Pascal FAURE (83)

Colloque de l’AX 2016 Table ronde : Numérique, du rêve à la réalité

Dossier : Publications des lecteursMagazine N°Colloque de l'AX 2016 Table ronde : Numérique, du rêve à la réalité

Les autres articles consacrés au colloque
 

 Présen­ta­tion générale (vidéos résumés) 

 Table ronde Énergie : un peu de sérieux (52 + 16 min.) 

 Inter­ven­tion de Jean-Paul Bail­ly (65) (27 min.) 

 Table ronde Emploi : un peu d’am­bi­tion (1 heure) 

Table ronde Inser­tion sociale : un peu d’au­dace (1 heure)

 Con­clu­sion de Claude BÉBÉAR (12 min.) 

Les articles de la brochure concernant le numérique

Le plan français Industrie du Futur

Pascal FAURE (83)
Directeur général de la Direction générale pour les entreprises (DGE)

La France fait face à un dou­ble défi d’enrayer le déclin indus­triel et de répon­dre aux enjeux, désor­mais cru­ci­aux, de la trans­for­ma­tion numérique. Une inflex­ion a été don­née dès 2013 vers une poli­tique d’offre avec le pacte de respon­s­abil­ité qui allège les charges pour les entre­pris­es et redonne des marges pour inve­stir. Ain­si cer­tains indi­ca­teurs de com­péti­tiv­ité se redressent : coût du tra­vail sta­bil­isé par rap­port à l’Allemagne, taux de marge de l’industrie à 36,5 % début 2016 con­tre 32 % en 2013, effort de recherche com­pa­ra­ble en inten­sité à celui des entre­pris­es alle­man­des, etc. 

Les tech­nolo­gies numériques quant à elles mod­i­fient pro­fondé­ment les sources de com­péti­tiv­ité, et, lorsqu’elles sont bien util­isées, peu­vent induire des gains de pro­duc­tiv­ité. La fab­ri­ca­tion addi­tive libère la créa­tiv­ité de con­cep­teurs de pièces, l’internet des objets per­met aux machines de dia­loguer entre elles, la robo­t­ique dimin­ue la péni­bil­ité des tâch­es, la réal­ité virtuelle forme les opéra­teurs à des sit­u­a­tions nou­velles, etc. 

Ces tech­nolo­gies changent l’économie indus­trielle et des ser­vices : con­cur­rence inten­si­fiée, inno­va­tion et adapt­abil­ité des fac­teurs tou­jours plus clés de per­for­mance, plate­formes qui induisent des économies d’échelle et des effets réseau à un niveau jusqu’ici incon­nu, évo­lu­tions des métiers et com­pé­tences, ces trans­for­ma­tions exi­gent des répons­es col­lec­tives qui ne se situent pas sim­ple­ment dans l’ajustement du paramé­trage macroéconomique. 

La France s’est lancée dès 2013. Plus ou moins au même moment, l’Allemagne (avec le pro­gramme Indus­trie 4.0), l’Italie, le Roy­aume-Uni, le Japon, la Chine ou le États-Unis se sont tous emparés de la ques­tion. Le dernier G20 en sep­tem­bre à Hangh­zou s’en est saisi. 

Pour tous ces pays, il est devenu évi­dent que des indus­tries fortes, mod­ernisées et expor­ta­tri­ces pou­vaient faire béné­fici­er à leurs économies d’un effet d’entraînement appré­cia­ble. Ain­si, pesant à peine 12 % de l’emploi français, l’industrie française assure 50 % de la pro­duc­tiv­ité nationale et représente 74 % de l’export (avec un con­tenu de ser­vices crois­sant qui traduit l’interdépendance accrue indus­trie et services). 

En out­re ses inno­va­tions, notam­ment numériques, per­co­lent elles-mêmes sur les ser­vices et l’amélioration néces­saire de leur pro­duc­tiv­ité. Ces effets de levi­er mon­trent com­bi­en il était devenu essen­tiel de se remo­bilis­er autour des grands défis d’avenir.

Un plan Industrie du Futur qui s’est structuré progressivement : numériser, former, normer, internationaliser

Le plan français Usine du Futur est né au mois de sep­tem­bre 2013 avec l’ambition d’unir les forces pro­duc­tives autour d’une poli­tique indus­trielle cen­trée sur le poten­tiel per­mis par les nou­velles tech­nolo­gies. Il avait voca­tion à être extrême­ment trans­ver­sal et à irriguer l’ensemble des secteurs industriels. 

Si ce pro­gramme Usine du Futur était prin­ci­pale­ment cen­tré sur la mod­erni­sa­tion des sites de pro­duc­tion, il est apparu qu’il était indis­pens­able d’intégrer une forte dimen­sion numérique dans les travaux et de mieux s’adresser aux PME. 

Une phase 2 a ain­si été lancée en avril 2015 qui cap­i­talise sur les acquis du plan Usine du Futur. Son objec­tif « d’amener chaque entre­prise à mod­erniser son out­il indus­triel et à trans­former son mod­èle d’affaires par le numérique » a per­mis de traiter davan­tage trois sujets : for­ma­tion, nor­mal­i­sa­tion, inter­na­tion­al. L’Alliance Indus­trie du Futur, fondée par les acteurs indus­triels eux-mêmes, porte ce pro­gramme ouvert. 

Une politique industrielle centrée sur le potentiel permis par les nouvelles technologies


Elle réu­nit indus­triels, syn­di­cats, fédéra­tions, organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles, cen­tres de recherche tech­nologique (CEA, CETIM) et académiques (Arts et Métiers Paris­tech et Insti­tut Mines-Télé­com) et s’élargit d’ailleurs chaque jour à de nou­veaux acteurs. Elle asso­cie le Con­seil nation­al de l’industrie, les régions, les pôles de com­péti­tiv­ité à ses travaux. Le min­istre pré­side un comité de pilotage plusieurs fois par an pour éval­uer l’avancement du pro­jet et en fix­er les prin­ci­pales orientations. 

La coopéra­tion privée publique est néces­saire pour la nor­mal­i­sa­tion, les for­ma­tions, les parte­nar­i­ats inter­na­tionaux, la R & D, et per­met ain­si à l’État, à ses opéra­teurs et aux col­lec­tiv­ités d’apporter les meilleures répons­es aux besoins des entreprises. 

Un projet à cinq dimensions

Le pro­jet Indus­trie du Futur repose sur cinq piliers, qui se décli­nent en chantiers opéra­tionnels con­crets et en travaux col­lec­tifs sur les pri­or­ités identifiées. 

Les deux pre­miers piliers du pro­jet sont ceux du pro­jet Usine du Futur : la R & D, et le développe­ment région­al, en lien avec les pro­grammes déployés par les Con­seils régionaux. Trois autres piliers ont pris de l’importance depuis la sec­onde phase : les ressources humaines, la coopéra­tion inter­na­tionale et de la communication. 

1- Améliorer l’offre technologique

La créa­tion d’une offre française de l’Industrie du Futur pour sa dif­fu­sion dans l’ensemble du tis­su économique est le pre­mier pili­er du pro­gramme. Il s’agit de rester à la fron­tière tech­nologique des indus­tries du futur et de val­oris­er les tech­nolo­gies appro­priées dans l’ensemble du tis­su économique. Les poly­tech­ni­ciens ont bien sûr un rôle à jouer dans cette offre, con­join­te­ment avec d’autres ingénieurs et scientifiques. 

Sept champs tech­nologiques ont été priv­ilégiés en cohérence avec leur impact sur le monde économique. Il s’agit de la fab­ri­ca­tion addi­tive, de la robo­t­ique, de la numéri­sa­tion des chaînes de pro­duc­tion, des tech­nolo­gies de mon­i­tor­ing, des nou­veaux matéri­aux, des co-tech­nolo­gies (cobo­tique, réal­ité aug­men­tée, etc.) et de l’efficacité énergé­tique, qui béné­fi­cient de sou­tiens publics à la R & D. 240 pro­jets de R & D ont été lancés depuis 2013. La plate­forme Fac­to­ry Lab portée à Saclay par le CEA avec des indus­triels comme DCNS, Safran ou Peu­geot est un exem­ple de pro­jet soutenu dans ce cadre : basée autour de démon­stra­teurs, elle per­me­t­tra l’expérimentation de tech­nolo­gies de procédés indus­triels par des grands groupes, des PME ou des laboratoires. 

Cela s’accompagne de feuilles de route qui inclu­ent R & D, nor­mal­i­sa­tion, référen­tiels de com­pé­tences et de for­ma­tions, car­togra­phie de l’offre française. 

2- Diffuser les technologies aux PME et ETI dans les régions

Des pro­grammes ont été mis en place depuis mai 2015 dans la total­ité des régions avec pour objec­tif d’accompagner 2 000 PMI et ETI d’ici fin 2016, sur la base d’un bud­get glob­al de 200 M€. Cet objec­tif, atteint dès l’été 2016, a été ampli­fié en octo­bre à 3 400 entre­pris­es béné­fi­ci­aires fin 2016 puis à 4 300 fin 2017. Les entre­pris­es con­cernées béné­fi­cient de diag­nos­tics per­son­nal­isés réal­isés par des experts de l’Industrie du Futur, et financés prin­ci­pale­ment par les Con­seils régionaux. Cet accom­pa­g­ne­ment, enrichi par les apports tech­niques et méthodologiques de l’Alliance et des ser­vices de l’État (DIRECCTE), per­met aux chefs d’entreprises de mieux con­naître les tech­nolo­gies disponibles, d’identifier les ver­rous (humain, organ­i­sa­tion, com­pé­tences, finance­ment) lim­i­tant l’accès à ces inno­va­tions et de repenser leur mod­èle économique. 

719 M€ de prêts Indus­trie du Futur ont déjà accom­pa­g­né les investisse­ments en sep­tem­bre 2016 sur une enveloppe disponible de 2,5 Md€, et le suramor­tisse­ment fis­cal des investisse­ments pro­duc­tifs réal­isés depuis avril 2015 con­tribue à les renforcer. 

3- Faire évoluer les situations de travail et former les salariés

Il s’agit d’assurer la mon­tée en com­pé­tence des salariés de l’industrie vers les nou­veaux métiers. Cela repose sur une vision prospec­tive partagée avec les parte­naires soci­aux, les organ­ismes de for­ma­tion et les acteurs de terrain. 

La for­ma­tion aux nou­veaux métiers con­stitue en effet la pre­mière con­di­tion du suc­cès de l’Industrie du Futur. Elle accom­pa­gne la présence accrue du numérique et de la robo­t­i­sa­tion dans l’entreprise et con­cerne autant la for­ma­tion ini­tiale que continue. 

La formation aux nouveaux métiers constitue la première condition du succès


Le pro­jet « Osons l’Industrie » issu du CNI et de l’Alliance doit ain­si analyser dif­férents types de trans­for­ma­tions, en déduire les con­séquences sur l’organisation et les com­pé­tences req­ui­s­es, et éla­bor­er des recom­man­da­tions pour faire évoluer les référen­tiels de for­ma­tion. Un por­tail inter­net informera mieux les élèves et leurs familles sur les métiers, les for­ma­tions et les besoins de recrute­ment de l’Industrie du Futur. 

4- Renforcer la coopération européenne et internationale

Il s’agit de nouer chaque fois qu’opportun des parte­nar­i­ats stratégiques aux niveaux européen et inter­na­tion­al, ten­ant compte des pro­grammes sim­i­laires lancés par d’autres pays et l’UE. Cela porte aus­si sur la nor­mal­i­sa­tion, clé pour l’interopérabilité des machines, qui requiert une trans­ver­sal­ité accrue des approches. Sont déjà con­cernés États-Unis, Chine, Roy­aume-Uni et Allemagne. 

Par exem­ple avec l’Allemagne un plan d’actions a été pré­paré, por­tant notam­ment sur une stratégie com­mune en matière de nor­mal­i­sa­tion et sur un rap­proche­ment entre l’Institut Mines Télé­com et la Tech­nis­che Uni­ver­sität München sur la base d’une académie fran­co-alle­mande pour l’Industrie du Futur. 

5- Promouvoir une Industrie du Futur à la française

L’objectif est de val­oris­er les travaux menés dans les qua­tre pre­miers piliers et de faire con­naître l’excellence de l’Industrie du Futur à la française. L’intérêt de l’Alliance est ain­si évi­dent : il s’agit de s’unir pour ampli­fi­er la notoriété de la mar­que France à l’international et de porter une com­mu­ni­ca­tion cohérente. 

En résul­tent par exem­ple la mar­que Cre­ative France Indus­try lancée à la foire de Hanovre ou le pre­mier salon de l’Industrie du Futur à Villepinte du 6 au 9 décem­bre 2016 sur près de 80 000 m². 

Ne pas en rester là

Si l’Alliance représen­tait à sa créa­tion env­i­ron un mil­lion de salariés en comp­tant les ressor­tis­sants de ses adhérents, il reste du chemin à par­courir pour touch­er les trois mil­lions de salariés de l’industrie et au-delà de nom­breux ser­vices qui con­courent à la com­péti­tiv­ité, logis­tique, ingénierie, con­seil, juridique etc., mais aus­si des ser­vices à la per­son­ne qui facili­tent la vie des salariés et des entrepreneurs. 

Dix-huit mois de recul sug­gèrent d’accélérer les trans­ferts d’expérience entre entre­pris­es, d’encourager des réflex­ions par fil­ières, de répon­dre aux enjeux cru­ci­aux de la cyber­sécu­rité, alors que le nom­bre d’objets con­nec­tés explose, d’améliorer les out­ils de mesure et d’évaluation des poli­tiques con­duites, de pour­suiv­re l’adaptation du droit (notam­ment du tra­vail) à ces nou­veaux enjeux. 

Plus générale­ment, les débats précé­dant l’élection prési­den­tielle sont l’occasion de faire val­oir les enjeux essen­tiels que la numéri­sa­tion de l’économie et la com­péti­tiv­ité des entre­pris­es présen­tent pour notre pays, et les coopéra­tions européennes qui sont req­ui­s­es si nous voulons que l’Union ne soit pas dans une sit­u­a­tion de sujé­tion à terme d’autres grandes puis­sances. On en voit appa­raître des élé­ments dans divers pro­grammes, qu’il faut encourager. 

Éric CAREELQuand la poutre parle à propos de l’objet connecté

Éric CAREEL
Ingénieur et entrepreneur, président fondateur de Withings, Sculteo et Innoxia

« Mon ordi­na­teur peut-il se con­necter à Inter­net ? » Nous nous sommes posé cette ques­tion il y a quinze ans et elle fait sourire aujourd’hui. Alors par­ler d’objet con­nec­té sera-t-il aus­si peu sig­nifi­ant que de par­ler d’ordinateur wifi ? 

L’inter­rup­teur du salon ne se rac­corde plus à un fil. Il se repo­si­tionne comme un post-it, se recon­fig­ure avec un smart­phone et fonc­tionne sans bat­terie. Joie pour qui a essayé une rain­ureuse et son nuage de pous­sière pour installer un interrupteur. 

Demain, une légère mod­u­la­tion de nos chauffages et la mise en réseau des bat­ter­ies de nos auto­mo­biles per­me­t­tront de min­imiser dras­tique­ment le recours aux éner­gies fos­siles. Béné­fice pour le réchauf­fe­ment climatique. 

L’objet accède à une puissance de calcul instantanée quasi infinie pendant un temps court


Le pèse-per­son­ne se trans­forme et mesure la rigid­ité de nos artères, pre­mier critère de préven­tion des risques car­dio­vas­cu­laires à un stade où nos com­porte­ments ali­men­taires et sportifs sont effi­caces. Mieux que d’entendre de notre médecin « vous auriez dû venir me voir plut tôt ». 

En une frac­tion de vie de l’univers, nous avons inven­té la poste aux chevaux, le morse, Inter­net, les réseaux soci­aux et Wikipé­dia. Petit à petit, nous con­stru­isons un monde extra­or­di­naire­ment com­plexe qui devient « UN ». Les objets font de même ou plus exacte­ment nous faisons pour eux. L’Internet of Things est le nou­v­el out­il pour que les objets coopèrent, soient plus per­for­mants et nous ren­dent mieux ser­vice. Après la noosphère ou plutôt à côté, la « thingsphère ». 

Alors révo­lu­tion par la con­nex­ion wifi, Blue­tooth, GSM, 4G, LoRa ou Sig­fox ? Plutôt sim­ple évo­lu­tion naturelle. La révo­lu­tion est ailleurs, dans l’objet et au coeur de l’entreprise qui conçoit, fab­rique et opère ces objets. Oublions donc cet adjec­tif de « con­nec­té » à l’objet. Ils le seront presque tous jusqu’au… pot de fleurs. 

Révolution de l’objet

Par une trans­for­ma­tion lente, l’objet a d’abord été sim­ple tra­vail sur un matéri­au tels le silex ou la poterie. La capac­ité de fon­dre et de forg­er a con­duit au couteau. L’arc et sa flèche ont embar­qué la notion de mou­ve­ment et de forces. L’énergie ani­male, le vent ou l’eau sont venus à la rescousse de l’énergie humaine avec le moulin ou la char­rue. Le moteur à vapeur ou à explo­sion a per­mis la loco­mo­tive ou l’automobile. L’électricité et son moteur don­nèrent l’accès à une puis­sance motrice à tous les objets. La micromé­canique, l’électronique et le logi­ciel les trans­for­ment aujourd’hui de plus en plus rapidement. 

Et depuis une décen­nie de nom­breux objets se con­nectent entre eux et à Inter­net. Longue his­toire de trans­for­ma­tion qui sem­ble s’accélérer aujourd’hui parce que l’objet n’est plus seul. 

L’objet utilise en temps réel la con­nais­sance uni­verselle. Toute poutre en béton pour­ra com­par­er l’évolution de ses paramètres de ten­sion, de flex­ion, d’humidité à d’autres poutres fab­riquées dans le même matéri­au, tenir compte des vibra­tions sis­miques mesurées en tout lieu pour décider d’une éventuelle alerte. 

L’objet accède à une puis­sance de cal­cul instan­ta­née qua­si infinie pen­dant un temps court. Ain­si le cap­teur car­diaque fera demain du deep learn­ing sur les sig­naux bruts mesurés pour s’améliorer au cours du temps dans la détec­tion d’arythmies. Fini les chantres de l’obsolescence pro­gram­mée et bien­v­enue à l’amélioration silencieuse. 

L’objet coopère. Adieu aux antivols. Les vélos seront local­isés via les satel­lites et ce pour moins d’un euro. 

L’objet révo­lu­tionne son inter­face. Aidé du smart­phone, l’objet devient plus sim­ple et donc rend ses fonc­tions plus accessibles. 

Ces qua­tre sources de trans­for­ma­tion con­duisent à une cinquième, essen­tielle : l’objet, débar­rassé du besoin d’embarquer des capac­ités qu’il peut mieux trou­ver ailleurs telles l’interface, la capac­ité de cal­cul, la mémoire se con­cen­tre. Le coût matière peut être util­isé majori­taire­ment pour la fonc­tion pro­pre de l’objet. Ain­si les chaînes audio hifi offrent un ren­du musi­cal de plus en plus exquis en même temps qu’elles élaguent lecteurs, afficheurs et bou­tons. L’objet mute donc. Mais il n’est pas le seul. 

Révolution de l’entreprise qui crée l’objet

En 2007 en intro­duisant l’iPhone, Steve Jobs, sans le dire, casse une règle. De nom­breux fab­ri­cants et opéra­teurs n’ont pas vu le coup venir. Désor­mais, il n’y a plus d’un côté les fab­ri­cants qui font le télé­phone et « au-dessus » les opéra­teurs qui opèrent cet objet : il y a des fab­ri­cants-opéra­teurs. Ce n’est pas la sim­ple volon­té d’un homme. C’est plus pro­fondé­ment le ren­verse­ment de l’échelle de valeurs : l’important n’est plus le client mais l’utilisateur.

Adieu les ronds de jambe des marchés B2B. Bien­v­enue à une entre­prise ori­en­tée « util­isa­teurs » et basée sur le ser­vice ren­du. C’est aus­si le ren­verse­ment du fonc­tion­nement des entre­pris­es entre elles. Hier, organ­i­sa­tion hiérar­chique client-four­nisseurs par super­po­si­tion des couch­es client / opéra­teur / fab­ri­cant / sous-trai­tants. Aujourd’hui, coopéra­tion entre entreprises. 

Depuis que l’homme crée, chaque évolution engendre opportunités et risques


Détail­lons. Chaque con­struc­teur d’objet peut et doit accéder aux don­nées générées. Ain­si il crée un ser­vice après-vente plus effi­cace. En suiv­ant en temps réel la qual­ité perçue par les util­isa­teurs, il agit plus rapi­de­ment sur ses procédés de fab­ri­ca­tion. Il dimin­ue le nom­bre de références en paramé­trant ses appareils automa­tique­ment chez l’utilisateur. Il con­stitue rapi­de­ment une base de con­nais­sance pour con­naître les fonc­tion­nal­ités les plus util­isées et com­pren­dre com­ment faire mieux demain. Grâce à l’agilité nou­velle du hard­ware et à ces don­nées récoltées en temps réel il améliore en con­tinu l’objet et son service. 

Il noue des parte­nar­i­ats en quelques heures via des API (Appli­ca­tion Pro­gram­ming Inter­face) pour déléguer ce qui est mieux fait ailleurs et se con­cen­tr­er sur son exper­tise. Ain­si de IFTTT, de Home­k­it, ou encore de la recon­nais­sance du lan­gage naturel qui sera acces­si­ble à de nom­breux objets. 

Donc l’enjeu du con­cep­teur d’objets n’est plus de le con­necter, mais d’opérer une trans­for­ma­tion dig­i­tale et d’organisation pour un meilleur ser­vice via son objet. De con­struc­teur, il devient con­cep­teur-opéra­teur et con­cen­tre son énergie sur « aller pro­fond » plutôt que « faire large ». 

Message à ceux qui auraient peur

Il est qua­si sys­té­ma­tique en France que l’une des pre­mières ques­tions posées après une présen­ta­tion des objets con­nec­tés soit liée aux peurs qui nous habitent face à ses change­ments et notam­ment celle liée au respect de la vie privée. Lar­ry Page, cofon­da­teur de Google et prési­dent d’Alphabet, au cours d’un événe­ment TED, a répon­du assez directe­ment à cette ques­tion : « Si les dossiers médi­caux de tout le monde étaient disponibles de façon anonyme aux chercheurs en san­té, […] je pense […] que nous sauve­ri­ons 100 000 vies cette année. » 

Depuis que l’homme crée, chaque évo­lu­tion engen­dre oppor­tu­nités et risques. Côté risques, l’automobile a prob­a­ble­ment été la pire inven­tion humaine. Diri­ons-nous qu’il ne fal­lait pas l’inventer ? Les risques sont à gér­er certes, mais ne seri­on­snous pas plus heureux à tra­vailler d’abord les opportunités ? 

Vingt à qua­tre-vingts mil­liards d’objets reliés à Inter­net en 2020 selon les sources. Cela peut enchanter ou faire peur. L’important n’est peut-être pas là. L’important est que cha­cun de nous pour­ra par­ticiper tou­jours plus pro­fondé­ment à notre monde en cul­ti­vant son exper­tise et en la partageant sim­ple­ment. Belle per­spec­tive pour un « davan­tage » ensemble. 

Sébastien PIALLOUX (00)L’humain, au cœur de la transformation numérique des entreprises “ traditionnelles ”

Sébastien PIALLOUX (00)
Big Data Fab director at SNCF

Les entre­pris­es nées avant l’émergence du numérique enta­ment actuelle­ment une muta­tion à marche for­cée. Par­fois dom­i­nantes sur leur secteur depuis des décen­nies, elles voient leurs mod­èles économiques bous­culés par des entre­pris­es jeunes qui ren­trent dans leur domaine d’activité de manière non con­ven­tion­nelle. En moins de dix ans, les grandes chaînes hôtelières ont ain­si vu leur dis­tri­b­u­tion monop­o­lisée par un inter­mé­di­aire (le site inter­net booking.com) puis leur pro­duit mis en con­cur­rence avec les apparte­ments de par­ti­c­uliers via une plate­forme (Air B & B). Les dif­férents secteurs de l’industrie sont touchés ou « dis­rup­tés » pro­gres­sive­ment, dans le domaine immatériel (le secteur ban­caire par exem­ple, avec l’arrivée de l’Apple pay d’Apple) comme dans le domaine man­u­fac­turi­er (l’automobile avec la mon­tée en puis­sance de Google sur la voiture autonome). 

Dans leur dernier livre, deux experts du numérique, Nico­las Col­in et Laeti­tia Vitaud, annon­cent ain­si que « le numérique provoque […] une évo­lu­tion rad­i­cale et glob­ale […]. Il affecte toute l’économie tant il change la façon de pro­duire et de con­som­mer dans tous les secteurs. Il nous impose une tran­si­tion numérique, proces­sus long et itératif […] au terme duquel notre économie et notre société seront rad­i­cale­ment dif­férentes de celles que nous avons con­nues au siè­cle dernier ». 

Dès lors, ces entre­pris­es « his­toriques » ou « tra­di­tion­nelles » doivent bas­culer vers l’économie numérique pour espér­er con­serv­er leur marge. Cette muta­tion dépasse l’interface-client sym­bol­isée par la mise en ligne d’un site inter­net. Elle ne se con­tente pas non plus d’aligner des galops d’essai, des Proof of con­cept (POC), sou­vent util­isés pour se ras­sur­er sur sa capac­ité à appréhen­der le phénomène et com­mu­ni­quer sur une tran­si­tion numérique pré­sumée. Toute entre­prise dis­posant d’un min­i­mum de moyens financiers y arrive facilement. 

Mais, les gains de com­péti­tiv­ité ne seront engrangés qu’avec l’industrialisation de ces POC. Cette étape, dif­fi­cile, mar­quera l’entrée réelle dans l’ère numérique. Cette trans­for­ma­tion, com­plexe et spé­ci­fique à chaque entre­prise, s’adresse donc à l’ensemble de ses activ­ités et va bien au-delà de l’intégration des tech­nolo­gies les plus récentes. Elle engen­dre notam­ment une évo­lu­tion pro­fonde de la cul­ture et les process des entre­pris­es con­cernées qui devront inté­gr­er les codes du digital. 

Cinq fon­da­men­taux sont com­muné­ment admis : 

  • l’utilisateur final, interne comme externe, est le cen­tre d’attention des dif­férents acteurs (méti­er, sci­en­tifique ou IT) inter­venant sur un pro­jet don­né. Les pro­duits sont d’abord conçus pour répon­dre aux besoins de cet util­isa­teur avant d’être l’idée d’un concepteur ; 
  • la don­née devient un asset clef de l’entreprise. Elle est col­lec­tée, analysée, partagée pour mesur­er l’existant et faire appa­raître de nou­veaux usages. Elle per­met d’objectiver sys­té­ma­tique­ment les pro­jets, sous l’angle de la sat­is­fac­tion client comme de la performance. 
  • l’agilité devient une valeur car­di­nale de l’entreprise : les équipes pro­jets sont colo­cal­isées pour per­me­t­tre de fréquents allers-retours entre l’utilisateur final et l’équipe de développe­ment, et le droit à l’erreur est mis en avant (try fast, fail fast). Les pro­jets courts devi­en­nent la norme pour per­me­t­tre de tester et d’ajuster au plus vite les nou­veaux process de tra­vail. Les plans à cinq ans lais­sent ain­si la place à des pro­grammes de six à dix-huit mois max­i­mum, tem­po­ral­ité qui cor­re­spond en général à l’arrivée d’une nou­velle tech­nolo­gie qui oblig­era l’entreprise à ajuster sa stratégie ; 
  • la scal­a­bil­ité des pro­jets est pen­sée dès le début des pro­jets. Les développe­ments et solu­tions retenues lors du pro­to­ty­page doivent pou­voir être indus­tri­al­isées rapi­de­ment lors du pas­sage à l’échelle pour éviter de tout redévelop­per au moment du pas­sage à la pro­duc­tion industrielle ; 
  • l’ouverture de l’entreprise au monde extérieur lui per­met de se nour­rir du foi­son­nement d’idées drainées par l’économie numérique. Elle intè­gre les dif­férents réseaux du numérique pour échang­er sur ses prob­lé­ma­tiques. Elle définit une stratégie lis­i­ble vis-à-vis d’une liste ciblée de start-up pour les faire grandir autour de ses prob­lé­ma­tiques indus­trielles et tir­er par­ti de parte­naires agiles, motivés et inno­vants. Elle con­stru­it une démarche réfléchie sur l’open-data quand cela est per­ti­nent pour s’appuyer sur d’autres entre­pris­es à même de dévelop­per son champ d’action.

L’appropriation de ces fon­da­men­taux doit per­me­t­tre de génér­er de rapi­des et réels gains de pro­duc­tiv­ité. Pour autant, ils boule­versent par­fois l’organisation et les process en place. La val­ori­sa­tion de la place de l’humain dans la trans­for­ma­tion numérique d’une entre­prise « tra­di­tion­nelle » per­met alors de con­tourn­er cette dif­fi­culté. La par­tic­i­pa­tion de tous les col­lab­o­ra­teurs comme acteurs voire ambas­sadeurs de cette trans­for­ma­tion devient ain­si un fac­teur déter­mi­nant de sa réussite. 

Valoriser la place de l’humain dans la transformation numérique


Qua­tre actions facili­tent cette adhésion : 

  • con­stituer un écosys­tème interne com­posé d’un cen­tre d’expertise du dig­i­tal entouré de relais qui mail­lent les prin­ci­paux départe­ments de l’entreprise. Celui-ci per­me­t­tra de faire remon­ter les prin­ci­paux besoins, de dif­fuser les fon­da­men­taux du numérique aux équipes ter­rains et de s’assurer de la tenue des objec­tifs de trans­for­ma­tion de l’entreprise ;
  • acter que la trans­for­ma­tion numérique béné­fi­cie à tout le monde, y com­pris aux col­lab­o­ra­teurs. Elle ne doit pas con­cern­er unique­ment le client externe. Il est en effet com­pliqué de mobilis­er ses col­lab­o­ra­teurs autour des ver­tus du numérique pour trans­former l’expérience client s’ils ne voient pas de trans­for­ma­tion dans leur vie quo­ti­di­enne. Cela com­mence par des mesures de bon sens comme une adresse e‑mail pour tous ou un réseau inter­net interne per­for­mant en mobil­ité, ain­si que des mar­queurs comme un intranet clair, une ges­tion des notes de frais dig­i­tal­isée et ergonomique, d’une doc­u­men­ta­tion d’entreprise numérisée, etc. ; 
  • assur­er la for­ma­tion et la mon­tée en com­pé­tence des équipes la plus large pos­si­ble pour faciliter l’appropriation et l’industrialisation. Le numérique dépasse doré­na­vant large­ment le cer­cle d’une direc­tion dig­i­tale. Par exem­ple, prenons la main­te­nance pré­dic­tive d’un site indus­triel. Quand un mécani­cien inter­vient suite à la pré­dic­tion d’un algo­rithme, il doit s’attendre à ce que cet algo­rithme fasse des erreurs comme pour toute pré­dic­tion puis com­pren­dre que cet alea anticipé ne remet pas en cause le béné­fice du dis­posi­tif. Ceci pour l’inciter à rester acteur de cette trans­for­ma­tion, en ren­seignant notam­ment toute inter­ven­tion inutile pour per­me­t­tre une amélio­ra­tion ultérieure du modèle ; 
  • déploy­er une stratégie claire de com­mu­ni­ca­tion externe et interne pour sen­si­bilis­er toutes les couch­es de l’entreprise à cette trans­for­ma­tion digitale. 

Cet écosys­tème per­for­mant et com­mu­ni­quant, qui oeu­vre en faveur de l’ensemble des col­lab­o­ra­teurs tout en organ­isant leur mon­tée en com­pé­tence facilit­era ain­si l’adhésion de cha­cun dans cette tran­si­tion numérique. Il per­me­t­tra de pass­er sur bien des résis­tances inhérentes à tout change­ment. Une trans­for­ma­tion dig­i­tale pleine­ment embrassée par les équipes fédér­era les col­lab­o­ra­teurs autour d’une dynamique inno­vante co-con­stru­ite qui les rend acteurs du mou­ve­ment, les aide à dépass­er leurs appréhen­sions et per­met in fine l’industrialisation de leur projet. 

Laurent DANIEL (96)Uber ubérisé par l’État ?

Laurent DANIEL (96)
Président de X‑Sursaut
 

L’ubérisation semble être une nouvelle tendance irrémédiable

L’entreprise améri­caine Uber a boulever­sé le secteur des taxis et ceci au niveau mon­di­al. Le verbe ubéris­er est venu généralis­er ce mou­ve­ment de dis­rup­tion de secteurs tra­di­tion­nels par de nou­veaux acteurs dig­i­taux, par exem­ple l’hôtellerie avec AirBNB, Book­ing, Tri­pad­vi­sor, etc. 

…dont les effets concurrentiels sont ambivalents…

L’utilisation des nou­velles tech­nolo­gies abat ain­si les bar­rières à l’entrée dans de nom­breux secteurs. Dans le même temps, de nou­veaux monopoles émer­gent, créant ain­si de fait de nou­velles bar­rières mais celles-ci d’un autre type, non plus cor­po­ratistes ou régle­men­taires, mais désor­mais tech­nologiques avec une très forte prime au pre­mier entrant et à la taille. 

…et dont doivent tenir compte les pouvoirs publics

Au print­emps 2015, des man­i­fes­ta­tions et des blocages en France, mais aus­si dans beau­coup d’autres pays, ont mon­tré la grogne des taxis face à cette nou­velle con­cur­rence qu’ils jugent déloyale. Les pou­voirs publics doivent repenser, à l’aune de ces nou­veaux entrants d’un nou­veau genre, la notion de con­cur­rence ain­si que la lib­erté de commerce. 

Des activités très semblables entre taxis et VTC

Les taxis et les véhicules de tourisme avec chauf­feur (VTC) peu­vent se définir de la manière suivante : 

  • Selon la loi du 20 jan­vi­er 1995, un taxi est un véhicule auto­mo­bile « de neuf places assis­es au plus, y com­pris celle du chauf­feur, muni d’équipements spé­ci­aux, dont le pro­prié­taire ou l’exploitant est tit­u­laire d’une autori­sa­tion de sta­tion­nement sur la voie publique en attente de la clien­tèle afin d’effectuer à la demande de celle-ci et à titre onéreux le trans­port par­ti­c­uli­er des per­son­nes et de leurs bagages ». 
  • Selon la loi du 1er octo­bre 2014, les entre­pris­es de VTC sont des véhicules qui « met­tent à la dis­po­si­tion de leur clien­tèle une ou plusieurs voitures de trans­port avec chauf­feur, dans des con­di­tions fixées à l’avance entre les par­ties. Ces entre­pris­es sont soit des exploitants de voitures de trans­port avec chauf­feur, soit des inter­mé­di­aires qui met­tent en rela­tion des exploitants et des clients ». 

La dif­férence clé réside ain­si dans le fait que les taxis ont la pos­si­bil­ité de pren­dre des voyageurs qui les hèlent lorsqu’ils cir­cu­lent et sta­tion­nent sur la voie publique, ce qui n’est pas autorisé en règle générale pour les VTC. 

L’arrivée des sociétés de VTC a entraîné des gains pour les consommateurs et les nouveaux chauffeurs de VTC…

Ces nou­veaux entrants ont procuré des gains aux con­som­ma­teurs : une nou­velle offre avec par­fois des prix plus avan­tageux, des nou­veaux ser­vices à bord (bouteille d’eau, recharge de portable, etc.), des inno­va­tions tech­nologiques (paiement par inter­net ou mobile, géolo­cal­i­sa­tion), ce qui a provo­qué des inno­va­tions sim­i­laires des sociétés de taxis. 

De plus, beau­coup de per­son­nes, notam­ment jeunes et par­fois issues de zones où le taux de chô­mage est très élevé sont dev­enues chauf­feurs VTC ce qui les a sor­tis du chô­mage ou leur a apporté un revenu complémentaire. 

…mais aussi des aspects négatifs pour les chauffeurs de taxis et de VTC

Toute­fois, les taxis payent le prix fort de cette nou­velle con­cur­rence avec une réduc­tion de la valeur de leur licence que beau­coup d’entre eux ont acquise au prix fort et par­fois après l’avoir louée pen­dant de nom­breuses années. Cer­tains chauf­feurs de taxis sup­por­t­ent en out­re une impo­si­tion fis­cale et sociale plus élevée que les chauf­feurs de VTC qui sont con­sid­érés comme des indépendants. 

Les chauf­feurs de sociétés de VTC sont soumis aux con­di­tions fixées par la plate­forme dont ils dépen­dent sans en con­trepar­tie béné­fici­er de la pro­tec­tion de l’emploi ou d’une garantie de chiffre d’affaires, ce qui les met dans une sit­u­a­tion de pré­car­ité élevée. De plus, sou­vent, les chauf­feurs de VTC ne sont pas au fait des règles compt­a­bles et risquent ain­si de tra­vailler à perte. 

Mettre en place des mesures favorables aux chauffeurs de taxis et de VTC ainsi que leurs clients et ubériser les entreprises de taxis et les grandes plateformes de VTC

Il y a env­i­ron 50 000 taxis en France dont approx­i­ma­tive­ment 18 000 en région parisi­enne, avec la société de taxis de G7 en posi­tion très forte. 

Le député Lau­rent Grandguil­laume, chargé de la médi­a­tion dans le con­flit des taxis, indi­quait que « Les VTC, comme les taxis, sont frap­pés par la paupéri­sa­tion ». Il faut donc rechercher des solu­tions au béné­fice des chauf­feurs de taxis et de VTC mais pas de ceux qui captent actuelle­ment l’essentiel de la valeur, c’est-à-dire les grandes sociétés de taxis et les plate­formes de VTC. Pour cela, il faut que les chauf­feurs de VTC et de taxis puis­sent s’affranchir pro­gres­sive­ment de la dépen­dance aux entre­pris­es qui captent une part impor­tante de la valeur de leur tra­vail. L’alignement des con­di­tions fis­cales et sociales des chauf­feurs de taxis et VTC serait bien sûr aus­si souhaitable. 

L’alignement des conditions fiscales et sociales des chauffeurs de taxis et VTC serait souhaitable


Les pou­voirs publics met­tent en place pro­gres­sive­ment depuis 2015 dans plusieurs grandes villes de France la nou­velle plate­forme Inter­net Le.taxi. Celle-ci est par exem­ple déjà disponible à Paris, Mar­seille, Rennes et bien­tôt à Lyon. Cette plate­forme prévue par la loi Théve­noud donne la pos­si­bil­ité aux clients de com­man­der un des taxis inscrits sans frais d’approche.

Plusieurs applis parte­naires (Tedy­Cab, Zaléou, Triperz) per­me­t­tent d’accéder au ser­vice sur son smart­phone comme c’est le cas pour les appli­ca­tions VTC, par exem­ple celle dévelop­pée par Uber. Les chauf­feurs de taxi doivent pay­er un abon­nement men­su­el ou pay­er à la journée ou à la course l’accès au ser­vice. Les chauf­feurs de taxi indépen­dants sem­blent appréci­er cette nou­velle plate­forme y com­pris la pos­si­bil­ité offerte aux clients de not­er la qual­ité du service. 

Les pou­voirs publics ont ain­si dévelop­pé un sys­tème de géolo­cal­i­sa­tion et de propo­si­tions de cours­es. L’État devient ges­tion­naire de plate­forme et se sub­stitue aux sociétés privées qui béné­fi­cient man­i­feste­ment aujourd’hui d’une sit­u­a­tion de posi­tion forte et/ ou de cap­ta­tion très élevée de la valeur. 

C’est donc un nou­veau cap qui est désor­mais franchi dans la régu­la­tion des plate­formes. Cette sub­sti­tu­tion de l’État aux plate­formes privées pour­rait être aujourd’hui imag­inée pour d’autres secteurs économiques comme l’hôtellerie.

À con­di­tion de ne pas frein­er l’innovation, ce type d’implication de l’État per­met ain­si de restituer la valeur aux acteurs situés et opérant en France : pour les taxis dès aujourd’hui, les hôtels bien­tôt peut-être ; et prob­a­ble­ment pour beau­coup d’autres secteurs économiques à moyen terme. Appren­dre et pra­ti­quer les règles de base de la rhétorique. 

Jean-Michel HUBERT(59)Le plan français Industrie du Futur

Jean-Michel HUBERT(59)
Ancien président de l’autorité de régulation des télécommunications (ART)

En juin 2011 se tenait à Deauville la réu­nion annuelle du G8, avec à son ordre du jour et sur une ini­tia­tive française, un échange sur le dossier Inter­net. Dans leur déc­la­ra­tion finale, les chefs d’État et de gou­verne­ment ont, dans une per­spec­tive mon­di­ale, traité des grands enjeux du moment : la crois­sance et l’emploi, l’accès à la con­nais­sance et à la cul­ture, la lib­erté d’expression et la pro­tec­tion des don­nées indi­vidu­elles, la sécu­rité des insti­tu­tions et des réseaux, etc. Ce texte reste large­ment d’actualité. Et pour­tant, au-delà de son approche à juste titre poli­tique et stratégique, n’y avait-il pas là déjà une place pour cette inter­ro­ga­tion de plus en plus présente dans les réflex­ions actuelles : « Et dans tout ça, où va l’Homme, où vont nos Sociétés ? » 

Alors que le développe­ment de l’humanité se tourne vers une forme de nomadisme et que le numérique fait de nous des citoyens du monde pro­gres­sive­ment libérés dans le choix de notre lieu de tra­vail ou l’accès à la con­nais­sance, aucune dimen­sion de notre vie, publique ou privée, indi­vidu­elle ou col­lec­tive, insti­tu­tion­nelle ou intime, ne sem­ble devoir échap­per à ce mou­ve­ment. Quel mode de rela­tion va désor­mais s’établir entre les hommes alors que le pou­voir se con­cen­tre tou­jours plus entre leurs mains, pou­voir sur la matière, mais aus­si sur la vie ou la mort, sur l’intelligence ?

Il devient essen­tiel de s’interroger sur les valeurs qui ont pro­gres­sive­ment fondé ce que nous sommes, sur nos per­son­nes dans notre envi­ron­nement. Com­ment vivre le par­a­digme du numérique pour qu’il demeure ce véri­ta­ble por­teur de pro­grès pour tous, dans la diver­sité de nos aspi­ra­tions ? Der­rière cet objec­tif large­ment partagé, s’expriment des préoc­cu­pa­tions, sou­vent bien dif­férentes, dont sont à l’évidence désor­mais con­scients les pro­duc­teurs et les con­som­ma­teurs de biens et ser­vices numériques, les respon­s­ables insti­tu­tion­nels ou asso­ci­at­ifs, tous ceux qui façon­nent ce nou­veau monde, sur tous les con­ti­nents, à un rythme dif­fi­cile à appréhender. 

Tech­nologiques ou philosophiques, les réflex­ions sur le sujet nous appel­lent à appro­fondir notre com­préhen­sion sur plusieurs points, notamment : 

  • la portée réelle de cette trans­for­ma­tion économique et socié­tale qui, en 40 ans, nous a fait pass­er des réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions et sys­tèmes infor­ma­tiques haute­ment hiérar­chisés, à la puis­sance des réseaux soci­aux et bien­tôt à l’effacement des struc­tures d’intermédiation dans la rela­tion interpersonnelle. 
  • l’ampleur de cette tran­si­tion ente la société de l’écrit et celle du numérique, et son impact quant aux moteurs et aux sup­ports de la trans­mis­sion comme de l’enseignement.
  • le sens de ce regret cri­tique des pio­nniers de l’Internet : la Toile espace de lib­erté, de force créa­tive et de capac­ité à s’émanciper, devient-elle un espace de domes­ti­ca­tion et d’économisation ?

Si le numérique offre un for­mi­da­ble dis­posi­tif qui ren­force les pos­si­bil­ités d’action de l’Homme, on ne peut désor­mais dis­soci­er celui-ci du cou­ple qu’il forme avec son envi­ron­nement, donc de plus en plus, avec les tech­nolo­gies numériques qui l’enserrent dans une com­plex­i­fi­ca­tion trans­for­mant les rela­tions sociales et le monde économique. 

D’où la néces­saire cohérence entre ces deux valeurs cen­trales : l’utilité, lorsque nous nous en remet­tons à l’environnement numérique pour la con­duite de cer­taines actions, et la lib­erté, lorsque nous con­te­stons à ce même envi­ron­nement le suivi de nos traces et l’aliénation de nos choix. 

Souci indi­vid­u­al­iste et objec­tif col­lec­tif, deux approches qui ne sauraient s’exclure alors que le numérique con­tribue utile­ment à la prise en compte des ques­tions d’équité et de redis­tri­b­u­tion par la dif­fu­sion sociale et cul­turelle des biens com­muns, out­ils et pro­duc­tions, don­nées et usages, qui con­di­tion­nent l’évolution de la capac­ité rela­tion­nelle entre tous. 

Un partage qui ne saurait devenir pour autant un affaib­lisse­ment de nos out­ils de pen­sée et d’échange : la final­ité de la muta­tion numérique n’est pas de décider de ce que doit être l’Homme, mais de créer l’environnement qui l’aide à con­stru­ire son avenir indi­vidu­el et col­lec­tif. Alors que le numérique développe les pos­si­bil­ités de réflex­ion et d’action de mil­liards d’êtres humains, c’est un enjeu majeur que de veiller à ce que l’imagination, voire l’utopie de cer­tains, apporte le meilleur sans génér­er par ailleurs une dis­rup­tion destructrice. 

Quelques aspects traduisent bien cette con­fronta­tion de l’espérance et de l’inquiétude.

  • La trans­for­ma­tion en marche de l’économie, qui boule­verse la rela­tion tant humaine que com­mer­ciale. L’ubérisation, aujourd’hui sus­cep­ti­ble d’atteindre la plu­part des métiers, per­met l’accès à de nou­veaux ser­vices fac­teurs d’un pro­grès d’autant plus séduisant qu’ils offrent le moin­dre prix dans une approche sol­idaire, mais elle peut aus­si entraîn­er la désor­gan­i­sa­tion com­plète et même la destruc­tion d’un secteur d’activité et de ses emplois.
    De même le blockchain va inten­si­fi­er la capac­ité de trans­ac­tion finan­cière directe entre entre­pris­es et par­ti­c­uliers, mais il remet en ques­tion la posi­tion pre­mière des ban­ques comme tiers de con­fi­ance et il ouvre la voie à une nou­velle approche pour la gou­ver­nance mon­di­ale de l’Internet.
  • Les per­spec­tives de l’intelligence arti­fi­cielle, qui nous fait vivre cette trans­for­ma­tion dans la rela­tion entre intel­li­gences indi­vidu­elle et col­lec­tive, entre intel­li­gences de l’homme et de la machine. La voca­tion de l’homme est de réalis­er ce que la machine ne sait pas faire. Or si la machine pro­gresse en devenant com­plexe, il en va égale­ment de même pour l’intelligence arti­fi­cielle qui nous emmène vers un avenir com­posé d’intelligences multiples.
    Une société humaine fonc­tionne comme un agence­ment d’automatismes que le numérique per­met d’intégrer à grande échelle ; grâce à une puis­sance de cal­cul qui dou­ble tous les dix-huit mois, la machine devient elle-même plus puis­sante que l’homme. Des ensem­bles con­sid­érables émer­gent en s’appuyant sur l’efficacité de leurs algo­rithmes dont le développe­ment nous oblige à une vision sur ce que l’on veut ren­dre automa­ti­s­able ou cal­cu­la­ble et à une réelle com­préhen­sion des règles mis­es en oeuvre.
    Il est donc cru­cial d’aider la prochaine généra­tion à s’intégrer dans un monde dif­férent, à dis­pos­er d’une for­ma­tion cri­tique et équili­brée sur les sys­tèmes, leurs plate­formes et la masse de don­nées col­lec­tées. D’où cette dif­fi­cile ques­tion pour les pro­grammes d’enseignement : com­ment pré­par­er les enfants à des métiers qui n’existeront peut-être plus demain et à ceux qui n’existent pas encore. 
  • La vision tran­shu­man­iste, voire posthu­man­iste, avec cet imper­cep­ti­ble glisse­ment de l’homme réparé à l’homme aug­men­té. Dans ce domaine mar­qué par la con­ver­gence des tech­nolo­gies NBIC, donc du numérique, quelle est la lim­ite entre les indis­cuta­bles pro­grès de la médecine et le boule­verse­ment socié­tal et humain d’un illu­soire recul de la mort ? 

Toutes ces inter­ro­ga­tions inter­pel­lent la con­fi­ance que cha­cun d’entre nous place dans l’interférence tou­jours plus prég­nante de cet univers numérique avec nos faits et gestes intimes et quo­ti­di­ens. La trans­mis­sion des infor­ma­tions per­son­nelles ou des don­nées ren­voyées par les objets con­nec­tés crée un nou­v­el envi­ron­nement per­me­t­tant notam­ment de réalis­er des pro­fi­lages pré­dic­tifs, dans cette rela­tion ambiva­lente que l’individu accepte sou­vent dans la con­fi­ance ou l’indifférence, et où des acteurs publics ou privés ont la capac­ité de le con­naître avec une pré­ci­sion sans précédent. 

C’est là pour les entre­pris­es un act­if financier majeur, mais dont la con­tri­bu­tion à l’image de con­fi­ance et à la val­ori­sa­tion pour la com­péti­tiv­ité sont liées à l’exigence de pro­tec­tion des don­nées per­son­nelles. Plusieurs approches régle­men­taires, lég­isla­tives et même éthiques visent à ren­forcer la garantie pour tout citoyen de béné­fici­er de ce droit fon­da­men­tal, dans un con­texte cepen­dant dif­fi­cile lorsqu’intervient le trans­fert inter­na­tion­al des don­nées, avec notam­ment des ques­tions de sou­veraineté et de ter­ri­to­ri­al­ité entre l’Europe et le reste du monde. 

La dual­ité des atti­tudes du citoyen, inter­naute et con­som­ma­teur, qui peut se sen­tir libéré ou pris­on­nier des con­traintes sur le Web, souligne com­bi­en l’attractivité des usages inter­pelle la con­fi­ance selon que, dans sa vie numérique, il estime détenir une maîtrise et un con­trôle suff­isants ou se sent au con­traire dom­iné par la machine et même assu­jet­ti à des choix prescrits. 

Tel est bien le reflet de cet enjeu du numérique pour l’Homme et pour la Société : main­tenir et enrichir cette dual­ité, immuable et néces­saire, de la per­son­ne humaine libre et autonome, et de la dimen­sion enrichissante et col­lec­tive des liens tis­sés dans son environnement. 

Poster un commentaire