Le feu de joie du départ de l'école polytechnique

Aujourd’hui, les Traditions

Dossier : La Tradition et les Traditions de l'X des origines à nos joursMagazine N°331 Juin 1978Par : Hubert LAURIOT-PRÉVOST (76)
N° 331 Juin 1978
L’É­cole Poly­tech­nique doit, nous dit-on, en grande par­tie sa renom­mée à la valeur de ceux qui la com­posent, bien sûr, mais égale­ment à son esprit de Corps, c’est-à-dire à une cer­taine façon com­mune de réa­gir face aux événe­ments. Et n’est-ce pas pen­dant les deux ans d’é­cole que cet esprit s’ac­quiert, par les tra­di­tions d’une part et par la per­son­nal­ité de chaque pro­mo­tion d’autre part.

L’É­cole Poly­tech­nique doit, nous dit-on, en grande par­tie sa renom­mée à la valeur de ceux qui la com­posent, bien sûr, mais égale­ment à son esprit de Corps, c’est-à-dire à une cer­taine façon com­mune de réa­gir face aux événe­ments. Et n’est-ce pas pen­dant les deux ans d’é­cole que cet esprit s’ac­quiert, par les tra­di­tions d’une part et par la per­son­nal­ité de chaque pro­mo­tion d’autre part.

Or, surtout depuis mai 1968, les tra­di­tions n’ont pas bonne presse, et l’X n’échappe pas à la règle. Le monde change et, sans doute, plus rapi­de­ment dans le milieu étu­di­ant car de façon plus éphémère. Je sais que beau­coup d’an­ciens regret­tent les tra­di­tions per­dues, mais si la société dans laque­lle ils s’ap­prê­taient à entr­er changeait prudem­ment, gar­dant un héritage tra­di­tion­nel impor­tant dans son vol­ume et dans son rôle, si cette société était forte­ment com­par­ti­men­tée, il n’en va pas de même aujour­d’hui ; les idées et les hommes suiv­ent une course effrénée, les bar­rières sociales ou pro­fes­sion­nelles. ain­si que l’e­sprit cor­po­ratiste ten­dent à dis­paraître : ne con­state-t-on pas un aban­don général du lan­gage spé­ci­fique pour un vocab­u­laire com­préhen­si­ble par tous.

Les nou­veaux X l’ont bien com­pris et se con­sid­èrent aujour­d’hui plus comme des étu­di­ants que comme des mil­i­taires en caserne. Car on peut se deman­der ce que deviendrait une École Poly­tech­nique hors du temps, hors de son temps, ou gar­dant des tra­di­tions reléguées au domaine du folklore.

Mais la trans­for­ma­tion actuelle ne vient pas seule­ment de l’ex­térieur ; elle trou­ve égale­ment son orig­ine dans son his­toire actuelle et notam­ment dans le trans­fert de l’É­cole à Palaiseau.

L’ac­cueil des con­scrits se fai­sait par une ini­ti­a­tion à la vie de l’é­cole : recon­nais­sance des lieux stratégiques, rela­tions entre élèves, avec les mil­i­taires, pré­pa­ra­tion du Point Gam­ma, acqui­si­tion du lex­ique poly­tech­ni­cien … Tout cela intro­dui­sait le nou­v­el X dans une micro-société très sol­idaire, bien implan­tée dans ses locaux, et dont l’évo­lu­tion demeu­rait très continue.

Déjà depuis quelques années, l’évo­lu­tion de l’é­cole éloignait celle-ci de cet état de fait. En voici deux exem­ples : les X touchent main­tenant une sol­de très con­fort­able ; la pre­mière con­séquence en a été la perte du rôle ini­tial de la Kès qui n’est plus une caisse de sec­ours, mais plus un bureau des élèves sem­blable à beau­coup d’autres ; il est indé­ni­able que cette dual­ité « étu­di­ant-salarié » nous pousse à l’in­di­vid­u­al­isme sinon à l’indépen­dance totale.

Un autre fac­teur a été l’ou­ver­ture du con­cours aux élèves féminines ; sans cri­ti­quer cette ini­tia­tive, force est de con­stater que trois cents garçons vivant dans un monde rel­a­tive­ment clos ne peu­vent avoir le même esprit ou le même com­porte­ment que lorsqu’ils parta­gent leur vie avec vingt ou trente filles.

C’est alors qu’est inter­venu le trans­fert à Palaiseau qui, loin d’at­ténuer ces évo­lu­tions, a sec­tion­né le fil de la tra­di­tion si chère à nos Anciens. D’abord il n’y a pra­tique­ment pas eu de liai­son entre la pro­mo­tion 1974, restée sur la Mon­tagne. et la 75 inau­gu­rant la nou­velle école. Celle-ci, avec la 76, doit rebâtir pra­tique­ment de toutes pièces ces tra­di­tions. si toutes deux le désirent.

Mais il existe surtout un cer­tain nom­bre d’aspects de la nou­velle vie à l’ école. qui ne facili­tent pas les con­tacts internes : les élèves ne sont plus logés par caserts, mais en cham­bre indi­vidu­elle, avec la pos­si­bil­ité d’avoir le télé­phone directe­ment relié avec l’ex­térieur. Les petits groupes qui for­maient la base de la vie de pro­mo­tion n’ex­is­tent donc plus, ou du moins leur créa­tion est bien aléa­toire et fragile.

Les bâti­ments des élèves, celui des activ­ités libres, les amphis, les petites class­es sont isolés et n’ont aucune unité géo­graphique. Les con­tacts ne s’en trou­vent donc pas facil­ités, ne serait-ce qu’au niveau de l’in­for­ma­tion par voie d’affiches.

Par con­tre, si les élèves ne se dépla­cent pas volon­tiers à l’in­térieur de l’é­cole, ils pren­nent plus facile­ment leur voiture pour aller à Paris, la sor­tie et l’en­trée étant par­faite­ment libres en dehors des heures de cours. Il faut ajouter, ou plutôt retir­er, les élèves mar­iés qui n’habitent pas à l’é­cole et par­ticipent peu à la vie de promotion.

Un dernier point, enfin, isole les élèves : l’en­seigne­ment tel qu’il est dis­pen­sé les oblige à tra­vailler énor­mé­ment s’ils veu­lent vrai­ment suiv­re les cours, ou bien à ne pré­par­er que les con­trôles qui exi­gent un bachotage sco­laire incom­pat­i­ble avec un tra­vail de groupe.

Cette étude, non exhaus­tive, des con­di­tions nou­velles dont l’X doit aujour­d’hui tenir compte, n’a pas pour but de dén­i­gr­er les tra­di­tions et de les ray­er d’un trait de plume, mais de mon­tr­er qu’elles ne peu­vent plus être ni les mêmes, ni aus­si impor­tantes qu’autrefois.

Si je ne trou­ve pas pour ma part ce nou­v­el état de fait (je veux par­ler de l’a­ban­don de nom­breuses tra­di­tions) cat­a­strophique, je crois pour­tant à la néces­sité d’en garder ou d’en créer un cer­tain nom­bre, si l’on veut éviter de voir l’X se trans­former en une école self-ser­vice, sans âme et sans unité. Je pense par exem­ple au Point Gam­ma qui doit être une occa­sion pour tous de se retrou­ver au cours d’une fête exp­ri­mant la per­son­nal­ité d’une pro­mo­tion ; je pense aus­si à l’ac­cueil des con­scrits, pour les aider à trou­ver une dynamique pro­pre et favoris­er ain­si les ini­tia­tives con­cer­nant la vie de l’école.

Je pense enfin à la Kés, lien plus néces­saire qu’au­par­a­vant, et ce peut être là sa nou­velle fonc­tion. entre les mem­bres dis­per­sés de la col­lec­tiv­ité poly­tech­ni­ci­enne qu’il faut réu­nir, et l’ad­min­is­tra­tion mil­i­taire avec laque­lle les rap­ports sont plus déli­cats du fait de l’a­ban­don par les deux par­ties d’une loi non écrite qui per­me­t­tait un cli­mat de con­fi­ance aujour­d’hui quelque peu estompé.

Je ne voudrais pas omet­tre, mal­gré le car­ac­tère non exhaus­tif de cette énuméra­tion, l’am­phi-Kès, indis­so­cia­ble de la Kés elle-même, à la déci­sion duquel les pro­mo­tions sont tra­di­tion­nelle­ment tenues de se con­former, car il cristallise la pen­sée dif­fuse des élèves.

Tout cela ne peut avoir que la valeur d’un avis tant il est vrai que les tra­di­tions ne se créent pas en un jour : nous ne pou­vons qu’adopter un cer­tain mode de vie, en ten­ant compte de l’his­toire de l’X, et des con­di­tions actuelles, longue­ment exposées plus haut ; l’avenir et les futures pro­mo­tions décideront si elles désirent garder les habi­tudes que nous aurons prises.

Par pitié, ne nous faites pas jouer le rôle d’ancêtres omni­scients ; nous y entrerons bien assez tôt !

Le feu de joie du départ

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