Couleurs d’automne

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°679 Novembre 2012Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Pourquoi l’automne serait-il la sai­son de la mélan­col­ie ? Les bat­ter­ies sont rechargées à bloc, tout pousse à l’action, et même pour les dolents l’optimisme s’impose : on est plus près du print­emps à venir que du précé­dent. En fait, cha­cun trou­ve dans l’automne ce qu’il y cherche, espoir ou nos­tal­gie. Ain­si de six dis­ques récents, tous excep­tion­nels à divers titres.

Nelson Freire, Aldo Ciccolini

Coffret CD Brasileiro par Nelson FreireBrasileiro, le dernier disque de Nel­son Freire1, mar­que l’édition phono­graphique d’une pierre blanche. Voici enfin un musi­cien qui entre­prend de nous révéler des musiques qui ne sont ni ennuyeuses – comme cer­taines musiques baro­ques – ni dif­fi­ciles d’accès – comme moult œuvres con­tem­po­raines. Brasileiro est con­sacré à des pièces pour piano de Vil­la-Lobos, dont on ne joue guère en Europe que les Bachi­anas Brasileiras, et de ses amis Guarnieri, Levy, Fer­nan­dez, Net­to, San­toro, Mignone, incon­nus chez nous.

Coffret du CD Aldo CICCOLINI joue Clementi et MozartToutes ces pièces – con­cis­es : aucune ne dépasse cinq min­utes – sont non seule­ment orig­i­nales de rythme et d’harmonies, imprégnées du folk­lore brésilien mi-joyeux mi-nos­tal­gique, au fond très autom­nal, mais aus­si déli­cieuse­ment agréables. Courez décou­vrir ce disque et vous, cama­rades pianistes, les par­ti­tions de ces pièces exquis­es et jubi­la­toires. Voilà du plaisir, comme dis­aient les vendeuses d’oublies.

Sig­nalons au pas­sage un disque tout récent où Aldo Cic­col­i­ni nous fait décou­vrir la très jolie Sonate en sol mineur de Clemen­ti, com­pos­i­teur injuste­ment oublié, qu’il accom­pa­gne de la Fan­taisie en ut mineur et des Sonates 12 et 14 de Mozart2, son con­tem­po­rain, le tout joué sur un Bech­stein au tim­bre inhab­ituel, en situation.

Duos, trio, quatuors et quintettes

Les 44 Duos pour deux vio­lons de Bartók, que Gérard Poulet et Régis Pasquier jouent sur un disque récent3, sont eux aus­si des pièces très cour­tes et, ce qui est inhab­ituel chez Bartók, agréables et d’écoute facile.

Coffret du CD Duos pour deux violons de Bartók, par Gérard Poulet et Régis PasquierIls sont pour le vio­lon ce que sont les pièces du Mikrokos­mos pour le piano. Sur le même disque, Gérard Poulet, Noël Lee et le clar­inet­tiste Michel Lethiec jouent les Con­trastes pour clar­inette, vio­lon et piano. Il s’agit d’une œuvre beau­coup plus ambitieuse, écrite à l’origine pour Ben­ny Good­man, vir­tu­ose, com­plexe de rythmes et d’harmonies, et qui fait appel à la fois au jazz et au folk­lore hongrois.

Coffret du CD Trio de Debussy,Autre pièce peu jouée : le Trio de Debussy, œuvre de jeunesse oubliée et redé­cou­verte dans les années 1980. Debussy avait une ving­taine d’années ; il était pré­cep­teur musi­cal des enfants d’une riche veuve russe, qu’il accom­pa­g­nait dans leurs vil­lé­gia­tures. C’est une musique de salon déli­cieuse, lyrique et très fin de siè­cle, où l’on trou­ve peu de promess­es du Debussy à venir et beau­coup de réminis­cences des com­pos­i­teurs de l’époque, y com­pris Tchaïkovs­ki. Le Quatuor, lui, est bien con­nu et sans doute le chef‑d’œuvre de la musique de cham­bre de Debussy et le cen­tre même de toute sa musique. Le Quatuor Danel en donne, sur ce disque4, une inter­pré­ta­tion mesurée et aéri­enne, dis­tan­ciée, avec cette par­faite homogénéité de la pâte sonore qui car­ac­térise cet ensem­ble. Enfin, sur le même disque, les élé­gantes Dans­esDanse sacrée et Danse pro­fane – fig­urent en deux ver­sions : pour harpe chro­ma­tique, quatuor à cordes et con­tre­basse, et pour piano, quatuor et contrebasse.

Les Quatuors de Beethoven sont, pour tout ama­teur de musique, le som­met à la fois du genre et de l’œuvre de Beethoven. L’enregistrement d’une inté­grale est un défi red­outable : com­ment rivalis­er avec les grandes inté­grales du passé – Amadeus, Quatuor Hon­grois, Alban Berg, pour ne citer que ceux-là ? Aus­si une telle aven­ture ne s’entreprend-elle qu’avec la cer­ti­tude d’avoir une pierre à apporter à l’édifice, sans chercher à être orig­i­nal mais en cap­ti­vant l’auditeur et en faisant en sorte qu’il ne ressente pas le besoin de réé­couter les « grands » précé­dents. Cela sup­pose non seule­ment la per­fec­tion tech­nique mais aus­si ce je-ne-sais-quoi qui fait affleur­er les larmes et dire « oui, c’est bien ain­si qu’il faut jouer ».

Coffret du CD : Les Quatuors de Beethoven par le Quatuor BelceaEh bien, le Quatuor Bel­cea (bri­tan­nique), un des très grands d’aujourd’hui et qui vient de pub­li­er le pre­mier vol­ume de son inté­grale5 (huit quatuors), a réus­si. Au-delà des adjec­tifs dithyra­m­biques et mérités que l’on épargn­era au lecteur, on notera une dimen­sion rarement présente dans les inter­pré­ta­tions des quatuors de Beethoven : la sensualité.

Coffret du CD : Quintettes avec piano de Fauré, par Éric Le Sage et le Quatuor Ébène, Last but not least, Alpha pour­suit son édi­tion de la musique de cham­bre de Fau­ré avec les deux Quin­tettes avec piano6, par Éric Le Sage et le Quatuor Ébène, un autre très grand, français celui-là et sou­vent cité dans ces colonnes. Inter­pré­ta­tion excep­tion­nelle, prousti­enne, de ces deux quin­tettes, qui con­stituent le som­met de l’œuvre de Fau­ré avec son Quatuor à cordes. On atteint ici à l’ineffable : il ne s’agit plus seule­ment de musique mais de vous, des gens et des lieux que vous avez aimés, des instants que vous avez vécus et qui revi­en­nent soudain à votre mémoire, intacts, petit mir­a­cle aux couleurs sépia d’une vieille pho­to, couleurs de l’automne.

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1. 1 CD DECCA.
2. 1 CD DOLCE VOLTA.
3. 1 CD ARION.
4. 1 CD FUGA LIBERA.
5. 4 CD ZIG-ZAG.
6. 1 CD ALPHA.

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