Cérémonie en souvenir de Pierre FAURRE (60),

Dossier : ExpressionsMagazine N°564 Avril 2001

Pierre, tu nous manques. Depuis le mar­di 6 février à 6 heures du matin, tu nous manques.

C’est la volon­té de Dieu ! Et Dieu l’a­vait peut-être char­gé de nous pré­ve­nir, mal­gré lui :

  • À la messe du sou­ve­nir de son beau-frère le 3 juin 1999, il a com­men­cé à s’ex­pri­mer ain­si : » Ce n’est qu’un au revoir. »
  • Le week-end de sa dis­pa­ri­tion il a été sur­ac­tif en famille, il a ran­gé ses dos­siers plus que d’ha­bi­tude, sans oublier de faire quelques tra­vaux chez sa fille, après avoir pro­gram­mé des artisans.
  • La veille de sa dis­pa­ri­tion, dans un entre­tien que j’a­vais avec lui, il me confiait pour la pre­mière fois une autre pré­dic­tion qui m’est reve­nue à l’es­prit après coup et ce, avec sa modes­tie réelle que les intimes lui connais­saient bien : » Tous deux, nous ne sommes pas indis­pen­sables, et moi en particulier !… »
  • Sans rap­pe­ler que, depuis quelques semaines, il cher­chait à nouer des contacts pour assu­rer à moyen terme sa succession.


Que de conjonc­tions troublantes !…

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» Cha­peau bas, Mes­sieurs ! Un génie ! » aurait néan­moins dit Schu­mann s’il avait connu Pierre FAURRE au lieu de Chopin.

De plus, peu de gens savaient que c’é­tait un homme intui­tif et d’une sen­si­bi­li­té exa­cer­bée, pro­fon­dé­ment affec­té par toute attaque ad homi­nem. Géné­reux, me rap­por­tant tan­tôt un livre, tan­tôt une carte pos­tale des Puces, sachant mon inté­rêt pour cer­tains sujets. Il aimait par­ta­ger sa connais­sance scien­ti­fique offrant l’im­pres­sion au non-spé­cia­liste de comprendre.

C’é­tait un esprit curieux, ouvert. Il a accep­té aus­si­tôt le prin­cipe d’un mécé­nat cultu­rel entre­pre­neu­rial que ce soit avec Radio Clas­sique, Daum ou Le Monde. Volée de bois vert, l’es­prit du public n’y étant pas pré­pa­ré alors que la vie n’est pas mono­li­thique ou simple affaire de purs spé­cia­listes. Il était plein de courage.

Je ne par­le­rai pas de toutes ses brillantes réus­sites dans des domaines aus­si variés que l’en­sei­gne­ment, la science ou l’in­dus­trie. Et comme le sou­li­gnait le Père LANGUE, il était tou­jours pres­sé ; par pressentiment ?

Je remer­cie du fond du cœur mon­sieur Hubert CURIEN, ancien ministre de la Recherche, qui l’a bien connu et qui a accep­té, en tant que pré­sident de l’A­ca­dé­mie, de lui rendre hom­mage, sur ce point, tout à l’heure.

En revanche, en par­fait accord avec Madame FAURRE, son épouse cou­ra­geuse et, avec dis­cré­tion tou­jours dévouée à son cher mari, je veux vous par­ler d’un homme que j’ai connu il y a vingt-quatre ans alors qu’an­ta­go­nistes nous défen­dions des inté­rêts oppo­sés. Grâce à cela, j’ai eu la chance de tra­vailler dans son inti­mi­té pen­dant treize ans dès que la pré­si­dence de Sagem lui a été dévo­lue et de par­ta­ger avec lui des moments de joies et des moments difficiles.

Les plus graves moments sont ceux rela­tifs à des plans de licen­cie­ment ; il faut l’a­voir fait soi-même pour savoir les affres que pose ce type de situa­tion à une direc­tion géné­rale. Or, par mesure de com­pé­ti­ti­vi­té et donc pour la sur­vie de la très grande majo­ri­té du per­son­nel, il faut par­fois, hélas, s’y résoudre. Et c’est un devoir de le faire, car le chef d’en­tre­prise est par essence celui qui prend des déci­sions, en anti­no­mie totale avec la procrastination.

Pierre était la droi­ture, l’hon­nê­te­té même, il ne com­po­sait jamais. De même lors­qu’il fai­sait confiance, ce n’é­tait pas un vain mot. La com­pli­ci­té et donc la trans­pa­rence qui m’u­nis­saient à lui m’ont fait prendre conscience que j’ai per­du un frère. Je com­prends à pré­sent pour­quoi, alors que quit­tant la pro­vince, une voi­sine amie, très âgée, est venue pleu­rer à la mai­son en disant :  » Je ne m’at­ta­che­rai plus à per­sonne. » C’est la contre­par­tie du par­tage indis­pen­sable et vivi­fiant sur terre : le poids de la séparation.

D’au­tant plus que ce qui frap­pait de prime abord chez Pierre FAURRE, c’é­tait sa sim­pli­ci­té et son humi­li­té. Ne peut vrai­ment se le per­mettre que celui qui a immen­sé­ment de valeur.

Pierre, je sais que ton esprit est par­mi nous et qu’il nous écoute. J’es­père que l’es­prit ne rou­git pas !… car Sagem déte­nait un pré­sident d’ex­cep­tion après deux pré­si­dents de très, très grande qua­li­té, puisque Sagem, créée il y a soixante-seize ans en 1925, ne connais­sait avec Pierre FAURRE que son troi­sième président.

La part belle revient aus­si au pré­sident fon­da­teur, son beau-père, Mar­cel MÔME qui est décé­dé bru­ta­le­ment le 2 mars 1962 à l’âge de 62 ans, et le deuxième, aux dimen­sions humaines exem­plaires, était son beau-frère, Robert LABARRE dont je vous ai par­lé au commencement.

Je rap­pel­le­rai sans jouer les mar­chands du temple qu’a­près avoir mul­ti­plié par 3 le chiffre d’af­faires, par 7 les résul­tats et par 13 la capi­ta­li­sa­tion bour­sière, Pierre FAURRE a lais­sé orphe­lin un groupe qui per­met de faire tra­vailler 16 000 per­sonnes à 89 % en France.

Dans l’or­ga­ni­sa­tion, il res­pec­tait les hommes. Beau­coup de patrons auraient fait licen­cier cer­tains de leurs col­la­bo­ra­teurs ; lui non, il espé­rait en eux et les mutait. Il ne croyait pas aux équipes fonc­tion­nelles autour de lui, seul l’o­pé­ra­tion­nel l’in­té­res­sait. Il orga­ni­sait pour que cha­cun ne puisse se trou­ver dans la situa­tion décrite par Sartre :  » Quand on ne fait rien, on croit qu’on est res­pon­sable de tout. » Il exi­geait le tra­vail en équipe et se méfiait de la valeur de per­sonnes tra­vaillant seules ; à l’i­mage de Paul Valé­ry per­sua­dé que  » L’homme seul est en mau­vaise compagnie. »

Dans cette évo­lu­tion en accé­lé­ra­tion per­pé­tuelle du monde, tant tech­no­lo­gique que socio­lo­gique, les pro­blèmes que doivent affron­ter les res­pon­sables sont de plus en plus impor­tants et leur tâche plus dif­fi­cile et donc plus valo­ri­sante. Le mana­ge­ment dans ce contexte, avec un objec­tif vital de résul­tat, néces­site de nou­velles qua­li­tés d’au­tant plus que cha­cun, indi­vi­duel­le­ment, est favo­rable au béné­fice du pro­grès, mais avec une contra­dic­tion de base qui n’a­vait pas échap­pé à Mark Twain :  » Je suis favo­rable au pro­grès, c’est contre le chan­ge­ment que je me bats. »

Je disais récem­ment au cours d’une réunion interne à Sagem : savez-vous la dif­fé­rence qui existe entre un per­dant et un gagnant ? Le per­dant est celui qui s’ar­rête quand il est fati­gué ; le gagnant, c’est Pierre FAURRE, il s’ar­rête quand il a gagné. Bref c’é­tait un homme de carac­tère, et de plus atta­chant et qui s’at­ta­chait aux autres.

Il faut dire que Pierre FAURRE avait une dimen­sion de mana­ger excep­tion­nel et de sur­croît tou­jours sen­sible au poids de l’his­toire et de la culture du groupe. Plu­sieurs pro­po­si­tions per­son­nelles encore plus allé­chantes que la pré­si­dence de la Sagem lui ont été offertes. Il me deman­dait tou­jours mon avis et tou­jours il ajou­tait  » Et que devien­drait Sagem ? »

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Sur ce point aus­si, Pierre, repose en paix. Sache que toutes les forces vives internes – hié­rar­chiques et syn­di­cales – ont tenu à ce que ton com­pa­gnon de route veille à leurs intérêts.

Sache aus­si que les qua­li­tés d’é­coute et de com­pré­hen­sion de tes amis action­naires ont été exemplaires.

La répu­ta­tion de Pierre FAURRE était grande et elle se concré­tise aujourd’­hui par toutes les per­sonnes ici pré­sentes venues lui rendre un der­nier hom­mage, mal­gré le poids écra­sant de leurs charges. La gra­ti­tude de la famille et du Groupe SAGEM envers cha­cun d’entre vous ne l’est pas moins.

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La mort est grave et légère ; elle fait par­tie de la vie et Chos­ta­ko­vitch l’a idéa­le­ment décrite dans sa 14e Sym­pho­nie basée sur des poèmes uni­ver­sels, notam­ment de Rai­ner Maria Rilke :

 » La Mort est grande
Nous sommes à elle
Lorsque nous nous croyons au sein de la vie
Elle ose pleurer
Dans notre sein. »

Nous réa­li­sons tou­jours trop tard et hélas avec souf­france, que » le bon­heur est cette chose qui n’existe pas et qui pour­tant, un jour, n’est plus « .

Oui, Pierre tu nous manques !

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