère (Louis). Né à Lyon en 1801. Après des études d’architecture, il exerce d’abord ce métier en libé­ral à Lyon. Il entre ensuite dans les Ponts et Chaus­sées pour être en ser­vice à Tours, puis au Mans. Venu en 1793 à Paris il quitte pro­vi­soi­re­ment l’administration pour exer­cer à nou­veau l’architecture libé­rale, puis rejoint les Ponts et Chaus­sées en 1798. Sur demande de Gau­they et de Pro­ny, il dresse en 1801 les plans d’un canal d’alimentation en eau de Paris par le nord. Un décret du 25 août 1804 créant offi­ciel­le­ment un Conseil géné­ral des Ponts et Chaus­sées qui suc­cède à l’Assemblée des Ponts et Chaus­sées, il en est nom­mé Secré­taire. Chef du ser­vice de la navi­ga­tion de Paris en 1807–1808, il dresse plu­sieurs pro­jets de canaux, dont le canal Saint-Maur dont les tra­vaux com­mencent sous sa direc­tion. Direc­teur des tra­vaux de Paris de 1809 à 1820, il construit plu­sieurs monu­ments (la Bourse, la Made­leine…). Affec­té ensuite au Conseil géné­ral des Ponts et Chaus­sées, il prend sa retraite en 1830 et meurt en 1831.

Conso­lat (Domi­nique, Maxi­min). Né au Bar, près de Grasse, en 1785. Négo­ciant en Rus­sie, puis à Mar­seille où il est nom­mé en 1830 adjoint au maire, et maire l’année sui­vante. Il doit lut­ter contre deux épi­dé­mies de cho­lé­ra, dont une ter­rible en 1835. “ En 1836 il obtient le vote par son conseil de l’exécution du canal de la Durance, d’après le pro­jet Bazin, aux frais entiers de la Ville. En 1838 les tra­vaux com­mencent enfin, sous la direc­tion de Mon­tri­cher, pour durer onze ans. Ce sera son éter­nel hon­neur. ” Il intro­duit aus­si l’éclairage au gaz. Non renou­ve­lé comme maire en 1843, il se retire de la vie publique en 1848 mais est à la place d’honneur lors de l’arrivée des eaux sur le pla­teau de Long­champ en 1849. Il s’éteint en 1858 dans sa bonne ville de Mar­seille, qui fait éri­ger un buste en son hon­neur et donne son nom à une rue de la ville (d’après l’Encyclopédie des Bou­ches­du- Rhône, tome XI).

Dar­cy (Hen­ri ou Hen­ry, Phi­li­bert, Gas­pard). Né à Dijon en 1803, il perd son père en 1817. Une bourse de la muni­ci­pa­li­té lui per­met ain­si qu’à son frère cadet Hugues de pour­suivre des études par­ti­cu­liè­re­ment brillantes. Reçu à l’École poly­tech­nique à l’âge (mini­mum) de dix-huit ans, Hen­ry Dar­cy en sort dou­zième et opte pour le corps des Ponts et Chaus­sées. En 1826 il est nom­mé ingé­nieur ordi­naire dans le Jura, à Lonsle- Sau­nier et plus tard ingé­nieur en chef à Dijon, sur la demande expresse du pré­fet et de la dépu­ta­tion de la Côte‑d’Or. Outre l’alimentation en eau de la ville, il pro­pose pour la voie fer­rée Paris-Lyon un tra­cé des­ser­vant Dijon et réus­sit à le faire approu­ver, face au pro­jet offi­ciel sou­te­nu par la Com­mis­sion par­le­men­taire et qui s’écartait for­te­ment de cette ville. En 1848, il devient chef du ser­vice muni­ci­pal de la Ville de Paris, ce qui lui donne le titre d’inspecteur divi­sion­naire, et en avril 1849, il est ins­pec­teur géné­ral de 1re classe. Sur demande du prince-pré­sident Louis-Napo­léon Bona­parte (futur Napo­léon III), il se rend en mis­sion à Londres et remet sur la com­pa­rai­son des chaus­sées anglaises et fran­çaises un mémoire détaillé qui joue­ra un rôle déter­mi­nant dans l’adoption en France des chaus­sées empier­rées liées au bitume. Dans les der­nières années de sa vie, il pour­suit ses expé­riences sur la cir­cu­la­tion de l’eau et celles qui lui per­mettent d’énoncer sur la fil­tra­tion une loi à laquelle son nom reste atta­ché (loi de Dar­cy) ; il meurt en 1858. Les ingé­nieurs pétro­liers amé­ri­cains don­ne­ront son nom, le Dar­cy, à l’unité pra­tique de perméabilité.

Par­tiot (Jean-Bap­tiste, Joseph). Né à Beau­vais en 1780, élève de l’École poly­tech­nique en 1799 puis à l’École des ponts et chaus­sées en 1802, il sert à Nice, Poli­gny, en Ita­lie, dans l’île Bour­bon (la Réunion), puis dans le Lot-et-Garonne. Chef du ser­vice du pavé et des bou­le­vards de Paris de 1830 à 1839, il est ingé­nieur en chef de la Haute-Garonne de 1839 à 1848, puis se retire et meurt à Bor­deaux en 1867.

Dumay (Vic­tor). Né à Dijon en 1798, avo­cat, il devient conseiller muni­ci­pal de Dijon en 1830, puis maire de 1838 à 1848, et meurt subi­te­ment à Dijon en 1849. “ Sous son admi­nis­tra­tion se placent de nom­breuses amé­lio­ra­tions : [comme ] l’éclairage au gaz dans les prin­ci­pales rues (…) mais on lui doit sur­tout, grâce au concours de M. Dar­cy (…) la cana­li­sa­tion sou­ter­raine du Suzon et l’établissement de fon­taines publiques.” (M. Jac­quet, dans le Dic­tion­naire de bio­gra­phie fran­çaise de Roman d’Amat).

Emme­ry, ou Emme­ry de Sept­fon­taines (Hen­ry, Charles). Né à Calais en 1789, il entre à l’École poly­tech­nique en 1805, puis à l’École des ponts et chaus­sées en 1807. En 1810 il est ingé­nieur ordi­naire char­gé des tra­vaux du canal Saint-Maur. En 1831 il joue un rôle déci­sif dans la créa­tion des Annales des Ponts et Chaus­sées. Chef de 1832 à 1839 du ser­vice muni­ci­pal de Paris (ser­vice char­gé de l’eau et des égouts), il se retire ensuite et est sous­trait pré­ma­tu­ré­ment à l’affection des siens en 1842.

Girard (Pierre, Simon). Né en 1765, est élève à l’École des ponts et chaus­sées de 1784 à 1787. Est ensuite en ser­vice suc­ces­si­ve­ment à Poi­tiers, dans le dépar­te­ment de la Somme et au port du Havre. De 1798 à 1801 il suit l’expédition d’Égypte. En 1802 il est nom­mé au ser­vice du canal et des eaux de Paris . “De 1802 à la fin de l’Empire l’histoire de [ce] ser­vice (…) se com­pose d’une série inin­ter­rom­pue de luttes entre Girard, qui parais­sait avoir l’appui direct du chef de l’État, et le Conseil géné­ral des Ponts et Chaus­sées. ” (F. Tar­bé de Saint- Har­douin). En 1817 il doit quit­ter ce ser­vice pour celui des anciennes eaux de Paris. Pre­nant sa retraite en 1832, il meurt en 1836.

Mayor de Mon­tri­cher (Frantz) (pro­non­cer le t de Mon­tri­cher). Né en 1810 près de Morges, dans le dépar­te­ment alors fran­çais du Léman. Élève de l’École poly­tech­nique en 1826, puis, en 1828, à l’École des ponts et chaus­sées “où il occupe constam­ment la pre­mière place ce qui lui valut, selon l’usage, d’être atta­ché au secré­ta­riat du Conseil géné­ral des Ponts et Chaus­sées à sa sor­tie de l’École. ” (A. Jou­ret). Il effec­tue ensuite un ser­vice d’ingénieur ordi­naire à Die, dans la Drôme, puis est nom­mé en 1836 à Mar­seille, où sur demande du maire il est bien­tôt atta­ché au ser­vice muni­ci­pal pour les tra­vaux de l’alimentation en eau de la ville. En 1854 il répond à l’appel du prince Tor­lo­nia qui sol­li­cite son concours pour l’assèchement du lac Fuli­ci­no, en Ita­lie : oeuvre colos­sale déci­dée par César, entre­prise par Nar­cisse, ministre de Claude, qui y employa trente mille esclaves en pure perte. “ Les chan­tiers de Mon­tri­cher s’ouvrirent en juillet 1854 (…). Il y avait ame­né les ingé­nieurs d’élite et les meilleurs ouvriers de Pro­vence. Ces tra­vaux, extrê­me­ment dif­fi­ciles, où les situa­tions les plus angois­santes se pré­sen­tèrent, furent cou­ron­nés de suc­cès en 1862 (…). [Cepen­dant] atteint de la fièvre typhoïde [Mon­tri­cher] mou­rut à Naples le 28 mai 1858 (…). À Mar­seille la conster­na­tion fut géné­rale. Des funé­railles gran­dioses lui furent faites, le 8 juin 1858, aux frais de la Ville (…). ” (A. Jouret).

Michal (Zoroastre, Alexandre). Né à Voi­ron (Isère) 1801. Élève de l’École poly­tech­nique en 1819, puis de l’École des ponts et chaus­sées. Après un ser­vice à l’arrondissement de Fon­tai­ne­bleau, est affec­té en 1833 au ser­vice muni­ci­pal de Paris où, sous les ordres d’Emmery, il est plus spé­cia­le­ment char­gé des égouts. Ingé­nieur en chef en 1848 il prend la direc­tion du ser­vice de navi­ga­tion de la Seine en aval de Paris. Direc­teur des tra­vaux de Paris de 1855 à 1869, il dirige avec effi­ca­ci­té les grands tra­vaux de voi­rie déci­dés par Hauss­mann, sa modes­tie lais­sant au pré­fet toute la gloire de cette oeuvre (en rive droite : les bou­le­vards Richard-Lenoir, Male­sherbes, Hauss­mann, les grandes ave­nues abou­tis­sant au rond-point de l’Étoile… ; en rive gauche, les rues de Rennes, Monge, les bou­le­vards Saint-Ger­main, Saint-Michel, de Latour-Mau­bourg…). Il prend sa retraite en 1871 et meurt en 1875.

Mon­gy (Alfred, Louis). Né en 1840 à Lille dans un milieu d’artisans. Après de solides études à l’école pri­maire puis à l’école pri­maire supé­rieure de Lille, il suit brillam­ment les cours de l’École des arts et métiers de Châ­lons-sur-Marne. En 1859 il entre au ser­vice de la Ville de Lille au bureau des des­si­na­teurs. Reçu en 1863 à un concours de conduc­teur auxi­liaire des Ponts et Chaus­sées, il gra­vit tous les éche­lons de la hié­rar­chie, deve­nant en 1879 chef du ser­vice géné­ral des tra­vaux muni­ci­paux. Pas­sé en 1895 à l’administration pré­fec­to­rale, il obtient en 1900 sa mise en retraite anti­ci­pée, puis fonde la Com­pa­gnie des tram­ways et des voies du Nord à laquelle il sub­sti­tue en 1905 l’Électrique Lille – Rou­baix – Tour­coing (ELRT). Il s’éteint en 1914.

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1. L’article 7 de cet Édit “ Fai­sons aus­si def­fense à toutes per­sonnes de faire aucunes caves sous les rues, et ceux qui vou­dront faire degrez pour mon­ter à leurs mai­sons (…) faire plan­ter bornes au coin d’icelles (…) ou faire le tout répa­rer, prennent congé dudict grand-voyer ou com­mis ”, n’a pas été abro­gé par le code de la voi­rie rou­tière (Rémy Rou­quette, Pro­fes­seur de droit, 1991), et est l’un des plus anciens textes de loi actuel­le­ment valables en France.
2. (2) “ Les tra­vaux furent enta­més [par Girard] avec des dos­siers som­maires, par­fois atta­chés d’erreurs ; le choix du tra­cé dans les bois de Saint- Denis, dans des ter­rains d’argile plas­tique, sans consul­ta­tion préa­lable de l’assemblée des Ponts et Chaus­sées, fut tech­ni­que­ment mal­heu­reux car il obli­gea à de grands ter­ras­se­ments. ” (Phi­lippe Cebron de Lisle, Eau et Assai­nis­se­ment de Paris au XIXe siècle, mémoire de maî­trise à l’université de Paris Sor­bonne, 1983–1984.)
3. F. X. H. Tar­bé de Vaux­clairs, Notices bio­gra­phiques sur les ingé­nieurs des Ponts et Chaus­sées, Paris, 1884.
4. Ber­nard Lan­dau, La fabri­ca­tion des rues de Paris au XIXe siècle – Les annales de la Recherche urbaine, n° 57–58, 1977.
5. Anne Len­glet, Alfred Louis Mon­gy et la construc­tion de la facul­té de droit et des lettres de Lille (Nord) – mémoire de maî­trise – uni­ver­si­té de Lille III – deux volumes, 1933 et 1934 ; Gérard Blon­deau, Le Mon­gy Tram­way du Nord, 1995 ; Notice his­to­rique sur la trans­for­ma­tion de la Ville de Lille et ren­sei­gne­ments sta­tis­tiques, dres­sés sous l’administration de M. Jules Dutilleul, maire, par M. Mon­gy, ins­pec­teur prin­ci­pal, chef du ser­vice des études, sous la direc­tion de M. Mas­que­lez, ingé­nieur en chef des Ponts et Chaus­sées, direc­teur des tra­vaux muni­ci­paux – Lille, 1878.
6. Rap­pe­lons qu’après la ligne expé­ri­men­tale ouverte en 1853 de la Concorde à la Bar­rière de Pas­sy, le véri­table lan­ce­ment des tram­ways en agglo­mé­ra­tion pari­sienne date de 1873.

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