Une diversité de réacteurs modernes sur un marché mondial en renaissance

Dossier : L’industrie nucléaire après FukushimaMagazine N°686 Juin/Juillet 2013
Par Philippe ANGLARET (70)

Où se situe aujourd’hui le marché ? Quelle est sa taille ? Il faut dis­tinguer deux cas prin­ci­paux. Ou bien l’électricien, client final de la cen­trale, dis­pose de ses pro­pres com­pé­tences d’ingénierie nucléaire et d’intégration, et passe des com­man­des en lots séparés, de plus ou moins grande taille. Ou bien il com­mande une cen­trale « clé en main » à un con­sor­tium dont le chef de file est, le plus sou­vent, le vendeur du réac­teur nucléaire.

REPÈRES
L’année 2013 est con­sid­érée comme l’année de la « renais­sance » du marché des cen­trales nucléaires. L’essentiel de ces nou­velles cen­trales, env­i­ron les deux tiers en ter­mes de puis­sance, sera com­mandé par la Chine, l’Inde et la Russie. En Europe, des développe­ments sont en cours au Roy­aume-Uni, en Fin­lande, en République tchèque et en Pologne. L’Afrique du Sud et le Brésil, qui exploitent déjà deux réac­teurs nucléaires cha­cun, devraient lancer de nou­veaux pro­grammes au cours des prochaines années.

Les routes d’accès

Le pre­mier cas est illus­tré par l’approche his­torique d’EDF pour le développe­ment du parc élec­tronu­cléaire français. Il s’agit égale­ment de l’approche retenue par l’électricien chi­nois CGNPC (Chi­na Guang­dong Nuclear Pow­er Corporation).

Com­man­der une cen­trale « clé en main » à un consortium

Fondée en 2004, pre­mière du genre en Chine, CNPEC (Chi­na Nuclear Pow­er Engi­neer­ing Com­pa­ny) est la branche d’ingénierie nucléaire de CGNPC. Cette société est aujourd’hui impliquée dans la con­struc­tion de nom­breuses cen­trales nucléaires en Chine. Le sec­ond cas est illus­tré par l’électricien fin­landais TVO.

Plusieurs appels d’offres en cours sont fondés sur une telle approche : exten­sion de la cen­trale exis­tante de Temelin en République tchèque, pro­jetée par l’électricien nation­al CEZ ; nou­velles cen­trales en Fin­lande sur le site de Pyhäjo­ki par l’électricien Fen­novoima et sur le site d’Olkiluoto par l’électricien TVO.

Des partenaires locaux

Acheter le courant
Dans une approche orig­i­nale, l’électricien, client final, n’achète pas la cen­trale pro­pre­ment dite, mais sim­ple­ment le courant qui y est pro­duit dans le cadre d’un PPA (pow­er pur­chase agree­ment). Il le revend ensuite dans le cadre de son pro­pre réseau de dis­tri­b­u­tion. Dans ce cas, le groupe­ment qui con­stru­it la cen­trale va aus­si en être le pro­prié­taire et l’exploitant, ce qui implique la charge de finance­ment du pro­jet. Ce mod­èle a été retenu par l’électricien turc TEAS pour la pre­mière cen­trale nucléaire du pays sur le site d’Akkuyu.

Dans les pays qui se sont lancés dans un pro­gramme élec­tronu­cléaire avec l’ambition de faire des séries de cen­trales iden­tiques, il est néces­saire d’être asso­cié à des parte­naires locaux. Par exem­ple, pour cou­vrir les trois plus impor­tants marchés (la Chine, l’Inde et la Russie), Alstom a signé des accords de coopéra­tion ou de licence.

En Chine, un accord de licence et de coopéra­tion a été signé avec l’un des trois grands con­struc­teurs chi­nois, DEC (Dong­fang Elec­tric Com­pa­ny). En Inde, un con­sor­tium a été con­sti­tué avec le con­struc­teur indi­en BHEL (Bharat Heavy Elec­tri­cals Ltd.). En Russie, Alstom a créé une société com­mune avec Atom­en­er­go­mash, une fil­iale de Rosatom (le con­glomérat russe du nucléaire).

Eau légère ou eau lourde

Les réac­teurs récents, dont le calo­por­teur est de l’eau légère ou de l’eau lourde, four­nissent à la tur­bine une vapeur humide (titre en eau inférieur à 0,5 %), à des pres­sions s’échelonnant de 42 à 75 bars et à des tem­péra­tures com­pris­es entre 250 et 290 °C, valeurs très bass­es par rap­port aux cycles fos­siles. Les réac­teurs à eau lourde, instal­lés prin­ci­pale­ment au Cana­da, en Argen­tine et en Inde, sont ceux dont la pres­sion de vapeur vive est la plus basse.

Dans les réac­teurs à eau pres­surisée (eau légère ou eau lourde), la présence de généra­teurs de vapeur et d’un cir­cuit sec­ondaire séparé du pri­maire assure la livrai­son d’une vapeur non contaminée.

Dix con­struc­teurs mondiaux
Dix con­struc­teurs com­mer­cialisent aujourd’hui plus de 18 mod­èles de réacteurs.
Par­mi eux, cinq sont des sociétés inter­na­tionales : Are­va, MHI (Mit­subishi Heavy Indus­tries), West­ing­house- Toshi­ba, GE-Hitachi, et SNC-Lavalin qui a récem­ment acquis la divi­sion réac­teur d’AECL (Atom­ic Ener­gy of Cana­da Ltd.).
Les cinq autres sont des organ­i­sa­tions éta­tiques con­stru­isant et exploitant des réac­teurs : Rosatom en Russie, CGNPC et CNNC en Chine, Kep­co en Corée du Sud et NPCIL en Inde.

Eau bouillante

Dans les réac­teurs à eau bouil­lante, c’est l’eau même du cir­cuit pri­maire qui entre en ébul­li­tion dans la cuve du réac­teur, et la vapeur ain­si générée ali­mente directe­ment la turbine.

Assur­er la livrai­son d’une vapeur non contaminée

Des études de radio­pro­tec­tion sont menées pour installer des pro­tec­tions adap­tées : con­trôle d’accès, murs de béton démonta­bles et cof­frages pour lim­iter les radi­a­tions, téléopéra­tion et télé­sur­veil­lance accrues des matériels pour éviter les expo­si­tions du per­son­nel d’exploitation et de maintenance.

Le maître-mot en matière de radio­pro­tec­tion est ALARA (As low as rea­son­ably achievable).

Salle des machines d’une cen­trale nucléaire. © ALSTOM

Un grand soin est apporté à la sélec­tion des matéri­aux util­isés dans ce type de cen­trale : cobalt pro­hibé pour éviter son entraîne­ment dans la cuve du réac­teur, emploi accru d’aciers inoxyd­ables à haute teneur en chrome et traite­ments de sur­face spé­ci­fiques par dépôts à l’arc pour éviter les phénomènes de dégra­da­tion liés au pH plus faible et à la teneur en oxygène dis­sous plus élevée de la vapeur de ces centrales.

Une télé­sur­veil­lance accrue évite l’exposition des personnels

Enfin, des étanchéités par­ti­c­ulières sont mis­es en œuvre pour éviter les risques de fuite de vapeur dans la salle des machines, notam­ment aux tra­ver­sées des corps de tur­bines par les rotors, aux plans de joints des corps et au niveau des tiges des organes d’admission de la vapeur dans la turbine.

Neutrons rapides

Les réac­teurs à neu­trons rapi­des refroidis au sodi­um four­nissent une vapeur sèche, très sur­chauf­fée, dont les car­ac­téris­tiques sont proches d’un cycle ther­mique fos­sile « clas­sique » avec des pres­sions de l’ordre de 180 bars et des tem­péra­tures voisines de 500 °C, ce qui per­met l’utilisation de tur­bines à vapeur issues de la gamme pour cen­trales fossiles.

Prin­ci­paux réac­teurs récents, en cours de con­struc­tion ou proposés
R​éacteur Four­nisseur Tech­nolo­gie du réacteur Puis­sance élec­trique (MWe) Statut
Eau légère Eau lourde En exploita­tion En con­struc­tion
Pres­surisée Bouil­lante Pres­surisée
EPR​ Are­va X 1 750 X​
ESBWR GE-Hitachi X 1 700 non encore vendu
APWR MHI X 1 700 X​
ABWR1600 Toshi­ba X 1 550 non encore vendu
APR1400 Kepro X 1 450 X​
CAP1400 CNNC X 1 450 X​
ABWR1350 GE-Hitachi et
Toshiba
X 1 350 X X​
KERENA Are­va X 1 300 non encore vendu
AP1000 West­ing­house-
Toshiba
X 1 250 X​
VVER1200 Rosatom X 1 200 X​
ATMEA1 Are­va-MHI X 1 200 non encore vendu
VVER1000 Rosatom X 1 100 X
CPR1000​ CGNPC X 1 100 X
ACPR1000 CGNPC X 1 100 X
EC6 SNC-Lavalin X 750 non encore vendu
PHWR700 NPCIL X 700 X​
Réac­teurs à neu­trons rapides
BN800 Rosatom calo­por­teur : sodi­um liquide 800 X
FBR500 NPCIL calo­por­teur : sodi­um liquide 500 X

De la Baltique à l’océan Indien

Machine ther­mique, la tur­bine à vapeur nucléaire tra­vaille entre une source chaude (le réac­teur) et une source froide (mer, lac, fleuve atmo­sphère). Le ren­de­ment du cycle dépend en bonne par­tie des tem­péra­tures respec­tives de ces deux sources. Trib­u­taire de la tem­péra­ture de la source chaude, le con­cep­teur de la par­tie con­ven­tion­nelle doit chercher à tir­er le max­i­mum de prof­it de la source froide mise à sa dis­po­si­tion : eau ou atmo­sphère, via des réfrigérants atmosphériques.

En Scan­di­navie, avec une excel­lente source froide telle que la mer Bal­tique, on jus­ti­fiera facile­ment des vides dans le con­denseur de l’ordre de 20 à 30 mbars, alors qu’en Inde on obtien­dra plutôt 70 à 80 mbars avec une cir­cu­la­tion d’eau de mer et 90 à 100 mbars, avec des tours de réfrigéra­tion atmosphérique.

La technologie nucléaire d'Alstom en Chine
© ALSTOM

Un rythme soutenu

Mal­gré l’impact de Fukushi­ma et la révo­lu­tion des gaz de schiste, l’énergie nucléaire con­tin­ue donc à se dévelop­per dans le monde à un rythme soutenu, notam­ment dans les pays émer­gents (Chine, Inde, Russie, Corée) mais aus­si en Europe (Fin­lande, France, Roy­aume- Uni, République tchèque, etc.), ou en Amérique du Nord (États-Unis, Canada).

L’énergie nucléaire reste la prin­ci­pale source per­me­t­tant de fournir au monde un appro­vi­sion­nement en énergie élec­trique de base com­péti­tive sans émet­tre de gaz à effet de serre.

Des pays déjà équipés comme la Hon­grie, la Slo­vaquie ou l’Afrique du Sud ont annon­cé la relance prochaine de leur programme.

De nou­veaux pays, comme les Émi­rats arabes unis ou la Turquie, ont déjà pris la déci­sion de déploy­er un pro­gramme nucléaire, ou ont annon­cé leur inten­tion d’accéder prochaine­ment à l’énergie nucléaire (Ara­bie Saou­dite ou Pologne).

Le développe­ment annon­cé dans de nom­breux pays des SMR (small mod­u­lar reac­tors) devrait à l’avenir encore ren­forcer la part du nucléaire dans le mix énergé­tique mondial.

Arabelle 1000, d'Alstom, à Ling Ao 3 en Chine.
Ara­belle 1000 à Ling Ao 3 en Chine. © ALSTOM

La 4e génération

Con­for­mé­ment aux ori­en­ta­tions don­nées par la loi de pro­gramme rel­a­tive à la ges­tion durable des matières et déchets radioac­t­ifs, le Com­mis­sari­at à l’énergie atom­ique et aux éner­gies alter­na­tives a lancé en 2010 les études d’avant-projet som­maire du pro­to­type de réac­teur nucléaire de 4e généra­tion dénom­mé ASTRID (Advanced sodi­um tech­no­log­i­cal reac­tor for indus­tri­al demonstration).

Deux sys­tèmes sont envis­agés : un cycle dit « de Rank­ine » util­isant une tur­bine à vapeur d’environ 600 MWe et un cycle dit « de Bray­ton » avec tur­bine à gaz, ce qui per­met d’éviter l’utilisation d’un échangeur de chaleur sodi­um liquide-eau.

Le cycle de Rank­ine était déjà mis en œuvre dans les cen­trales français­es à neu­trons rapi­des de Phénix et Super­phénix. Ce cycle est égale­ment retenu dans les cen­trales russe et indi­enne de ce type en cours de construction.

Poster un commentaire