Classe Lycée

Décrochage scolaire : prévenir plutôt que guérir

Dossier : ExpressionsMagazine N°737 Septembre 2018
Par Nathalie MONS

Le décrochage sco­laire n’est pas une fatal­ité. Depuis 2008, les actions menées en con­tinu par les poli­tiques sco­laires ont per­mis de faire baiss­er le nom­bre des décrocheurs dans tous les ter­ri­toires. Pour le Cnesco, l’objectif est de garder le lien avec les jeunes en échec sco­laire en met­tant l’accent sur la détec­tion et la prise en charge des signes avant-coureurs, en impli­quant étab­lisse­ments et familles. 

C’est la con­ti­nu­ité dans le temps des poli­tiques sco­laires qui pro­duit des effets. Rap­port après rap­port, les éval­u­a­tions du Con­seil nation­al d’évaluation du sys­tème sco­laire (Cnesco) le soulig­nent : les poli­tiques sco­laires, pour être effi­caces, doivent se fonder sur un con­sen­sus transpar­ti­san et enjam­ber ain­si les échéances élec­torales. S’il est un domaine de l’enseignement sco­laire qui le démon­tre claire­ment et pos­i­tive­ment, c’est la lutte con­tre le décrochage sco­laire. Portées par une impul­sion européenne forte, ces poli­tiques se sont déployées en France depuis 2008 dans une logique de con­ti­nu­ité implaca­ble, chaque gou­verne­ment rajoutant à l’édifice régle­men­taire et lég­is­latif sa con­tri­bu­tion pour parachev­er une poli­tique appréhendée sys­té­ma­tique­ment et sys­témique­ment. Pour une fois loin de tout débat idéologique stérile qui prend l’école en otage. 

Un décrochage scolaire en nette baisse mais toujours présent

Les résul­tats ont suivi : le décrochage recule net­te­ment en France, quels que soient les indi­ca­teurs mobil­isés. L’enquête ter­ri­to­ri­ale de Boudesseul (2017) menée pour le Cnesco mon­tre aus­si que ce reflux touche l’ensemble des académies, selon des con­fig­u­ra­tions qui peu­vent être dif­férentes : cer­taines académies se sont attaquées au décrochage dans les ter­ri­toires les moins touchés, d’autres ont réus­si, en plus, à faire reculer ce phénomène dans les enclaves les plus dif­fi­ciles. Ces chiffres met­tent en évi­dence une mobil­i­sa­tion forte et réussie de tous les acteurs, depuis les niveaux nation­al et région­al, jusqu’à l’établissement.

Pour autant le décrochage n’a pas dis­paru, quelque 100 000 jeunes sor­tent encore du sys­tème édu­catif sans diplôme en France, le sys­tème sco­laire déploie des moyens extra­or­di­naires et coû­teux pour iden­ti­fi­er, avec suc­cès, des « per­dus de vue » sor­tis des étab­lisse­ments sans laiss­er de traces, et, à l’autre bout de l’aventure mal­heureuse du décrochage, l’univers des for­mules dites de « retour à l’école » ou plus large­ment de la sec­onde chance est mar­qué d’une offre de for­ma­tion balka­nisée, peu lis­i­ble, aux coûts divergents. 

Que faut-il faire pour faire reculer plus encore le décrochage ? Bien évidem­ment les leviers sont mul­ti­ples comme en témoigne la richesse des pré­con­i­sa­tions issues de la con­férence de com­para­isons inter­na­tionales du Cnesco et du Ciep (novem­bre 2017) qui cou­vrent les trois grands temps de la lutte con­tre le décrochage – préven­tion (amélior­er les appren­tis­sages, la san­té, le cli­mat sco­laire…), inter­ven­tion aux pre­miers signes du décrochage et rac­crochage (dévelop­per davan­tage d’offres, desser­rer l’étau du diplôme…). 

Ecrans et manque de sommeil
Mieux faire con­naître les effets négat­ifs du manque de sommeil
sur l’attention, la mémoire et le décrochage scolaire.

Détecter les premiers signaux

Les actions sont mul­ti­ples mais il est un temps cru­cial sur lequel le Cnesco s’est par­ti­c­ulière­ment penché. C’est le temps des pre­miers signes du décrochage dans l’établissement sco­laire, l’époque frag­ile dans la car­rière sco­laire du jeune où tout est encore pos­si­ble mais la bas­cule hors de l’école pos­si­ble­ment proche. Le Cnesco réaf­firme qu’il faut prévenir plutôt que guérir. Car tout jeune décrocheur, même si l’aventure mal­heureuse se finit bien, sort cabossé de ce chemin chao­tique. Car le décrochage coûte cher à la société. Selon la Cour des comptes, l’engagement financier en faveur du décrochage ponc­tionne 35 % des finance­ments publics en faveur de l’ensemble des jeunes de 16 à 25 ans alors que les « sor­tants pré­co­ces » ne représen­tent « que » 9 % des 18–24 ans. 

Inter­venir dès les pre­miers signes d’un pos­si­ble décrochage quand le jeune est encore dans l’établissement est donc vital. L’« effet-étab­lisse­ment » sur l’absentéisme, mis en évi­dence dans une étude inédite réal­isée pour le Cnesco (Mon­seur et Baye, 2017), doit nous amen­er à ren­forcer plus encore les inter­ven­tions des pro­fes­sion­nels de l’éducation dans ce cadre. Le per­son­nel doit être out­il­lé pour iden­ti­fi­er les élèves qui présen­tent un risque de décrochage. Cela peut se traduire par une mutu­al­i­sa­tion de l’ensemble des infor­ma­tions sco­laires (notes, appré­ci­a­tions, retards, absences, exclu­sions de cours, puni­tions, prob­lèmes de san­té…), par la mise en place d’un out­il de suivi de l’activité de chaque élève dans la classe (prise de parole à l’oral, aide de ses cama­rades, apport de son matériel, respect des con­signes, etc.), par l’utilisation de ques­tion­naires de recense­ment pré­coce des élèves et par une infor­ma­tion des étab­lisse­ments sur leur expo­si­tion au risque de décrochage. 

Pourquoi les jeunes décrochent ?
Dans Paroles de décrocheurs, Canopé Grand Est donne la parole à des jeunes sur les raisons de leur sor­tie du sys­tème sco­laire. Les raisons sont très var­iées telles que le dés­in­térêt pour l’école, le sen­ti­ment d’inutilité des études, le manque de moti­va­tion qui entraî­nent l’absentéisme ; les mau­vais­es fréquen­ta­tions ; la perte d’un proche, du sens et du goût de la vie ; une grossesse pré­coce ; le déracin­e­ment et la perte des repères, la dif­fi­culté avec la langue ; le har­cèle­ment sco­laire ; la peur d’être jugé quand on ne com­prend pas ; une mau­vaise ori­en­ta­tion après la troisième ; le sen­ti­ment d’abandon par les pro­fesseurs et le système.
Vidéo con­sultable en ligne : https://www.dailymotion.com/video/x6bhf79

Proposer des alternatives aux exclusions temporaires

Les exclu­sions sco­laires peu­vent con­stituer un pre­mier pas vers un poten­tiel décrochage sco­laire. Des alter­na­tives peu­vent être dévelop­pées par les étab­lisse­ments en venant apporter du sens à la sanc­tion : en cas de non-respect des horaires, l’élève peut par­ticiper à un tra­vail d’équipe où cha­cun doit accom­plir un mail­lon du tra­vail ; en cas de dégra­da­tion de biens, il peut accom­pa­g­n­er des agents de ser­vice dans leur tra­vail d’entretien et de répa­ra­tion ; en cas d’atteinte aux per­son­nes, il est sen­si­bil­isé à l’importance du tra­vail en équipe et au respect des per­son­nes en par­tic­i­pant aux activ­ités de sol­i­dar­ité d’un organ­isme car­i­tatif local. 

C’est notam­ment ce qui a pu être dévelop­pé à Mon­treuil où un accueil des col­légiens exclus tem­po­raire­ment est organ­isé. Dif­férentes activ­ités sont pro­posées aux élèves : activ­ités autour de l’estime de soi et des com­pé­tences sociales, débat autour de l’école, retour sur la sanc­tion, ges­tion des con­flits et de la com­mu­ni­ca­tion non vio­lente. Dès la sec­onde sanc­tion, les élèves con­tribuent aus­si à une action bénév­ole dans une asso­ci­a­tion de la ville (Restos du cœur, Com­pagnons bâtis­seurs, Ohcy­clo (répa­ra­tion de vélos), Les Voyageurs du code (appren­tis­sage du code infor­ma­tique), etc.). 

Le Con­seil nation­al d’évaluation du sys­tème scolaire
Le Cnesco est une insti­tu­tion chargée d’une éval­u­a­tion indépen­dante, créée par la loi d’orientation et de pro­gram­ma­tion pour la refon­da­tion de l’École de la République, du 8 juil­let 2013.
Il est com­posé de sci­en­tifiques issus de champs dis­ci­plinaires var­iés, de par­lemen­taires ain­si que de mem­bres du CESE, nom­més pour six ans (2014–2020).
Le Cnesco est chargé d’évaluer l’organisation et les résul­tats de l’enseignement sco­laire et de pro­mou­voir une cul­ture d’évaluation
en direc­tion des pro­fes­sion­nels de l’éducation et du grand public. 

Créer des liens avec les familles les plus éloignées de l’école

Il ne faut pas atten­dre que les sit­u­a­tions se dégradent pour ren­con­tr­er les familles. Il est néces­saire d’apprendre à les con­naître, ain­si que de s’approprier le ter­ri­toire dans lequel s’inscrit l’école ou l’établissement. Par exem­ple, l’école mater­nelle Grands Pêch­ers de Mon­treuil, classée REP+, est ouverte aux familles une mat­inée par semaine, pour organ­is­er des ate­liers cui­sine, brico­lage, musique, accom­pa­g­nés par des enseignants. 

Par ailleurs, des actions de médecine préven­tive, pour les élèves et leurs par­ents, doivent être dévelop­pées : mieux faire con­naître les effets négat­ifs du manque de som­meil sur l’attention, la mémoire et le décrochage sco­laire, repér­er les symp­tômes de dépres­sion et de faible estime de soi aus­si asso­ciés au décrochage et val­oris­er les activ­ités sportives des jeunes et des par­ents. C’est le cas au lycée poly­va­lent Jules Fil de Car­cas­sonne qui a mis en place un pro­jet avec des équipes élèves/parents/enseignants ayant pour objec­tif de réalis­er 10 000 pas quotidiens. 

Il est, enfin, indis­pens­able d’impliquer les familles dès que les pre­miers risques de décrochage ont été iden­ti­fiés. L’envoi d’un SMS, dès la pre­mière absence non sig­nalée, déjà expéri­men­té dans cer­tains étab­lisse­ments, doit être général­isé, afin d’informer les familles en temps réel. Il doit per­me­t­tre de sol­liciter rapi­de­ment un ren­dez-vous auprès des familles, dès les signes précurseurs du décrochage (retards ou absences, puni­tions, mau­vais résul­tats sco­laires) en con­vo­quant divers pro­fes­sion­nels con­cernés (enseignants de dif­férentes dis­ci­plines, CPE, per­son­nels soci­aux en faveur des élèves, infir­miers, psy­cho­logues de l’Éducation nationale, etc.). 

Activités sportives, natation
Val­oris­er les activ­ités sportives des jeunes et des parents.

Sur le long terme, une prévention pour tous les élèves

L’école ou l’établissement doivent être défi­nis comme le lieu priv­ilégié de l’action face au décrochage sco­laire. Il s’agit de porter une atten­tion par­ti­c­ulière à la vari­a­tion des sit­u­a­tions et con­textes d’apprentissage des élèves, à tra­vers la dif­féren­ci­a­tion péd­a­gogique, en s’inspirant notam­ment des méth­odes péd­a­gogiques de for­ma­tion con­tin­ue des adultes et en asso­ciant cer­tains con­tenus à la vie quo­ti­di­enne des élèves. 

Il s’agit aus­si de redonner une per­spec­tive aux choix d’orientation des élèves. En effet, le décrochage étant très lié aux ori­en­ta­tions subies, notam­ment en voie pro­fes­sion­nelle, chaque élève, quelle que soit son orig­ine sociale, doit pou­voir faire des choix d’orientation de manière la plus éclairée pos­si­ble, dans un proces­sus d’apprentissage tout au long de la vie. Par exem­ple, des pro­grammes sur l’orientation doivent égale­ment vis­er à com­bat­tre les per­cep­tions gen­rées des métiers pour élargir les choix des élèves et éviter ain­si les ori­en­ta­tions subies. D’autres pays l’ont fait. En Autriche, en Bul­gar­ie, en Alle­magne, en Ital­ie, en Litu­anie et en Slovénie, le pro­jet Boys in Care vise à inciter les jeunes hommes en sit­u­a­tion de décrochage à s’orienter vers des for­ma­tions menant à des pro­fes­sions à dom­i­nante fémi­nine (soins de san­té, édu­ca­tion de la petite enfance, enseigne­ment pri­maire, etc.). 

Raccrochage scolaire
Une poli­tique effi­cace en faveur du rac­crochage sco­laire doit se préoccuper
d’identifier sys­té­ma­tique­ment les jeunes « per­dus de vue ».

Créer un lien fort avec l’établissement

Le sen­ti­ment d’appartenance à l’établissement étant par­ti­c­ulière­ment faible en France (et directe­ment lié au risque d’absentéisme, comme le mon­tre l’étude du Cnesco), il appa­raît indis­pens­able de men­er des actions spé­ci­fiques pour cocon­stru­ire une cul­ture com­mune au sein des étab­lisse­ments, et pour créer des rela­tions fortes entre l’établissement et ses usagers. Le col­lège Vauban de Belfort mène, par exem­ple, un pro­jet inno­vant autour de la con­fi­ance accordée aux élèves. Ces derniers ont accès au CDI de manière autonome, grâce à un sys­tème de badges, nom­més Pass. Ces badges sont remis sous réserve du respect du règle­ment intérieur et de leur capac­ité à tra­vailler dans le calme. 

Témoignage
Salma, élève de troisième à Strasbourg
« Quand j’ai per­du mon frère, l’école, la vie ont per­du leur impor­tance. À l’école, je ne voulais pas m’arrêter, je savais que ça per­tur­bait les autres élèves, mais c’était le seul moyen que je trou­vais pour être vue et enten­due par les pro­fesseurs. Je n’avais pas envie de dire que je n’y arrivais plus, j’avais peur d’être jugée par les pro­fesseurs, par mes par­ents, je fai­sais celle qui com­pre­nait tout pour ne pas me faire juger. »
Paroles de décrocheurs, Canopé Grand Est, vidéo con­sultable en ligne : https://www.dailymotion.com/video/x6bhf79

En dernier recours, le raccrochage par le retour en formation

Par­mi les voies de rac­crochage des jeunes sor­tis pré­co­ce­ment du sys­tème édu­catif, le Cnesco a exploré, de façon priv­ilégiée, le retour en for­ma­tion. Une poli­tique effi­cace en faveur du rac­crochage sco­laire doit se préoc­cu­per d’identifier sys­té­ma­tique­ment les jeunes « per­dus de vue », d’élargir l’offre de retour en for­ma­tion (resco­lar­i­sa­tion mais aus­si pré­pa­ra­tion à l’alternance, ser­vice civique adap­té, accom­pa­g­ne­ment socio-pro­fes­sion­nel), notam­ment pour les 16–18 ans, et d’évaluer l’efficacité et l’efficience des dis­posi­tifs de raccrochage. 

À tra­vers ses travaux, le Cnesco a ain­si mis l’accent sur une approche glob­ale de la lutte con­tre le décrochage sco­laire qui se con­cen­tre avant tout sur la capac­ité du sys­tème édu­catif à main­tenir le lien avec les élèves les plus à risque. 

Pour aller plus loin : 
Cnesco, Lutte con­tre le décrochage sco­laire, dossier de ressources
http://www.cnesco.fr/fr/decrochage-scolaire/

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