C’était il y a cinquante ans

Dossier : IsraëlMagazine N°537 Septembre 1998
Par Michel DARMON (46)

C’é­tait il y a cin­quante ans ! Mais sans les Juifs qui ont main­te­nu de tout temps la vie juive sur la terre de leurs ancêtres, sans les pion­niers qui s’é­taient mis en route vers une terre déso­lée dès le siècle der­nier, sans les bâtis­seurs des struc­tures d’un État en Pales­tine tout au long de la pre­mière moi­tié du XXe siècle, Israël ne se serait pas consti­tué en un jour en 1948.

Comme l’a écrit Pierre Elya­kim Sim­so­vic dans son livre Israël, cin­quante ans d’É­tat paru sous l’é­gide de France-Israël(*), le jour de la pro­cla­ma­tion de l’In­dé­pen­dance « res­te­ra dans la mémoire des hommes.[…] Il vien­dra un temps où il sera recon­nu comme un grand jour pour l’hu­ma­ni­té entière. »
Il faut donc saluer l’i­ni­tia­tive prise par La Jaune et la Rouge de consa­crer l’un de ses numé­ros à une meilleure connais­sance d’Israël.

Yad Vashem, mémorial de la Shoah
Yad Vashem, mémo­rial de la Shoah © ONIT

L’ac­tua­li­té au quo­ti­dien ne donne de ce pays que des échos défor­més, ou si mal­veillants qu’ils obli­tèrent sou­vent à la fois l’his­toire mil­lé­naire d’Is­raël et son épo­pée moderne. Elle ne retient en géné­ral que le cycle des guerres et le fond de vio­lence du conflit arabo-israélien.

« L’Eu­rope, a‑t-on dit, c’est le maxi­mum de diver­si­té dans le mini­mum d’es­pace. » Que dire alors du minus­cule Israël dont la super­fi­cie est à peu près celle de la Sar­daigne et qui, pour­tant, offre tant de contrastes, des neiges du Her­mon au désert du Néguev, en pas­sant par les plaines de Gali­lée et les monts de Judée ? Et, venus de 120 pays des cinq conti­nents, les hommes sont aus­si divers que les pay­sages : Juifs d’Eu­rope, d’A­sie, d’É­thio­pie ou des Indes, d’A­frique du Nord, de Perse ou du Yémen, Tcher­kesses et Druzes, réfu­giés viet­na­miens ou yougoslaves…

Les Arabes musul­mans ou chré­tiens se mêlent aux Juifs, les croyants aux laïques, les étu­diants des écoles tal­mu­diques aux clients des caba­rets… Le poète côtoie le chef d’une entre­prise élec­tro­nique expor­ta­trice, l’ar­chéo­logue côtoie le bio­lo­giste, l’of­fi­cier côtoie l’u­ni­ver­si­taire. Et par­fois, c’est le même homme. Et tous se parlent en hébreu.

Le Saint-Sépulcre, Jérusalem
Le Saint-Sépulcre, Jéru­sa­lem © ONIT 

Ain­si s’é­di­fie l’É­tat. Et pour­tant, si Israël occupe sur la scène mon­diale une place sans com­mune mesure avec son ter­ri­toire et sa démo­gra­phie, ce n’est pas en rai­son de ses suc­cès dans tous les domaines de l’ac­ti­vi­té humaine, rem­por­tés en quelques décen­nies seule­ment et de sur­croît dans un envi­ron­ne­ment hos­tile. C’est en rai­son de la ten­sion pro­vo­quée par cet envi­ron­ne­ment qui, dès l’o­ri­gine, a contes­té son droit même à l’exis­tence et a béné­fi­cié de la com­plai­sance, sinon de la com­pli­ci­té, de cer­taines visées stra­té­giques, com­mer­ciales ou même idéo­lo­giques. Les amis d’Is­raël ont sans cesse à lut­ter contre l’i­gno­rance, la sot­tise et l’antijudaïsme.

De la réa­li­té israé­lienne, il faut dire les éton­nantes réus­sites comme les échecs. Un pro­fes­seur d’é­co­no­mie a fait un jour une com­pa­rai­son avec un pays d’A­mé­rique du Sud « doté de tout (ter­ri­toire immense, popu­la­tion nom­breuse, richesses natu­relles sans limites) et qui ne fai­sait pas grand-chose ». Et il ajou­tait par contraste lapi­daire : « Israël n’a rien et il fait tout ». Un exemple que La Jaune et la Rouge aide­ra à méditer.

La re-créa­tion de l’É­tat d’Is­raël sur sa terre fait par­tie des belles aven­tures humaines, très rares, que l’His­toire retien­dra de notre XXe siècle, peut-être la seule si l’on écarte les grandes per­cées tech­niques telles que le nucléaire ou la conquête de l’espace.

L’ex­cep­tion est dans la tra­di­tion d’Is­raël. En 1913, dans les Cahiers de la Quin­zaine du 27 avril, Charles Péguy a écrit ces lignes d’une actua­li­té retentissante :

« … c’est un peuple qui est tou­jours et en tout une excep­tion ; les Juifs, depuis la dis­per­sion, paraissent pré­sen­ter un exemple, et le seul, d’une race spi­ri­tuelle pour­sui­vie, pro­lon­gée, pous­sée, sans le sou­tien d’une arma­ture tem­po­relle1 et par­ti­cu­liè­re­ment mili­taire, sans le sou­tien d’un État et par­ti­cu­liè­re­ment d’une armée. »

Le judaïsme a creu­sé pour l’hu­ma­ni­té le sillon de l’é­thique. Aujourd’­hui, Israël s’in­carne dans une nation, un État, une armée et il demeure comme un gar­dien et un acteur essen­tiel de la civi­li­sa­tion. Voi­là bien des rai­sons pour qu’un pays en créa­tion per­ma­nente aspire pas­sion­né­ment, plus que tout autre, à la paix2.

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1. Sou­li­gné par l’auteur.
La cita­tion de Charles Péguy, y com­pris le ren­voi ci-des­sus, est emprun­tée au livre de KADMI-COHEN Nomades, essai sur l’âme juive, p. 30, Félix Alcan, 1929.
2. Le pré­sent texte s’ins­pire de la pré­face du livre, Israël, cin­quante ans d’É­tat de Pierre Sim­so­vic. Cette pré­face a été écrite par M. André Mon­teil, ancien ministre, ancien pré­sident de la Com­mis­sion des Affaires étran­gères et de la Défense, et par moi-même.

France-Israël a gar­dé dans son titre le nom d’un de ses illustres pré­dé­ces­seurs, le géné­ral Kœnig, maré­chal de France. France-Israël est l’as­so­cia­tion des Fran­çais amis d’Is­raël, quelle que soit leur appar­te­nance poli­tique. Elle œuvre pour le rap­pro­che­ment des deux pays. Para­doxe de l’His­toire plein de signi­fi­ca­tions, elle a été fon­dée en 1926 sous le nom de France-Pales­tine avec comme par­rains des hommes comme Paul-Bon­cour, Dou­mergue, Briand, Her­riot, Ray­mond Poin­ca­ré, Lan­ge­vin… Aujourd’­hui la classe poli­tique et la socié­té civile sont lar­ge­ment repré­sen­tées au sein de l’association.

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