La Kès et ses campagnes

Dossier : La Tradition et les Traditions de l'X des origines à nos joursMagazine N°331 Juin 1978Par : Jean DOMAIN (1936), Patrick PUY (1975) et Hubert LAURIOT PRÉVOST (1976)
N° 331 Juin 1978
L’his­toire de la Kès se con­fond, à très peu de chose près, avec celle de l’X où, dès les pre­miers jours de son exis­tence un sen­ti­ment frater­nel d’u­nion s’est man­i­festé entre les élèves. On peut faire remon­ter à l’an­née 1800 env­i­ron l’o­rig­ine de la Caisse et des Caissiers : à cette époque où les guer­res napoléon­ni­ennes absorbaient une part exces­sive des ressources de la Nation, le Tré­sor était exsangue et les Admin­is­tra­tions sou­vent privées des fonds qui leur étaient attribués.

L’his­toire de la Kès se con­fond, à très peu de chose près, avec celle de l’X où, dès les pre­miers jours de son exis­tence un sen­ti­ment frater­nel d’u­nion s’est man­i­festé entre les élèves.

On peut faire remon­ter à l’an­née 1800 env­i­ron1 l’o­rig­ine de la Caisse et des Caissiers : à cette époque où les guer­res napoléon­ni­ennes absorbaient une part exces­sive des ressources de la Nation, le Tré­sor était exsangue et les Admin­is­tra­tions sou­vent privées des fonds qui leur étaient attribués. C’est ain­si que l’É­cole endet­tée de 40 000 F., fit appel aux mem­bres de son per­son­nel qui accep­tèrent l’am­pu­ta­tion d’une par­tie de leur traite­ment : cet exem­ple ne sem­ble pas s’être per­pé­tué dans la fonc­tion publique. .

Par­al­lèle­ment, plusieurs élèves firent le sac­ri­fice de leur sol­de en faveur de leurs cama­rades néces­si­teux : en effet, le traite­ment des pre­miers élèves ne dépas­sait pas 1 200 livres payées en assig­nats2, somme qui cou­vrait très dif­fi­cile­ment le loge­ment, la nour­ri­t­ure et le vêtement.

Lorsque Bona­parte eut mil­i­tarisé et caserné tout ce joli monde (décret du 27 Mes­si­dor An XI1-16 Juil­let 1804) il exigea le paiement d’une pen­sion de 800 F., apparem­ment supérieure au traite­ment, ce qui mon­tre bien que tout guer­ri­er peut se dou­bler d’un homme d’af­faires avisé ; de nom­breux élèves, faute de bours­es3, se virent en état de ces­sa­tion de paiement et men­acés d’avoir à quit­ter l’École.

C’est alors que deux élèves furent choi­sis dans chaque divi­sion pour recevoir les con­fi­dences des néces­si­teux et chercher les moyens de leur venir en aide ; sans avoir de compte à ren­dre à per­son­ne, ils imposèrent tous leurs condis­ci­ples de la somme voulue, y com­pris les néces­si­teux aux­quels l’a­vance cor­re­spon­dante était faite secrète­ment, afin que les dona­teurs restent dans l’ig­no­rance des donataires : per­son­ne n’a jamais rien su et c’est bien.

Sous la Restau­ra­tion et la Monar­chie de Juil­let, les choses s’ag­gravent plutôt : l’or­don­nance du 4 Sep­tem­bre 1816 éle­va à 2 000 F. l’ensem­ble pen­sion + trousseau ; le nom­bre de bours­es fut ramené à 25 et, à par­tir de 1825, elles n’é­taient plus accordées que pour un an.

Il fal­lut atten­dre le décret du 16 Novem­bre 1848 qui por­ta le nom­bre de bours­es à 50 et surtout les lois du 26 Jan­vi­er, 3 Mai et 5 Juin 1850 pour qu’une déci­sion vrai­ment démoc­ra­tique soit prise : tous les jeunes gens qui feraient con­stater l’in­suff­i­sance de leur for­tune par une délibéra­tion du Con­seil munic­i­pal pou­vaient désor­mais pos­tuler pour l’ob­ten­tion d’une bourse.

Le nom­bre des bours­es n’é­tant désor­mais plus lim­ité, l’ac­tiv­ité des Caissiers com­mença à évoluer : certes, on con­tin­u­ait à sec­ourir quelques éléves gênés, voire d’an­ciens poly­tech­ni­ciens4 tombés dans le dénue­ment mais très vite, dés 1860, la Kés absor­ba les activ­ités du Bureau de bien­fai­sance5 créé dès l’o­rig­ine par les élèves pour soulager les mis­ères matérielles du quarti­er pop­uleux et pau­vre de la Mon­tagne Ste Geneviève.

C’est vers cette année 1860 qu’il faut faire remon­ter l’or­gan­i­sa­tion qui est restée en place pen­dant un bon siè­cle : sim­ple­ment deux Caissiers : « la Grosse » et « la Petite » — celle-là se « cou­vrant6 », celle-ci se « boc­car­dant6 » — élus chaque année, générale­ment en Févri­er, pour et par la pro­mo­tion des conscrits.

Il fau­dra atten­dre 1968, mil­lésime qui s’est illus­tré par ailleurs, pour voir le nom­bre de Caissiers porté à 4 voire 6 ou 7 : nul doute que celle infla­tion ne cor­re­sponde aux activ­ités mul­ti­ples que la Kés a dévelop­pées au fil des promotions.

Dès 1848, la Caisse assura l’or­gan­i­sa­tion et les frais des fêtes tra­di­tion­nelles — bahutages, séance des Cotes, séance des Ombres, Point Gam­ma7, Con­cert du Géné — et là encore, pen­dant plus d’un siè­cle, ces fes­tiv­ités se suc­cédérent, la Kés veil­lant jalouse­ment au main­tien des tra­di­tions, par­fois à leur évo­lu­tion, à l’ortho­dox­ie du bahutage — vir­il mais sans méchanceté — et d’une façon générale au respect du Code X.

Ces man­i­fes­ta­tions se suc­cédèrent en se sophis­ti­quant, chaque pro­mo­tion ayant à cœur de réalis­er dans le grandiose ou le sen­sa­tion­nel mieux que ses Anciens. C’est ain­si qu’au point Gam­ma les sommes engagées étant dev­enues un peu exces­sives et les recettes escomp­tées ayant fait défaut, l’équili­bre budgé­taire s’est trou­vé par­fois com­pro­mis tan­dis que cer­taines pro­mo­tions réal­i­saient, au con­traire, des prouess­es fimancières.

Avant la guerre 1914–1918,la mise sur orbite des jeunes gens qui inté­graient l’X ne posait guère de prob­lèmes : en grande majorité ils se dirigeaient vers l’Ar­mée, à l’ex­cep­tion de quelques élus appren­tis man­darins et, dans les deux cas, leur car­rière appa­rais­sait toute tracée, de l’É­cole d’Ap­pli­ca­tion jusqu’à la retraite : le rôle des Caissiers se lim­i­tait donc aux rela­tions avec l’Ad­min­is­tra­tion de l’É­cole, qu’il s’agisse de la Direc­tion des Études ou de l’Ad­min­is­tra­tion mil­i­taire pro­pre­ment dite : même avec le priv­ilège savoureux de pou­voir court-cir­cuiter la voie hiérar­chique, ce n’é­tait pas tou­jours une sinécure de trou­ver une solu­tion tem­pérée entre des cama­rades totale­ment décon­trac­tés et un Général out­ré ou un Directeur des Études vis­cérale­ment peu enclin à l’indulgence.

Affiche campagne Kès polytechniqueAffiche campagne Kès polytechnique
Affiche campagne Kès polytechnique

Dans la péri­ode dite d’en­tre les deux guer­res un cer­tain mod­ernisme se des­sine : la Kés provoque des offres de stages, durant les vacances, stages plus ou moins payés, à la S.N.C.F., à la C.G.T.8 dans l’in­dus­trie ou à l’é­tranger ; par exem­ple, en 1938, trois élèves firent un stage d’é­tudes aux U.S.A., en liai­son avec l’É­cole Mil­i­taire de West-Point : cela parais­sait assez fab­uleux, tout comme la Pan­hard panoramique, volant au milieu du siège, 3 places à l’a­vant, que pos­sé­dait un Caissier de ces années là : c’é­tait d’ailleurs la seule voiture de la pro­mo ! il est vrai qu’à cette époque les élèves ne touchaient de l’É­tat qu’une ration d’abom­inables cig­a­rettes de troupe et le « prêt du sol­dat », soit 0,25 F/jour qui était aban­don­né à la Kés depuis 1925 ; en 1936, le prêt fut porté à 0,50 F. et les ressources se trou­vèrent dou­blées, non sans protes­ta­tions véhé­mentes, la Kés étant accusée de dis­pos­er de moyens exces­sifs : le vote qui eut lieu à cette occa­sion fut très ser­ré et cer­tains bul­letins durent être inter­prétés pour fournir une majorité suffisante.

La Kés 1934 avait habile­ment placé ses économies — quelque cent mille francs en dol­lars or — mais ce petit magot, qui s’est trans­mis avec respect pen­dant plusieurs années, a dis­paru dans la tour­mente de la guerre : ce qui mon­tre bien. s’il en était besoin. le côté aléa­toire et futile des place­ments en métal jaune.

On conçoit que les activ­ités mul­ti­ples de la Kès entraî­naient une rel­a­tive liber­té pour les Caissiers : ils pou­vaient sor­tir sans autori­sa­tion dans Paris tous les jours, quitte à émarg­er à la sor­tie comme à l’en­trée, dis­po­saient d’un local séparé9 avec télé­phone — le Binet Kès — et béné­fi­ci­aient d’une cer­taine indul­gence, voire d’une indul­gence cer­taine de la part de la majorité des exam­i­na­teurs10 ou colleurs : leurs com­po­si­tions écrites étaient sou­vent assurées par cer­tains cro­tales et une légende exacte a rap­porté le cas de ce Caissier qui avait eu une bien meilleure note que son Major : en effet, ce dernier avait d’abord remis sa pro­pre copie puis, opérant pour la Kés, il avait trou­vé une solu­tion haute­ment orig­i­nale au charme de laque­lle il n’avait pu résister.

L’honor­able souci de réduire les iné­gal­ités étant aus­si passé par là, les choses ont (heureuse­ment) pas mal changé aujourd’hui …

De tout temps, la sagac­ité des Caissiers a été égale­ment mise à con­tri­bu­tion chaque fois qu’une affaire déli­cate, pécu­ni­aire ou autre pou­vait met­tre en dif­fi­culté tel cama­rade. Cela était rare, mais se pro­dui­sait par­fois : la dis­cré­tion oblig­ée en la matière se trou­ve facil­itée par le fait que la Kès, aux qual­ités d’or­dre pour­tant légendaires, a réus­si à tou­jours égar­er ses archives : la guerre, l’ex­il à Lyon et le retour à Paris ont fait dis­paraître tout ce qui était con­servé depuis 1870 ; le trans­fert à Palaiseau qui valait bien une guerre et a fail­li d’ailleurs en déclencher une, a fait le reste : pra­tique­ment la page blanche de l’His­toire, avec son ver­tige, ne s’ou­vre pour la Kés qu’en 1972.

L’e­sprit de corps pro­pre aux Caissiers, au demeu­rant mod­este, a com­mencé à se man­i­fester dès avant 1900 ; comme l’a rap­porté Muntz (1901) les Caissiers présents à Fontainebleau invi­taient alors à déje­uner, une fois l’an, les Caissiers présents à l’École.

En 1900, pour fêter digne­ment le siè­cle, on fes­toya, avec tous les anciens Caissiers, sur les boule­vards, chez Mar­guery, pour la somme de 12 F.: une tra­di­tion était née et chaque année un repas réu­ni­ra désor­mais tous les Caissiers passés et présents qui, en 1903, sur la propo­si­tion du Général Chapel (1869) adop­tèrent fort logique­ment, pour leur lignée, le signe des Y.

Après la guerre 1939/45 appa­rais­sent à ces repas les « délégués de pro­mo­tion » qui, au fil de la vie, se sont trou­vés sup­pléer avec beau­coup de dévoue­ment et d’ef­fi­cac­ité, cer­tains Caissiers décédés ou sim­ple­ment éloignés de Paris par leurs occu­pa­tions ; mais le Caissier reste mar­qué, sa vie durant et,au fer rouge, par l’ami­tié de ses cama­rades : « tu es sac­er­dos in ael­er­num », en quelque sorte.

Distribution des secours aux pauvres du quartier devant l'école polytechnique
Dis­tri­b­u­tion des sec­ours aux pau­vres du quartier

Depuis la dernière guerre, la Kés a encore évolué. La désaf­fec­tion crois­sante, et aujour­d’hui presque totale, du méti­er des Armes a ajouté encore aux activ­ités des Caissiers qui ani­ment, avec l’aide de leur bureau, un cer­tain nom­bre d’ac­tiv­ités des plus divers­es, ce sont les Binets.

Par ailleurs, puisque la fil­ière mil­i­taire n’a plus aucun suc­cès, les Caissiers cen­tralisent les deman­des d’emploi de leurs cama­rades et pré­par­ent les « Pan­tou­fle » de l’in­dus­trie privée qui échap­pent encore à cette Admin­is­tra­tion mul­ti­ple et imag­i­na­tive que l’u­nivers entier nous envie, bien sûr, tant elle appa­raît capa­ble de se créer de toutes pièce des voca­tions nou­velles et inat­ten­dues. généra­tri­ces, elles aus­si, à perte de vue, de ser­vices, règle­ments et contrôles.

Mais ce sont là les Kès de l’après 1972, année où le trans­fert à Palaiseau a été décidé : un assez pro­fond change­ment s’est alors opéré dans les esprits et, plutôt que de ris­quer d’en mal exprimer l’essence, il paraît préférable de pass­er la plume aux intéressés qui sauront, sans nul doute, mieux dire com­ment ils ont évolué.

Avec le trans­fert à Palaiseau, il s’est pro­duit une coupure totale entre la Pro­mo­tion 74 et les précé­dentes d’une part, entre la 75 et les suiv­antes de l’autre.

Arrosage des 2 Kèssiers de l'école polytechnique
Sitôt élus, générale­ment en févri­er, « la Grosse » et « la Petite » deve­naient inséparables…

Cepen­dant, depuis la pro­mo­tion 68, une évo­lu­tion cer­taine s’é­tait déjà man­i­festée avec l’ex­ten­sion con­sid­érable du domaine d’ac­tiv­ité de la Kès, et par­al­lèle­ment, une aug­men­ta­tion con­séquente du bud­get. Trois dates traduisent ces faits : d’une part dès la pro­mo­tion 68, on a vu le nom­bre des caissiers aug­menter jusqu’à 5 ou 8 et, d’autre part. c’est en 1972. avec la créa­tion d’une revue inclu­ant de larges pages pub­lic­i­taires que la Kès a vu ses moyen financiers s’asseoir sur des bases « solides ». Enfin, l’É­cole démé­nageant à Palaiseau en 1976, la Kès a évidem­ment suivi et a vu, dès son arrivée, son ter­ri­toire s’a­grandir géo­graphique­ment, tant et si bien qu’elle règne aujourd’ hui sur un bâti­ment d’en­v­i­ron 800 m2 (le bâti­ment des activ­ités libres) com­posé du bar des élèves, de la Cave-Kès, des dif­férentes salles de binets mais surtout de la Kès pro­pre­ment dite où se pren­nent toutes les grandes déci­sions, où débu­tent tous les com­plots, où s’éla­borent toutes les straté­gies, bref, où se fait la vie des promotions.

Étant don­né que la ges­tion de cet ensem­ble est exclu­sive­ment lais­sée à la dis­cré­tion de la Kès, on com­prend aisé­ment que les besoins financiers se soient con­sid­érable­ment accrus : les recettes assur­ant l’équili­bre sont essen­tielle­ment issues de la publicité.

Affiche de la campagne de Kès 1919 à l'école polytechnique

Affiche de la campagne de Kès 1919 à l'école polytechnique

Affiche de la campagne de Kès 1919 à l'école polytechnique
Les affich­es VTP, BTC el DTF qui parsè­ment ce texte ont illus­tré la cam­pagne de Kès 1919 à l’is­sue de laque­lle furent élus Vieil­lard et Clogenson.

Dis­posant donc d’un bud­get rel­a­tive­ment con­fort­able — env­i­ron 300 000 F. par an — la Kès a dévelop­pé peu à peu ses activ­ités dans des domaines très divers ; du wind­surf à la fan­fare, du go au ciné-club, du Bureau Infor­ma­tions Car­rières au Point Gam­ma, elle « con­trôle » main­tenant un petit empire.

En fait, les tâch­es de la Kès actuelle se répar­tis­sent en trois groupes :

  • Rela­tions avec l’Ad­min­is­tra­tion Mil­i­taire (les milis !).
  • Ani­ma­tion cul­turelle de l’École.
  • Ges­tion des dif­férents binets.

C’est l’in­fla­tion de ces dif­férents domaines qui explique ans doute le fait que le nom­bre des kessiers soit aujour­d’hui de 6 ou 8. Cha­cun sait que notre plateau est froid et ven­teux : il faut donc dévelop­per des prodi­ges d’imag­i­na­tion et de créa­tiv­ité pour réchauf­fer les X et les con­va­in­cre de ne pas aller se vautr­er dans les lieux brûlants ou sim­ple­ment douil­lets de la Capitale.

Bureau des Kèssiers à l'école polytechnique
Bour­del et Gradis. à l’évidence,
ne dis­po­saient pas de 800 m2

Depuis la Pro­mo­tion 75, la struc­ture de la Kès est restée sta­ble avec deux Kessiers au sens tra­di­tion­nel du terme, chargés des rela­tions avec l’Ad­min­is­tra­tion et les mil­i­taires, entourés et aidés par deux tré­sori­ers et des respon­s­ables d’an­i­ma­tion, pour la ges­tion du bâti­ment des activ­ités libres et le con­trôle des dif­férents binets.

Mal­heureuse­ment la struc­ture et le rôle de la Kès au sein de l’É­cole n’ont pas été les seuls à évoluer. La posi­tion de l’Ad­min­is­tra­tion vis-à-vis des Kessiers n’est plus ce qu’elle était. Nous sommes main­tenant loin, en ce qui con­cerne les com­po­si­tions, de la sit­u­a­tion idyllique décrite par Domain dans les pro­mo­tions plus anci­ennes ou même dans les pro­mo­tions récentes où les kessiers étaient inter­rogés à l’o­ral sur le seul chapitre qui leur plai­sait avec l’as­sur­ance d’avoir au moins 12.

Depuis deux ans il n’y a plus d’ex­a­m­ens oraux d’une part, et d’autre part, les dif­férents jurys (de pas­sage et de sor­tie) font preuve, vis-à-vis des kessiers, de moins de man­sué­tude qu’autrefois.

Dans le même temps on a vu devenir plus prenant le tra­vail des kessiers et plus ingrat leur rôle parce que moins recon­nu par l’Ad­min­is­tra­tion mil­i­taire et peut-être plus mécon­nu par les élèves. Si l’on per­met une digres­sion , ce dernier point tient sans doute au fait que l’X à Palaiseau a une struc­ture archi­tec­turale telle que les prob­lèmes d’in­for­ma­tion et de com­mu­ni­ca­tion pren­nent de plus en plus d’am­pleur ; à Palaiseau, les dis­tances sont plus grandes et la Kès n’est plus le cen­tre géo­graphique du périmètre de vie des élèves.

Ain­si , il arrive qu’un kessier mette plus de 24 h. pour trou­ver un de ses cocons, pour informer la total­ité de la pro­mo­tion. Par oblig­a­tion, la Kès est dev­enue moins spon­tanée et plus admin­is­tra­tive, moins ent­hou­si­aste mais plus laborieuse.

C’est peut-être une évo­lu­tion dom­mage­able, mais elle n’est pas inéluctable et il appar­tien­dra à nos suc­cesseurs de répar­er les erreurs pos­si­bles que les pro­mo­tions suiv­antes voudront bien, excuser, en ten­ant compte du fait qu’il échoy­ait avant tout aux 75 et 76 un tra­vail ardu et fon­da­men­tal : recréer une struc­ture et une âme à Palaiseau.

Par ailleurs, la vie n’y est pas si triste mais au con­traire fort ani­mée, en par­ti­c­uli­er au moment de l’élec­tion de la Kès, le temps d’une cam­pagne faite en bonne et due forme, durant laque­lle cha­cun s’ingénie à met­tre en valeur les tré­sors que recèle la nou­velle École !

A n’en plus douter. c’est un point fort du rude hiv­er de Palaiseau : la cam­pagne dure une semaine en Décem­bre ou Jan­vi­er, et les prin­ci­paux spec­ta­cles ont lieu pen­dant les amphis, car c’est la seule activ­ité regroupant une majorité (?) des élèves. A cette occa­sion, les pro­fesseurs voient d’ailleurs leur cote de pop­u­lar­ité remon­ter d’un seul coup : les amphis sont pleins au grand dam de ces mêmes pro­fesseurs qui n’ont pas tou­jours la même façon que les élèves de con­cevoir un amphi intéressant.
Nul n’est par­fait, pas même Mon­sieur Schwartz !

En ne citant pas les gags dont l’é­sotérisme empêcherait leur com­pré· hen­sion par toute per­son­ne étrangère à la 75 et à la 76, on peut rap­peller le numéro de French Can­can de l’équipe de rug­by, une course cycliste sur l’estrade d’un amphi, l’ap­pari­tion d’an­i­maux divers, tels mou­tons ou poules, etc ..

Les autres faits mar­quants des précé­dentes cam­pagnes se traduisent surtout par des effets pic­turaux (sur le toit de la piscine, ou sur les murs des couloirs) que les mil­i­taires ont le bon goût de laiss­er pour la postérité lorsqu’ils ne sont pas trop blessants à leur endroit.

Enfin, pour clore ce chapitre humoris­tique citons quelques som­mets de ces cam­pagnes : l’en­lève­ment du Mag­nan dans la DS du Préfet, le trans­fert du bureau du Colonel com­man­dant la 75 sur l’île du lac, la trans­for­ma­tion du bureau de divi­sion en hôtel de passe, etc ..

On peut se deman­der toute­fois si, par moments, l’aspect trop sérieux de la Kès n’im­pres­sionne pas défa­vor­able­ment quelques anciens ? Quelle erreur, on sait encore s’a­muser à Palaiseau quand on a 20 ans sous le bicorne et nous sommes bien per­suadés que l’É­cole cache encore des richess­es insoupçon­nées : à coup sûr les pro­mo­tions suiv­antes sauront les décou­vrir, les met­tre en valeur et peu à peu recréer la Tradition.

Voilà donc la Kès, son his­toire, son passé, son présent et, dans une cer­taine mesure, son avenir. Mais cet exposé serait sans doute assez incom­plet si l’on n’ou­vrait pas son armoire aux sou­venirs sur le chapitre des cam­pagnes de Kès, sur les hauts faits, vrais ou légendaires, qui s’y rapportent.

Affiche de la campagne de Kès à l'école polytechniqueDe tout temps une activ­ité intense a régné à l’É­cole, chaque année, à l’époque de l’élec­tion ; les can­di­dats11 font con­naître leur pro­gramme, des comités de sou­tien s’or­gan­isent — ce sont les » élec­trons » — « topos » et affich­es cir­cu­lent et pavoisent les murs illus­trés de car­i­ca­tures, dessins comiques ou satiriques dont on trou­vera quelques exem­plaires tout au long de cet article.

Avant 1950, les élèves, sans sol­de, dis­po­saient de peu de moyens et, assez para­doxale­ment, fai­saient assez peu appel à l’ex­térieur ; les mai­gres fonds (secrets) de la cam­pagne de Kès prove­naient presque unique­ment de la vente aux enchères des affich­es et des recettes de quelques bars clan­des­tins mais l’ingéniosité sup­pléait le manque d’argent.

Au sur­plus, la vie d’in­ter­nat, un régime mil­i­taire qui appa­raî­trait aujour­d’hui bien sévère, tout con­tribuait à ren­dre assez spec­tac­u­laires ces man­i­fes­ta­tions, où l’in­so­lite le dis­putait à l’ex­cep­tion­nel et que la sim­ple dis­po­si­tion des lieux met­tait en valeur : c’é­tait, en effet, un véri­ta­ble théâtre antique que cette cour encadrée par le pavil­lon Jof­fre puis le pavil­lon Foch : en un instant tous les spec­ta­teurs pou­vaient être aux fenêtres, avec comme toile de fond les vieux immeubles de la rue Descartes, fréquem­ment util­isés comme sup­ports pub­lic­i­taires par les tandems.

Affiche de la campagne de Kès à l'école polytechnique Affiche de la campagne de Kès à l'école polytechnique

Affiche de la campagne de Kès à l'école polytechnique

Affiche de la campagne de Kès à l'école polytechnique

L’his­toire et par­fois la légende nous ont rap­porté quelques-uns des hauts faits qui illus­treront les cam­pagnes de Kès.

En nous lim­i­tant à la péri­ode qui suiv­it la pre­mière guerre mon­di­ale, sig­nalons la vis­ite des Élèves de l’É­cole Mil­i­taire de West-Point, organ­isée par les Kessiers, le dîn­er offert au Maréchal Foch, le 9 juin 1920, d’in­nom­brables raids noc­turnes par les égouts à Nor­male Supérieure — où un Pro­fesseur retrou­va sa voiture hissée au pre­mier étage, la créa­tion du « Car­va-troll » par Fil­let (1914) et Clo­gen­son (1917), avec l’évo­ca­tion du célèbre directeur des Études Car­val­lo (1877) et le rythme du fox-troll qui com­mençait ses rav­ages, en ce début des années folles.

En 1925. André Cit­roën (1892) avait eu l’idée d’il­lu­min­er la Tour Eif­fel avec son dou­ble chevron et son nom : la légende veut qu’au cours d’une cam­pagne de Kès un tan­dem, astu­cieux et adéquat, ait fait le néces­saire pour que seuls appa­rais­sent sur la Tour, le T et les ini­tiales con­ven­ables mais, parait-il, le brouil­lard aidant, les témoins de cette mer­veilleuse pub ont été, en fin de compte, assez rares.

La pro­mo­tion 1927 vit deux cam­pagnes de Kès, Dreux et Van Den Bosche ayant cru devoir démis­sion­ner, fait unique sem­ble-t-il, dans les annales de la Kès ; la rai­son en fut un Point Gam­ma par­ti­c­ulière­ment somptueux mais sévère­ment défici­taire, où les extras embauchés pour le restau­rant dis­parurent avec la caisse, au sens lit­téral du terme.

Vidal et surtout Cibié, élus en juin 1928, pro­jetèrent en quelque sorte un éclairage nou­veau sur les finances de la Kès ; celles·ci se trou­vèrent rapi­de­ment ren­flouées par Damoy (1900), Gérant de la Mai­son d’al­i­men­ta­tion du même nom. qui accep­ta de réduire sa créance, par une coti­sa­tion excep­tion­nelle de 25 F. arrachée à chaque élève et enfin, grâce à l’in­ter­ven­tion du Maréchal Foch, par la générosité de Louis Loucheur qui venait d’être nom­mé Min­istre de la Marine et de quelques cama­rades de sa pro­mo­tion 1890.

En 1935, le Général Hachette s’op­posa à l’en­trée d’artistes à l’X pen­dant la cam­pagne de Kès ; cet inter­dit qui met­tait à mal une tra­di­tion, déjà solide­ment ancrée, déclenchera une grève de la faim couron­née de succès.

Affiche de la campagne de Kès à l'école polytechniqueLa pro­mo­tion 1936 s’il­lus­tra par l’in­tro­duc­tion d’une cen­taine de mou­tons qui, après avoir passé la nuit dans les caves, furent mon­tés un par un dans les caserne­ments. pour le réveil ; et égale­ment demeuré célèbre en 1937, un rodéo hip­pique noc­turne, dans les petites rues qui entourent l’É­cole, avec les chevaux du Général, dont les écuries voisi­naient l’en­trée du Pavil­lon Bon­court. L’ex­cel­lent Général Dumon­tier qui com­mandait alors l’É­cole n’a appris cet événe­ment, avec l’indig­na­tion qui s’im­pose, que 25 ans plus tard, à un anniver­saire de pro­mo­tion auquel il avait été invité.

Pro­mo 1938 : le tan­dem R T R organ­ise en train spé­cial un voy­age en Côte d’Or : on vis­ite longue­ment caves et Hos­pices puis une gerbe et déposée au mon­u­ment de Gas­pard Mon­ge, dans sa ville natale de Beaune. devant un aligne­ment approx­i­matif d’épées ondulantes …

Cette même pro­mo­tion se retrou­vera, en Novem­bre 1940, à Villeur­banne. con­fron­tée aux mille prob­lèmes de l’ex­il ; en par­ti­c­uli­er la Kès organ­is­era le rap­a­triement à Lyon du Dra­peau de l’É­cole — le Zurlin — qui avait échoué — Dieu seul sait pourquoi, c’est bien le cas de le dire — à l’Archevêché12 de Bor­deaux : les char­mants dessins de Soula (38) décrivent avec pré­ci­sion ce que furent les péripéties de cette opéra­tion déli­cate, à tra­vers la zone occupée en jan­vi­er 1941 , et le retour glo­rieux des trois héros — Dumousseau, Ramadier et Saint-Girons qui, d’ailleurs, suiv­ant une saine logique mil­i­taire. sitôt dis­sipés les pre­miers instants d’é­mo­tion, furent mis aux arrêts de rigueur par le Général Calvel.

Menu et invités pour la campagne de Kès 1920

Pen­dant la guerre, à Lyon, les cam­pagnes de Kès furent évidem­ment attristées par les événe­ments trag­iques tra­ver­sés par le pays mais l’hu­mour demeu­ra : on voit par exem­ple Main de Bois­sière, en tan­dem avec André Tur­cat, qui trou­vera déjà là un avant goût de quelques déboires élec­toraux — mais il a con­nu d’autres étince­lants suc­cès ! — organ­is­er une descente du Rhône en péniche jusqu’à Pont St. Esprit, essay­er d’in­tro­duire à l’É­cole le chameau du Zoo de la Tête d’Or et servir le petit déje­uner au lit à ses électeurs, avec un petit pain : incroy­able tour de force en cette époque de vach­es ultra maigres !

Journal pour la campagne de Kès 1934
Cam­pagne de Kès 1934

La paix rev­enue, les tra­di­tions renais­sent. Très per­tur­bées par la guerre, les pro­mo­tions présentes en 1945 offrent l’échan­til­lon­nage le plus var­ié, avec des pris­on­niers de guerre 39/40, les pro­mo­tions 42/43 dont cer­taines avaient déjà une année d’é­tudes, les pro­mos issues des con­cours spé­ci­aux, 44 et 45 ; faute de place, tout ce beau monde se partage entre la rue Descartes (divi­sion A et B) et la caserne Lourcine (Divi­sion C). Mal­gré ces dif­fi­cultès, plusieurs cam­pagnes de Kès sont jalon­nées d’évène­ments mémorables :

  • Au cours d’un amphi appa­raît inopiné­ment un batail­lon d’une cinquan­taine d’hôt­esses améri­caines de la TWA qui dansent un french can­can endi­a­blé sur l’im­mense bureau en quart de cer­cle qui se trou­vait sur l’estrade ; dans le même ordre d’idées, ATA intro­duit un soir le corps de bal­let des danseuses de Tabarin et, le lende­main, un petit train de marchandises.
  • Un tan­dem organ­ise à Lourcine un déje­uner somptueux, servi par des laquais en per­ruque, qui devait avoir lieu après le salut aux couleurs mais, juste avant cette céré­monie, la « divi­sion C » rassem­blée au grand com­plet voit arriv­er une énorme voiture améri­caine, bat­tant fan­ion du Com­man­de­ment en Chef des Forces US en Europe et précédée de motards, toutes sirènes en action. En descen­dent, devant la pro­mo­tion médusée, le Général Matthew Ridg­way en per­son­ne et, en grande tenue d’X, 2 élèves et deux jeunes filles qui étaient les sœurs de l’un d’eux. Telle était la trou­vaille du tan­dem rival OTT. On envoya les couleurs devant le chef d’escadron de ser­vice qui n’eut pas le temps de réa­gir, sinon plus tard en grand seigneur et on pas­sa à table : la qual­ité du mag­nan se trou­va, bien sûr, totale­ment éclip­sée par la présence assez extra­or­di­naire d’un Général com­man­dant les forces améri­caines qui venaient de gag­n­er la guerre et celle, plus inso­lite encore à l’époque, de deux jeunes filles en uni­forme car­va, c’est-à-dire en grand U

En dépit de ce savoureux folk­lore la Kès se débat après-guerre dans les dif­fi­cultés matérielles les plus graves : elle n’a plus le sou et doit même ven­dre son piano pour pay­er les notes de télé­phone en retard ! Il faut se pro­cur­er des ressources et, au cours d’un amphi mémorable, Arlet et Arbon essaient de con­va­in­cre leurs cama­rades d’a­ban­don­ner à la Kès 2% de leur sol­de d’aspi­rant ; l’op­po­si­tion est générale mais Arbon décrète que ceux qui sont debout seront réputés avoir voté « oui raquo;, et comme il est l’heure de déje­uner … la propo­si­tion finit par être adop­tée à une majorité inat­ten­due ! Quelque temps après, ren­flouée, la Kès parvient même à s’a­cheter aux sur­plus améri­cains une Jeep qui devien­dra célèbre dans tout Paris car, à cette époque, les voitures qui cir­cu­lent sont rares.

Diverses affiches de campagne de Kès de l'école polytechnique

La pro­mo 1949, après la mod­erni­sa­tion du pavil­lon Jof­fre, organ­ise une inau­gu­ra­tion solen­nelle sous la prési­dence du char­mant, lunaire et inof­fen­sif Fer­di­nand Lopp13, gloire du Quarti­er Latin, qui sera reçu en grande pompe sous une voûte d’aci­er ; les pan­car­tes brandies procla­ment Lopp Paiera, ce qui est indis­cutable depuis le Sec­ond Empire ; une man­i­fes­ta­tion Anti-Lop se déclenche avec grand tapage : fauss­es bagar­res, faux blessés. civières et faux médecins, ambu­lances et 3 cars de vrais policiers, préal­able­ment mis au par­fum et fausse­ment affaires, qui vien­nent ajouter à la con­fu­sion générale en séparant les combattants.

MERCATE

On éprouve plaisir à fredonner cet air de circonstance, vraisemblablement créé par Nougaro (38) où l’on retrouve à la fois la poésie légère de Charles Trenet, qui était en train de révolutionner la chanson française, et aussi le délire merveilleux de l’illustre Umbdenstock qui, pendant 17 ans, enseigna l’Architecture à l’École. un peu comme Salvator Dali eut pu le faire de la peinture.
Air « Je chante »
Mercate, les mouches prennent leur bain
De pattes dans un grand train
L’escalade en sautant et le passe à moitié
Jodotte les tous du haut de la Tour Umb
La botte, c’est pour les Boums
Fouette : crotaux, l’chemin de fer est là
Mercate et y’a de la joie.
Mercate, les cryptes sont sur les toits
Les Maths sont bien plus bas
Les basoffsi dorment d’un sommeil profond
Les mains sur leur mercas et les pieds au plafond
J’avance sur la tête jusqu’au Belvé
Je m’élance, je vais tomber
Mais pas du tout je peux rester en haut
Puisque quatre = zéro
Mercate, au moment des examgés
Mercate avant de coller :
La lune passe en colle chez Ura
Mais elle va s’éclipser, c’est elle qui le séchera
Arrête un moment de mercater
Et souhaite pour tes caissiers
De voir passer le tandem populaire
Le tandem R.T.W.R.

Affiche de campagne de Kès de l'école polytechnique
1941 Main de Bois­sière avait déjà un penchant
coupable pour le latin

La pro­mo 1952 organ­ise un défilé de vieilles voitures dans Paris con­duites par des X, fait venir à l’É­cole Mar­guerite Long avec son piano, les pom­piers de Paris et leur grande échelle, Fran­cis Blanche avec son rire de légende ; d’Elis­sagaray invite Miss Monde, ravis­sante Sué­doise de pas­sage à Paris, au bal du Cer­cle Mil­i­taire. fait ronéo­typer un petit lex­ique fran­co-sué­dois pour ses électeurs, atten­tion inutile en vérité car, en vrai cor­saire basque qu’il est, c’est lui qui acca­pare la ravis­sante nordique toute la soirée, ce qui ne l’empêchera pas pour autant d’être élu.

En 1962, bal sur un bateau-mouche et, en 1963, les élèves de l’É­cole Poly­tech­nique Fémi­nine vien­nent servir le petit déje­uner au lit, tra­di­tion qui ne sem­ble pas avoir été reprise par Anne Chopinet et ses consœurs.

Enfin, en 1968, où 3 bureaux de 5 mem­bres se présen­tent, la cam­pagne de Kès est mar­quée par des ren­con­tres de catch, du kart­ing dans la cour, un réseau interne de télé, la descente en rap­pel de la Tour UMB et surtout la plus char­mante des appari­tions en la per­son­ne des pulpeuses pen­sion­naires du Crazy Horse : c’est là cer­taine­ment que naît la légende selon laque­lle Alain Bernardin serait un Antique distingué.

Finale­ment, que peut-on dire de cette insti­tu­tion ultra cen­te­naire qu’est la Kès ?

Née d’un sen­ti­ment chaleureux de cama­raderie et de sol­i­dar­ité, elle a main­tenu une con­stante de char­ité, certes un peu bour­geoise, mais ne faut-il pas se garder de juger des choses et des gens en dehors du con­texte de leur époque. Et de nos jours, après avoir veil­lé pen­dant un siè­cle et demi sur des tra­di­tions pré­cis­es, ami­cales et vivantes, qui évolu­ent assez logique­ment aujour­d’hui, la Kès donne surtout main­tenant aux élèves la pos­si­bil­ité de gér­er eux-mêmes les activ­ités qui leur ont chères.

Affiche de campagne de Kès de l'école polytechnique

Affiche de campagne de Kès de l'école polytechnique

Et c’est là sans nul doute quelque chose d’assez impor­tant : de manière peut-être indi­recte et assez involon­taire, mais néan­moins bien réelle, la Kès apporte donc à cer­tains jeunes X, déjà forte­ment mar­qués par le côté théorique de leurs années de Taupe — et cela ne va s’arranger ni à Palaiseau ni à l’É­cole d’Ap­pli­ca­tion — la pos­si­bil­ité du con­tact avec autrui et la sim­ple con­fronta­tion à cer­tains prob­lèmes pra­tiques. Tout ceci mérit­erait de plus longs développe­ments aux­quels s’at­tacheront sans doute, un jour, d’émi­nents esprits : il est, en effet, vis­i­ble que le jeune X. surtout s’il est, par fil­ière, promis à un avenir promet­teur, aurait intérêt à ren­con­tr­er, tôt et davan­tage, le monde du tra­vail, la tech­nolo­gie, la vie tout court : l’in­térêt porté depuis peu, dans cer­tains milieux, au seul tra­vail manuel ne comble évidem­ment pas cette lacune grave.

Affiche de campagne de Kès de l'école polytechnique

Affiche de campagne de Kès de l'école polytechnique

Affiche de campagne de Kès de l'école polytechnique

Point n’est besoin, par ailleurs, d’in­sis­ter sur le pen­chant naturel à l’ab­strac­tion qui est nôtre : pour bien des Français. la pra­tique, le con­cret con­trastent défa­vor­able­ment avec l’ab­strait au même titre que le vilain d’an­tan à côté de son seigneur. Et que dire de l’in­for­ma­tion com­mer­ciale, de l’acte com­mer­cial pro­pre­ment dit, mail­lon du bout de la chaîne, con­sid­éré encore par presque tout le monde, et surtout par trop d’X, comme un épisode sec­ondaire alors qu’il est le ressort pre­mier, la noria chargée d’eau vive, le vrai moteur de l’é­conomie mod­erne et l’arme absolue des grandes batailles qui s’y livrent : dans une cer­taine mesure la Kès apporte peut-être à ces préoc­cu­pa­tions un embry­on de réponse.

Mais ce qui serait le plus posi­tif, en défini­tive. ce serait peut-être ce côté- far­felu, non cartésien, inso­lite, inso­lent. que la cam­pagne de Kès apporte dans la vie des poly­tech­ni­ciens. Les sou­venirs s’en boni­fient peut-être au fil des années — tout comme le rang de sor­tie — mais, au fond, le jeune X s’est trou­vé subite­ment en con­tact avec le comique, l’i­nat­ten­du, l’ir­ra­tionnel : il n’est pas impos­si­ble que cela l’aide à acquérir — ou à retrou­ver un jour, sait-on jamais ! — un cer­tain sens de l’hu­mour, même s’il monte haut. et à ressen­tir que les hommes aux­quels il aura affaire tout au long de sa vie auront, certes, besoin de ses con­nais­sances théoriques, de sa sci­ence, de son sérieux mais aus­si — et ce n’est pas incom­pat­i­ble — de ses qual­ités d’homme. de a décon­trac­tion, par­fois d’une appar­ente fan­taisie, en fin de compte de sa gaieté.

Car, « la tristesse est le pas­sage de l’homme d’une plus grande à une moins grande per­fec­tion &eaquo;.

Ain­si par­lait Baruch de Spin­oza et, pour en ter­min­er, nous sommes heureux tous trois de le citer ici, tant la médi­ta­tion de ses écrits con­tin­ue d’ori­en­ter notre action en nous appor­tant, de sur­croît, mille félic­ités intellectuelles.

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1. La pro­mo 1932 a, certes, fêté le cen­te­naire de la Kès mais elle était vis­i­ble­ment en retard car, évo­quant devant la Cham­bre des Députés le sou­venir de sa vie poly­tech­ni­ci­enne, Destut de Tra­cy (1800) dis­ait « quand nous nous présen­tions à la Caisse on nous remet­tait ce que l’on jugeait à pro­pos… on don­nait des allo­ca­tions aux élèves qui en avaient besoin ».
2. Pour « mon­ter » à Paris, les élèves rece­vaient le traite­ment de route alloué aux canon­niers de 1ere classe, c’est-à-dire 15 sous en assig­nats ou 4 sous en numérairaire ; à leur arrivée ils touchaient 1 200 livres par an en assig­nats, (ce qui représen­tait à peu près 366 F. de l’époque. En 1798, le traite­ment fut fixé à 40F/Mois ; en 1799, con­sid­érés comme ser­gents d’Ar­tillerie, les élèves ne reçurent que 0,98 F/Jour avec, toute­fois, un sup­plé­ment men­su­el de 18 F. pour les élèves nécessiteux.
3. Quelques bours­es, toute­fois, étaient accordées à con­di­tion que l’élève néces­si­teux soit classé dans les 30 pre­miers ; à sig­naler le geste de Mon­ge, fon­da­teur de l’É­cole, qui aban­don­na son traite­ment en faveur des élèves pau­vres. Le nom­bre de bours­es sous l’Em­pire ne dépas­sa jamais 30, chiffre que les aban­dons de traite­ment lais­sés par les pro­fesseurs per­mirent de porter à 40 ; les con­di­tions d’at­tri­bu­tion étaient, d’ailleurs, sou­vent assez arbitraires.
4. Cette pra­tique don­na nais­sance, en 1863, à la Société Ami­cale de Sec­ours des Anciens Élèves de l’X qui fusion­nera, en 1963, avec l’AX.
5. Le Bureau de Bien­fai­sance — qui com­por­tait un Prési­dent et un Vice-Prési­dent élus par les Anciens ain­si qu’un élève de chaque salle — rece­vait une somme fixe de la Kès et des dons volon­taires des cama­rades ; il étu­di­ait les deman­des de sec­ours et ses mem­bres se rendaient au logis des assistés, pra­tique qui s’est con­servée jusqu’en 1919, de même que la vis­ite des indi­gents à la boite à claque.
6. La Grosse, élue avec le plus de voix, était réputée « manier la cou­ver­ture », c’est-à-dire avoir une prédis­po­si­tion naturelle pour la gaffe, l’ini­tia­tive malen­con­treuse, tan­dis que la Petite avait l’au­réole du débrouil­lard, un peu couard, qui savait « se boc­carder », c’est-à-dire se défil­er devant toute tâche ennuyeuse ou deman­dant un effort quelconque.
7. La fête du Point Gam­ma, inau­gurée pour la pre­mière fois en 1861, fut sup­primée en 1880 et ne renaquit qu’en 1919 sous forme d’une fête de bien­fai­sance, des­tinée à attir­er le max­i­mum de monde et pro­cur­er à la Caisse des ressources accrues pour ses activ­ités charitables.
8. Com­pag­nie Générale Transatlantique.
9. Cer­taine pro­mo­tion a aus­si dis­posé en quelque sorte d’une rési­dence sec­ondaire, en l’e­spèce d’un petit apparte­ment en duplex., inoc­cupé dans la boîte à claque., où il était lois­i­ble à la Kès de réfléchir en paix aux grands prob­lèmes de l’heure.
10. Jacqué (Caissier de la 19N) a don­né à de nom­breux Caissiers l’im­pres­sion que la chimie qu’il pro­fes­sait était leur vraie vocatioll.n, tant il savait les y faire exceller.
11. Il sem­ble qu’a­vant 1900 les can­di­dats se présen­taient indi­vidu­elle­ment puis appa­raît le tan­dem sous le sigle ATB (pour les can­di­dats A et B) ; à par­tir de 1968, c’est tout un bureau qui est élu en bloc.
12. Le Car­di­nal Feltin était, à l’époque, Archevêque de Bordeaux
13. Le « Maître » Lopp, aujour­d’hui hélas décédé, avait déjà inau­guré, en jan­vi­er 1948, pour le tan­dem TTV, dans la cour de l’É­cole et devant les deux pro­mo­tions présen­tant les armes, un mon­u­ment très par­ti­c­uli­er « où s’al­li­aient les raf­fine­ments de l’art mod­erne à une indis­cutable nécessité ».

Ferdinand Lopp à l'École polytechnique
Fer­di­nand Lopp à l’É­cole (1949).

Les Girls du Crazy-Horse à l'école polytechnique (1952)

Que d’ores et déjà, grâces soient ren­dues à tous ceux dont la mémoire nous a été pré­cieuse : Palle (12), Chail (16), Clo­gen­soll et Mour­ret (17), Vall Belle (21), Berti (24), Vidal (27), Cal­lol (31), Pall­hard (33), Rozès (35), Val­loire (36), Saint­flou (37), Dumousseau el Rateau (38), Gonon (39), Main de Boissiere (40), Den­neri (43), Arboll (45), Dely­on (46), Richard­et (48), Ink (49), de la Moriner­ie (51), d’Elis­sagaray (52), Bon­grand (68).

Mais celle mod­este saga de la Kès, réal­isée en trop peu de temps, pour­rait sans doute être com­plétée un jour si, après l’avoir lue avec indul­gence, d’autres anciens Caissiers, délégués de Pro­mo et, d’une façon générale, tous les Cama­rades, accep­taient de fouiller leurs sou­venirs et de com­mu­ni­quer à Domain (36), qui les retourn­era bien enten­du, les pho­tos, doc­u­ments, archives, réc­its, qui pour­raient présen­ter un cer­tain intérêt.

Votrz FTP élections Kès 1948 à l'école polytechnique

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