Le stockage de l’énergie élément clé de la transition énergétique

Dossier : Trend-XMagazine N°740 Décembre 2018
Par Michel ROSSO (69)
Par François OZANAM (81)
Par Alexandre DIMANOV
Par Pierre BEREST (73)
Le lissage des pics de consommation ou de production liés à l’intermittence des nouvelles sources d’énergie renouvelable, la nécessité de moyens de transport plus propres, la très forte augmentation des systèmes électroniques portables nécessitent des moyens de stockage de l’énergie toujours plus efficaces et fiables : autant de thèmes de recherche pour les laboratoires de Trend‑X.

L’én­ergie peut être stock­ée sous dif­férentes formes : mécanique (bar­rages hydro­électriques, air com­primé, volants d’inertie…), ther­mique (réser­voirs d’eau chaude…), chim­ique (car­bu­rants) ou élec­trochim­ique (piles et accu­mu­la­teurs…), ou enfin mag­né­tique (bobine supraconductrice).


REPÈRES

En 2015, l’Agence inter­na­tionale de l’énergie renou­ve­lable (Ire­na) esti­mait que, pour un objec­tif de taux de péné­tra­tion de 45 % d’énergie renou­ve­lable à l’horizon 2030, les besoins mon­di­aux en stock­age d’énergie cor­re­spondraient à une puis­sance délivrée de 150 GW par bat­ter­ies et à 325 GW par sta­tions de pom­page (source Wikipedia).


Le stockage électrochimique

Les bat­ter­ies recharge­ables sont les prin­ci­paux moyens de stock­age élec­trochim­ique actuelle­ment com­mer­cial­isés pour les appli­ca­tions dans le domaine de la mobil­ité. Par­mi celles-ci, les bat­ter­ies lithi­um-ion sont, avec les bat­ter­ies à élec­trode en lithi­um métal et élec­trolyte polymère dévelop­pées par le groupe Bol­loré, celles qui présen­tent la meilleure den­sité d’énergie, tant sur le plan mas­sique que volu­mique. Comme toutes les bat­ter­ies, les bat­ter­ies lithi­um-ion sont con­sti­tuées d’une élec­trode néga­tive et d’une élec­trode pos­i­tive séparées par un élec­trolyte imbibant un sépara­teur. Dans ce cas, les élec­trodes sont des élec­trodes à inser­tion des ions lithi­um (en général en graphite pour l’anode et oxyde de métal de tran­si­tion pour la cath­ode), per­me­t­tant l’échange réversible des ions entre charge et décharge de la bat­terie. La den­sité d’énergie est fonc­tion de la dif­férence de poten­tiel entre les élec­trodes (env­i­ron 3,5 V pour le lithi­um-ion) et de la capac­ité d’insertion du lithi­um des élec­trodes. Pour l’augmenter, une des solu­tions pos­si­bles serait donc de rem­plac­er le matéri­au con­sti­tu­ant ces dernières par des matéri­aux de plus grande capac­ité. Pour l’électrode néga­tive, le sili­ci­um serait une solu­tion de choix : il a en effet une capac­ité mas­sique dix fois supérieure à celle du graphite. Il présente néan­moins le grave défaut de mal résis­ter aux cycles de charge/décharge, du fait des fortes vari­a­tions de vol­ume qui les accom­pa­g­nent et qui sont par­ti­c­ulière­ment délétères en milieu élec­trolyte liq­uide (dégradation/passivation con­tin­ue con­duisant rapi­de­ment à la défail­lance des électrodes).

Deux équipes impliquées dans Trend‑X tra­vail­lent actuelle­ment sur ce sujet. Le lab­o­ra­toire de physique de la matière con­den­sée (LPMC) a décou­vert qu’un alliage à base de sili­ci­um, le sili­ci­um amor­phe méthylé a‑Si1‑x(CH3)x, aug­men­tait con­sid­érable­ment la cycla­bil­ité du sili­ci­um sans en dégrad­er la capac­ité d’insertion du lithi­um. Le rem­place­ment du graphite par ce matéri­au représen­terait donc un pro­grès très sig­ni­fi­catif en ter­mes de per­for­mances. Les études actuelle­ment en cours cherchent à mieux com­pren­dre les mécan­ismes de lithiation/délithiation du matéri­au, notam­ment par des tech­niques in situ (en cours de fonc­tion­nement des élec­trodes) : micro­scopie optique, spec­tro­scopie infrarouge, com­plétée par des tech­niques ex situ (micro­scopie à force atom­ique, spec­tro­scopie Raman, spec­trométrie de masse d’ions sec­ondaires à temps de vol). Le lab­o­ra­toire de physique des inter­faces et des couch­es minces (LPICM) tente, quant à lui, de cou­pler la haute capac­ité du sili­ci­um de l’anode avec celle du soufre util­isé comme matéri­au de cath­ode (bat­terie Li2S/Si). Pour ce faire, il s’intéresse à la fab­ri­ca­tion d’électrodes nanos­truc­turées hybrides hiérar­chisées à base de nan­otubes de car­bone décorés par des nanoparticules.

Les élec­trodes nanos­truc­turées ain­si fab­riquées ont été assem­blées afin de réalis­er des pro­to­types de bat­terie com­plète. Les capac­ités sur­faciques obtenues pour ces élec­trodes nanos­truc­turées ouvrent la voie à la réal­i­sa­tion de bat­ter­ies à très haute den­sité d’énergie et de puis­sance, entière­ment nanostructurées.

De nom­breuses équipes de recherche, tant uni­ver­si­taires qu’industrielles, cherchent à amélior­er l’autonomie, la durée de vie et le coût des bat­ter­ies. La pos­si­bil­ité de recy­clage en fin de vie est aus­si un enjeu majeur. Si on attend encore une amélio­ra­tion des per­for­mances des bat­ter­ies lithi­um-ion déjà citées, d’autres types de bat­ter­ies, comme les bat­ter­ies lithi­um-air, pour­raient apporter un gain con­sid­érable en ter­mes de den­sité d’énergie. Ces sys­tèmes sont à l’étude, mais les recherch­es butent actuelle­ment sur des dif­fi­cultés essen­tielle­ment liées à leur dégra­da­tion très rapi­de. Pour une util­i­sa­tion à grande échelle (stock­age sta­tion­naire), le rem­place­ment du lithi­um par le sodi­um (40 fois plus abon­dant que le lithi­um), ou le développe­ment de bat­ter­ies « à flux » (dans lesquelles l’échange ion­ique se fait entre des élec­trolytes en cir­cu­la­tion) sont les prin­ci­pales voies envisagées.

“En comparaison d’autres ouvrages souterrains,
les cavités salines présentent l’avantage d’être des volumes clos, donc testables”

Les cavités salines au service de la transition énergétique

Une tout autre voie réside dans le stock­age de masse dans le sous-sol de l’énergie sous forme mécanique (air com­primé) ou chim­ique (hydrogène, oxygène, etc.). Trois grandes tech­niques sont déjà util­isées à grande échelle pour stock­er les hydro­car­bu­res liq­uides, gazeux ou liqué­fiés : le stock­age de gaz naturel en couche aquifère (13 réal­i­sa­tions en France, qui per­me­t­tent de stock­er deux mois de con­som­ma­tion annuelle) ; le stock­age de pro­duits liqué­fiés (butane et propane) en galeries non revêtues (en France, 8 réal­i­sa­tions répar­ties sur trois sites) ; et le stock­age de gaz ou de liq­uides en cav­ités arti­fi­cielles réal­isés par dis­so­lu­tion dans des mas­sifs de sel (80 cav­ités en France sur cinq sites dans les départe­ments de l’Ain, de la Drôme et des Alpes-de-Haute-Provence où dix mil­lions de tonnes de pét­role sont stock­és près de Manosque).

La tran­si­tion énergé­tique ne rend pas caduques ces tech­niques, et notam­ment les cav­ités salines, puisqu’on envis­age d’y stock­er les excès d’énergie élec­trique sous forme d’air com­primé des­tiné à ali­menter une tur­bine (il existe deux réal­i­sa­tions en Alle­magne et en Alaba­ma) ou sous forme d’hydrogène (en aval d’une élec­trol­yse, pour l’utilisation directe ou, par exem­ple, pour la métha­na­tion de CO2). Ces tech­niques sont « matures », de niveau TRL 9 ; mais les nou­velles util­i­sa­tions envis­agées présen­tent des orig­i­nal­ités tech­niques et sci­en­tifiques qui sont étudiées au LMS.

Plus pré­cisé­ment, ces cav­ités sont réal­isées en creu­sant d’abord un puits de type pétroli­er jusqu’à la for­ma­tion sal­ifère, typ­ique­ment à un mil­li­er de mètres sous la sur­face du sol. On l’équipe d’un cuve­lage métallique, cimen­té aux ter­rains, qui l’isole des ter­rains tra­ver­sés. On y intro­duit alors un sec­ond tube, de diamètre plus petit, comme une paille dans une bouteille ; il per­met d’injecter de l’eau douce dans la for­ma­tion sal­ifère. L’eau dis­sout le sel et la saumure pro­duite est remon­tée par l’espace annu­laire entre les deux tubes métalliques. Le vol­ume de la cav­ité peut attein­dre 1 mil­lion de m3. Le coût de créa­tion est réduit, typ­ique­ment 30 à 72 euros le mètre cube creusé, une frac­tion seule­ment de la valeur du pro­duit stocké. La géolo­gie française est assez favor­able à leur implan­ta­tion : on trou­ve du sel en France mét­ro­pol­i­taine, du sel sous une sur­face cumulée de 20 000 km2, sur des épais­seurs qui peu­vent attein­dre le kilomètre.

La vari­abil­ité jour­nal­ière de la pro­duc­tion d’énergie renou­ve­lable induit des cycles de stock­age-dés­tock­age plus fréquents que dans les exploita­tions clas­siques. Dans un stock­age d’air com­primé, on peut avoir des cycles jour­naliers de pres­sion entre 5 MPa et 7 MPa dans une cav­erne à 500–800 mètres de pro­fondeur. La cav­erne perd un peu de vol­ume à chaque cycle, et d’autant plus qu’elle est pro­fonde. Le com­porte­ment du gaz au dés­tock­age n’y est pas par­faite­ment adi­a­ba­tique, mais les vari­a­tions de tem­péra­ture peu­vent attein­dre plusieurs dizaines de degrés Cel­sius. En se refroidis­sant, le sel à la paroi de la cav­erne se con­tracte et de fortes incom­pat­i­bil­ités de défor­ma­tion avec le sel plus pro­fond et moins froid appa­rais­sent. Des con­traintes de trac­tion sig­ni­fica­tives sont engen­drées. Les roches les sup­por­t­ent beau­coup moins bien que les com­pres­sions, et le mas­sif peut se frac­tur­er. L’évaluation de ces effets, dont la pos­si­ble prop­a­ga­tion de frac­tures, exige des cal­culs assez déli­cats à conduire.

Le stock­age de l’hydrogène en cav­ité saline a déjà été réal­isé avec suc­cès en Grande-Bre­tagne et au Texas. La petite taille de la molécule renou­velle le prob­lème de l’étanchéité des ouvrages. Pour la démon­tr­er, il faut analyser la con­fig­u­ra­tion géologique par­ti­c­ulière, la qual­ité des matéri­aux naturels et man­u­fac­turés, la con­cep­tion des puits d’accès (la ten­dance est de dis­pos­er deux tubes métalliques entre les pro­duits et les ter­rains sur toute la hau­teur du puits) et le mon­i­tor­ing retenu (sur­veil­lance et essais). La réflex­ion porte d’abord sur les matéri­aux qui for­ment les puits d’accès. Pour le reste, au pre­mier ordre, l’étanchéité est presque par­faite­ment assurée par les pro­priétés favor­ables du sel ; néan­moins les exi­gences sont ici par­ti­c­ulière­ment élevées. En com­para­i­son d’autres ouvrages souter­rains, les cav­ités salines présen­tent l’avantage d’être des vol­umes clos que l’on peut donc tester péri­odique­ment comme un appareil à pres­sion classique.

Pen­dant un essai, on descend dans le puits d’accès à la cav­erne pleine de saumure une colonne d’azote. L’ensemble étant mis à la pres­sion max­i­male de ser­vice, on suit le mou­ve­ment de l’interface azote-saumure placée à une pro­fondeur où la sec­tion hor­i­zon­tale est petite. Une mon­tée rapi­de est le signe d’une fuite. C’est une méth­ode très pré­cise dans son principe mais, s’agissant d’un vol­ume de plusieurs cen­taines de mil­liers de mètres cubes, les caus­es d’incertitudes sont nom­breuses, en rai­son des per­tur­ba­tions mécaniques, chim­iques, ther­miques et hydrauliques qu’engendre l’essai lui-même, d’autant qu’on cherche à garan­tir que la fuite annuelle est inférieure à une frac­tion de l’ordre de 10-4 du vol­ume stocké. C’est un thème impor­tant de recherches.

Les chemins de la tran­si­tion énergé­tique sont loin d’être tracés pré­cisé­ment. Le char­bon et les hydro­car­bu­res sont car­bonés par déf­i­ni­tion, les renou­ve­lables moins (elles néces­si­tent un back­up, typ­ique­ment du gaz naturel) et le nucléaire très peu, mais il est iné­gale­ment accep­té. L’évolution dépen­dra de vari­ables peu maîtrisées : le prix du pét­role, des rup­tures tech­nologiques éventuelles, un volon­tarisme des États et leur una­nim­ité, qui n’apparaît pas entière­ment acquise. Dans ce con­texte, les tech­niques de stock­age souter­rain de l’énergie con­stituent un out­il prou­vé et disponible. Il n’est pas déraisonnable d’envisager la créa­tion, d’ici 2050, de cen­taines de cav­ernes de stock­age en France. Le stock­age d’air com­primé restera sans doute d’intérêt local (l’énergie mécanique stock­ée dans une cav­erne, typ­ique­ment 250 MW pen­dant quelques heures, est sen­si­ble­ment inférieure à l’énergie chim­ique disponible lorsqu’on stocke dans la même cav­erne du gaz naturel). En revanche l’utilisation mas­sive de l’hydrogène comme vecteur de trans­port de l’énergie pour­rait jus­ti­fi­er un large usage des cav­ernes. Il fau­dra ren­dre com­pat­i­bles le réseau de dis­tri­b­u­tion-trans­port et les pos­si­bil­ités offertes par la géolo­gie. Une cir­con­stance favor­able est que les entre­pris­es français­es du domaine du stock­age souter­rain dis­posent d’un savoir-faire recon­nu qu’elles expor­tent large­ment à l’étranger.

Stock­age de gaz dans une couche de sel (exem­ple d’Étrez, Ain) et créa­tion de la cav­ité (source : Storengy).

Le stockage d’énergie sous forme thermochimique

Enfin dans le cadre de Trend‑X, des travaux vont débuter au LMS sur le stock­age d’énergie sous forme de chaleur sen­si­ble ou latente, procédés à matu­rité com­mer­ciale. Mais, la « fil­ière chaleur sen­si­ble » con­cerne surtout le stock­age à court terme et sa den­sité énergé­tique est rel­a­tive­ment faible (de l’ordre de quelques kWh/m3). La « fil­ière chaleur latente » est plus per­for­mante (den­sité énergé­tique de l’ordre de quelques dizaines de kWh/m3), mais pas suff­isam­ment com­péti­tive (coûts d’installations élevés). Le stock­age de chaleur sous forme de poten­tiel chim­ique de réac­tion est moins répan­du, mais il est en plein essor.

Les sys­tèmes ther­mochim­iques basés sur la sorption/désorption de molécules d’eau par des poudres de sels hydrophiles sont une des vari­antes par­mi les moins coû­teuses, et aux impacts envi­ron­nemen­taux les plus faibles. Le sys­tème le moins onéreux peut être basé sur le sel com­mun (NaCl). Comme ses homo­logues, il a des désa­van­tages liés aux ciné­tiques de trans­ferts de masse (vapeur d’eau) et de chaleur dans le milieu « réac­t­if ». Mais, son prin­ci­pal incon­vénient est la dif­fi­culté de con­serv­er la sur­face spé­ci­fique de réac­tion (adsorption/désorption), car au bout de quelques cycles d’hydratation les cristal­lites de NaCl s’agglomèrent (frit­tage) et le milieu réac­t­if perd de sa capac­ité de stock­age ther­mochim­ique. Des développe­ments orig­in­aux débu­tent au LMS basés sur la séques­tra­tion et l’isolement des cristal­lites de sel les unes des autres dans le réseau de pores (cel­lules) d’une mousse métallique à micro­p­orosité ouverte.


Des électrodes nanostructurées 

En rai­son de leur struc­ture unique et de leurs pro­priétés élec­tron­iques, les nan­otubes de car­bone agis­sent comme un com­posant de ren­fort et un excel­lent col­lecteur de courant, amélio­rant ain­si les voies de trans­port élec­tron­iques et ion­iques. En fonc­tion de leur util­i­sa­tion comme cath­ode ou anode, des nanopar­tic­ules de soufre (S), de sili­ci­um (Si), d’oxydes ou des sul­fures de métaux de tran­si­tion sont déposées de manière con­trôlée et uni­forme sur la paroi externe des nanotubes.


Acceptabilité : un sujet sensible

Les pro­jets relat­ifs à l’utilisation du sous-sol sont con­fron­tés à une dif­fi­culté majeure : l’acceptation par le pub­lic. Cela appelle un effort de démon­stra­tion et d’explication qui devra s’appuyer sur une excel­lente maîtrise tech­nique et scientifique.


Stockage thermochimique

Les per­for­mances du stock­age ther­mochim­ique en ter­mes de den­sité énergé­tique (plusieurs cen­taines de kilo­wattheures par mètre cube) et de durée de décharge sont assez com­pa­ra­bles à celles des sys­tèmes de stock­age sous forme hydroélec­trique ou d’air com­primé, ce qui en fait la fil­ière la plus prometteuse.

Poster un commentaire