De nouveaux générateurs à la frontière entre physique et mécanique

Dossier : Trend-XMagazine N°740 Décembre 2018
Par Marie-Claude CLOCHARD
Par Sébastien MICHELIN (99)
Le vent, les courants marins, le cours d’une rivière… ces écoulements présents aux quatre coins de la planète constituent de formidables réservoirs d’énergie cinétique, associée au mouvement de l’air ou de l’eau.
Les chercheurs du Laboratoire d’hydrodynamique de l’X (LadHyX) et du Laboratoire des solides irradiés (LSI) travaillent au développement de systèmes de production d’électricité innovants utilisant cette énergie. L’initiative Trend‑X a permis le rapprochement de leurs efforts respectifs, et d’identifier de nouvelles pistes de collaboration à la frontière entre la mécanique et la physique.

L’exploitation de cette ressource pour un tra­vail mécanique ou, plus tard, la pro­duc­tion d’électricité a motivé le développe­ment au cours des siè­cles passés de tech­nolo­gies per­me­t­tant la mise en rota­tion d’un moulin puis d’une tur­bine, sous l’action des forces aéro- ou hydro­dy­namiques appliquées sur les pales de la struc­ture. Les éoli­ennes et hydroli­ennes actuelles sont les héri­tières de ces siè­cles de développe­ment, et utilisent ces efforts mécaniques sur des échelles tou­jours plus impor­tantes pour met­tre en mou­ve­ment un généra­teur élec­tro­mag­né­tique con­nec­té à un réseau élec­trique. Si ces sys­tèmes présen­tent une effi­cac­ité opti­male pour les grandes puis­sances, leur développe­ment a aus­si per­mis de mieux iden­ti­fi­er leurs lim­ites et leurs con­traintes (bruit, impact sur l’environnement, per­for­mance réduite aux faibles puis­sances…). La mul­ti­pli­ca­tion d’appareils por­tat­ifs éner­gi­vores pose aus­si la ques­tion de la per­ti­nence du mod­èle unique d’alimentation élec­trique par un réseau cen­tral­isé ali­men­té par des cen­trales de grandes puis­sances, par rap­port à l’approche plus sim­ple et ver­sa­tile offerte par les microréseaux ali­men­tés par des généra­teurs moins puis­sants. L’un des défis de la tran­si­tion énergé­tique réside donc aujourd’hui dans la diver­si­fi­ca­tion des tech­nolo­gies exploitant notam­ment les ressources géophysiques.

Afin de com­pléter les oppor­tu­nités tech­nologiques offertes par les éoli­ennes actuelles, en par­ti­c­uli­er pour les appli­ca­tions aux petites échelles, de nou­velles solu­tions restent à trou­ver et à dévelop­per pour l’alimentation de microréseaux ou de sys­tèmes élec­triques isolés.


REPÈRES

Du fait de leur struc­ture élec­tron­ique interne, les matéri­aux pié­zoélec­triques sont polar­is­ables et per­me­t­tent un cou­plage élec­tromé­canique entre une struc­ture déformable et un cir­cuit élec­trique. Spé­ci­fique­ment, la défor­ma­tion de ces matéri­aux polar­isés entraîne un change­ment de l’orientation de la polar­i­sa­tion qui induit un déplace­ment de charges élec­triques dans les élec­trodes au con­tact de leur sur­face. Ils agis­sent ain­si comme des généra­teurs de courant alter­natif (défor­ma­tion réversible et soumise à cyclage). À l’inverse, une ten­sion élec­trique appliquée par le cir­cuit aval intro­duit une con­trainte mécanique qui peut mod­i­fi­er le com­porte­ment de la struc­ture dont ils sont solidaires.


Des vibrations sources d’énergie

Le principe fon­da­men­tal d’une grande par­tie des sys­tèmes actuels de pro­duc­tion élec­trique (aus­si bien éoliens que fos­siles) est la mise en mou­ve­ment con­tinu ou péri­odique d’une struc­ture solide qui entraîne un généra­teur élec­tro­mag­né­tique. En ce sens, les insta­bil­ités mécaniques à l’origine de vibra­tions des struc­tures exposées à un écoule­ment peu­vent être util­isées pour la récupéra­tion d’énergie. Ces insta­bil­ités sont bien con­nues, aus­si bien en botanique pour les vibra­tions des plantes et feuilles d’arbres sous l’effet du vent, que dans l’industrie où elles peu­vent causer des dom­mages impor­tants comme lors de l’effondrement du pont de Taco­ma ou plus récem­ment lors de l’accident du réac­teur nucléaire de San Onofre en Cal­i­fornie. Deux exem­ples canon­iques de ces insta­bil­ités « flu­ide-solide », qui résul­tent du cou­plage étroit entre les mou­ve­ments d’une struc­ture et du flu­ide qui l’entoure, sont le flot­te­ment d’une plaque flex­i­ble placée dans un écoule­ment par­al­lèle, à la manière d’un dra­peau, et la vibra­tion de câbles sous-marins sous l’action du détache­ment tour­bil­lon­naire généré par les courants marins. Ces insta­bil­ités et vibra­tions sous écoule­ment, et leur appli­ca­tion à la récupéra­tion d’énergie, sont au cen­tre des activ­ités de recherche du Lad­HyX depuis main­tenant une dizaine d’années. Leur objec­tif majeur est l’optimisation de l’efficacité énergé­tique de ces sys­tèmes de pro­duc­tion, qui ne sont encore aujourd’hui qu’au stade de la preuve de con­cept ou du pro­to­type. Cette opti­mi­sa­tion passe avant tout par une meilleure com­préhen­sion et mod­éli­sa­tion des échanges énergé­tiques entre le flu­ide en mou­ve­ment, la struc­ture solide vibrante et le cir­cuit élec­trique con­nec­té au généra­teur, et en par­ti­c­uli­er de la rétroac­tion du sys­tème élec­trique sur le sys­tème mécanique.

Test d’un dra­peau pié­zoélec­trique en soufflerie.

Une sec­onde piste d’optimisation réside dans le sys­tème de con­ver­sion lui-même. En effet, si les généra­teurs élec­tro­mag­né­tiques « clas­siques » présen­tent des per­for­mances opti­males pour des puis­sances impor­tantes, l’utilisation de matéri­aux élec­troac­t­ifs peut se révéler per­for­mante et adap­tée aux plus petites échelles. Ces matéri­aux sont con­nus et exploités depuis longtemps notam­ment dans le domaine du con­trôle, pour action­ner le déplace­ment ou la défor­ma­tion d’une struc­ture en réponse à un sig­nal élec­trique. Le ren­de­ment de ces polymères et leurs pro­priétés mécaniques les ren­dent à présent d’autant plus attrac­t­ifs pour l’implémentation sur des sys­tèmes récupéra­teurs en vibra­tion, en par­ti­c­uli­er par rap­port à d’autres matéri­aux comme les céramiques, moins flex­i­bles et plus fragiles.

Comprendre les couplages et transferts énergétiques fluide-solide-électrique

Les chercheurs du Lad­HyX se posent aujourd’hui une triple ques­tion, fon­da­men­tale du point de vue de la mécanique mais surtout essen­tielle pour une appli­ca­tion future à la tran­si­tion énergé­tique : quelle est l’efficacité de récupéra­tion atten­due pour un sys­tème dont la mise en mou­ve­ment spon­tanée repose sur une insta­bil­ité flu­ide-solide (et non sur l’aérodynamique sta­tion­naire d’un pro­fil de pale), peut-on l’optimiser, et si oui com­ment ? Pour répon­dre à cette triple ques­tion, une mod­éli­sa­tion fine et non-linéaire de la dynamique du sys­tème est réal­isée per­me­t­tant la descrip­tion explicite et com­plète du trans­fert énergé­tique depuis la source (i.e. l’écoulement) jusqu’au cir­cuit récupérateur.
Un élé­ment orig­i­nal et essen­tiel de ces recherches
est la prise en compte de l’effet du cir­cuit récupéra­teur sur la dynamique de la struc­ture, ouvrant la voie à un nou­veau champ inter­dis­ci­plinaire : les interactions
flu­ide-solide-élec­trique. Deux sys­tèmes font l’objet d’une atten­tion toute par­ti­c­ulière : le flot­te­ment d’une plaque flex­i­ble en écoule­ment axi­al (con­nu sous le nom de « dra­peau ») et la vibra­tion de câbles sous-marins. Pour cha­cun, des mod­èles math­é­ma­tiques et numériques réduits ont été mis au point et analysés en par­al­lèle d’expériences de lab­o­ra­toire pour leur validation.

Les « dra­peaux » pié­zoélec­triques sont ain­si nés de ces recherch­es, en parte­nar­i­at avec des chercheurs de l’Imsia à l’Ensta et du Satie à l’ENS Cachan. L’implantation de matéri­aux pié­zoélec­triques à la sur­face du dra­peau per­met ain­si de con­ver­tir sa défor­ma­tion péri­odique en courant élec­trique. Elle intro­duit aus­si un cou­plage inverse sous la forme d’efforts mécaniques pilotés par le cir­cuit aval. Les travaux du Lad­HyX ont ain­si mis en évi­dence l’existence de mécan­ismes d’accrochage élec­tro-mécaniques, où la fréquence de bat­te­ment est directe­ment dic­tée par le cir­cuit élec­trique per­me­t­tant une récupéra­tion dans la gamme la plus effi­cace. L’étude des inter­ac­tions entre plusieurs sys­tèmes récupéra­teurs a de plus mis en évi­dence la com­péti­tion des cou­plages élec­triques et mécaniques entre plusieurs dra­peaux récupéra­teurs posi­tion­nés à prox­im­ité dans l’écoulement et reliés au même cir­cuit récupérateur.

Ces pro­grès impor­tants ont cepen­dant aus­si mis en évi­dence une lim­i­ta­tion fon­da­men­tale de ces sys­tèmes due à la dif­fi­culté de com­bin­er dans un même matéri­au un cou­plage élec­tromé­canique impor­tant avec la flex­i­bil­ité néces­saire au développe­ment de l’instabilité.

Vers des matériaux piézoélectriques optimisés

Le LSI a récem­ment mon­tré que non seule­ment les irra­di­a­tions aux élec­trons mais égale­ment les irra­di­a­tions aux ions lourds accélérés, pour une dose inférieure à 100 kGy, n’affectaient pas la réponse pié­zoélec­trique du PVDF.

Il est donc pos­si­ble d’améliorer la den­sité de puis­sance en sor­tie par irra­di­a­tion. Cepen­dant, même en pari­ant sur l’accroissement de la réponse pié­zoélec­trique du PVDF à l’aide des défauts induits par irra­di­a­tion aux élec­trons, l’inconvénient majeur de ce matéri­au est sa faible per­mit­tiv­ité. Par con­séquent, des élé­ments élec­troac­t­ifs de petite taille (dans un con­texte de minia­tur­i­sa­tion de dis­posi­tifs embar­qués) auront des capac­ités faibles et souf­friront d’une perte de sig­nal sig­ni­fica­tive lors de la charge élec­trique. Pour résoudre ce prob­lème de faible capac­ité, les chercheurs du LSI ont inclus des nano-objets métalliques dans le polymère pié­zoélec­trique. En effet, il est déjà con­nu que la présence d’inclusions métalliques aug­mente sig­ni­fica­tive­ment la per­mit­tiv­ité diélec­trique des polymères. Prenant l’opportunité de la résis­tance du PVDF aux irra­di­a­tions, un fais­ceau d’ions lourds accélérés (Ganil) a été util­isé récem­ment pour nanos­truc­tur­er des films de PVDF pié­zoélec­triques dans leur épais­seur en créant des nanopores cylin­driques de dimen­sion et den­sité par­faite­ment maîtrisées (tech­nique dite de track etch­ing). Les nanopores ont ensuite été par­tielle­ment rem­plis par des nanofils de nick­el obtenus par réduc­tion élec­trochim­ique des sels métalliques. Les résul­tats obtenus jusqu’ici mon­trent une aug­men­ta­tion de la per­mit­tiv­ité du com­pos­ite Ni/PVDF d’un fac­teur 5 et une amélio­ra­tion de la réponse pié­zoélec­trique résul­tante d’un fac­teur 2.5 par rap­port au matéri­au initial.

Sché­ma du film com­pos­ite de Ni/PVDF nanos­truc­turé par fais­ceau d’ions accélérés (Ganil) et élec­trodé­posés par­tielle­ment par du nickel.

Drapeaux piézoélectriques : de nouvelles opportunités et de nouveaux défis

Les microgénéra­teurs de type « dra­peaux pié­zoélec­triques » présen­tent donc un poten­tiel impor­tant en ter­mes de récupéra­tion d’énergie. Les travaux récents effec­tués au sein du cen­tre de recherche de l’École poly­tech­nique ont d’ores et déjà per­mis de mieux com­pren­dre les mécan­ismes généraux de leur fonc­tion­nement et de lever plusieurs ver­rous sci­en­tifiques. Ces recherch­es ont aus­si iden­ti­fié de nou­veaux défis, et plusieurs élé­ments fon­da­men­taux restent à analyser afin de per­me­t­tre le développe­ment tech­nique de pro­to­types. D’un point de vue mécanique, les travaux menés jusqu’ici se sont con­cen­trés sur l’optimisation des per­for­mances de tels sys­tèmes dans des écoule­ments sim­ples, c’est-à-
dire uni­formes et per­ma­nents. Si la com­préhen­sion du com­porte­ment de ces sys­tèmes dans de telles con­di­tions idéal­isées est une étape prélim­i­naire indis­pens­able, com­pren­dre l’impact de la vari­abil­ité tem­porelle et spa­tiale des écoule­ments géo­physiques sur leur effi­cac­ité est une sec­onde étape tout aus­si essen­tielle. En par­ti­c­uli­er, vents et courants sont par nature tur­bu­lents, vari­ent à l’échelle de la journée ou des saisons, et sont hétérogènes spa­tiale­ment du fait de leur inter­ac­tion avec le relief. Com­pren­dre la robustesse des per­for­mances de ces sys­tèmes vis-à-vis de ces com­plex­ités représente l’un des enjeux majeurs du point de vue de la mécanique des flu­ides dans les prochaines années. D’un point de vue matéri­au, le cou­plage des irra­di­a­tions aux ions lourds accélérés (Ganil) et de l’irradiation aux élec­trons (Sir­ius) pour­rait per­me­t­tre d’accroître non seule­ment la per­mit­tiv­ité des matéri­aux com­pos­ites mais aus­si l’élasticité par les défauts struc­turaux tels que les scis­sions de chaînes polymères induites par irra­di­a­tion aux élec­trons. La flex­i­bil­ité du matéri­au est en effet un paramètre cri­tique pour l’efficacité d’un dra­peau pié­zoélec­trique, afin de per­me­t­tre une mise en mou­ve­ment spon­tanée de la struc­ture pour de faibles vitesses d’écoulement. Dans le cadre de Trend‑X, l’étude des pro­priétés élas­tiques du matéri­au obtenu fait aus­si l’objet d’une col­lab­o­ra­tion avec l’Imsia à l’Ensta.


Des matériaux nanostructures

La nanos­truc­tura­tion ou l’hybridation de matéri­aux pié­zoélec­triques polymères per­met aujourd’hui d’augmenter les per­for­mances élec­tromé­caniques de ces matéri­aux, jusqu’ici con­sid­érés comme peu per­for­mants pour la col­lecte d’énergie.


L’irradiation dope les polymères piézoélectriques

Les travaux du LSI ont démon­tré, dans le cas de polymères pié­zoélec-triques tels que le poly­d­i­flu­o­rure de vinylidène (PVDF) et dérivés, que l’irradiation aux élec­trons indui­sait des défauts aug­men­tant la réponse pié­zoélec­trique des matériaux.

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