Comment stocker les déchets les plus radioactifs

Dossier : L’industrie nucléaire après FukushimaMagazine N°686 Juin/Juillet 2013
Par Marie-Claude DUPUIS (82)
Par Thibaud LABALETTE (97)

Le Par­lement a inscrit, avec la loi de 1991, la poli­tique française dans une per­spec­tive de recherche de solu­tions pérennes et sûres pour les déchets radioac­t­ifs, avec l’objectif de ne pas léguer aux généra­tions futures la charge des déchets pro­duits par les activ­ités dont nous béné­fi­cions au quotidien.

REPÈRES
Des déchets radioac­t­ifs sont pro­duits chaque année sur notre ter­ri­toire, prin­ci­pale­ment par la pro­duc­tion d’énergie nucléaire mais aus­si par la Défense nationale, l’industrie, le secteur de la san­té ou la recherche. La majorité d’entre eux béné­fi­cie de solu­tions déjà opéra­tionnelles : 90 % du vol­ume total des déchets radioac­t­ifs pro­duits chaque année en France sont aujourd’hui stock­és dans les cen­tres de l’Andra. Le pro­jet de Cen­tre indus­triel de stock­age géologique, Cigéo, est conçu pour met­tre en sécu­rité défini­tive les déchets français les plus radioac­t­ifs. Il est entré dans sa phase de con­cep­tion indus­trielle. Un débat sur le pro­jet est organ­isé par la Com­mis­sion nationale du débat pub­lic du 15 mai au 15 octo­bre 2013. Il porte notam­ment sur le choix du stock­age pro­fond, l’implantation en Meuse et en Haute-Marne, la maîtrise des risques. Il per­me­t­tra de pré­par­er la future loi qui fix­era les con­di­tions de réversibil­ité du stockage.

Un stockage pour protéger sur le très long terme

Cer­tains déchets res­teront dan­gereux plus de 100 000 ans

Les déchets les plus radioac­t­ifs et à vie longue (cer­tains res­teront dan­gereux plus de 100 000 ans) ne peu­vent pas être stock­és en sur­face ou à faible pro­fondeur, car on ne peut garan­tir que l’on saura main­tenir des pro­tec­tions adap­tées sur de telles échelles de temps.

Ces déchets représen­tent env­i­ron 3% du vol­ume des déchets radioac­t­ifs exis­tants, et con­cen­trent plus de 99 % de la radioac­tiv­ité totale. Ils sont prin­ci­pale­ment issus du traite­ment des com­bustibles usés des réac­teurs nucléaires. Dans l’attente de leur stock­age, ils sont entre­posés à sec dans des bâti­ments sur les sites de La Hague, Mar­coule et Cadarache.

Schéma de principe de Cigéo après cent ans d’exploitation
Sché­ma de principe de Cigéo après cent ans d’exploitation. © ANDRA

Un choix issu de plus de vingt ans de recherche et partagé à l’international

Après quinze années de recherche sur la sépa­ra­tion-trans­mu­ta­tion, le stock­age pro­fond et l’entreposage de longue durée, leur éval­u­a­tion et un débat pub­lic sur la poli­tique de ges­tion des déchets les plus radioac­t­ifs, le Par­lement a retenu en 2006 la mise en œuvre d’un stock­age pro­fond, comme seule solu­tion capa­ble d’assurer la sûreté à long terme des déchets radioac­t­ifs tout en lim­i­tant les charges pesant sur les généra­tions futures.

Contrôle d’un colis de déchets radioactifs de haute activité.
Con­trôle d’un col­is de déchets de haute activ­ité. © ANDRA

Les résul­tats des recherch­es menées par le CEA ont en effet mon­tré que la sépa­ra­tion-trans­mu­ta­tion ne serait applic­a­ble qu’à cer­tains radionu­cléides con­tenus dans les déchets (actinides) et que les réac­teurs nucléaires de 4e généra­tion, dans lesquels pour­rait être mise en œuvre une telle tech­nique, pro­duiraient des déchets qui néces­sit­eraient aus­si d’être stock­és en pro­fondeur pour des raisons de sûreté. L’entreposage de longue durée (de l’ordre du siè­cle) ne con­stitue pas une solu­tion défini­tive, car il sup­pose de main­tenir un con­trôle de la part de la société et la reprise des déchets par les généra­tions futures.

Une con­struc­tion pro­gres­sive en fonc­tion des besoins

La France a été con­fortée dans ce choix par une direc­tive du Con­seil de l’Union européenne en 2011, qui rap­pelle que le stock­age pro­fond con­stitue actuelle­ment la solu­tion la plus sûre et la plus durable en tant qu’étape finale de la ges­tion des déchets de haute activ­ité. Tous les pays util­isant l’énergie nucléaire font le choix du stock­age pro­fond pour une ges­tion défini­tive et sûre à long terme de leurs déchets radioac­t­ifs. La France fait par­tie des pays les plus avancés au niveau mon­di­al, avec la Suède et la Fin­lande où les deman­des d’autorisation de créa­tion sont en cours d’instruction.

Une exploitation séculaire

S’il est autorisé, le Cen­tre indus­triel de stock­age géologique, Cigéo, sera exploité pen­dant plus de cent ans et sera con­stru­it de manière pro­gres­sive au fur et à mesure des besoins.

Un pro­jet à insér­er dans un ter­ri­toire rural
Cigéo est un pro­jet indus­triel struc­turant pour le ter­ri­toire, aujourd’hui essen­tielle­ment rur­al. Les emplois directs générés par Cigéo sont estimés entre 1 300 et 2 300 pour la con­struc­tion des pre­mières instal­la­tions (2019–2025), puis entre 600 et 1 000 emplois pérennes. Un sché­ma de développe­ment du ter­ri­toire, élaboré sous l’égide de l’État, vise à iden­ti­fi­er les besoins d’infrastructures, de loge­ments, de for­ma­tion, etc.

Le cen­tre sera com­posé de deux instal­la­tions de sur­face, implan­tées en Meuse et en Haute- Marne, et d’une instal­la­tion souter­raine dans la couche d’argile, étudiée par l’Andra au moyen de son lab­o­ra­toire souterrain.

La pro­fondeur de Cigéo, sa con­cep­tion et son implan­ta­tion dans une roche argileuse imper­méable et dans un envi­ron­nement géologique sta­ble met­tront les déchets défini­tive­ment à l’abri des activ­ités humaines et des événe­ments naturels de sur­face une fois le stock­age refermé.

La coex­is­tence à 500 mètres de pro­fondeur des activ­ités de chantier et des activ­ités nucléaires con­stitue un enjeu clé de la phase sécu­laire d’exploitation, notam­ment du point de vue de la ges­tion du risque incendie.

Évaluer les coûts

Pour un nou­veau réac­teur nucléaire sur l’ensemble de sa durée de fonc­tion­nement, le coût du stock­age des déchets radioac­t­ifs est de l’ordre de 1 % à 2 % du coût total de la pro­duc­tion d’électricité. L’évaluation du coût prévi­sion­nel du stock­age con­stitue néan­moins un enjeu impor­tant pour déter­min­er les pro­vi­sions à met­tre en place par EDF, Are­va et le CEA, pro­duc­teurs des déchets.

Schéma de principe d’une alvéole de stockage
Sché­ma de principe d’une alvéole de stock­age de col­is de haute activ­ité © ANDRA

L’Andra est ain­si chargée d’estimer tous les coûts du stock­age sur plus de cent ans. L’évaluation du coût du stock­age est ensuite arrêtée et ren­due publique par l’État après obser­va­tions des pro­duc­teurs et avis de l’Autorité de sécu­rité nucléaire (ASN).

Un stockage flexible

Cigéo est conçu pour accueil­lir les déchets pro­duits par les instal­la­tions nucléaires exis­tantes. Il est flex­i­ble afin de pou­voir s’adapter à d’éventuels change­ments de la poli­tique énergétique.

Compte tenu du vol­ume des déchets déjà exis­tants à stock­er (50 % des déchets des­tinés à Cigéo sont déjà pro­duits), l’impact d’un change­ment de poli­tique énergé­tique n’aurait de con­séquences sur l’exploitation de Cigéo qu’à l’horizon 2070. L’État demande à l’Andra de véri­fi­er par pré­cau­tion que les con­cepts de stock­age retenus pour Cigéo restent com­pat­i­bles avec l’hypothèse du stock­age direct de com­bustibles usés, si ceux-ci étaient un jour con­sid­érés comme des déchets.

Un stockage réversible

Pou­voir s’adapter à d’éventuels change­ments de la poli­tique énergétique

Le Par­lement a demandé que le stock­age soit réversible pen­dant au moins cent ans. L’Andra pro­pose des dis­po­si­tions tech­niques qui ne com­pro­met­tent pas la sûreté du stock­age et qui sont réal­istes sur le plan indus­triel. Elles per­me­t­tront de décider des étapes de fer­me­ture du stock­age et de retir­er des col­is si besoin. Le débat con­cer­nant la durée d’exploitation des cen­trales nucléaires mon­tre la néces­sité d’intégrer une dimen­sion socié­tale à l’analyse technique.

Pour Cigéo, il est pro­posé de plan­i­fi­er des ren­dez-vous réguliers après la mise en ser­vice, avec l’ensemble des acteurs (éval­u­a­teurs, élus, représen­tants de la société civile, pro­duc­teurs, etc.). Ces ren­dez-vous per­me­t­tront d’examiner le retour d’expérience et les per­spec­tives de fonc­tion­nement du cen­tre, l’évolution des con­nais­sances sci­en­tifiques et tech­niques, et de met­tre à jour les con­di­tions de réversibilité.

Funiculaire permettant le transfert des colis de déchets
Funic­u­laire per­me­t­tant le trans­fert des col­is de déchets vers l’installation souter­raine via la descen­derie. © ANDRA

Un proces­sus d’évaluation
La réversibil­ité sera l’un des thèmes-clés du débat pub­lic de 2013, étape préal­able au dépôt en 2015 de la demande d’autorisation de créa­tion de Cigéo.
Cette demande fera ensuite l’objet d’un proces­sus d’évaluation sur plusieurs années, pen­dant lequel le pro­jet sera en par­ti­c­uli­er exam­iné par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), la Com­mis­sion nationale d’évaluation mise en place par le Par­lement, les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales et le Parlement.
Son autori­sa­tion par le gou­verne­ment ne pour­ra inter­venir qu’après le vote d’une nou­velle loi fix­ant les con­di­tions de réversibil­ité du stock­age envis­agée en 2016 et une enquête publique, pour une mise en ser­vice à l’horizon 2025.

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