BAROQUES FRANÇAIS

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°649 Novembre 2009Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Dans le film Tous les matins du monde d’Alain Corneau, Marin Marais écrase du pied par inad­ver­tance une oublie, une de ces pâtis­series fri­ables et presque immatérielles que l’on vendait à l’époque sur les marchés aux cris de « V’là le plaisir, mes­dames, v’là le plaisir ». La métaphore est un peu appuyée – Marais aban­donne la recherche de l’absolu avec Sainte Colombe pour la musique de cour auprès de Lul­ly – mais elle illus­tre bien l’évolution de la musique française au XVI­Ie siè­cle : elle va s’éloigner de la musique religieuse, savante et austère, pour aller vers la danse et le diver­tisse­ment brillant.

Atys de Lully
La tragédie Atys, livret de Quin­ault, musique de Lul­ly, est créée en 1676 à l’Académie royale de musique. Pro­mul­guée « opéra du Roi » par Louis XIV, portée aux nues par maints per­son­nages de l’époque dont Mme de Sévi­gné, célébrée jusque dans les années 1750, Atys est tirée de l’oubli dans les années 1980 par William Christie et c’est l’enregistrement qu’il en a fait en 1987 avec ses Arts floris­sants qui est pub­lié aujourd’hui 1. L’argument, tiré de la mytholo­gie, pro­duit un texte par­ti­c­ulière­ment bien venu. La musique du Flo­rentin-Parisien Lul­ly est la grâce même : loin des fatras et des fadeurs de l’ancienne tra­di­tion, elle puise dans les rythmes de la danse et de la chan­son française – menuets, gavottes, ritour­nelles, airs galants – et des­sine une oeu­vre bril­lante, où la sci­ence musi­cale se dis­simule sous une appar­ente légèreté. Il faut avoir vu William Christie, lors des rap­pels à l’issue du tri­om­phe des Indes galantes de Rameau, danser sur scène mêlé aux acteurs et aux danseurs, pour com­pren­dre l’esprit de ses resti­tu­tions : après des années de recherche musi­cologique qui per­me­t­tent de recon­stituer au plus près la musique orig­i­nale, l’interprétation est non une recon­sti­tu­tion étroite et dog­ma­tique mais une recréa­tion adap­tée au goût et à la sen­si­bil­ité d’aujourd’hui.

Atys et tous les spec­ta­cles de l’époque étaient faits pour sur­pren­dre, plaire et diver­tir, et c’est exacte­ment ce que fait le Fran­co- Améri­cain Christie, qui a renou­velé et dépous­siéré la musique baroque française. Last but not least, les solistes, notam­ment Guy de Mey en Atys et Agnès Mel­lon en San­garide, sont par­faite­ment en sit­u­a­tion. L’enregistrement est présen­té sous la forme d’un pré­cieux petit « livre-disque » qui com­porte, notam­ment, un fac­sim­ilé du livret original.

Gui­tare et clavecin
C’est dans le même esprit bril­lant et fausse­ment léger que Jean Hen­ri d’Anglebert, con­tem­po­rain et, en tant que « clavecin­iste du roi », col­lègue de Lul­ly, com­pose les trois Suites enreg­istrées par Lau­rent Stew­art 2. Après le Prélude des­tiné à la « mise en bouche » se suc­cè­dent Alle­mande, Courante, Sara­bande, Gigue, Gail­larde, Menuet, Pas­sacaille, dans­es que clôt éventuelle­ment une Cha­conne. L’originalité d’Anglebert réside dans la maîtrise de l’art du clavecin, qu’il traite comme un orgue, pro­duisant des effets sonores inouïs jusque-là, et dans la richesse des orne­ments que l’on ren­con­tre plusieurs fois par mesure. C’est vrai­ment là la musique française dans toute sa pléni­tude. Et pour­tant, nous ne sommes qu’au XVI­Ie siè­cle et, lorsque d’Anglebert fait graver ses Suites, François Couperin n’a que 20 ans. François Cam­pi­on, « maître de théorbe et de gui­tare de l’Académie royale de musique », naît un an avant la mort de Lul­ly et ter­min­era sa vie sous Louis XV. Michel Amor­ic, spé­cial­iste de la gui­tare baroque, a enreg­istré une trentaine de ses pièces : des dans­es (alle­man­des, courantes, etc.) et deux fugues3. La gui­tare baroque est plus dis­crète que le clavecin, et sa musique con­fi­den­tielle dans tous les sens du terme. Aus­si, il est intéres­sant de décou­vrir des pièces plus savantes que leurs titres ne le lais­sent enten­dre, qui cachent les règles strictes selon lesquelles elles sont écrites sous un fal­lac­i­eux aban­don, et qui annon­cent tout un pan de la musique… espagnole.

Écoutez ces musiques, si vous le pou­vez, dans un jardin aux couleurs d’automne, en com­pag­nie d’une bouteille de vieux ran­cio et, pourquoi pas, de quelques oublies.

1. 1 Livre-disque (3 CD) Har­mo­nia Mundi.
2. 1 CD ZIG-ZAG.
3. 1 CD ARION.

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