Noëlle LENOIR, ministre déléguée aux Affaires européennes

De l’Europe de la France à l’Europe des Français

Dossier : L'EuropeMagazine N°586 Juin/Juillet 2003Par : Noëlle LENOIR, ministre déléguée aux Affaires européennes

L’al­chi­mie euro­péenne est sub­tile : il s’a­git de conju­guer des inté­rêts aus­si variés que légi­times à tra­vers une méthode dite « méthode com­mu­nau­taire » pour per­mettre de les trans­cen­der et de déga­ger l’in­té­rêt géné­ral euro­péen. L’o­ri­gi­na­li­té du pro­ces­sus d’in­té­gra­tion euro­péenne a en effet consis­té à faire avan­cer l’Eu­rope par des réa­li­sa­tions concrètes et en créant pro­gres­si­ve­ment entre les États euro­péens des liens si forts qu’il n’existe plus, entre ces États au moins, d’autre alter­na­tive que la paix.

Pour tis­ser ces liens, il fal­lait des ins­ti­tu­tions d’un type nou­veau, capables de pro­mou­voir le pro­jet euro­péen pas à pas, sans prendre de front les sou­ve­rai­ne­tés natio­nales. Ce fut la tâche de la Com­mis­sion euro­péenne que d’ap­pli­quer cette méthode en ani­mant les syner­gies entre le Conseil des ministres en tant qu’ins­tance déci­sion­naire repré­sen­tant les États sou­ve­rains, le Par­le­ment euro­péen qui joue, avec le Conseil, le rôle de co-légis­la­teur et la Cour de jus­tice de Luxem­bourg, garante du res­pect du droit euro­péen dans tous les pays. La méthode est un suc­cès, comme l’at­teste son bilan depuis cin­quante ans.

Cette alchi­mie, qui est à l’o­ri­gine du suc­cès de l’Eu­rope comme espace éco­no­mique et démo­cra­tique, est pré­cieuse. La pré­ser­ver est la pre­mière pré­oc­cu­pa­tion du gou­ver­ne­ment fran­çais repré­sen­té par son ministre des Affaires étran­gères Domi­nique de Vil­le­pin dans les tra­vaux de la Conven­tion sur l’a­ve­nir de l’Eu­rope, char­gée de pré­pa­rer la future Consti­tu­tion euro­péenne. C’est ce qui explique que le gou­ver­ne­ment défende avec une déter­mi­na­tion impla­cable cet acquis com­mu­nau­taire. À cette fin, j’ai consti­tué un groupe de juristes de droit consti­tu­tion­nel com­pa­ré et de droit euro­péen afin de veiller, au niveau des tra­vaux de la Conven­tion, à évi­ter les remises en cause insi­dieuses de cet acquis. La pri­mau­té du droit com­mu­nau­taire, la notion de fédé­ra­tion d’É­tats nations, para­doxe riche de sens, et sur­tout la place cen­trale de la Com­mis­sion dans le pro­ces­sus de prise de déci­sion sont autant de don­nées fon­da­men­tales de la construc­tion euro­péenne que la France entend préserver.

La pro­po­si­tion du pré­sident de la Répu­blique Jacques Chi­rac et du chan­ce­lier alle­mand Gerhard Schrö­der d’ins­ti­tuer une Pré­si­dence stable et à temps plein du Conseil euro­péen par­ti­cipe de cette volon­té de main­te­nir l’é­qui­libre ins­ti­tu­tion­nel qui fait l’o­ri­gi­na­li­té de la construc­tion euro­péenne. La pro­po­si­tion de la France ne vise pas à ins­ti­tuer une fonc­tion de pré­sident de l’Eu­rope, dans le sens de celle d’un chef d’É­tat. L’i­dée est d’a­mé­lio­rer le fonc­tion­ne­ment du Conseil euro­péen, de ren­for­cer sa cohé­sion, afin qu’il puisse consti­tuer le socle de l’é­di­fice euro­péen. Sur ce socle, les pro­jets de l’U­nion seront soli­de­ment arri­més et construits par la Com­mis­sion, dont le rôle de concep­teur et d’exé­cu­tant sera néces­sai­re­ment ren­for­cé, par le Conseil des ministres et par le Par­le­ment euro­péen. C’est aus­si ce socle qui pour­ra per­mettre à l’Eu­rope de se doter des moyens de défendre ses inté­rêts dans le monde.

Car c’est une Europe apte à contri­buer à l’é­qui­libre du monde que les Fran­çais attendent. Les pre­miers pas de l’Eu­rope visaient à sup­pri­mer les obs­tacles concrets à la liber­té de cir­cu­la­tion des mar­chan­dises ; ce qui a per­mis de sup­pri­mer bien des archaïsmes.

L’exer­cice était rela­ti­ve­ment facile quand la construc­tion euro­péenne s’ap­puyait sur les diplo­mates rédui­sant les obs­tacles aux fron­tières. Le citoyen pou­vait en béné­fi­cier sans pour autant encore s’im­pli­quer dans ces réformes. Ce choix stra­té­gique, c’é­tait l’Eu­rope de la France. Aujourd’­hui, sur­tout après la mise en cir­cu­la­tion de l’eu­ro, nous construi­sons l’Eu­rope des Fran­çais, une Europe concrète au quo­ti­dien. L’Eu­rope ne peut qu’a­voir une dimen­sion citoyenne quand il s’a­git de faci­li­ter les échanges et de construire une enti­té poli­tique. Le citoyen est évi­dem­ment concer­né quand l’Eu­rope se dote d’une mon­naie unique ou ins­ti­tue un man­dat d’ar­rêt euro­péen et que la France doit modi­fier – par deux fois – sa Consti­tu­tion pour l’a­dap­ter à ces nou­veaux acquis communautaires.

Les Fran­çais vivent aujourd’­hui dans une Europe en muta­tion. L’Eu­rope connaît d’a­bord son plus ample élar­gis­se­ment, un élar­gis­se­ment qui va chan­ger sa phy­sio­no­mie poli­tique. Elle doit paral­lè­le­ment ache­ver sa méta­mor­phose et deve­nir une véri­table enti­té poli­tique repo­sant sur des fon­de­ments démo­cra­tiques. Il importe aujourd’­hui non pas uni­que­ment de savoir qui va diri­ger l’Eu­rope, mais éga­le­ment de s’as­su­rer de l’adhé­sion des peuples au pro­jet euro­péen. La rati­fi­ca­tion du trai­té de Maas­tricht n’a pas été aus­si aisée que pré­vue. Il est donc logique que la pre­mière prio­ri­té du Pre­mier ministre Jean-Pierre Raf­fa­rin soit de fami­lia­ri­ser les Fran­çais avec l’Eu­rope, de faire entrer l’Eu­rope dans le cœur des Français.

À Orléans en décembre 2002, le Pre­mier ministre a ain­si lan­cé un grand débat natio­nal sur l’Eu­rope qui doit se dérou­ler jus­qu’en mai 2004 en vue de l’é­lar­gis­se­ment. C’est ce débat, qu’à sa demande, j’a­nime au rythme de trois à quatre Ren­contres pour l’Eu­rope par mois dans les régions de France. Ces ren­contres me per­mettent de par­ler aux Fran­çais de leurs pré­oc­cu­pa­tions et de leurs aspi­ra­tions, de leur mon­trer l’Eu­rope concrète : les stages, les échanges, les inves­tis­se­ments, les oppor­tu­ni­tés, les coopé­ra­tions qui se mul­ti­plient et se font au béné­fice du citoyen européen.

Si l’on devait choi­sir un prin­cipe pour défi­nir la poli­tique euro­péenne de la France aujourd’­hui, je retien­drais la fidé­li­té à l’am­bi­tion qui était la sienne lors de la signa­ture du trai­té de Rome : une Europe for­te­ment inté­grée, dans laquelle la Com­mis­sion joue un rôle cen­tral ; une Europe qui est un pro­jet de paix et qui, à ce titre, exerce des res­pon­sa­bi­li­tés dans le monde à la hau­teur de ses inté­rêts ; une Europe démo­cra­tique enfin. Pas­cal, dans ses Pen­sées, dénon­çait « deux excès : exclure la rai­son, n’ad­mettre que la rai­son ». C’est cet équi­libre entre l’Eu­rope dans les cœurs et l’Eu­rope dans les faits que le trai­té de Rome avait su trou­ver. C’est cet équi­libre que la France entend pré­ser­ver dans la Consti­tu­tion européenne.

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