Gerbes de fleurs en hommage aux victimes des attentats

Défense et sécurité nationale :

Dossier : DéfenseMagazine N°715 Mai 2016
Par Camille GRAND

Le con­cept sécu­rité “nationale” est apparu dans le livre blanc de 2008, puis con­fir­mé dans celui de 2013. Mais l’ar­mée, même si son inter­ven­tion est appré­ciée, ne peut assur­er seul ce rôle et la mobil­i­sa­tion de toutes les ressources de l’État est nécessaire.

Depuis 2008, l’idée de “ sécu­rité nationale ” a fait son chemin dans notre vocab­u­laire stratégique. Der­rière une déf­i­ni­tion large (selon le livre blanc de 2008, “ la stratégie de sécu­rité nationale a pour objec­tif de par­er aux risques ou men­aces sus­cep­ti­bles de porter atteinte à la vie de la nation ”), elle cor­re­spond bien, il est vrai, à l’en­vi­ron­nement stratégique du XXIe siècle.

“ Répondre plus efficacement à la multiplicité des défis sécuritaires ”

Il s’ag­it ain­si de penser la sécu­rité nationale comme un ensem­ble allant bien au-delà de la seule défense.

Via l’in­clu­sion formelle du con­cept de “ sécu­rité nationale ” non seule­ment dans le livre blanc, mais aus­si dans le nom d’in­sti­tu­tions comme le Secré­tari­at général de la défense et de la sécu­rité nationale (SGDSN), les prési­dents et gou­verne­ments suc­ces­sifs, depuis 2008, ont souhaité mar­quer la néces­sité de mieux inté­gr­er défense et sécu­rité et de répon­dre plus effi­cace­ment à la mul­ti­plic­ité des défis sécuritaires.

REPÈRES

À la différence des États-Unis, le concept de “ sécurité nationale ” ne fait pas partie de la tradition stratégique de la France, qui a longtemps tendu à distinguer défense et sécurité. La sécurité “ nationale ” a même longtemps eu mauvaise presse, tant elle semblait associée à des périodes de notre histoire marquées par des tensions internes très fortes ou à des régimes autoritaires.
Son inclusion dans l’intitulé même du Livre blanc sur la sécurité et la défense nationale de 2008 n’allait donc pas de soi, pas plus que la reprise de ce même titre pour le livre blanc de 2013.
Rappelons que les précédents livres blancs étaient un Livre blanc sur la défense en 1994 et un Livre blanc sur la défense nationale en 1972.

UNE APPROCHE GLOBALE

Le livre blanc de 2008 entendait ain­si inté­gr­er “ la poli­tique de défense, en total­ité ”, “ la poli­tique de sécu­rité intérieure, pour tout ce qui ne relève pas de la sécu­rité quo­ti­di­enne et indi­vidu­elle des per­son­nes et des biens ”, “ la poli­tique de sécu­rité civile ” et “ d’autres poli­tiques publiques, en pre­mier lieu la poli­tique étrangère et la poli­tique économique, qui con­tribuent directe­ment à la sécu­rité nationale ” pour répon­dre aux risques et aux menaces.

Le livre blanc de 2013 explicite et fait sienne cette approche en notant que “ le con­cept de sécu­rité nationale exprime la volon­té d’adopter une approche glob­ale dans l’i­den­ti­fi­ca­tion des risques et des men­aces comme dans la réponse qu’il con­vient de leur apporter ”.

Face aux défis trans­vers­es que sont les cat­a­stro­phes naturelles, les épidémies, les cyber­me­n­aces et, bien enten­du, le ter­ror­isme, le con­cept de sécu­rité nationale appa­raît ain­si d’une grande utilité.

Il per­met tout d’abord de mar­quer qu’il ne s’agit pas seule­ment pour la nation de gér­er les risques et men­aces mil­i­taires tra­di­tion­nelles rel­e­vant de la seule défense nationale.

La sécu­rité de la nation n’est plus la seule affaire des armées, mais relève d’une néces­sité plus glob­ale qui doit mobilis­er l’ensemble des forces de l’État, bien au-delà du seul min­istère de la Défense.

LES LEÇONS DES ATTENTATS

Les attaques ter­ror­istes trag­iques de l’année 2015 ont mis cette idée à l’épreuve. Aupar­a­vant, l’hypothèse d’attentats de grande ampleur menaçant la nation et le bon fonc­tion­nement de nos insti­tu­tions rel­e­vait, en France, de l’hypothèse d’école, indis­pens­able à pren­dre au sérieux depuis le 11 sep­tem­bre, mais théorique.

“ Le seul outil militaire ne peut pas tout ”

La France a même échap­pé, pen­dant près de seize ans, au ter­ror­isme inter­na­tion­al qui n’a, entre 1996 et 2012 (attaques de Mohamed Mer­ah), fait aucune vic­time en France. Les attaques de jan­vi­er et novem­bre 2015 ont ain­si remis en lumière l’importance de penser la sécu­rité nationale dans ses dimen­sions multiples.

Il sera sans doute néces­saire de pouss­er le retour d’expérience sur ces attaques pour tir­er toutes les leçons de ces événe­ments et con­solid­er notre pos­ture alors qu’il est indis­pens­able de se pré­par­er à de nou­velles attaques.

MOBILISER LES RESSOURCES DE LA NATION

Face à ces men­aces non mil­i­taires, force est de recon­naître que le seul out­il mil­i­taire ne peut pas tout.


Les attaques de jan­vi­er et novem­bre 2015 ont remis en lumière l’importance de penser la sécu­rité nationale dans ses dimen­sions mul­ti­ples. © GUILLAUME LOUYOT ONICKZ ARTWORKS / SHUTTERSTOCK.COM

Face au ter­ror­isme en par­ti­c­uli­er, la mobil­i­sa­tion des ressources de l’État en dehors du périmètre de la défense est néces­saire. Néces­saire, dans le cadre de la préven­tion du ter­ror­isme d’abord.

Com­binés au tra­vail de la mag­i­s­tra­ture spé­cial­isée, les forces de police et le ren­seigne­ment, intérieur et extérieur, jouent un rôle cen­tral dans l’identification des groupes, des réseaux et des indi­vidus sus­cep­ti­bles de men­er ou de soutenir une attaque terroriste.

Cela per­met d’agir en amont pour déman­tel­er ces réseaux et prévenir une attaque avant qu’elle ne se pro­duise, ou, si elle a eu lieu, pour empêch­er sa répéti­tion par le même groupe. Ensuite, la ques­tion de dis­pos­er de capac­ités d’intervention et de réponse d’urgence est essen­tielle dans la ges­tion d’une telle menace.

Il est ain­si néces­saire que les pri­mo-inter­venants des ser­vices d’urgence (pom­piers, SAMU, etc.) soient cor­recte­ment entraînés et pré­parés pour répon­dre à des sit­u­a­tions d’urgence met­tant en jeu la sécu­rité nationale.

Cette mobil­i­sa­tion peut s’étendre à d’autres acteurs majeurs du secteur privé (opéra­teurs de télé­com­mu­ni­ca­tions par exem­ple) dont la résilience est indis­pens­able au bon fonc­tion­nement de la nation en péri­ode de crise.

UNE COORDINATION PERMANENTE

In fine et avant d’évoquer le rôle spé­ci­fique des forces armées, il appa­raît que la var­iété des out­ils pou­vant con­courir à la sécu­rité nationale impose à l’État un tra­vail de coor­di­na­tion per­ma­nent afin de mobilis­er des acteurs n’appartenant pas à la com­mu­nauté de défense.

L’introduction de la sécu­rité nationale dans les préoc­cu­pa­tions de min­istères non régaliens, de col­lec­tiv­ités locales, du secteur privé est l’un des acquis des deux livres blancs de 2008 et 2013, qui par­ticipent plus active­ment aux plan­i­fi­ca­tions Vigipi­rate et autres.

UN CHANGEMENT MAJEUR

L’une des trans­for­ma­tions majeures est le développe­ment d’une présence mil­i­taire pérenne sur le ter­ri­toire nation­al dans le cadre des mesures de sûreté pris­es à la suite des attentats.

Si les armées par­ticipent depuis des années par des patrouilles et des gardes au dis­posi­tif Vigipi­rate, les atten­tats de jan­vi­er et de novem­bre 2015 ont pro­fondé­ment fait évoluer cette pos­ture, décu­plant l’engagement mil­i­taire sur le ter­ri­toire nation­al. Ain­si, au-delà des rôles respec­tifs de la Marine nationale et de l’Armée de l’air dans la sûreté mar­itime et aéri­enne du pays, y com­pris face au risque ter­ror­iste, l’engagement des forces ter­restres en nom­bre et dans la durée crée de fait une nou­velle mis­sion majeure et exigeante.

Il est intéres­sant de not­er que cet engage­ment mas­sif de sol­dats sur le ter­ri­toire nation­al pour ras­sur­er nos conci­toyens et con­tribuer à la préven­tion du ter­ror­isme soulève de nom­breuses ques­tions juridiques, poli­tiques et pratiques.

Si l’engagement immé­di­at des forces armées dans les heures qui ont suivi les attaques est naturel, la déci­sion de péren­nis­er dans le cadre de l’opération Sen­tinelle une présence durable sus­cite plus d’interrogations.

Soldats de la mission Sentinelle
Il paraît dif­fi­cile d’imaginer que la mis­sion Sen­tinelle soit inter­rompue à un hori­zon prévis­i­ble, tant la men­ace reste élevée. © FREDERIC LEGRAND — COMEO

SOIXANTE-DIX MILLE SOLDATS

Début 2016, soit un an après le début de la mission déclenchée par les attentats de 2015, et selon les chiffres du ministère de la Défense, 10 000 militaires sont engagés dans la mission Sentinelle sur le territoire national : 6 500 en Île-de-France et 3 500 en province.
À cela s’ajoutent les 1 500 marins qui assurent la défense des approches maritimes de la France et les 1 000 militaires de l’Armée de l’air qui assurent la sécurité permanente de l’espace aérien français.
Cela porte donc à environ 13 000 le nombre de militaires qui veillent sur le territoire métropolitain, soit davantage que le nombre de militaires engagés en opérations extérieures. Au total, ce sont près de 70 000 soldats qui ont participé à la mission Sentinelle en 2015.

UN ENGAGEMENT APPRÉCIÉ

Cet engage­ment est appré­cié de nos conci­toyens qui salu­ent la disponi­bil­ité de nos sol­dats. Ses modal­ités ont été pro­gres­sive­ment pré­cisées et adap­tées pour faire une plus large place aux patrouilles mobiles au détri­ment des gardes sta­tiques. Tout cela pose néan­moins une ques­tion de fond sur le rôle des forces armées sur le ter­ri­toire national.

Pour la plu­part de nos voisins européens (à l’exception notable de l’Italie et de la Bel­gique), l’engagement des armées dans une mis­sion de sécu­rité intérieure reste un tabou. Il s’agit ain­si de penser à la fois les ter­mes et les con­séquences de cet engage­ment durable.

Sur le plan pra­tique, il crée d’abord une forte ten­sion sur les effec­tifs et une con­trainte forte pour les per­son­nels mil­i­taires engagés, d’autant plus que le rythme des opéra­tions extérieures est égale­ment très exigeant et pour­rait – à terme – men­ac­er l’attractivité du méti­er militaire.

De ce point de vue, il est à not­er que les recrute­ments annon­cés per­me­t­tront un retour à une sit­u­a­tion pré-2012. Plus que bien­v­enue, l’inversion de la courbe des effec­tifs mil­i­taires décidée en 2015 ne trans­forme ain­si pas rad­i­cale­ment la sit­u­a­tion dans un con­texte où les effec­tifs des armées demeurent resser­rés et sans doute appelés à le rester.

UNE DOCTRINE D’ENGAGEMENT DES FORCES

Sur le plan doc­tri­nal et juridique, un tra­vail est mené sur le développe­ment d’une doc­trine d’engagement des forces sur le ter­ri­toire nation­al. Cet indis­pens­able tra­vail mil­i­taire devra sans doute être accom­pa­g­né d’un tra­vail sur le cadre juridique de cet engage­ment, d’autant plus que sa péren­nité paraît, hélas, assurée dans un con­texte sécu­ri­taire dégradé.

“ Un engagement apprécié de nos concitoyens qui saluent la disponibilité de nos soldats ”

Sur le plan poli­tique, il paraît dif­fi­cile d’imaginer que la mis­sion Sen­tinelle soit inter­rompue à un hori­zon prévis­i­ble, tant la men­ace reste élevée. Il con­vien­dra cepen­dant de con­serv­er la capac­ité de mod­uler l’ampleur de cet engage­ment en fonc­tion de l’évolution de la menace.

Enfin, il est néces­saire de penser à la meilleure manière de com­bin­er dans la durée le car­ac­tère con­comi­tant des engage­ments extérieurs et intérieurs, qui impose aux armées de se pré­par­er à des mis­sions d’une extrême diver­sité allant des con­flits de très haute inten­sité à la pour­suite d’opérations extérieures plus clas­siques, aux nou­velles mis­sions intérieures dev­enues elles aus­si structurantes.

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