Des archées pour lutter contre le cancer

Des archées pour mieux comprendre le cancer

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°735 Mai 2018
Par Roxane LESTINI

Récem­ment on a car­ac­térisé un troisième domaine du vivant, les archées, aux pro­priétés inter­mé­di­aires entre les organ­ismes de type humain ou végé­tal (qui pos­sè­dent des cel­lules avec noy­aux) et les bac­téries. Elles sont des cham­pi­onnes de l’adap­ta­tion et de la sta­bil­ité génomique. Ain­si, des essais de mod­i­fi­ca­tion de leur génome par l’ac­tion de cer­taines pro­téines ont per­mis des avancées sur le rôle de celles-ci dans la prédis­po­si­tion au cancer.

Dans les cel­lules de patients atteints de mal­adies géné­tiques rares dites « mal­adies cas­santes » (e.g. anémie de Fan­coni, syn­drome de Bloom…), un défaut des mécan­ismes de sur­veil­lance et de répa­ra­tion des lésions de l’ADN provoque des cas­sures de chromosomes.

L’étude de ces mal­adies a per­mis d’établir un lien entre insta­bil­ité géné­tique, c’est-à-dire l’altération physique de la molécule d’ADN au sein des cel­lules, et la prédis­po­si­tion au can­cer. Ain­si, com­pren­dre les mécan­ismes molécu­laires per­me­t­tant d’assurer la sta­bil­ité du génome con­stitue un enjeu majeur.

Le modèle des bactéries

Au sein de ce que l’on appelle le monde du vivant, nous, humains, faisons par­tie des eucary­otes, domaine du vivant qui regroupe les ani­maux et les végé­taux, et cor­re­spond aux organ­ismes dont l’ADN est dans un com­par­ti­ment spé­ci­fique de la cel­lule qu’on appelle le noyau.

Un deux­ième domaine du vivant est con­sti­tué des bac­téries, microor­gan­ismes dits pro­cary­otes dont l’ADN n’est pas dans un com­par­ti­ment spécifique.

Cepen­dant, les principes fon­da­men­taux de la sta­bil­ité du génome étant con­servés chez tous les êtres vivants, l’utilisation des bac­téries comme organ­ismes mod­èles a per­mis de com­pren­dre les bases molécu­laires de l’instabilité géné­tique, et d’en faciliter l’étude chez des organ­ismes plus com­plex­es, dont l’homme.

Les riches possibilités des archées

Depuis les années 1970, un troisième domaine du vivant a été iden­ti­fié, qu’on appelle les archées. Ce sont des microor­gan­ismes pro­cary­otes, longtemps assim­ilés à des bac­téries du fait de leur ressem­blance morphologique.

C’est leur car­ac­téri­sa­tion au niveau molécu­laire, par Carl Woese et George E. Fox, qui a mon­tré que ces microor­gan­ismes sont aus­si dif­férents des bac­téries qu’ils le sont des eucary­otes 1.

Leur car­ac­téri­sa­tion a égale­ment mon­tré que les pro­téines inter­venant dans les proces­sus de répli­ca­tion et de répa­ra­tion de l’ADN ressem­blent à celles ren­con­trées chez les eucary­otes. Par ailleurs, une autre car­ac­téris­tique remar­quable des archées est leur incroy­able capac­ité à colonis­er des envi­ron­nements extrêmes.

Cer­taines archées sont retrou­vées au niveau de chem­inées hydrother­males océaniques, comme Pyro­coc­cus abyssi (103 °C, pres­sion de 200 atmo­sphères). D’autres colonisent les sources chaudes vol­caniques, dont Sul­folobus aci­do­cal­dar­ius, capa­ble de se dévelop­per dans des eaux au pH acide (55 °C‑90 °C, pH 1–5).

Des champions de l’adaptation et de la stabilité génomique

Il est impor­tant de pré­cis­er que les archées sont égale­ment présentes dans de nom­breux envi­ron­nements comme le sol, les océans, la flo­re intesti­nale, ou encore… notre nombril.

La sim­i­lar­ité de leurs pro­téines du métab­o­lisme de l’ADN avec celles des eucary­otes, et l’adaptation de ces métab­o­lismes à des con­di­tions de vie extrêmes, font des archées des mod­èles d’études orig­in­aux et per­ti­nents que nous avons choisi d’étudier pour apporter des con­nais­sances fon­da­men­tales sur les mécan­ismes molécu­laires qui garan­tis­sent la sta­bil­ité du génome.

Nous util­isons pour cela Halofer­ax vol­canii, archée halophile (adap­tée à de fortes con­cen­tra­tions en sels) que l’on retrou­ve dans la mer Morte et les grands lacs salés. Elle présente l’avantage d’être facile­ment manip­u­la­ble en lab­o­ra­toire par des out­ils géné­tiques per­me­t­tant de mod­i­fi­er son génome pour étudi­er le rôle des pro­téines au sein de la cel­lule vivante.

Le rôle clef de la protéine Hef

Nous nous intéres­sons au rôle de la pro­téine Hef, qui pos­sède deux activ­ités enzy­ma­tiques : une activ­ité héli­case d’ouverture de l’ADN dou­ble brin, et une activ­ité nucléase de coupure de l’ADN. On la retrou­ve unique­ment chez les archées et les eucaryotes.

Plusieurs pro­téines de cette famille sont retrou­vées chez l’homme, dont cer­taines sont impliquées dans des mal­adies géné­tiques entraî­nant des prédis­po­si­tions au développe­ment de can­cer, et dont le rôle n’est pas encore com­plète­ment com­pris. C’est notam­ment le cas de la pro­téine FANCM, impliquée dans l’anémie de Fanconi.

Nous avons réal­isé une étude géné­tique, qui con­siste à observ­er les défauts qu’entraîne l’absence de la pro­téine dans la cel­lule. Cela nous a per­mis de pro­pos­er que Hef agisse lors d’arrêt de la répli­ca­tion, pour per­me­t­tre le redé­mar­rage 2.

En effet, la répli­ca­tion de l’ADN per­met à toute cel­lule qui pro­lifère de dupli­quer son matériel géné­tique. Ain­si, en cas d’arrêt de la répli­ca­tion, son redé­mar­rage est essen­tiel pour la survie.

Nous avons égale­ment mis en évi­dence une voie alter­na­tive impli­quant une autre nucléase, appelée Hjc. Seule l’absence des deux pro­téines simul­tané­ment ne per­met plus le redé­mar­rage, les arrêts de répli­ca­tion con­duisant à la mort cellulaire.

Des analyses concluantes menées avec le LOB

Pour aller plus loin dans la com­préhen­sion du rôle de Hef, en col­lab­o­ra­tion avec nos col­lègues « micro­scopistes » du Lab­o­ra­toire d’optique et bio­sciences (LOB), nous nous sommes tournés vers la micro­scopie de flu­o­res­cence cou­plée à de l’analyse d’images quan­ti­ta­tive dans le but de localis­er Hef dans la cel­lule vivante.

Pour la visu­alis­er, grâce à notre exper­tise en biolo­gie molécu­laire et en géné­tique, nous avons exprimé Hef fusion­née à une pro­téine qui pos­sède l’exceptionnelle pro­priété d’être intrin­sèque­ment flu­o­res­cente, appelée pro­téine verte flu­o­res­cente (GFP). Nous avons pu observ­er que Hef forme des foy­ers de flu­o­res­cence dans les cel­lules, dont le nom­bre aug­mente con­sid­érable­ment lorsque l’on inhibe la syn­thèse de l’ADN par l’ajout d’une drogue, provo­quant un stress réplicatif.

L’ensemble de nos résul­tats a per­mis de mon­tr­er que Hef est recrutée aux sites d’arrêt de la répli­ca­tion, val­i­dant le mod­èle pro­posé lors de l’étude géné­tique 3, 4.

Comprendre le dynamisme et l’arrêt de réplication de l’ADN

Pour mieux appréhen­der la dynamique de répli­ca­tion au sein d’Haloferax vol­canii, et notam­ment com­pren­dre com­ment est orchestré le rôle de Hef lors des arrêts de répli­ca­tion, nous nous intéres­sons égale­ment aux pro­téines du répli­some, com­plexe pro­téique coor­don­nant les dif­férentes activ­ités enzy­ma­tiques néces­saires à la syn­thèse de l’ADN.

Dans le but d’étudier la dynamique de la répli­ca­tion au sein des cel­lules vivantes, nous avons fusion­né RPA2, pro­téine de fix­a­tion à l’ADN sim­ple brin, à la GFP. RPA2 présente une local­i­sa­tion très dynamique, et reflète des foy­ers de répli­ca­tion act­ifs en con­di­tions nor­males, des foy­ers où la répli­ca­tion est arrêtée en réponse à un stress répli­catif (comme c’est le cas pour Hef) et des foy­ers de répa­ra­tion de l’ADN en réponse à des dom­mages de l’ADN.

La réso­lu­tion de ces derniers a néces­sité l’utilisation d’une tech­nique de micro­scopie de super­ré­so­lu­tion par illu­mi­na­tion struc­turée, grâce à l’acquisition de cet équipement par la plate­forme d’imagerie mor­pho­scope dévelop­pée au lab­o­ra­toire dans le cadre des équipements d’excellence financés par les investisse­ments d’avenir du min­istère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

Des belles perspectives de recherche

Cette recherche inter­dis­ci­plinaire nous a per­mis de mon­tr­er que Hef a effec­tive­ment un rôle très impor­tant dans le redé­mar­rage des fourch­es de répli­ca­tion, et de dévelop­per des out­ils puis­sants qui nous ouvrent de larges per­spec­tives pour com­pren­dre les bases molécu­laires de la sta­bil­ité du génome chez les archées.


BIBLIOGRAPHIE

  • “Phy­lo­ge­net­ic struc­ture of the prokary­ot­ic domain : the pri­ma­ry king­doms”. Proc Natl Acad Sci USA vol.74 (11): 5088–5090.
  • Les­ti­ni, R., Laptenok, S.P., Kuhn, J., Hink, M.A., Schanne- Klein, M.C., Liebl, U. and Myl­lykallio, H. (2013) “Intra­cel­lu­lar dynam­ics of archaeal FANCM homo­logue Hef in response to halt­ed DNA repli­ca­tion”. Nucle­ic Acids Res, 41, 10358–10370.
  • Les­ti­ni, R., Duan, Z. and Allers, T. (2010) “The archaeal Xpf/Mus81/FANCM homolog Hef and the Hol­l­i­day junc­tion resolvase Hjc define alter­na­tive path­ways that are essen­tial for cell via­bil­i­ty in Halofer­ax vol­canii”. DNA Repair (Amst), 9, 994‑1002.
  • Les­ti­ni, R., Delpech, F. and Myl­lykallio, H. (2015) “DNA repli­ca­tion restart and cel­lu­lar dynam­ics of Hef helicase/ nucle­ase pro­tein in Halofer­ax vol­canii”. Biochimie, vol. 118, 254–263.

En illus­tra­tion : Colonies d’Halofer­ax vol­canii sur boîte de Petri. Les mem­branes de ces cel­lules sont rich­es en pig­ments rouges qui les pro­tè­gent du ray­on­nement UV et sont respon­s­ables de la couleur rouge des lacs salés.

Poster un commentaire