Bâtir la confiance : une voie enviable mais exigeante

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°618 Octobre 2006
Par Fabien GOELLER (81)

« Bâtir la confiance » a pour nous une signification précise

« Bâtir la confiance » a pour nous une signification précise

Des déficits de con­fi­ance s’ob­ser­vent à tous les niveaux dans une entre­prise : manque de con­fi­ance en mon man­ag­er et la hiérar­chie man­agéri­ale, manque de con­fi­ance dans l’équipe au sein de laque­lle je tra­vaille, manque de con­fi­ance dans l’or­gan­i­sa­tion et le mode de fonc­tion­nement globaux de l’en­tre­prise, voire quelque­fois dans l’en­vi­ron­nement socié­tal dans lequel l’en­tre­prise est immergée, sans oubli­er sou­vent un manque de con­fi­ance en soi.

Ces déficits de con­fi­ance con­duisent à de nom­breuses peurs et frus­tra­tions, ren­forçant la peur naturelle d’aller vers le futur, et induisant de mul­ti­ples mécan­ismes de défense et de repli.

Bâtir la con­fi­ance con­siste à sus­citer chez chaque homme et femme de l’en­tre­prise un abaisse­ment de ces peurs issues des déficits de con­fi­ance au prof­it d’une aug­men­ta­tion de leur niveau d’en­gage­ment. C’est une démarche de change­ment pro­fond qui con­duit pro­gres­sive­ment à vain­cre les résis­tances et développe chez cha­cun une énergie pos­i­tive, la volon­té de s’en­gager et de don­ner de soi, et aus­si de faire grandir les autres.

Une société de confiance est tout le contraire d’une société naïve

Une réac­tion fréquente est d’asso­cier con­fi­ance avec une con­cep­tion angélique ou naïve du man­age­ment des hommes. À l’oc­ca­sion d’une des pre­mières présen­ta­tions de nos travaux, un dirigeant affir­mait : « Je ferais bien plus con­fi­ance aux pro­duits d’une entre­prise qui man­age par la défi­ance que par la con­fi­ance. » Cette réac­tion s’ap­puyait sur le pré­sup­posé que puisqu’on fait con­fi­ance, les mécan­ismes de con­trôle dis­parais­sent, entraî­nant une forte crois­sance des risques de déviance.

En fait con­fi­ance rime avec exi­gence, car la con­fi­ance se mérite. Elle se con­stru­it pas à pas. Et elle peut très facile­ment se détru­ire. Le chemin pour y par­venir est donc au con­traire très exigeant. Dans une société de con­fi­ance : une clarté suff­isante de l’au­torité, des règles et des valeurs exis­tent ; une parole don­née et les règles du jeu se respectent ; un fran­chisse­ment d’une ligne jaune se sanc­tionne ; une place suff­isante est lais­sée à l’ini­tia­tive et à la respon­s­abil­i­sa­tion ; le droit à l’er­reur existe et les remis­es en cause sont accep­tées ; les respon­s­abil­ités s’as­su­ment ; les hommes et les femmes sont respec­tés et leur mérite équitable­ment recon­nu ; etc.

L’enjeu est un saut de performance, humain, économique et sociétal

Bâtir de la con­fi­ance au sein d’une entre­prise n’est pas une fin en soi. L’ob­jec­tif pour­suivi est une amélio­ra­tion de per­for­mance, humaine, économique et sociétale.

L’at­teinte de très hauts niveaux de per­for­mance ne repose pas unique­ment sur des « pro­jets » de per­for­mance, aus­si per­ti­nents qu’ils soient, de nature stratégique ou organ­i­sa­tion­nelle, mais aus­si sur des « compor­te­ments » de per­for­mance. Une trans­for­ma­tion réussie ne s’ap­puie pas que sur un bril­lant mou­ve­ment stratégique ou une restruc­tura­tion bien pen­sée, con­duite « mal­gré » les hommes qui y sont asso­ciés, mais trou­ve son suc­cès la plu­part du temps à tra­vers ces hommes. Le change­ment de com­porte­ment qui doit accom­pa­g­n­er une évo­lu­tion sub­stantielle est ain­si une con­di­tion de suc­cès clé pour attein­dre la per­for­mance espérée.

Le développe­ment du niveau de con­fi­ance dans l’en­tre­prise est de nature à sus­citer un tel change­ment de com­porte­ment. La con­fi­ance ne se résume donc pas à une prob­lé­ma­tique de meilleure ges­tion des ressources humaines. C’est un sujet de direc­tion générale, qui doit être ini­tié et porté au plus haut niveau de l’en­tre­prise. Dans les prin­ci­paux cas qui nous ont mobil­isés, cette démarche a tou­jours été au ser­vice de la réso­lu­tion d’un enjeu stratégique majeur :

• la pré­pa­ra­tion et l’ac­com­pa­g­ne­ment d’une fusion de deux sociétés qui ont un fort intérêt stratégique à être ensem­ble, mais que tout oppose ;
 la col­lab­o­ra­tion con­struc­tive de plusieurs entités d’un même groupe, com­plé­men­taires mais aus­si par­tielle­ment con­cur­rentes dans l’élab­o­ra­tion d’une offre per­for­mante sur un marché stratégique, et qui se sont enfer­mées dans un cloi­son­nement stérile ;
 la mise en dynamique de l’ensem­ble des forces vives d’un groupe suite à la suc­ces­sion d’un prési­dent qui a lais­sé une empreinte forte, pour tourn­er la page du passé et s’ori­en­ter résol­u­ment vers l’avenir ;
 une réduc­tion sub­stantielle des coûts des fonc­tions sup­port d’un groupe indus­triel pour main­tenir sa com­péti­tiv­ité dans son envi­ron­nement concurrentiel ;
. etc.

La confiance répond aujourd’hui à une vraie attente

La con­fi­ance devient pro­gres­sive­ment un sujet socié­tal. Devant l’évo­lu­tion des enjeux de société et de la sit­u­a­tion dans le monde, les esprits sont mûrs pour accueil­lir et adhér­er à des démarch­es qui don­nent plus de rêve et de sens.
Dans de nom­breuses entre­pris­es, le ter­rain sem­ble même par­ti­c­ulière­ment prop­ice, avec un sen­ti­ment général qu’on « ne peut plus con­tin­uer comme cela ». Par­mi les moti­va­tions que nous ren­con­trons le plus sou­vent auprès des per­son­nes qui par­ticipent à une démarche de con­fi­ance, deux revi­en­nent par­ti­c­ulière­ment souvent :

 un enjeu de sens : la con­fi­ance donne du sens pro­fes­sion­nelle­ment, et de façon plus générale fait sens — donne du sens à la vie ;
 une notion de plaisir et d’en­vie d’évoluer dans un envi­ron­nement dans lequel on se sent en confiance.

La confiance se manage et se construit

La con­fi­ance ne se décrète pas, mais elle peut se con­stru­ire. Nos travaux et les mis­sions réal­isées ont per­mis de met­tre en évi­dence quelques points impor­tants, notam­ment on ne se trans­forme pas seul. Dans la con­struc­tion d’une plus grande con­fi­ance, on affronte des peurs, des pré­sup­posés, des sys­tèmes de croy­ance, des habi­tudes, etc. On est immergé dans un envi­ron­nement qui, la plu­part du temps, n’est pas très por­teur de con­fi­ance. Il faut un sou­tien et une démarche adéquate pour jalon­ner cette construction.

Une telle démarche doit être ini­tiée au plus haut niveau et se con­stru­it en principe par cer­cles con­cen­triques. Les déficits de con­fi­ance sont sou­vent local­isés de façon iné­gale. Sur le ter­rain, l’amour du méti­er et une forte impli­ca­tion opéra­tionnelle per­me­t­tent sou­vent des rela­tions franch­es entre les équipes. Par con­tre, un impor­tant jeu poli­tique affecte régulière­ment cer­tains éch­e­lons de man­age­ment entre la prési­dence et le terrain.

Ce n’est pas tant le diag­nos­tic de la sit­u­a­tion actuelle que la con­struc­tion de pro­to­coles de dia­logues qui est le point de départ d’une telle démarche. Nous avons récem­ment été con­fron­tés à une sit­u­a­tion où plusieurs diag­nos­tics très rich­es avaient été faits sur des dys­fonc­tion­nements internes, améliorés année après année, et bien que la plu­part des prob­lèmes aient été iden­ti­fiés et de nom­breuses pistes de solu­tions per­ti­nentes pro­posées, rien de fon­da­men­tal n’avait changé. De fait, tous les sujets poli­tique­ment cor­rects avaient été traités, mais dès que les prob­lèmes con­cer­naient des peurs, frus­tra­tions ou ambi­tions per­son­nelles de quelques acteurs clés, le sujet était resté sans suite. La démarche avait oublié de sus­citer l’ap­pétit des intéressés pour met­tre ces sujets en dis­cus­sion, et de faciliter le dia­logue par l’abaisse­ment des bar­rières de peur et de frus­tra­tion emmu­rant les sujets sen­si­bles. Les vrais ver­rous n’avaient pas été abordés.

L’as­sur­ance que la con­fi­ance est bien placée doit pro­gres­sive­ment être con­fortée. Cela néces­site la mise en place et le respect de quelques règles.

Un exemple de démarche, en bref

La démarche se déroule dans une société de dix mille per­son­nes, dont mille cadres.

Elle démarre par l’in­ter­view de cinquante cadres dirigeants. Le sujet est telle­ment moti­vant que la durée moyenne d’en­tre­tien dépasse trois heures. À la suite de ces entre­tiens, sept ate­liers de sept per­son­nes réu­nis­sent les par­tic­i­pants pen­dant deux fois six heures. Ces échanges font émerg­er un pro­gramme de douze actions pri­or­i­taires. Un comité de pilotage de dix cadres de niveau élevé est mis en place, dans une per­spec­tive de deux à trois ans de tra­vail. Le pro­gramme d’ac­tion abor­de les domaines de la stratégie, des ressources humaines (rémunéra­tion, mobil­ité, objec­tifs des cadres, recrute­ment), du com­porte­ment indi­vidu­el (notam­ment de l’ini­tia­tive) et du com­porte­ment d’équipe. L’un de ses enjeux est de réc­on­cili­er sept « con­trats invis­i­bles » (l’un des out­ils de prise de con­science de la sit­u­a­tion dévelop­pé pour ce type de démarche et qui est un pro­to­cole de dia­logue par­ti­c­ulière­ment effi­cace pour les équipes) dans une per­spec­tive de groupe. Ce pro­gramme a un sou­tien incon­di­tion­nel du prési­dent, qui mon­tre aux moments clés de doutes et de résis­tances qu’il ne lâchera pas.

Cette démarche a généré des évo­lu­tions de com­porte­ments majeurs : des équipes qui se « lâchent » sur des sujets qui inter­pel­lent, des con­ver­sa­tions inédites qui s’in­stau­rent, et qui auraient été impens­ables encore quelques mois plus tôt, etc.

Au-delà de la réal­i­sa­tion du pro­gramme de tra­vail, un regard et un com­porte­ment nou­veau se sont pro­gres­sive­ment mis en place.

Une telle démarche suppose un véritable engagement de direction générale

Un prési­dent qui souhait­erait se lancer dans une telle démarche doit avoir une réelle envie de faire grandir la con­fi­ance dans son entre­prise et prob­a­ble­ment au moins une légère prédis­po­si­tion pour ce sujet. Si un appétit vrai n’est pas là, si le recours à la con­fi­ance n’est con­sid­éré que comme un out­il pour espér­er accéder au niveau d’en­gage­ment des hommes et de per­for­mance de l’entre­prise que cette démarche peut génér­er, il vaut mieux s’ab­stenir, et cela pour au moins deux raisons :

 une démarche s’ap­puyant sur la con­fi­ance porte en soi des promess­es plus fortes qu’une démarche de change­ment clas­sique. Comme ce thème cor­re­spond à une attente pro­fonde, les équipes ont envie de croire qu’il est pos­si­ble de con­stru­ire une société plus en con­fi­ance. Et nous sommes à chaque fois impres­sion­nés du niveau d’enga­ge­ment, de par­ler vrai et d’e­spoir que les par­tic­i­pants à une telle démarche dévelop­pent. Cepen­dant, plus les per­son­nes s’ex­posent, plus on sol­licite d’en­gage­ment, et plus la non-tenue des promess­es entraîne des décep­tions et des réac­tions pou­vant con­duire à une sit­u­a­tion pire qu’a­vant. La con­fi­ance est un thème sen­si­ble qu’il serait explosif de manipuler ;

 une démarche s’ap­puyant sur la con­fi­ance crée d’abord du chaos (au sens emprun­té à la physique), qu’il faut pou­voir assumer. Dans un proces­sus de ges­tion du change­ment, on passe d’un état A à un état B, l’é­tat final étant sou­vent totale­ment ou par­tielle­ment pen­sé par celui qui pense le change­ment. Ce point est sou­vent reproché aux con­sul­tants, dont la mis­sion de ges­tion du change­ment est perçue comme une démarche pour « faire pass­er la pilule » de déci­sions déjà pris­es. Lorsque l’en­jeu est de bâtir la con­fi­ance, on man­age par la direc­tion et non plus par l’ob­jec­tif. On vend de l’ac­com­pa­g­ne­ment de la cohérence et non de la pré­dictibil­ité. On est dans un proces­sus de chem­ine­ment qui per­me­t­tra de pass­er d’un niveau A d’én­ergie col­lec­tive à un niveau B. Et pour cela, il n’y a pas de solu­tions plaquées pos­si­bles. On est dans une pos­ture exploratoire, où des solu­tions se con­stru­isent avec les équipes. Il faut savoir ne pas être mal à l’aise avec ce principe d’in­cer­ti­tude, et ne pas avoir peur de ce qu’on peut trou­ver der­rière les portes qui vont s’ouvrir.

En synthèse

Notre expéri­ence per­met de témoign­er qu’une telle démarche est pro­fondé­ment grat­i­fi­ante pour tous ses par­tic­i­pants, et por­teuse de per­for­mance. Espérons qu’à l’avenir un nom­bre crois­sant de man­agers et aus­si d’hommes poli­tiques auront le courage et l’ex­i­gence néces­saire pour faire le pari de la confiance.

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