Portrait de Christian Mégrelis (54)

Christian Mégrelis (57), Citoyen du monde

Dossier : TrajectoiresMagazine N°699 Novembre 2014
Par Pierre LASZLO

Per­son­nage plu­tôt Dumas que Bal­zac, Chris­tian Mégre­lis est à l’aise dans le vingt et unième siècle. Il affec­tionne la mon­dia­li­sa­tion et ses remises en cause. Elle lui per­met de se prou­ver son adap­ta­bi­li­té, son apti­tude aus­si à lire clai­re­ment une situa­tion via l’analyse économique.

Homme de culture, il pos­sède une belle éru­di­tion his­to­rique. Il aime écrire, il affec­tionne la sti­mu­la­tion de la lit­té­ra­ture sous contrainte, alexan­drin et sonnet.

L’écriture lui offre la mise au net d’un sen­ti­ment fugace, pas­sant par la longue recherche, tant du pre­mier vers que du der­nier, pour don­ner au poème une chute réussie.

Quel curieux homme ! D’une riche per­son­na­li­té, par l’impressionnante luci­di­té. C’est aus­si un séduc­teur. Ancré dans sa famille, il s’est don­né un lien fami­lial extrê­me­ment fort.

Au delà de la mer Égée

Per­son­nage qu’on croi­rait sor­ti du roman d’Elia Kazan, Au-delà de la mer Égée, son père vécut, de 1914 à 1922, les tri­bu­la­tions des Grecs de l’Empire otto­man : ori­gi­naire de Sinope, réfu­gié dans les colo­nies grecques de Mario­pol et Sta­vro­pol, de retour à Sinope en 1918, ils y trou­vèrent une ville incen­diée. C’est alors qu’il par­tit pour Constan­ti­nople, où il étu­dia au lycée Saint-Joseph.

De là, il émi­gra vers Mar­seille en 1922, année de l’expulsion des Grecs d’Anatolie ; puis s’établit à Cler­mont-Fer­rand, où il épou­sa une Auver­gnate. Ils eurent quatre enfants. Le cin­quième occa­sion­na la mort de la mère de Chris­tian Mégre­lis d’une sep­ti­cé­mie, pré­an­ti­bio­tiques. Chris­tian Mégre­lis avait sept ans.

Dix ans durant, son père lui fut à la fois père et mère ; puis se rema­ria avec une Grecque ; et en eut deux autres enfants. Ce second mariage alié­na les enfants du pre­mier lit.

Point impor­tant : faute d’une paroisse grecque-ortho­doxe à Cler­mont, Mégre­lis père, anti­pa­piste qu’il fut, refu­sa le catho­li­cisme et adop­ta le pro­tes­tan­tisme, pour lui et les siens.

L’X comme un refuge

Chris­tian Mégre­lis, après des études brillantes au lycée Blaise-Pas­cal, inté­gra l’École poly­tech­nique à dix-huit ans. L’X lui fut un refuge, en une période d’extrême ten­sion familiale.

Ses pro­fes­seurs, à une époque où on y ensei­gnait à vie, étaient âgés : Paul Lévy, Gas­ton Julia, Louis Leprince-Rin­guet « qui ne démon­trait rien ». Il a un excellent sou­ve­nir d’un Alsa­cien au savou­reux accent, Charles Pisot, en petites classes de maths.

Ayant peu tra­vaillé durant sa sco­la­ri­té à l’X, Chris­tian Mégre­lis entra dans le Corps de l’armement. À vingt ans, il est sous-lieu­te­nant en Algé­rie : « Dans les confins du Djurd­ju­ra, je décou­vrais que mes hommes, aux noms armé­niens, ita­liens ou polo­nais, avaient été éle­vés dans le même culte de la patrie et qu’ils fai­saient leur devoir en aidant les Algé­riens du vil­lage voi­sin à tra­vailler et leurs enfants à apprendre. »

“ Agir, parler, vouloir, raconter, inventer, interpréter, traduire, se souvenir, oublier, pardonner, reconnaître ”

Chris­tian est reçu à Har­vard, mais Pierre Guillau­mat, son ministre de tutelle, lui inter­dit de quit­ter la France. Il est à Reg­gane lors des pre­miers essais nucléaires français.

Entré à Sciences-Po en 1963, il y apprend l’économie. Chef de ser­vice à la DGA, il rejoint en 1967 la Banque fran­çaise du com­merce exté­rieur comme fon­dé de pou­voir. En 1971, son P‑DG, Jacques Chaine, le charge de créer EXA Inter­na­tio­nal, qui sera la pre­mière socié­té de pro­mo­tion des expor­ta­tions françaises.

Après l’assassinat de Jacques Chaine en 1976, il prend la tête de la socié­té. Il crée des filiales au Bré­sil, au Japon, en Indo­né­sie, au Cana­da, en Chine pour y ins­tal­ler des équi­pe­ments industriels.

Larguer le passé

1968 avait été pour lui une année char­nière. À trente ans, la décou­verte de théo­lo­giens pro­tes­tants (Albert Schweit­zer, Rudolf Bult­mann) donne un sens fort à sa vie. Nos­tal­gique du chris­tia­nisme des ori­gines, il s’inscrit dans le pro­jet, qui sera aus­si celui de Paul Ricoeur, s’assumer dans sa propre plé­ni­tude, « réca­pi­tu­ler » toutes les acti­vi­tés dont l’homme est « capable » : « Agir, par­ler, vou­loir, racon­ter, inven­ter, inter­pré­ter, tra­duire, se sou­ve­nir, oublier, par­don­ner, reconnaître. »

Il lit les Évan­giles sous l’injonction de les inter­pré­ter via sa propre exis­tence. Leur mes­sage majeur est de par­tir à la décou­verte, ne pas hési­ter à se jeter vers l’Autre, lar­guer le pas­sé vécu, se rendre dis­po­nible à ce qui est nou­veau, à tout ce qui nous aspire, à constam­ment revê­tir une dis­po­ni­bi­li­té de renaissance.

La construction du MOI

Cette construc­tion du Moi le conforte doré­na­vant dans sa pleine assu­rance. À ce même cha­pitre de la reli­gion appar­tient l’impressionnante acti­vi­té de Mégre­lis, édi­teur de bibles.

Trois grandes impri­me­ries du Livre se trouvent au Bré­sil, en Corée et en Chine.

Mégre­lis a visi­té des paroisses chré­tiennes dans ce der­nier pays, avec l’impression d’y décou­vrir le chris­tia­nisme des ori­gines. Il retrouve aus­si là-bas l’ambiance de ses jeunes années d’ingénieur, l’enthousiasme de construire une nation.

Comme il le dit, « par ata­visme », il s’est voué à l’international. Fidèle à cette atti­rance, tant per­son­nelle que pro­fes­sion­nelle, il par­cou­rut le monde, avide d’occasions de rendre ser­vice, ici ou là. Pes­si­miste quant au des­tin de l’Europe, il mise pour l’avenir de la pla­nète sur les BRIC (Bré­sil, Rus­sie, Inde et Chine).

Il décou­vrit l’Afrique cen­trale en 1978, au Gabon. Il eut l’idée d’intéresser les Bré­si­liens à l’Afrique. Il obtint les finan­ce­ments d’importants pro­jets par la Banque du Brésil.

Il devint ami d’un ex-pré­sident afri­cain lors de son exil à Paris (1992−1997), après sa perte du pou­voir. Celui-ci, réélu à la tête de son pays, se don­na Mégre­lis comme conseiller à l’industrialisation.

En Rus­sie, Mégre­lis vécut les 500 Jours (1989−1991) de Mikhaïl Gor­bat­chev. Il y fut l’un de ses influents conseillers, pour la libé­ra­li­sa­tion éco­no­mique. La Rus­sie est pour lui à la fois base de son acti­vi­té indus­trielle – il y reprit et réno­va les usines de l’Américain Armand Ham­mer – et lieu de convivialité.

Mégre­lis est épris du peuple russe, de l’honnêteté qu’il trouve chez lui et de sa fidé­li­té en amitié.

Les lec­teurs de ce por­trait, sou­hai­tant le pro­lon­ger, pour­ront trou­ver aisé­ment sur la Toile des articles de jour­naux de sa plume alerte. Mégre­lis a de fortes opi­nions, poli­tiques entre autres, aux­quelles nous ne ferons point écho.

POUR EN SAVOIR PLUS

Quelques écrits de Christian Mégrelis.
  • « Le dîner du Bois », La Jaune et la Rouge, n° 661, janvier 2011.
  • Danger protectionnisme, Calmann-Lévy, Paris, 1978.
  • Keys for the Future : From Free Trade to Fair Trade, Lexington Books, Lanham, MD, 1980.
  • Glossary of Hope, or the World According to Jesus, Amazon/Kindle, 2013.

Propos recueillis par Pierre Laszlo

Des­sin : Laurent Simon

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