Cinquante ans d’État

Dossier : IsraëlMagazine N°537 Septembre 1998
Par Claude TRINK (71)

L’an­niver­saire du Cinquan­te­naire de la créa­tion de l’É­tat d’Is­raël est l’oc­ca­sion de réfléchir sur une des grandes aven­tures humaines de notre XXe siè­cle, quel que soit le point de vue où l’on se place, et dont nous citons quelques aspects marquants.

Le point de vue historique

  • La réal­i­sa­tion de l’aspi­ra­tion deux fois mil­lé­naire du peu­ple juif à retrou­ver son iden­tité nationale sur sa terre.
  • La con­fronta­tion mil­i­taire régulière avec ses voisins depuis sa création.
  • L’évo­lu­tion ces dernières années face aux reven­di­ca­tions du nation­al­isme palestinien.

Le point de vue géopolitique

  • La créa­tion au Proche-Ori­ent d’une démoc­ra­tie par­lemen­taire et d’un État de droit.
  • L’émer­gence d’une puis­sance mil­i­taire régionale con­fron­tée à des com­bats per­ma­nents et s’ef­forçant d’as­sur­er la sécu­rité pour ses habitants.
  • L’en­jeu d’af­fron­te­ment de plusieurs cul­tures, nation­al­ismes et intérêts de grandes puissances.
  • Le cen­tre d’une intense activ­ité diplo­ma­tique inter­na­tionale et la recherche des con­di­tions de sta­bil­ité dans une région du monde par­ti­c­ulière­ment complexe.

Le point de vue social et humain

  • L’ac­cueil et l’in­té­gra­tion au cours de ces cinquante ans de 2,6 mil­lions de per­son­nes, soit des rescapés de la mort des camps nazis d’Eu­rope, soit des immi­grants — volon­taires ou per­sé­cutés sur leurs ter­res de nais­sance — provenant de dizaines de pays différents.
    Ce chiffre est à rap­procher du chiffre de la pop­u­la­tion lors de la créa­tion de l’É­tat : 650 000 habi­tants, et de celui de la pop­u­la­tion actuelle : 5,9 mil­lions d’habi­tants (80,5 % juifs, 14,6 % musul­mans, 3,2 % chré­tiens, 1,7 % druzes et autres).
  • La mise en place de ser­vices soci­aux de bon niveau (édu­ca­tion, san­té, inser­tion sociale) ren­dus encore plus néces­saires par l’af­flux d’immigrants.

Le point de vue économique

  • La mise en valeur de ter­res arides et le développe­ment d’une agri­cul­ture très mod­erne, en ter­mes de ren­de­ment par hectare, d’u­til­i­sa­tion de sys­tèmes d’ir­ri­ga­tion sophis­tiqués et d’ap­pli­ca­tion de recherch­es et de tech­nolo­gies inventives.
  • La con­struc­tion d’une infra­struc­ture économique matérielle (routes, ports, aéro­ports, con­duites d’ad­duc­tion d’eau, égouts, cen­trales élec­triques, réseaux…) dans un pays où qua­tre cents ans d’oc­cu­pa­tion ottomane n’avaient rien créé et où les vingt-cinq années du man­dat bri­tan­nique avaient accom­pli des pro­grès limités.
  • Un taux de crois­sance remar­quable sur la longue durée : en moyenne 10 % par an au cours des vingt-cinq pre­mières années, ramené à une moyenne de 5 % par an dans les années 90.
  • La créa­tion d’emplois ayant per­mis d’in­té­gr­er 2,6 mil­lions d’im­mi­grants, tout en main­tenant en moyenne un taux de chô­mage au-dessous de 9 %.
  • La trans­for­ma­tion d’une économie — à l’o­rig­ine celle d’un pays en voie de développe­ment avec un secteur pub­lic large­ment pré­dom­i­nant — pour for­mer une économie solide et prospère, ayant maîtrisé une hyper­in­fla­tion et appli­quant une poli­tique de libéral­i­sa­tion : Israël a rejoint la liste des vingt pre­miers pays du monde pour le revenu par habitant.

Le point de vue culturel

  • Le développe­ment d’une société et d’une cul­ture orig­i­nales, fondées — fait raris­sime — sur la renais­sance d’une langue, l’hébreu.
  • Un effort sci­en­tifique très impor­tant, notam­ment à tra­vers la qual­ité des cen­tres de recherche de ses sept uni­ver­sités, con­duisant au ratio le plus élevé au monde d’emplois dans la R&D.


Dans ce numéro, nous n’avons pas cher­ché à retrac­er les étapes de cette aven­ture de la créa­tion d’un État et d’une nation, ni à décrire la sit­u­a­tion poli­tique inter­na­tionale dans laque­lle s’in­scrit Israël, large­ment évo­qués dans une pro­duc­tion lit­téraire ou jour­nal­is­tique très abondante.

Nous avons souhaité apporter un témoignage français, le plus sou­vent lié à la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne, sur les réal­ités israéli­ennes actuelles, en nous lim­i­tant au domaine économique, indus­triel et scientifique.

Les rela­tions entre la France et Israël ne sont pas seule­ment celles de la diplo­matie (la France a voté en faveur de la créa­tion de cet État en 1947 et a recon­nu Israël en 1949). Il s’ag­it d’un pays où se trou­vent près d’un mil­lion d’habi­tants fran­coph­o­nes ou issus de familles fran­coph­o­nes, venus du Maroc, de Tunisie, de France, de Roumanie, de Turquie… Cette dis­tinc­tion vise à tenir compte d’une perte d’usage du français chez les jeunes généra­tions, devant l’at­trait de l’anglais et l’ab­sence de sou­tien de l’As­so­ci­a­tion des pays fran­coph­o­nes qui refuse d’in­té­gr­er Israël par­mi ses membres.

Nous avons demandé à quelques-uns de la ving­taine de poly­tech­ni­ciens actuelle­ment instal­lés en Israël, d’ap­porter un regard lié à leurs activ­ités quo­ti­di­ennes. Nous avons éten­du le cer­cle des con­tri­bu­tions à des X qui, vivant en France, con­nais­sent le pays dans le cadre de leurs respon­s­abil­ités pro­fes­sion­nelles ou asso­cia­tives, et s’y ren­dent régulière­ment. Enfin nous avons approché des acteurs économiques qui représen­tent des intérêts français en Israël ou per­me­t­tent de situer la place d’Is­raël dans sa rela­tion avec l’U­nion européenne.

Notre espoir est que l’ensem­ble de ces témoignages con­stitue une mosaïque (!) don­nant un aperçu orig­i­nal — même si lim­ité à l’é­conomie — de la réal­ité com­plexe d’Is­raël, trop sou­vent car­i­caturée ou sim­pli­fiée, et des liens exis­tant avec la France. C’est du reste le pro­gramme auquel s’at­tache, à tra­vers ses con­férences et dîn­ers-débats, le Groupe X‑Israël, rat­taché à l’A.X., qui réu­nit des poly­tech­ni­ciens amis d’Is­raël, et qui a été fondé à l’oc­ca­sion du Bicen­te­naire de l’É­cole polytechnique.

Les défis aux­quels est con­fron­té aujour­d’hui Israël sont ceux qui se posent aux autres sociétés indus­trielles occidentales :

  • con­cili­er la moder­nité tech­nologique avec les racines iden­ti­taires du passé,
  • pass­er d’une économie de pro­duc­tion (agri­cul­ture, indus­tries tra­di­tion­nelles) à une économie de ser­vices faisant une place priv­ilégiée aux réseaux d’in­for­ma­tion et de télécommunication,
  • favoris­er le développe­ment des indus­tries de haute technologie,
  • assur­er la cohé­sion sociale avec les lais­sés-pour-compte de cette trans­for­ma­tion et les tra­vailleurs immigrés,
  • réap­préci­er les acquis soci­aux à la lumière de leurs coûts,
  • trou­ver l’équili­bre entre aspi­ra­tions religieuses et exi­gences d’une organ­i­sa­tion laïque,
  • assur­er la sécu­rité face à la vio­lence (ter­ror­iste ici, urbaine dans d’autres pays).


Pour des raisons his­toriques et géo­graphiques, ces défis sont ici exacerbés.

C’est ce qui explique sans doute que la société israéli­enne soit, plus que d’autres, avancée dans cette tran­si­tion vers la nou­velle société postin­dus­trielle du XXIe siè­cle. À cet égard, Israël peut aus­si être regardé comme une expéri­ence économique et sociale en cours par­ti­c­ulière­ment riche d’enseignements.

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