Comment lancer une école professionnelle au Cambodge

Dossier : ExpressionsMagazine N°636 Juin/Juillet 2008
Par Jean-Marc CHABANAS (58)

” Au Cam­bodge, le statut social se mesure aux diplômes, résume Hakara Tea. Peu importe la qual­ité de l’u­ni­ver­sité et que l’on soit com­pé­tent ou non, puisque, à moins d’ap­partenir à une famille aisée, il fau­dra générale­ment se con­tenter de petits boulots. ” Le Cen­tre de for­ma­tion aux sys­tèmes d’in­for­ma­tion (CIST), lancé à l’ini­tia­tive de l’As­so­ci­a­tion ” Passerelles numériques “, se veut au con­traire très prag­ma­tique. Le Cam­bodge, encore en recon­struc­tion, crée des entre­pris­es moyennes, lesquelles ne trou­vent pas les tech­ni­ciens infor­ma­tiques dont elles auraient besoin pour faire fonc­tion­ner leur réseau de quelques dizaines d’or­di­na­teurs. ” ” L’u­ni­ver­sité délivre des diplômes inutil­is­ables et les ONG se lim­i­tent à l’é­d­u­ca­tion de base, il y a donc un créneau réel pour la for­ma­tion, en deux ans après le bac, d’ad­min­is­tra­teurs de réseaux. ”

Un pays rural
Le Cam­bodge, dont la pop­u­la­tion avait été réduite au niveau de 4 à 5 mil­lions d’habitants après les géno­cides de 1975 à 1979 qui ont fait près de 2 mil­lions de vic­times, compte aujourd’hui 14 mil­lions d’habitants dont la moitié âgée de moins de vingt ans.
C’est rel­a­tive­ment peu par rap­port aux pays voisins tels que le Viêt­nam (85 mil­lions) ou la Thaï­lande (60 mil­lions), ce qui explique le faible intérêt des investis­seurs étrangers.
Le pays reste très rur­al et fonde ses ressources sur l’industrie tex­tile et le tourisme.
L’éducation est fondée sur le « par coeur ».
Un jeune sur dix obtient le niveau du bac.
L’université est très prisée pour ses diplômes, qui n’apportent pas pour autant de débouchés très lucratifs.

Des jeunes défavorisés

L’As­so­ci­a­tion, soutenue notam­ment par Accen­ture (société de con­seils en infor­ma­tique), le min­istère français des Affaires étrangères, Stéria, ECS, Veo­lia, Hewlett-Packard et Microsoft, qui ont financé les investisse­ments et fourni volon­taires, matériels et logi­ciels, s’adresse délibéré­ment à de jeunes provin­ci­aux défa­vorisés. L’en­seigne­ment leur est dis­pen­sé gra­tu­ite­ment, après une enquête per­me­t­tant de s’as­sur­er qu’ils n’ont pas de ressources. Ils sont totale­ment pris en charge et reçoivent en deux ans une for­ma­tion très pra­tique de tech­ni­cien infor­ma­tique capa­ble de gér­er un petit réseau d’ordinateurs.

La for­ma­tion et la prise en charge sociale d’un jeune étu­di­ant tech­ni­cien en infor­ma­tique coû­tent env­i­ron 200 dol­lars par mois

Ils sont sélec­tion­nés dans les régions réputées ” pau­vres “, au niveau du bac. ” Nous recevons env­i­ron 1 500 can­di­da­tures pour 100 places offertes “, pré­cise Alain Goyé. ” Nous leur faisons d’abord subir un petit test écrit, ne dépas­sant pas un niveau troisième français, qui réduit le nom­bre à 400 env­i­ron. Après un entre­tien indi­vidu­el, ils ne sont plus que 300. Se place alors l’en­quête sociale pour déter­min­er les ” vrais pau­vres “, c’est-à-dire ceux qui n’au­ront réelle­ment pas les moyens de pour­suiv­re des études et arriv­er aux 100 places. ” ” Ce nom­bre est loin d’être nég­lige­able, puisqu’on estime qu’il cou­vre env­i­ron 30 % des besoins du pays. ”

Un bon niveau de rémunération

” Au Cam­bodge, rap­pelle Hakara Tea, un petit méti­er de base per­met de gag­n­er env­i­ron 40 dol­lars par mois. Un pro­fesseur d’in­for­ma­tique débu­tant gagne 200 dol­lars. Nos élèves trou­vent sans prob­lème des débouchés rémunérés entre 150 et 250 dol­lars. C’est remar­quable au niveau bac + 2. ” ” Au niveau des coûts, le bud­get de l’As­so­ci­a­tion se monte à env­i­ron 500 000 dol­lars par an, dont 400 000 pour le fonc­tion­nement de l’é­cole pro­pre­ment dite, soit en moyenne 200 dol­lars par mois pour for­mer un jeune tech­ni­cien, c’est-à-dire à peu près 4 800 dol­lars en deux ans, chiffre du même ordre que celui des études uni­ver­si­taires qui ne débouchent sur rien. ” La pre­mière pro­mo­tion, qui ne comp­tait que 20 étu­di­ants, est sor­tie en octo­bre dernier. Aujour­d’hui l’é­cole réu­nit 153 étu­di­ants et une trentaine de per­son­nels, dont seule­ment cinq expa­triés. Les autres ont été for­més à la tech­nique et à la vie de l’en­tre­prise. Com­ment l’é­cole est-elle perçue par les milieux offi­ciels ? ” Au début, on nous a regardés avec soupçon. Aujour­d’hui, nous com­mençons à être con­sid­érés avec bien­veil­lance. Nous avons demandé à ce que notre for­ma­tion soit recon­nue au niveau bac + 2. Il n’y a pas d’op­po­si­tion de principe, mais il faut pass­er sous les fourch­es d’un Comité d’ac­crédi­ta­tion peu habitué à ce genre d’initiatives. ”

Alain Goyé (85)

Ingénieur des Télé­coms, Alain Goyé débute sa car­rière comme pro­fesseur dans un camp de réfugiés cam­bodgiens en Thaï­lande où il ren­con­tre sa future épouse. Après le rap­a­triement des réfugiés en 1992 sous l’égide des Nations Unies, il se voue pen­dant quelques années à la coopéra­tion et à la réha­bil­i­ta­tion de l’en­seigne­ment uni­ver­si­taire cam­bodgien (jusqu’alors dis­pen­sé en russe). De retour en France comme chercheur en traite­ment du sig­nal, il reprend le chemin des pro­jets human­i­taires et de développe­ment social, partageant son temps entre la France et le Cambodge.

Hakara Tea (95)

Né de par­ents cam­bodgiens ayant échap­pé au régime, ingénieur des Télé­coms, ancien élève de Stan­ford, Hakara Tea débute comme ingénieur-con­seil chez AT Kear­ney. En 2002, il s’en­gage comme bénév­ole à Phnom Penh pour aider les jeunes vivant sur la décharge à acquérir une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle dans l’hôtel­lerie et le secré­tari­at. De retour en France après des mis­sions human­i­taires en Afghanistan, il fait la con­nais­sance d’Alain Goyé et retourne au Cam­bodge en 2005 pour assur­er le développe­ment du Cen­tre de for­ma­tion. Il débute actuelle­ment une étude de fais­abil­ité d’im­plan­ta­tions com­pa­ra­bles aux Philip­pines et au Viêtnam.

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