Climat et énergies fossiles : des échéances communes pour des actions nécessaires

Dossier : Croissance et environnementMagazine N°627 Septembre 2007
Par Hervé LE TREUT
Par Bernard ROGEAUX
Par Pierre-René BAUQUIS

Les données et les incertitudes du changement climatique

Les données et les incertitudes du changement climatique

Le rôle pos­si­ble des actions humaines sur le cli­mat, via l’aug­men­ta­tion de l’ef­fet de serre, est un thème ancien, que l’on fait sou­vent remon­ter aux antic­i­pa­tions du prix Nobel de Chimie Svante Arrhe­nius au début du XXe siè­cle. Mais c’est en fait beau­coup plus tard, à par­tir de l’An­née Géo­physique Inter­na­tionale en 1957, que les mesures sys­té­ma­tiques du pro­fesseur Keel­ing vont fournir les preuves d’une aug­men­ta­tion réelle du niveau atmo­sphérique en dioxyde de car­bone (CO2). Nous sommes alors dans une phase d’évo­lu­tion extrême­ment rapi­de des émis­sions de gaz à effet de serre : dans les années cinquante les émis­sions de car­bone sont de 2 mil­liards de tonnes (Mt) par an, con­tre 7 à 8 Mt aujour­d’hui. En quelques décen­nies la teneur atmo­sphérique en CO2 va aug­menter de plus de 30 %. Le méthane, l’oxyde nitreux, l’o­zone et cer­tains fréons subis­sent aus­si une évo­lu­tion très rapide.

Cette per­tur­ba­tion survient à un moment très par­ti­c­uli­er de l’his­toire de notre planète, après cinq mille à dix mille ans d’un cli­mat très sta­ble, d’une sta­bil­ité iné­galée au cours des 2 mil­lions d’an­nées de l’ère Qua­ter­naire. Nos civil­i­sa­tions se sont en effet dévelop­pées durant un âge inter­glaciaire par­ti­c­ulière­ment long, dont nous savons que les con­di­tions astronomiques qui ont con­tribué à le met­tre en place se pour­suiv­ront pen­dant plusieurs mil­liers d’an­nées encore. Bien sûr cet équili­bre préin­dus­triel n’é­tait pas par­fait : le dernier mil­lé­naire est mar­qué par un réchauf­fe­ment appelé « opti­mum médié­val », suivi du refroidisse­ment dit du « petit âge de glace », cer­taine­ment asso­cié à des mod­i­fi­ca­tions de l’in­so­la­tion. Mais ces fluc­tu­a­tions naturelles sont de l’or­dre de quelques dix­ièmes de degré, en moyenne glob­ale, alors que l’aug­men­ta­tion des gaz à effet de serre est sus­cep­ti­ble de créer des per­tur­ba­tions beau­coup plus fortes, de plusieurs degrés, qui rap­pel­lent plutôt par leur ampli­tude les écarts de 5 à 6 °C qui car­ac­térisent la dif­férence entre cli­mats glaciaires et interglaciaires.

Ce proces­sus de rup­ture très rapi­de et très récente d’un équili­bre (ou qua­si-équili­bre) mil­lé­naire a des con­séquences très impor­tantes, que l’on ne peut com­pren­dre sans détailler les fac­teurs d’in­er­tie très nom­breux qui exis­tent dans les dif­férentes com­posantes de notre envi­ron­nement glob­al. Le CO2 émis par les activ­ités humaines, par exem­ple, est repris pour par­tie par les puits naturels que sont la végé­ta­tion naturelle et les océans, mais la part restante (actuelle­ment : la moitié env­i­ron) est sus­cep­ti­ble de rester un siè­cle dans l’at­mo­sphère. La durée de vie des autres gaz à effet de serre varie aus­si de quelques années à quelques cen­taines d’an­nées. Les émis­sions de la fin du vingtième siè­cle et du début du vingt-et-unième siè­cle sont donc encore bien présentes dans l’at­mo­sphère, et elles sont sus­cep­ti­bles de con­tin­uer à agir sur le cli­mat au cours des décen­nies à venir. La respon­s­abil­ité des pays émet­teurs, en pre­mier lieu les pays occi­den­taux, est donc engagée à long terme.

Ceci est d’au­tant plus vrai que l’in­er­tie liée à la durée de vie atmo­sphérique des gaz à effets de serre n’est pas seule en jeu : il s’y ajoute une iner­tie du sys­tème cli­ma­tique lui-même, dont les dif­férentes com­posantes vont réa­gir à des échelles de temps très var­iées au chauffage provo­qué par l’ef­fet de serre addi­tion­nel. L’at­mo­sphère, une par­tie des sur­faces con­ti­nen­tales, ou encore la ban­quise qui recou­vre l’Arc­tique ont une réac­tion très rapi­de, qui se man­i­feste par exem­ple par un cycle saison­nier très mar­qué, en réponse aux fluc­tu­a­tions d’en­soleille­ment. La vapeur d’eau atmo­sphérique, par exem­ple, agit comme un fac­teur d’am­pli­fi­ca­tion presque instan­ta­né des vari­a­tions climatiques.

L’océan, lui, se divise en deux par­ties. L’océan de sur­face, une couche de cinquante mètres de pro­fondeur en moyenne, con­stitue le véri­ta­ble ther­mo­stat de notre sys­tème cli­ma­tique. Son temps de réac­tion est de quelques décen­nies, ce qui explique à la fois que, d’une part, les pre­miers symp­tômes claire­ment iden­ti­fi­ables de la réponse cli­ma­tique à l’aug­men­ta­tion bru­tale des gaz à effet de serre (qui com­mence dans les années cinquante) sont apparus tar­di­ve­ment, dans les années qua­tre-vingt-dix, mais aus­si, d’autre part, que les mesures de réduc­tion des gaz à effet de serre que nous pren­drons, ne mod­i­fieront l’évo­lu­tion des tem­péra­ture de sur­face de la planète qu’avec un délai iden­tique de quelques décen­nies. L’océan plus pro­fond, les grands glac­i­ers con­ti­nen­taux comme le Groën­land, les écosys­tèmes com­plex­es tels que les grands mas­sifs forestiers, ont un temps de réac­tion encore plus lent, de l’or­dre de quelques siècles.

Le relève­ment du niveau de la mer, que les mod­èles situent dans une fourchette de 20 à 50 cm en 2100, à laque­lle il faut rajouter la part de fonte éventuelle du Groen­land, encore impos­si­ble à chiffr­er, n’est sans doute que mar­ginale­ment mod­i­fi­able à cette échelle de temps, parce qu’il est con­di­tion­né par des proces­sus lents tels que la pro­gres­sion du réchauf­fe­ment vers le fond des océans (qui provoque leur dilata­tion) ou par la fonte des grands glac­i­ers de mon­tagne — les mesures que nous devons pren­dre dès main­tenant nous pro­tégeront d’évo­lu­tions plus graves pen­dant les siè­cles prochains.

Les effets de seuil et les risques associés à la non-linéarité du système climatique

À ces iner­ties var­iées, le sys­tème cli­ma­tique naturel ajoute une par­tic­u­lar­ité dan­gereuse : c’est un sys­tème non-linéaire, sus­cep­ti­ble d’évo­lu­tion rapi­de au-delà de cer­tains seuils. Cette part des évo­lu­tions cli­ma­tiques est à la fois la plus dif­fi­cile à appréhen­der sci­en­tifique­ment, mais aus­si poten­tielle­ment la plus riche de con­séquences pour les écosys­tèmes naturels comme les sociétés humaines. C’est ain­si que la valeur approx­i­ma­tive de 2 °C de réchauf­fe­ment glob­al a été déter­minée comme un seuil de dan­ger au-delà duquel il est pos­si­ble d’avoir des impacts devenant beau­coup plus forts sur la mor­tal­ité des écosys­tèmes, la sta­bil­ité des courants ou des calottes glaciaires.

Champs de pét­role près de Bak­ers­field en Cal­i­fornie, États-Unis (35°22′ N – 119°01′ O)

Le pét­role cal­i­fornien est visqueux et lourd, comme du goudron. Avant de le pom­per, il faut le chauf­fer et le flu­id­i­fi­er en injec­tant de la vapeur d’eau dans le puits, ce qui con­somme une eau déjà rare dans la région. Cette tech­nique est coû­teuse, mais les États-Unis ne peu­vent se pass­er de telles réserves. S’ils sont le deux­ième pays pro­duc­teur de pét­role après l’Arabie Saou­dite, ils en sont aus­si le pre­mier impor­ta­teur. De façon plus générale, l’ensemble des pays dévelop­pés dépen­dent de cet hydro­car­bu­re, notam­ment pour le trans­port et l’industrie plas­tique. Or, aujourd’hui, la quan­tité de pét­role restante équiv­aut à peu près à ce que nous avons déjà brûlé ou trans­for­mé. Le pét­role sera donc tou­jours plus dif­fi­cile­ment exploitable, c’est-à-dire tou­jours plus rare et plus cher. C’est pourquoi il est indis­pens­able de diver­si­fi­er les sources d’énergie en favorisant les éner­gies de type renou­ve­lable, tels l’éolien, le solaire ou la géothermie.


Il faut pren­dre ce seuil de 2 °C comme une petite lampe rouge, un sig­nal de dan­ger qui s’al­lume pour dire que l’on entre dans un monde qui est très dif­férent du nôtre, et dans lequel auront lieu des évo­lu­tions que nous ne sommes pas encore mesure d’an­ticiper de manière détail­lée. L’ex­a­m­en sci­en­tifique atten­tif du début de change­ment cli­ma­tique actuel est cru­cial si l’on veut pou­voir anticiper les évo­lu­tions plus impor­tantes et plus rapi­des qui nous atten­dent dans le futur : frag­ili­sa­tion des zones côtières par une mon­tée accélérée du niveau de la mer, mod­i­fi­ca­tion rapi­de des aires géo­graphiques adap­tées à cer­tains types de végé­ta­tions ou d’an­i­maux, y com­pris les insectes vecteurs de mal­adie, mod­i­fi­ca­tion des fréquences d’événe­ment extrêmes, qu’il s’agisse de cyclones plus intens­es ou de sécher­ess­es récurrentes.


Actuelle­ment tous les scé­nar­ios d’émis­sion envis­agés par le GIEC nous con­duisent au-delà de ce seuil de 2 °C. Il ne faut donc pas sta­bilis­er, mais bien réduire nos émis­sions de gaz à effet de serre, et le faire dès les pre­mières décen­nies de ce siè­cle si l’on veut main­tenir la part du réchauf­fe­ment glob­al à laque­lle nous devrons de toute façon nous adapter en deçà d’un niveau que nous pour­rons effec­tive­ment gérer.

La raréfaction des ressources en énergies fossiles : mythes et réalités

Le long chemin de la cacophonie vers la symphonie

Lorsqu’on écoute des spé­cial­istes par­ler des ressources et des réserves de pét­role, de gaz naturel, mais aus­si de char­bon, il s’en dégage une impres­sion de cacoph­o­nie. Com­ment des per­son­nes ou organ­ismes a pri­ori com­pé­tents dans les divers­es dis­ci­plines (géolo­gie, économie), qui con­courent a éla­bor­er une vision sur les futures pro­duc­tions des divers­es éner­gies fos­siles, peu­vent-ils à ce point diverg­er dans leurs opin­ions ? Peut-on espér­er une cer­taine har­mon­i­sa­tion de celles-ci, à défaut d’e­u­phonie, et a quel horizon ?

Avec le change­ment cli­ma­tique, la ques­tion pétrolière est pour­tant une ques­tion essen­tielle pour nos sociétés : pour­rions-nous gér­er sans vio­lence une éventuelle pénurie mal anticipée de cette ressource si dif­fi­cile à rem­plac­er qu’est le pétrole ?

Quarti­er nord-ouest de La Nou­velle-Orléans près du lac Pontchar­train, après le pas­sage de l’oura­gan Kat­ri­na, Louisiane, États-Unis (30°00′ N — 90°05′ O).

Les toits dépassent à peine de ce mélange d’eaux usées, d’essence et de pro­duits chim­iques dans lequel les bac­téries se dévelop­pent d’au­tant mieux que les tem­péra­tures dépassent 30 °C dans la journée. Le 29 août 2005, l’oura­gan Kat­ri­na, de force 4 sur une échelle de 5, s’est abat­tu sur les côtes améri­caines du golfe du Mex­ique. Sous la force des vents (plus de 200 km/h), les vagues ont sub­mergé les digues de pro­tec­tion qui ont rompu à de nom­breux endroits, lais­sant la ville inondée à plus de 80 %. Plusieurs dizaines de mil­liers de per­son­nes sont restées pris­on­nières des flots, en par­ti­c­uli­er la pop­u­la­tion pau­vre (30 % des habi­tants) qui n’avait pas tou­jours la pos­si­bil­ité de quit­ter la région. La cat­a­stro­phe était pour­tant en par­tie évitable puisque les autorités locales et fédérales étaient alertées depuis longtemps de la vétusté des digues et de la faib­lesse des dis­posi­tifs d’évacuation.


Il est vrai que le con­tre-choc pétroli­er qui s’est traduit dans les années qua­tre-vingt par une baisse de la demande mon­di­ale, suiv­ie d’un effon­drement des cours du bar­il et des prof­its pétroliers, est resté comme un trau­ma­tisme majeur dans le monde du pét­role. Peut-on reprocher aux pro­duc­teurs et aux dirigeants des com­pag­nies pétrolières de chercher à pro­téger leur marché — et leurs prof­its — en repous­sant dans leurs déc­la­ra­tions l’hori­zon des ten­sions pétrolières ?

Ain­si en 2006 les com­pag­nies Exxon, BP, ENI, ont expliqué au plus haut niveau (CEO, directeur de la stratégie), ou affir­mé par des cam­pagnes médi­a­tiques qu’il n’y avait pas de risque de rareté physique : « no sign of peak oil ». Ils ont été soutenus par la plu­part des uni­ver­si­taires ou con­sul­tants s’in­téres­sant à la ques­tion, comme le CERA, ain­si que par les grandes organ­i­sa­tions inter­na­tionales, Agence inter­na­tionale de l’Én­ergie (AIE) en tête. Le fait que cet organ­isme, chargé d’é­clair­er les gou­verne­ments des États de l’OCDE, ne dis­pose ni de géo­logues ni de pro­duc­teurs pour éclair­er sa lanterne sur ce sujet dont la com­préhen­sion passe par les géo­sciences laisse quelque peu inquiet.

Pour­tant, nous com­mençons à voir se con­stituer sur la ques­tion une cer­taine har­monie, notam­ment par­mi les acteurs français, comme Total et l’IFP, qui con­ver­gent main­tenant autour d’un pos­si­ble pic de pro­duc­tion ou d’un « plateau en tôle ondulée » vers 2020 (+/- 5 ans), à un niveau proche de 100 Mb/d1 (+/- 5 Mb/d), soit 5 mil­liards de tonnes par an. Ce point de vue est partagé par cer­tains groupes améri­cains comme Chevron Tex­a­co. Est-ce que ce con­sen­sus local pré­fig­ure un accord plus large, dans lequel la sym­phonie des acteurs, au plan mon­di­al cette fois, viendrait rem­plac­er l’actuelle cacophonie ?

Il est vrai que la ques­tion du pro­fil prob­a­ble de la pro­duc­tion pétrolière mon­di­ale est complexe.

Un problème d’iceberg ou une simple question d’élasticité au prix ?

Pour les géo­sci­en­tifiques, la ques­tion des futurs pro­fils mon­di­aux de pro­duc­tions relève avant tout de leur dis­ci­pline. Leur vision de cette ques­tion est qu’il s’ag­it d’un prob­lème d’ice­berg. La « par­tie vis­i­ble » des réserves, ce qui est pub­lié, ce sont les réserves prou­vées, c’est-à-dire celles qui peu­vent être pro­duites au prix actuel avec les tech­nolo­gies actuelles. Mal­heureuse­ment, ces réserves prou­vées qui con­stituent la par­tie émergée et donc vis­i­ble de l’ice­berg, sont un mélange con­stam­ment vari­able de nou­velles décou­vertes et de réé­val­u­a­tions des réserves préex­is­tantes. Ces réserves prou­vées ne per­me­t­tent pas de se faire une idée de la par­tie immergée que con­stituent les réserves pos­si­bles et prob­a­bles et les décou­vertes a venir. La total­ité de l’ice­berg reflète le con­cept de réserves ultimes qui n’a mal­heureuse­ment aucune exis­tence sta­tis­tique et ne peut être dis­cuté qu’en­tre spé­cial­istes. C’est pour­tant le con­cept le plus utile pour ten­ter une approche de la déter­mi­na­tion du pic de la pro­duc­tion pétrolière mon­di­ale. Quand ? À quel niveau ? Et, implicite­ment, à quel prix du brut ?

À défaut de pou­voir utilis­er l’ap­proche des réserves ultimes, il reste aux ana­lystes de la ques­tion du pic à se rabat­tre sur les courbes d’écré­mage et sur la théorie de King Hub­bert qui apporte de pré­cieux éclairages com­plé­men­taires. Le sché­ma ci-dessous illus­tre par exem­ple com­ment s’est con­sti­tué l’ice­berg (réserves prou­vées + prob­a­bles) au cours du temps, et mon­tre que les nou­velles décou­vertes sont loin de com­penser la fonte de l’ice­berg due au niveau actuel de la consommation.

Les écon­o­mistes, quant à eux, pensent que tout est affaire d’élas­tic­ité au prix : ils ont une foi inébran­lable dans la loi de l’of­fre et de demande. Pour nom­bre d’en­tre eux la ques­tion des réserves de pét­role et de gaz n’ex­iste pas réelle­ment, car ils les sup­posent infinies au plan physique. Tout bien économique ayant une élas­tic­ité de l’of­fre liée à son prix, il suf­fi­rait de mon­ter suff­isam­ment le prix pour faire s’é­vanouir la ques­tion de l’in­suff­i­sance de l’of­fre. Le seul prob­lème est que cette élas­tic­ité est très faible pour le pét­role alors qu’elle est forte pour toutes les autres ressources minérales, char­bon et ura­ni­um com­pris. La rai­son sous-jacente à cette dif­férence fon­da­men­tale est que le pét­role présente une gîtolo­gie dis­con­tin­ue de type tout ou rien (le for­age est dans la par­tie imprégnée du réser­voir ou il est en dehors) alors que les autres ressources minérales présen­tent des gîtolo­gies très dif­férentes de types plus ou moins con­tin­ues. Les teneurs de coupure des min­erais pour l’u­ra­ni­um ou les épais­seurs et pro­fondeurs lim­ites des couch­es exploita­bles pour le char­bon vien­nent borner tem­po­raire­ment la valeur des réserves.

En fait dans la grande famille des ressources pétrolières, il existe une sous-famille dont les réserves se com­por­tent vis-à-vis des prix comme celles du char­bon : c’est la sous-famille des bruts ultra-lourds et des sables bitu­mineux, à laque­lle on pour­rait adjoin­dre celle des schistes bitu­mineux. Pour ces hydro­car­bu­res pâteux et solides ou pour ces kérogènes in situ, l’élas­tic­ité des réserves au prix est forte con­traire­ment à celle des pétroles tra­di­tion­nels. Pour ces ressources les con­traintes majeures sont celles de l’én­ergie-vorac­ité de leur mise en valeur, des pol­lu­tions locales et des émis­sions de CO2.

Plus on voudra pouss­er les taux de récupéra­tion, plus il fau­dra con­som­mer d’én­ergie par tonne nette pro­duite : cer­tains évo­quent main­tenant la pos­si­bil­ité d’un recours mas­sif au nucléaire pour fournir les calo­ries et l’hydrogène.

Quand la politique vient ajouter quelques autres dissonances

Pour les respon­s­ables poli­tiques d’un pays pro­duc­teur, il n’est pas illégitime de chercher à opti­miser la rente pétrolière et de l’é­ten­dre sur la durée. Dans d’autres domaines ceci serait d’ailleurs con­sid­éré comme de la ges­tion en « bon père de famille » d’une ressource finie et non renouvelable.

De fait, les pays détenant plus de 80 % des réserves mon­di­ales (Opep, plus Russie et Mex­ique) sem­blent sou­vent frein­er délibéré­ment les investisse­ments étrangers dans l’ex­plo­ration et la pro­duc­tion de leurs ressources en hydro­car­bu­res, et ne mon­trent que peu d’en­t­hou­si­asme à y inve­stir mas­sive­ment eux-mêmes.

La réal­ité de ces fac­teurs poli­tiques est indé­ni­able, et vient se sura­jouter aux lim­i­ta­tions physiques qui demeurent toute­fois le fac­teur essen­tiel. La prise en compte de cette nou­velle con­trainte per­met en fait de dimin­uer la cacoph­o­nie ambiante et facilite main­tenant la con­ver­gence des obser­va­teurs. Depuis env­i­ron deux années, les opti­mistes qui voy­aient la pro­duc­tion pétrolière mon­di­ale grimper allè­gre­ment à 120 Mb/d en 2020 puis à 130 en 2030, mod­i­fient forte­ment leur dis­cours. Ils recon­nais­saient désor­mais que l’on ne dépassera sans doute pas 110 ou même 100 Mb/d, en rai­son de ces con­traintes politiques.

Finale­ment, le pic mon­di­al pétroli­er pour­rait appa­raître dès 2010 au lieu de 2020 et se situer à un niveau de 90 ou 95 Mb/d au lieu de 100. Le pic gazier pour­rait inter­venir peu après, avec un décalage prob­a­ble d’une ving­taine d’années.
Faut-il s’en offus­quer ? Faut-il exercer des pres­sions poli­tiques et mil­i­taires pour mod­i­fi­er ces poli­tiques restric­tives ? Faut-il au con­traire s’en féliciter ? Nous pen­chons plutôt pour cette dernière posi­tion, car seuls des prix encore net­te­ment plus élevés que les prix actuels d’en­v­i­ron 70 $/baril per­me­t­tront les néces­saires mod­i­fi­ca­tions de com­porte­ment et la diminu­tion de notre énergie-voracité.

L’of­fre de pét­role pour­rait donc déclin­er prochaine­ment. Quelles solu­tions de sub­sti­tu­tion pour­ront alors pro­pos­er l’é­conomie mondiale ?

Quelles solutions face aux contraintes climatiques et à la rareté du pétrole ?

Des solutions pour remplacer le pétrole émergeront, poussées par les lois de l’économie…

Lorsque le pét­role devien­dra plus rare et plus cher, l’é­conomie s’adaptera pour ten­ter de pro­pos­er le plus rapi­de­ment pos­si­ble les solu­tions de rem­place­ment les moins coûteuses.

Depuis que le prix du bar­il a dépassé 40 $, l’ex­ploita­tion des sables bitu­mineux du Cana­da est dev­enue rentable, de même que les huiles extra-lour­des de l’Orénoque. Les réserves mon­di­ales de pét­role ont alors été poten­tielle­ment aug­men­tées d’un mon­tant supérieur aux réserves de l’Ara­bie Saoudite.

Au delà du seuil de 70 $, l’in­dus­trie est incitée à fab­ri­quer du pét­role syn­thé­tique à par­tir de char­bon, par exem­ple en dévelop­pant le procédé Fis­ch­er-Trop­sch util­isé aujour­d’hui en Afrique du Sud. Des recherch­es sont aus­si en cours pour ten­ter de val­oris­er de manière accept­able les schistes bitu­mineux, dont les réserves sont con­sid­érables notam­ment aux USA.

Vu les réserves de sables bitu­mineux, d’huile extra-lourde et surtout de char­bon (et de schistes ?), l’in­dus­trie pour­rait en théorie met­tre sur le marché des vol­umes con­sid­érables de pét­role syn­thé­tique, sus­cep­ti­bles de dif­fér­er les ten­sions de plusieurs décen­nies. Le total des pro­jets de liqué­fac­tion du char­bon envis­agés aux USA représente ain­si près de 5 mil­lions de bar­ils par jour à l’hori­zon 2030, et autant en Chine : cela mobilis­erait env­i­ron 1 mil­liard et demi de tonnes de char­bon… à un hori­zon où la séques­tra­tion du CO2 ne sera cer­taine­ment pas généralisée.

Pour autant, il est peu prob­a­ble que la date des ten­sions sur le marché pétroli­er soit sen­si­ble­ment dif­férée : sans même évo­quer les éventuelles lim­i­ta­tions liées au CO2, ces solu­tions de rem­place­ment ne pour­ront se dévelop­per que très pro­gres­sive­ment. Il faut en effet compter au moins dix ans pour met­tre en exploita­tion de nou­velles mines, con­stru­ire les usines, réalis­er les néces­saires infra­struc­tures, comme par exem­ple les gazo­ducs ‑ou les éventuelles cen­trales nucléaires ?- qui apporteront la chaleur néces­saire à l’ex­ploita­tion des sables bitu­mineux au Cana­da. Si le pic pétroli­er inter­vient rapi­de­ment, ces sub­sti­tuts ne fer­ont en fait qu’adoucir la forme de la « tôle ondulée ».

Les solu­tions les plus « économiques » (au sens de l’é­conomie de court terme) sont aujour­d’hui des solu­tions car­bonées, qui émet­tront beau­coup de CO2 vu les mau­vais ren­de­ments de la fab­ri­ca­tion de pét­role syn­thé­tique. Elles seront donc priv­ilégiées par les mécan­ismes économiques, lesquels n’in­tè­grent pas spon­tané­ment les con­traintes de long terme liées au change­ment climatique.

… mais les solutions « éthiques » qui visent à construire un avenir soutenable supposent un encadrement de l’économie, et une acceptation par les consommateurs-citoyens

À côté de ces solu­tions « économiques », exis­tent des solu­tions qui répon­dent à la fois aux raretés fos­siles et aux con­traintes liées aux émis­sions de CO2. Nous appellerons « éthiques » ces solu­tions qui visent à pro­téger les généra­tions futures et qui per­me­t­tront aus­si de partager plus équitable­ment avec les pays les plus pau­vres cette ressource pré­cieuse qu’est le pét­role, grâce à une diminu­tion de la demande dans les pays riches.

Le con­tenu des solu­tions « éthiques » s’im­pose à la logique, et com­mence main­tenant à être repris par tous les scé­nar­ios qui cherchent à con­stru­ire un avenir souten­able. Ces solu­tions con­sis­tent à con­stru­ire de nou­veaux sys­tèmes énergé­tiques qui utilisent des vecteurs non car­bonés pour les usages trans­port et chaleur (élec­tric­ité, bio­car­bu­rants, hydrogène, réseaux de chaleur, bio­masse en rem­place­ment du gaz et des car­bu­rants pétroliers), et qui pro­duisent ces vecteurs en lim­i­tant les émis­sions de CO2 (séques­tra­tion de CO2, nucléaire, ENR). La réduc­tion de la demande, soit par une meilleure effi­cac­ité énergé­tique, soit par sobriété, appa­raît néces­saire dans tous les scé­nar­ios pour boucler les bilans. Nous n’en­trerons pas ici dans la ques­tion con­tro­ver­sée de savoir si l’on peut qual­i­fi­er d’éthique le nucléaire, la séques­tra­tion du CO2, ou les bio­car­bu­rants lorsque ceux-ci entrent en con­cur­rence avec l’al­i­men­ta­tion des plus pauvres…

Les divers scé­nar­ios « éthiques » ne dif­fèrent finale­ment entre eux que par la pondéra­tion de ces solu­tions, laque­lle reste effec­tive­ment à dis­cuter. Pour les trans­ports par exem­ple, quelle sera la part de l’élec­tric­ité, de l’hy­drogène, ou des bio­car­bu­rants dans les éner­gies finales utilisées ?

Enfin, les solu­tions éthiques n’ont de sens que si elles sont dévelop­pées au niveau mon­di­al. Ce sont naturelle­ment les émis­sions mon­di­ales de CO2 qui doivent être réduites, non celles de l’Eu­rope ou de tout autre con­ti­nent pris de manière isolée.

Mais ces solu­tions plébisc­itées par le citoyen ne se dévelop­per­ont pas spon­tané­ment : elles s’ac­com­pa­g­nent générale­ment de sur­coûts nota­bles pour le con­som­ma­teur des pays rich­es… et de sur­coûts con­sid­érables pour le con­som­ma­teur des pays pauvres.

Le problème, c’est que les solutions « éthiques » sont rarement « économiques »

La sobriété con­siste à renon­cer à une con­som­ma­tion : baiss­er la tem­péra­ture de chauffage, débranch­er la cli­ma­ti­sa­tion, rem­plac­er un déplace­ment en avion par une télé-con­férence ou un album de pho­tos touris­tiques, utilis­er un vélo pour les tra­jets de prox­im­ité, etc. Le coût économique direct de la sobriété est nul, mais adopter ce type de com­porte­ment sup­pose un effort réel et com­porte un coût implicite pour le con­som­ma­teur que les écon­o­mistes associeraient à un « sur­plus du con­som­ma­teur », auquel il lui est demandé de renoncer.

À part la sobriété, seuls les efforts d’ef­fi­cac­ité énergé­tique les plus faciles à met­tre en oeu­vre (ceux qui per­me­t­tent d’é­conomiser de l’or­dre de 20 % de la con­som­ma­tion) et le nucléaire appa­rais­sent à la fois « économique » et « éthique ». Toutes les autres solu­tions « éthiques » aujour­d’hui opéra­tionnelles s’ac­com­pa­g­nent d’un sur­coût notable, dès lors que ne sont pas compt­abil­isées les exter­nal­ités de long terme.

Trans­former les sys­tèmes énergé­tiques en dévelop­pant les solu­tions éthiques coûterait d’après nos esti­ma­tions de l’or­dre de 2 % du PIB dans nos pays pen­dant cinquante ans, mais beau­coup plus dans les pays en développement.

Nous savons que demain, il fau­dra être riche pour acheter du pét­role. Nous oublions par con­tre sou­vent qu’il faut être riche pour s’en pass­er : en l’ab­sence d’in­fra­struc­tures énergé­tiques de réseaux, le pét­role est en effet la seule énergie facile­ment util­is­able, par exem­ple pour pro­duire l’élec­tric­ité locale­ment avec des groupes élec­trogènes. Les pays les plus pau­vres ne pour­ront évidem­ment pas financer les solu­tions de rem­place­ment que sont les cen­trales hydrauliques, nucléaires, l’éolien ou le solaire, faute de dis­pos­er des néces­saires réseaux élec­triques, et encore moins financer le développe­ment des coû­teux véhicules élec­triques ou à hydrogène ! Il n’est pas cer­tain non plus que ceux qui utilisent mas­sive­ment la solu­tion peu coû­teuse qu’est le char­bon pour­ront financer facile­ment le sur­coût de la cap­ture et du stock­age du CO2… à sup­pos­er que la géolo­gie locale le permette.

Se posera donc la ques­tion de la sol­i­dar­ité inter­na­tionale, du finance­ment des solu­tions éthiques à l’échelle mon­di­ale, et du partage de la ressource vitale qu’est le pét­role, seul moyen de survie dans cer­taines régions.

Quand faudra-t-il se décider à mettre en place les solutions « éthiques » ?

Dans un monde idéal, c’est au début des années qua­tre-vingt-dix que le prési­dent Mit­ter­rand (et ses homo­logues des pays dévelop­pés) aurait pu décider de lancer un pro­gramme volon­tariste pour dévelop­per les solu­tions « éthiques » per­me­t­tant à la France de con­som­mer beau­coup moins de pét­role en 2020 tout en lim­i­tant les émis­sions de CO2.

Les dix à quinze pre­mières années auraient été con­sacrées à la R & D et à la mise au point indus­trielle de nou­veaux procédés opti­misés : véhicules, bat­ter­ies, réseaux de chaleur ali­men­tés par des éner­gies non fos­siles, iso­la­tion des bâti­ments, pom­pes à chaleur util­isant la géother­mie de sur­face… Cette péri­ode aurait égale­ment été néces­saire pour l’amé­nage­ment des infra­struc­tures, par exem­ple les iso­la­tions des bâti­ments ou les cen­taines de mil­liers de bornes de recharge pour véhicules élec­triques ou hybrides recharge­ables sur la voirie et dans les parkings.

À par­tir de 2000 — 2005 les chaudières au fioul en fin de vie auraient été sys­té­ma­tique­ment rem­placées sans sur­coût notable par d’autres sys­tèmes pas ou peu émet­teurs de CO2 et les quelques deux mil­lions de véhicules mis à la casse chaque année en France auraient été rem­placés par des véhicules élec­triques, hybrides, ou très peu con­som­ma­teurs de car­bu­rants clas­siques (3 litres au 100 km). Des amé­nage­ments urbains facilit­eraient les déplace­ments en vélo, ou multi-modal.

En con­séquence, à par­tir de 2000, chaque année aurait vu l’ef­face­ment de 2 à 2,5 mil­lions de tonnes de pét­role en France (ce qui nous aurait amené en 2005 à une con­som­ma­tion proche de 75 mil­lions de tonnes de pét­role au lieu des 87 mil­lions de tonnes effec­tive­ment con­som­mées). Dès 2020, le tiers des tra­jets auto­mo­biles aurait été élec­tri­fié, avec le rem­place­ment de 15 mil­lions de tonnes de car­bu­rants par quelques 50 TWh, four­nis par exem­ple par 4 réac­teurs EPR, ou 25 000 éoli­ennes de 1 MW.Nous ver­rions alors venir avec beau­coup plus de tran­quil­lité le prochain choc pétroli­er à l’hori­zon 2010–2020, et nous seri­ons sur la tra­jec­toire réal­iste de la divi­sion par un fac­teur 4 ou 5 en 2050 des émis­sions de CO2, avec une cible de l’or­dre de 0,4 tonnes car­bone de CO2 par indi­vidu (con­tre 1,7 en 2005).

Mais il aurait fal­lu être vision­naire pour pren­dre une telle ori­en­ta­tion à l’époque du con­tre-choc pétroli­er où le prix du bar­il décli­nait vers les 10 $.Dans un monde plus réel, il faut hélas sou­vent atten­dre que l’essen­tiel des clig­no­tants passent au rouge pour agir. Pour­tant, plus on agi­ra tar­di­ve­ment, plus les sur­coûts financiers à l’ar­rivée seront impor­tants : il fau­dra déclass­er de manière anticipée des équipements non encore en fin de vie, et les rem­plac­er par des solu­tions que l’on n’au­ra pas eu le temps d’op­ti­miser par la R & D adéquate. Ces sur­coûts seront de plus alour­dis par le coût des dégâts cli­ma­tiques, lequel sera aggravé par les retards pris dans les déci­sions comme le remar­que le récent rap­port Stern. Enfin, leur coût social sera élevé : l’iné­gal­ité face à de fortes hauss­es des prix des éner­gies entraîn­era inévitable­ment des ten­sions dont la ges­tion sera difficile.

Pourrons-nous développer assez rapidement les solutions éthiques pour maintenir la croissance ?

Le pét­role est une énergie remar­quable­ment con­cen­trée, qui sera dif­fi­cile à rem­plac­er à vol­ume et coût con­stants. Même en mobil­isant toutes les éner­gies aujour­d’hui acces­si­bles, nos mod­èles peinent à trou­ver des scé­nar­ios réal­istes capa­bles de sat­is­faire la crois­sance de la demande mon­di­ale d’én­ergie au delà de 2040 — 2050.

En effet, les éner­gies fis­siles et les éner­gies dif­fus­es renou­ve­lables, qui con­stitueront l’essen­tiel de notre con­som­ma­tion énergé­tique d’après-demain, ne pour­ront se dévelop­per que pro­gres­sive­ment : il nous faut au moins trente ans pour dévelop­per une fil­ière de surgénéra­teurs, et plusieurs décen­nies pour con­stru­ire des sys­tèmes élec­triques inté­grant une pro­por­tion sig­ni­fica­tive d’éolien et de pho­to­voltaïque inter­mit­tents, capa­bles de se sub­stituer aux éner­gies fos­siles. Le char­bon sera la seule ressource énergé­tique con­cen­trée capa­ble de faire face à la demande dans les prochaines décen­nies. Mais cette solu­tion est écologique­ment cat­a­strophique si elle n’est pas accom­pa­g­née de la cap­ture et du stock­age du CO2 émis.

Le graphique ci-dessus illus­tre le scé­nario extrême d’une util­i­sa­tion mas­sive de toutes les éner­gies acces­si­bles. À l’hori­zon 2050, le parc hydraulique mon­di­al est dou­blé pour attein­dre 5 000 TWh (ce qui épuise pra­tique­ment le poten­tiel mon­di­al de l’hy­draulique), les autres ENR dépassent 10 000 TWh (con­tre moins de 400 TWh aujour­d’hui, ce qui sup­pose une recon­fig­u­ra­tion des sys­tèmes élec­triques pour inté­gr­er ces éner­gies inter­mit­tentes), le parc nucléaire est mul­ti­plié par 5 pour attein­dre près de 15 000 TWh (ce qui sup­pose l’ou­ver­ture de nom­breuses mines d’u­ra­ni­um), et le char­bon passe de 4 à 20 mil­liards de tonnes (soit 14 Gtep), ce qui est très peu « éthique » car seule une faible pro­por­tion du CO2 émis sera cap­tée et séquestrée à cet horizon.

Au final, une crois­sance mon­di­ale de la demande énergé­tique sup­posée à 1,6 % par an (tirée par une démo­gra­phie en crois­sance de 0,9 % par an) arrive à une impasse peu après 2050… mal­gré donc des réserves de char­bon sup­posées à 2 000 mil­liards de tonnes, soit 500 fois la con­som­ma­tion 2005.

Les seules solu­tions « éthiques », qui lim­iteront l’u­til­i­sa­tion du char­bon, con­duisent à une décrois­sance de l’of­fre énergé­tique mon­di­ale dès 2025 — 2030.

Les poten­tiels d’ef­fi­cac­ité énergé­tique acces­si­bles à cet hori­zon ne seront pas suff­isants, et la seule issue sera alors une forme de sobriété, c’est-à-dire de change­ment de mode de vie pour con­som­mer moins d’én­ergie. Cette sobriété sera-t-elle partagée dans le monde ou reportée sur les régions les plus frag­iles, c’est-à-dire celles qui sont les plus faibles mil­i­taire­ment ou celles qui comme l’Eu­rope dis­posent de peu de ressources énergé­tiques ? La sobriété sera-t-elle assumée libre­ment dans le cadre de sociétés démoc­ra­tiques, ou s’ori­en­tera-t-on vers des régimes total­i­taires qui gèreront les pénuries de manière autoritaire ?

La sobriété assumée est cer­taine­ment le choix éthique par excel­lence. Mais per­son­ne ne change son mode de vie sans une inci­ta­tion forte : d’où pour­ra venir cette incitation ?

Les prochaines crises, une chance historique pour l’humanité ?

L’é­conomie est par nature indif­férente à l’éthique : son moteur est l’en­richisse­ment per­son­nel, qui passe par la crois­sance et la pro­duc­tiv­ité. Comme l’a remar­qué le philosophe Hans Jonas, seule une « heuris­tique de la peur » peut recon­stru­ire l’éthique que le marché a détruite.

Les prochaines crises pétrolières et les alertes cli­ma­tiques, aux­quelles il faut ajouter les autres ques­tions majeures que sont les disponi­bil­ités des ressources en nour­ri­t­ure et en eau potable, les iné­gal­ités dans le développe­ment et les atteintes à la bio­di­ver­sité… ne seront-elles pas finale­ment une chance pour l’hu­man­ité, l’oc­ca­sion unique de repenser nos modes de vie, de préserv­er la démoc­ra­tie et de con­stru­ire de nou­velles sol­i­dar­ités dans le monde, à sup­pos­er (espérons-le) qu’elles ne soient pas déjà les pre­miers signes d’une cat­a­stro­phe annon­cée et irréversible ?

Finale­ment, le vrai choix n’est pas entre les solu­tions « économiques » et les solu­tions « éthiques », mais plutôt entre choisir main­tenant les solu­tions « éthiques », dans un con­texte paci­fié et alors que nous dis­posons encore des ressources énergé­tiques abon­dantes qui faciliteront les néces­saires tran­si­tions, ou impos­er ce choix demain à nos enfants, dans un con­texte de crise sans précé­dent dans l’his­toire du monde : manque d’eau, d’én­ergie, pos­si­bles guer­res mon­di­ales autour de ressources vitales raré­fiées, crises économiques général­isées, cli­mat défini­tive­ment détérioré.

Les dif­fi­cultés qui s’an­non­cent nous don­neront peut-être la capac­ité de met­tre en place — le plus vite pos­si­ble, espérons-le — les choix éthiques qui s’im­posent : finale­ment, le plus prob­a­ble est que le XXIe siè­cle sera éthique ou ne sera pas.

1. MB/d = mil­lion de bar­ils par jour

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