Cochons d’inde

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°645 Mai 2009Par : Sébastien Thiéry, dans une mise en scène d’Anne BourgeoisRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Affiche du théatre Hébertot : Cochons d'IndeLes gou­ver­ne­ments condamnent d’autant plus volon­tiers les « para­dis fis­caux » qu’ils éprouvent un pen­chant pour les « enfers fis­caux ». Ils se posent ain­si, devant les élec­teurs, en redres­seurs de torts. Mais on n’avait encore jamais connu de banque « redres­seuse de torts », sur­tout au théâtre. Or voi­là qui est fait, et vous pour­rez vous en convaincre en allant à Héber­tot voir jouer Cochons d’Inde, une pièce d’une décon­cer­tante drô­le­rie, écrite par M. Sébas­tien Thiéry.

Un client (M. Patrick Ches­nay) mar­chand de biens, céli­ba­taire, la cin­quan­taine, venu reti­rer de l’argent, se trouve séques­tré dans l’agence de sa banque au motif que, fils d’un petit menui­sier, il s’est enri­chi en ache­tant et ven­dant des appar­te­ments, ce qui signi­fie qu’il a chan­gé de caste, en pas­sant de celle de ses parents, celle des tra­vailleurs manuels, à celle des com­mer­çants. Or sa banque vient d’être ache­tée par un groupe indien, de sorte qu’au regard du droit indien, il est, jusqu’à plus ample infor­mé, regar­dé comme un frau­deur. L’agence ne pour­ra le relâ­cher qu’avec l’accord de New Del­hi et après enquête approfondie.

Le droit indien
Cette situa­tion décon­cer­tante nous vaut des dia­logues d’une sur­réa­liste cocas­se­rie entre le client, un gui­che­tier reve­nu de tout mais bon cœur au fond (joué par l’auteur, doté d’une dic­tion sac­ca­dée à la Jou­vet d’un réjouis­sant effet, eu égard à la sim­pli­ci­té des pro­pos) et la direc­trice de l’agence (Mme Josiane Sto­lé­ru), pas­sant avec une éton­nante rapi­di­té de la froi­deur d’une femme d’affaires intrai­table sur le res­pect du droit indien à l’hystérie éro­tique la plus véhémente.

Le len­de­main de « l’incarcération », on fait venir, de Bor­deaux, la mère du client (Mme Anna Gay­lor) en vue de situer l’exacte condi­tion sociale des parents, le niveau de leurs avoirs, et ain­si d’apprécier l’ampleur du chan­ge­ment frau­du­leux de caste. Elle n’y com­prend rien et, appre­nant qu’il est rete­nu dans cette agence, gémit qu’il a encore fait une bêtise, qu’il a été col­lé, qu’il ne chan­ge­ra jamais. Il a beau pro­tes­ter qu’il a cin­quante-quatre ans, qu’il n’est plus d’âge à être mis en rete­nue, elle n’en démord pas. Elle insiste : il a fait quelque chose de très mal, il a beau­coup trop d’argent, un mon­sieur indien très aimable lui a tout expli­qué au télé­phone, ce qu’on fait est pour son bien mais il res­te­ra tou­jours son petit gar­çon, etc. Inter­ro­gée par la direc­trice de l’agence, elle accu­mule bourdes sur bourdes mal­gré les pro­tes­ta­tions de son fils, en insis­tant pesam­ment sur la modes­tie de sa condi­tion sociale. On nage en plein délire.

On a par­fois ran­gé l’auteur dans la caté­go­rie du « théâtre de l’absurde », en le com­pa­rant à Beckett, à Iones­co. Il dit ne pas bien com­prendre pour­quoi, et il a rai­son. M. Sébas­tien Thié­ry se révèle bien plu­tôt ce que l’on serait ten­té d’appeler « un conteur de l’inattendu », dans le registre du théâtre, comme Mar­cel Aymé le fut, non tant dans ce registre – encore que Clé­ram­bard… – que dans celui de la nou­velle. Il tire, comme lui, des effets d’un pro­di­gieux comique en pla­çant des gens par­fai­te­ment nor­maux dans des situa­tions qui ne le sont au contraire pas du tout. Mais alors que Mar­cel Aymé ne sait pas tou­jours bien ter­mi­ner ses nou­velles, qui finissent par­fois un peu en queue de pois­son, Sébas­tien Thié­ry au contraire manie dans Cochons d’Inde l’art de la chute avec une stu­pé­fiante habi­le­té dans le manie­ment du farfelu.

Un miracle
Voyez plutôt :
Après toutes les péri­pé­ties cocasses dont le spec­ta­teur vient d’être témoin, appa­raît le direc­teur indien de la banque (M. Par­tha Pra­tim Majum­der, ori­gi­naire du Ban­gla­desh, ancien élève d’Étienne Decroux, le maître à mimer de J.-L. Bar­reau, puis de Mar­cel Mar­ceau). Et voi­là que ce direc­teur, suite à un sur­pre­nant numé­ro de danses rituelles en com­pa­gnie du gui­che­tier et de la direc­trice d’agence, pro­nonce des paroles de paix et déclare qu’il est Dieu. Mis en demeure de le prou­ver par un miracle, il fait ins­tan­ta­né­ment tom­ber du ciel le jam­bon de Bayonne que le client lui a deman­dé, juste his­toire de voir…

Le client, scep­tique mal­gré tout, insiste. Une pluie de jam­bons lui répond. Sub­ju­gué, il consent à signer une énorme dona­tion en faveur des pauvres. Il est enfin libé­ré et auto­ri­sé aus­si à empor­ter un jam­bon. Par­ve­nu dans le sas de l’agence, il revient, tenant à gar­der le der­nier mot :
« À ce prix-là, j’aurais dû deman­der du Parme ! »

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