Courrier des lecteurs : Remarques sur le dossier X‑Sursaut

Dossier : ExpressionsMagazine N°627 Septembre 2007Par : Jacques CLADÉ (52)

L’efficacité du marché

Je ne doute pas de l’efficacité régu­la­trice du marché dans la plu­part des cas. Elle est fort bien illus­trée par l’article qui y est con­sacré. Mais il y a des cas où le marché, çà ne marche pas.

Ain­si la con­cur­rence sur la pro­duc­tion d’électricité con­duit, math­é­ma­tique­ment peut-on dire, à de graves insta­bil­ités des prix, et en con­séquence à une régu­la­tion par la pénurie. Il en résulte que la régu­la­tion des prix, et non la régu­la­tion par les prix, est dans ce cas une nécessité.

Mais à quel niveau réguler ? La réponse théorique est sim­ple : aux coûts mar­gin­aux de développe­ment, qui cou­vrent à la fois les coûts de pro­duc­tion et les charges de cap­i­tal. La mise en œuvre pra­tique de ce principe est plus déli­cate. C’est le grand mérite économique de Mar­cel Boi­teux et de son équipe que d’y avoir réus­si en ce qui con­cerne la pro­duc­tion et la dis­tri­b­u­tion d’électricité.

Ceci posé, par quelles voies réguler ? C’est là le vrai prob­lème, et je n’y apporte qu’une réponse néga­tive : sûre­ment pas par le « marché ». Mais cela ne dit pas com­ment réguler, et ne dit pas non plus s’il y a d’autres cas où la régu­la­tion par la con­cur­rence ne fonc­tionne pas ou fonc­tionne mal.

Il me sem­ble qu’il y a là un thème de réflex­ion qui ne serait pas indigne de X‑Sursaut.

La fiscalité

Ce thème est absent du dossier. Il est pour­tant de grande impor­tance, tant il est évi­dent que ce qui pèse sur la pro­duc­tion devient dan­gereux dans une économie mon­di­al­isée ou même sim­ple­ment européanisée. Une réflex­ion d’ensemble s’impose sur l’évolution d’une fis­cal­ité qui a été conçue dans le cadre d’une économie pro­tégée. Elle est dans l’air du temps, mais ce n’est pas un domaine qui puisse être ignoré par X‑Sursaut, même s’il a de fort sen­si­bles impacts politiques.

Les délocalisations

Ce qu’on appelle délo­cal­i­sa­tion a des con­séquences à long terme qui me sem­blent mal appré­ciées par l’article qui y est con­sacré. Dire qu’une délo­cal­i­sa­tion est béné­fique quand elle per­met de rem­plac­er des emplois à faible valeur ajoutée par des emplois à plus forte valeur ajoutée est insuffisant.

D’abord parce que la notion même de valeur ajoutée a besoin d’être pré­cisée. L’agriculteur, Français ou pas, qui me nour­rit m’ajoute beau­coup plus de valeur qu’un roi de l’Internet. Éval­uer la valeur ajoutée par une mesure util­isant la mon­naie d’aujourd’hui, pourquoi pas, mais à con­di­tion de se ren­dre compte que les éval­u­a­tions par la mon­naie de demain, basées sur l’état des ressources de demain, ne seront peut-être pas les mêmes.

Une deux­ième erreur est de croire qu’on peut délo­calis­er des emplois à faible valeur ajoutée (en mon­naie d’aujourd’hui) en se réser­vant les emplois à forte valeur ajoutée, qu’on utilis­era en échange des pro­duits dits (aujourd’hui) à faible valeur ajoutée. C’est là faire preuve d’une arro­gance face aux capac­ités intel­lectuelles et sociales du monde extérieur, en par­ti­c­uli­er asi­a­tique, qui pour­rait coûter très cher à nos enfants et petits-enfants.

Il faut enfin soulign­er un dernier point que les écon­o­mistes sen­tent mal : la capac­ité d’innovation est étroite­ment liée à la maîtrise de la fab­ri­ca­tion. Il en résulte que trans­fér­er une fab­ri­ca­tion, c’est en fait trans­fér­er à terme une capac­ité d’innovation, en y renonçant pour soi.

Tout ceci ne sig­ni­fie pas qu’il faille refuser sys­té­ma­tique­ment toute délo­cal­i­sa­tion, tout trans­fert. Mais il faut raison­ner en ter­mes d’avenir : que maîtris­erons-nous au juste dans dix, vingt, trente ans, que d’autres accepteront en échange de la cou­ver­ture de nos besoins, bien légère­ment dits « à faible valeur ajoutée » ?

Voilà une réflex­ion qu’il me paraît indis­pens­able de men­er dans le cadre de X‑Sursaut.

L’enseignement

La capac­ité d’une pop­u­la­tion à se tenir à un niveau économique­ment dévelop­pé dépend en pre­mier lieu de la qual­ité des hommes et des femmes qui la com­posent, de l’ouvrier spé­cial­isé au poly­tech­ni­cien, de l’aide-comptable à l’énarque. La base de cette qual­ité est acquise au cours de l’enfance, avant l’entrée en adolescence.

La main‑d’œuvre française est réputée de qual­ité. Cela veut dire qu’elle a béné­fi­cié jusqu’à présent d’un enseigne­ment, qu’on peut appel­er pri­maire, de haute qual­ité, issu de ce qui a été réfléchi dans la deux­ième moitié du XIXe siè­cle et mis en place par les fon­da­teurs de la IIIe République.

Mais forme-t-on tou­jours nos enfants à la pra­tique de l’analyse et de la syn­thèse, aux bases du raison­nement quan­ti­tatif, au tra­vail bien fait et auto­con­trôlé, qui nous ont été inculqués par les méth­odes d’apprentissage de la lec­ture, de la gram­maire, de la règle de trois, de l’orthographe, dont nous avons béné­fi­cié ? À suiv­re cer­tains débats actuels, j’en doute. Et pour­tant cela con­di­tionne bien plus que les lois sur l’embauche ou même le fonc­tion­nement de l’université notre main­tien au rang de pays développé.

X‑Sursaut ne devrait-il pas exam­in­er cette ques­tion de for­ma­tion ini­tiale d’un homme économique­ment effi­cace, con­di­tion pre­mière pour rester dans le monde de demain un homme libre ?

Poster un commentaire