Deux-roues en Birmanie

Comment peut-on être birman ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°713 Mars 2016
Par Hubert JACQUET (64)

Quand la rédac­tion change d’horizon…

Pour cette rubrique, nous invi­tons nos cama­rades qui auraient séjourné à l’é­tranger, de préférence pour raisons pro­fes­sion­nelles, à nous soumet­tre des arti­cles décrivant leur périples et racon­tant les pra­tiques locales.


Pro­scrits par la junte mil­i­taire , les deux-roues restent peu nombreux.

Mardi 2 décem­bre à 10 heures et demie, aéro­port de Yan­gon. Une foule dense et bigar­rée s’agglutine devant les guichets du con­trôle de police. Les rares voyageurs bir­mans passent par un guichet réservé. Les autres voyageurs sont des hommes d’affaires et des familles d’origine chi­noise, thaï­landaise, indonési­enne ou malaisi­enne et quelques touristes.

Les con­trôles, qui se déroulent sous le regard de chefs soucieux de jus­ti­fi­er leur présence, sont minu­tieux et d’une lenteur exas­pérante. Il faut plus d’une heure et demie au petit groupe dont je fais par­tie pour franchir ce bar­rage et mon­ter dans le car qui nous con­duit à notre hôtel.

La Bir­manie, enfin ! Ou plutôt le Myan­mar, car il faut bien effac­er les traces de la présence britannique.

Des deux-roues en petit nombre

Nous met­trons près d’une heure pour attein­dre notre des­ti­na­tion au milieu des embouteil­lages qua­si per­ma­nents de l’ancienne cap­i­tale Ran­goon, rebap­tisée Yangon.

La ville tracée par les urban­istes anglais est sil­lon­née d’avenues aus­si larges que vertes, mais on y roule à droite. Et surtout, les deux-roues y ont été pro­scrits par la junte mil­i­taire qui craig­nait des atten­tats. Cet inter­dit qui visait l’ancienne cap­i­tale Ran­goon a eu comme effet de lim­iter la dif­fu­sion des deux-roues motorisés : ici pas de hordes de moto­cy­clistes comme à Hanoï ou Saïgon.

Autre par­tic­u­lar­ité : le parc auto­mo­bile est large­ment con­sti­tué de véhicules d’occasion achetés dans les pays voisins, les uns ayant le volant à gauche et les autres le volant à droite. C’est ain­si que nous eûmes droit pen­dant deux jours à un car dont on descendait côté gauche, ce qui n’était pas vrai­ment rassurant.

Femmes Girafes

FEMMES GIRAFES

À l’est de la Birmanie, dans l’État de Kayah, vit l’ethnie Padaung, un groupe d’environ sept mille personnes qui perpétue la tradition des femmes girafes. Celles-ci, parées au cou et aux jambes de longs colliers spirales en laiton dont le poids total peut atteindre 25 kg, sont souvent présentes sur des sites touristiques. Le gouvernement souhaite décourager cette tradition en raison de l’image qu’elle donne, alors que la tribu Padaung y voit le moyen d’attirer des touristes. Mais qui se soucie vraiment du sort de ces femmes ?

Un pays étonnament hétérogène

Lim­itro­phe de l’Inde, du Bangladesh, de la Chine, de la Thaï­lande et du Laos, le peu­ple bir­man est un mélange de plus de 130 eth­nies – appar­tenant à huit groupes prin­ci­paux – qui ont con­servé leurs tra­di­tions et leurs langues. Plus de 240 langues ou dialectes sont par­lés dans le pays.

Cette diver­sité se remar­que dans les habi­tats et dans les cos­tumes. Car les habi­tants sont encore attachés aux tenues tra­di­tion­nelles : les jeans ou les jupes sont raris­simes (on en voit surtout dans les prin­ci­pales villes).

Les longys, sortes de longues jupes, sont portés aus­si bien par les hommes que par les femmes mais sont plus tra­vail­lés dans leur ver­sion fémi­nine. Les tis­sus, les couleurs et les dessins sont pro­pres à chaque ethnie.

Donner une place aux minorités

Guides en Birmanie
En plus de notre guide français et du guide bir­man, les autorités locales nous ont imposé deux guides Pa‑o.

L’ethnie dom­i­nante est celle des Bir­mans, qui représen­tent les deux tiers des 55 mil­lions d’habitants actuels du pays. Ce sont eux qui déti­en­nent le pou­voir depuis 1948, mais l’épineuse ques­tion de la place des minorités est encore posée.

Avant même l’indépendance, elle a divisé les lead­ers du mou­ve­ment indépen­dan­tiste. Aung San – le père d’Aung San Suu Kyi – a été assas­s­iné en juil­let 1947 parce qu’il souhaitait instau­r­er un État fédéral per­me­t­tant de pro­téger les minorités, ce dont les nation­al­istes bir­mans ne voulaient pas enten­dre parler.

Au fil des ans, la junte mil­i­taire a bien dû accepter cer­taines con­ces­sions et laiss­er s’exprimer les par­tic­u­lar­ismes locaux. C’est ain­si que nous avons eu qua­tre guides pour vis­iter le site de Kakku : le guide français et le guide bir­man qui nous ont accom­pa­g­nés du pre­mier au dernier jour, mais aus­si deux guides Pa‑o dont la présence nous a été imposée par les autorités locales.

Une économie dominée par le secteur primaire

L’économie bir­mane est large­ment dom­inée par l’agriculture, l’artisanat et l’exploitation des matières pre­mières issues du sous-sol. Les exploita­tions agri­coles sont petites et la mécan­i­sa­tion com­mence tout juste.

Les ressources minérales du pays sont impor­tantes, avec en par­ti­c­uli­er du pét­role et des pier­res pré­cieuses. Les secteurs sec­ondaire et ter­ti­aire sont très peu dévelop­pés, sit­u­a­tion qui pour­rait rapi­de­ment évoluer.

Longtemps, le pays est resté replié sur lui-même et a subi le boy­cott occi­den­tal : mais l’évolution vers une démoc­ra­tie plus ouverte et l’adhésion de la Bir­manie à l’ASEAN (Asso­ci­a­tion of South­east Asian Nations) trans­for­ment rad­i­cale­ment les per­spec­tives de crois­sance. Les investis­seurs afflu­ent et les nou­veaux chantiers se multiplient.

Le lent décollage du tourisme

Le tourisme est longtemps resté embryonnaire.

Attelage en Birmanie
La mécan­i­sa­tion est en retard.

Si le cli­mat poli­tique y fut pour quelque chose, c’est surtout l’absence d’infrastructures qui a pénal­isé le développe­ment du secteur. Pour les déplace­ments de quelques cen­taines de kilo­mètres, l’avion est indispensable.

Les déplace­ments moins longs sont l’occasion de décou­vrir un réseau routi­er peu dévelop­pé, mal entretenu et lacu­naire. Les vitesses moyennes ne dépassent pas 30 ou 40 km/h. L’État bir­man, faute de pou­voir inve­stir dans les infra­struc­tures routières, con­cède leur mod­erni­sa­tion et leur exploita­tion à des opéra­teurs privés qui se payent en instal­lant des péages aux entrées des villes, des ponts ou de tronçons de route concédés.

Quant au train, inutile d’en par­ler. Sur les rares lignes à voie unique cir­cu­lent des con­vois que les Bir­mans qual­i­fient de TGV : trains à grandes vibrations.

Autre hand­i­cap, le faible nom­bre d’hôtels capa­bles d’attirer une clien­tèle étrangère exigeante.

Des édifices religieux par milliers

Que voir en Bir­manie ? Les séjours en bord de mer sont encore peu dévelop­pés alors que le pays compte près de 2 000 km de côtes. Cer­taines zones côtières sont peu hos­pi­tal­ières, mais c’est surtout l’absence d’équipements qui explique ce retard.

Le nord du pays est très mon­tag­neux – avec des som­mets à plus de 5 000 mètres – mais reste pra­tique­ment inac­ces­si­ble à la grande majorité des touristes en rai­son de l’instabilité poli­tique et de la faib­lesse des infrastructures.

La grande richesse touris­tique du pays repose donc sur ses innom­brables tem­ples, pagodes, stu­pas et monastères. Autant de témoins de ce qui est le vrai ciment du peu­ple : le boud­dhisme, ou plus exacte­ment le boud­dhisme ther­ava­da que l’on ren­con­tre égale­ment au Sri Lan­ka, en Thaï­lande, au Laos et au Cambodge.

Péage en Birmanie

EMPLOIS TERTIAIRES

Les nombreux postes de péage que nous rencontrons sur nos trajets offrent un spectacle peu commun pour des Occidentaux habitués à une recherche permanente d’efficacité.
Chaque barrière occupe quatre personnes. Est-ce pour éviter les fraudes ou les détournements, ou pour développer l’emploi ?

De l’or partout

L’architecture de ces édi­fices religieux est à la fois orig­i­nale et extra­or­di­naire­ment var­iée : chaque site est l’occasion de décou­vertes inat­ten­dues. La dévo­tion reste immense et les mon­u­ments remar­quable­ment entretenus. À tel point que beau­coup de stat­ues parais­sent sor­tir de l’atelier alors qu’elles datent du début du sec­ond millénaire.

Une des car­ac­téris­tiques remar­quables de cette archi­tec­ture est l’emploi mas­sif d’or pour décor­er non seule­ment les stat­ues ou les intérieurs, mais aus­si les toits et les pagodes.

Un or que l’on retrou­ve en telle quan­tité sur cer­taines stat­ues du Boud­dha que celles-ci n’ont plus de forme.

Angkor Birman

UN ANGKOR BIRMAN

À 600 km au nord de Yangon, la plaine de Bagan s’étend au bord de l’Ayeyarwaddy. Sur une zone d’environ 50 km2, plus de treize mille temples ont été construits du XIe au XIIIe siècle. À cette époque, la cité a compté jusqu’à 200 000 âmes.
Aujourd’hui, il reste un peu plus de deux mille temples pour attester de ce passé prestigieux.

Une vie monastique intense

La vis­ite des sites religieux est l’occasion de crois­er de nom­breux moines, dont beau­coup de jeunes garçons. La plu­part des jeunes Bir­mans suiv­ent en effet une sorte de novi­ci­at entre neuf et douze ans, péri­ode qui leur per­met de com­pléter leur édu­ca­tion et de s’initier à la vie spirituelle.

Quant aux adultes, ils peu­vent choisir de men­er une vie de moine men­di­ant pen­dant quelques années, sans en faire un engage­ment définitif.

Une troisième capitale

Moines mendiants en Birmanie
Les adultes peu­vent choisir de men­er une vie de moine men­di­ant pen­dant quelques années, sans en faire un engage­ment définitif.

La Bir­manie compte trois cap­i­tales. Man­dalay, deux­ième ville du pays avec plus de deux mil­lions d’habitants, fut la cap­i­tale royale au XIXe siè­cle. Elle abrite une cité royale de 4 km², cernée de huit kilo­mètres de douves.

Au XXe siè­cle, la cap­i­tale a été Ran­goon, prin­ci­pale ville du pays avec plus de cinq mil­lions d’habitants, une ville qui garde forte­ment la mar­que de la présence anglaise.

Mais, par souci d’asseoir son pres­tige, la junte mil­i­taire a créé au sud de Man­dalay une nou­velle cap­i­tale bap­tisée Naypyidaw.

Les touristes évi­tent cet endroit qui, selon les jour­nal­istes, est un véri­ta­ble désert. La ville est tra­ver­sée par une immense avenue très large : il se dit qu’elle pour­rait servir de piste aéri­enne pour évac­uer les dig­ni­taires du régime, au cas où.

Incontournable lac Inle

Situé à neuf cents mètres d’altitude, envi­ron­né de som­mets cul­mi­nant à plus de 1 500 mètres, le lac Inle offre aux voyageurs un moment de détente et de dépayse­ment : après les pagodes, les pirogues. Long de 21 km et large de 11 km, il fait vivre quelque 70 000 Intha.

Ceux-ci habitent des cités lacus­tres bâties sur pilo­tis, et vivent de cul­tures maraîchères flot­tantes et de pêche.

Dans les eaux claires du lac, cette activ­ité se pra­tique au moyen de nass­es spé­ciales que les pêcheurs jet­tent sur les poissons.

Mais cet écosys­tème unique est frag­ilisé par la sur­pop­u­la­tion et les change­ments dans les pra­tiques agri­coles. Le développe­ment des cul­tures fait en par­ti­c­uli­er crain­dre une réduc­tion de la sur­face du lac.

Un calme étrange

Le 16 décem­bre, notre périple bir­man s’achève. Les sites que nous avons vis­ités étaient anor­male­ment déserts. Les rares touristes croisés étaient surtout français, par­fois alle­mands ou ital­iens. Très peu d’Américains et d’Anglais, ce qui peut paraître éton­nant dans une anci­enne colonie britannique.

Une sit­u­a­tion que nos guides ont expliquée par les craintes des voy­ag­istes de voir s’ouvrir une péri­ode d’instabilité et de trou­bles après les élec­tions libres qui ont eu lieu le 8 novem­bre 2015.

Celles-ci ont don­né à la Ligue nationale démoc­ra­tique (LND), par­ti d’Aung San Suu Kyi, une très large majorité au Par­lement bir­man, et ouvrent à un des pays les plus pau­vres du Sud-Est asi­a­tique la per­spec­tive de rejoin­dre le pelo­ton des pays les plus avancés de cette zone.

Mais la tran­si­tion démoc­ra­tique ne fait que commencer.

Pêcheurs du lac Inle en Birmanie
Les pêcheurs du lac Inle pra­tiquent leur activ­ité au moyen de nass­es spé­ciales qu’ils jet­tent sur les poissons.

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Pho­togra­phies : © Hubert Jacquet

Commentaire

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Alex­is Grépondre
10 mars 2016 à 23 h 28 min

Naypyi­daw, con­stru­it pour une dic­tature à l’abri
Mer­ci pour cette article !

Le rai­son qui explique la con­struc­tion de Naypyi­daw et sa trans­for­ma­tion en cap­i­tale (à l’époque de la junte, en 2005), plus encore que le pres­tige, serait la volon­té du général Than Schwe d’échap­per à toute ten­ta­tive de ren­verse­ment (insur­rec­tion pop­u­laire ou attaque de l’é­tranger), en s’éloignant beau­coup de Yan­gon, et ren­dant la nou­velle cap­i­tale impren­able : éten­due immense, rues extrême­ment larges, postes de con­trôles, quartiers fermés…

Remar­quons que c’est une stratégie qui s’in­scrit dans une cer­taine tra­di­tion. Louis XIV s’est pré­cisé­ment instal­lé à Ver­sailles pour s’y faire con­stru­ire un palais que l’Eu­rope entière lui envierait (réus­si !), et où la monar­chie serait en sécu­rité (moins réus­si), après la Fronde qui l’avait mar­qué dans sa jeunesse.

En Egypte, le pou­voir mil­i­taire aujour­d’hui en place pense à suiv­re le con­ster­nant « exem­ple » bir­man, avec les mêmes ingré­di­ents (créa­tion ex nihi­lo, pres­tige, sécu­rité, démesure) : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20150316.OBS4685/egypte-une-nouvelle-capitale-a-45-milliards-le-projet-fou-d-al-sissi.html

Il existe sans doute d’autres exem­ples, actuels ou his­toriques ; en voyez-vous ? En regar­dant http://www.lonelyplanet.fr/article/10-capitales-construites-de-toutes-pieces, je ne trou­ve qu’As­tana qui pour­rait avoir été con­stru­ite pour des raisons sim­i­laires, et peut-être Islamabad.

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