Hure à l'école polytechnique

Brans,Chahuts, Exploits et Exactions

Dossier : La Tradition et les Traditions de l'X des origines à nos joursMagazine N°331 Juin 1978Par : J.P. CALLOT (31)
N° 331 Juin 1978
Le bahutage, le point γ , la cam­pagne de Kès étaient les épisodes qui per­me­t­taient aux élèves de se défouler, et pen­dant lesquels le com­man­de­ment fai­sait preuve. sinon de com­plic­ité, du moins de tolérance.
Mais en dehors de ces péri­odes, à la suite d’in­ci­dents divers, ou par un mou­ve­ment spon­tané, il arrivait que les occu­pants de l’É­cole éprou­vassent le besoin de s’ex­téri­oris­er par des actions singulières.

Le bahutage, le point γ , la cam­pagne de Kès étaient les épisodes qui per­me­t­taient aux élèves de se défouler, et pen­dant lesquels le com­man­de­ment fai­sait preuve. sinon de com­plic­ité, du moins de tolérance.

Mais en dehors de ces péri­odes, à la suite d’in­ci­dents divers, ou par un mou­ve­ment spon­tané, il arrivait que les occu­pants de l’É­cole éprou­vassent le besoin de s’ex­téri­oris­er par des actions singulières.

Les con­flits avec l’« Astra » don­naient lieu à trois types de man­i­fes­ta­tions : le chant de la « cou­ver­ture » qui sanc­tion­nait la con­duite jugée ridicule et abu­sive d’un fonc­tion­naire de l’É­cole, et qui était très vive­ment ressen­ti par celui-ci.

Plus grave était la « hure ». « Hure à … » inscrit dans la cour en let­tres immenses for­mées des corps allongés de toute une pro­mo­tion. Je me sou­viens d’un « HURE AU MAGNAN » qui avait con­sid­érable­ment amélioré l’ordinaire.

Enfin l’autocran­tage. qui avait lieu dans les cas extrêmes après le vote des pro­mo­tions, et qui con­sis­tait à rester à l’É­cole pen­dant les heures et jours de sortie.

Cette man­i­fes­ta­tion pour­rait paraître, à pre­mière vue, empreinte de masochisme ; il n’en était rien : une semaine d’au­tocran­tage représen­tait qua­tre repas de plus pris au mag­nan par la total­ité des élèves, et creu­sait un trou dif­fi­cile à combler dans le bud­get de fonc­tion­nement de l’É­cole ; elle provo­quait en haut lieu une véri­ta­ble con­ster­na­tion, rapi­de­ment suiv­ie de négociations.

Bien plus fréquentes étaient les explo­sions gra­tu­ites et spon­tanées de la fan­taisie des élèves, qui se traduisirent, tout au long de l’his­toire de l’É­cole, par des exploits ou des exac­tions dont le sou­venir se con­ser­va par­fois longtemps, au fil des pro­mo­tions. Je me bornerai ici à rap­pel­er quelques uns des épisodes que j’ai con­nus, ou dont le réc­it m’est parvenu.

L’un des exploits les plus éton­nants accom­plis par les élèves se situe en 1920. Dans la nuit du 5 au 6 avril, les officiers-élèves qui venaient de revenir de la guerre, assistés des élèves de pro­mo­tion 19 N, hissèrent une pièce de 75 sur le belvédère qui dom­i­nait à cette époque le pavil­lon Joffre.

Un canon de 75 en haut des bâtiments de l'école polytechniqueCette plaisan­terie provo­qua un cer­tain émoi dans le quarti­er ; le bruit cou­rut que le canon avait été trans­porté sur cette plate­forme pour tenir sous son feu les abor­ds de la Mon­tagne Sainte Geneviève, en cas de trou­bles le 1er mai. Les autorités de l’É­cole s’adressèrent à divers ser­vices, dont les pom­piers, pour faire redescen­dre la pièce ; tous déclarèrent que c’é­tait impos­si­ble. Finale­ment, le Général deman­da aux élèves de bien vouloir rap­porter ce 75 où ils l’avaient pris, moyen­nant quoi on oublierait l’in­ci­dent ; ce fut fait la nuit suiv­ante1.

Retours en Taupe - Dans le dor­toir d’un lycée parisien, une cinquan­taine d’élèves dor­ment pais­i­ble­ment. Soudain, un hurlement déchire la nuit : le feu ! Réveil­lés en sur­saut par ce cri trag­ique, les élèves se dressent sur leur lit, avec hor­reur ils aperçoivent l’in­tense rougeoiement qui illu­mine les fenêtres. « Pas d’af­fole­ment ! » crie un sur­veil­lant. Les garçons se pré­cip­i­tent vers les issues. Un auda­cieux ouvre une fenêtre ; on n’en­tend pas le crépite­ment des flammes, mais un sim­ple grésille­ment ; une minute plus tard, les lueurs bais­sent d’in­ten­sité ; elles vac­il­lent, puis s’éteignent. C’é­taient des feux de bengale !

Le lende­main matin , nou­velles émo­tions : les tableaux. les murs des salles d’é­tude des taupins sont cou­verts de grands X rouges. Sur quelques tables s’é­tal­ent des noms pres­tigieux : ceux des reçus au dernier con­cours de l’X. Dans la cour, tous les regards se tour­nent vers le dôme de la chapelle : un bicorne coiffe le paratonnerre.

Telle est l’aven­ture que con­nurent, une nuit de l’hiv­er 1930, les taupins du lycée Saint-Louis. Ils ne furent pas les seuls. Louis-le-Grand et Sainte Geneviève furent égale­ment vis­ités. Ils ne furent pas non plus les pre­miers. La tra­di­tion con­sis­tant à provo­quer une panique noc­turne dans les prin­ci­paux étab­lisse­ments ayant fourni un con­tin­gent à l’X, remonte au moins à 1913, puisqu’on trou­ve le 19 décem­bre de cette année une déci­sion por­tant deux puni­tions de trente jours d’ar­rêts de rigueur infligées à des élèves avec le motif suivant :

« Fai­sait par­tie d’un groupe qui, après être sor­ti de l’É­cole pen­dant la nuit par une voie incon­nue, s’est intro­duit à l’in­térieur d’un étab­lisse­ment d’in­struc­tion publique où il a causé des désor­dres ayant motivé une plainte offi­cielle du directeur de cet établissement. »

La pro­mo­tion 1923 avait elle aus­si mon­té de telles opéra­tions. Les choses se gâtèrent en 1931, les pro­viseurs ayant établi des sys­tèmes d’alerte, prévenu la police, et même instal­lé des chiens de garde. De sérieux inci­dents eurent lieu cette année-là. On déplo­ra même un mort : un canard des­tiné au bassin de la cour cen­trale de Louis-le-Grand et qui périt dans l’ex­plo­sion pré­maturée d’un sac de pétards2. Mal­gré les sanc­tions sévère qui inter­v­in­rent alors, le grand jeu se per­pé­tua : la pro­mo­tion 67 mena une opéra­tion à Hen­ri IV.

La spéléolo­gie — Ces expédi­tions noc­turnes dans les lycées, qui exigeaient le trans­port d’un matériel encom­brant et com­pro­met­tant, util­i­saient les égouts pour par­venir au cœur de l’ob­jec­tif. De telles voies d’ac­cès étaient famil­ières aux Poly­tech­ni­ciens qui avaient tou­jours été d’en­ragés spéléo­logues : les voûtes des égouts du quarti­er latin furent longtemps décorées d’ inscrip­tions attes­tant leurs fréquentes visites.

Mais les élèves explorèrent aus­si, à plusieurs repris­es, un domaine beau­coup plus secret : l’im­mense réseau des car­rières souter­raines qui pousse ses 200 kilo­mètres de galeries sous les 5e, 6e, 13e et 14e arrondisse­ments, et dont une faible par­tie seule­ment, acces­si­ble au pub­lic, a été trans­for­mée en ossuaire. Si pour­tant ces car­rières avaient pos­sédé une ouver­ture à l’in­térieur de l’É­cole, comme l’avait indiqué en 1809 le Pro­fesseur Has­sen­fratz, l’ac­cès n’en fut jamais retrouvé.

Les opéra­tions spéléologiques cul­minèrent en 1932, lors d’un bal organ­isé par la pro­mo­tion 31 dans ces car­rières, à 30 mètres de pro­fondeur ; les habits et les robes du soir des invités s’y mêlaient aux tenues de β des élèves.

Quelques fan­taisies — Au moment de l’élec­tion du Pape Paul VI, les élèves avaient instal­lé au som­met d’une haute chem­inée, à l’ex­trémité ouest du Foch, un somptueux fau­teuil prélevé dans la salle du Con­seil, et une fumée aux couleurs alternées sor­tait de cette cheminée.

Une autre année, ils avaient man­i­festé une fan­taisie macabre en pen­dant, durant la nuit, les pré­cieux man­nequins qui por­tent les uni­formes de l’É­cole, aux arbres de la cour.

En 1974, un com­man­do noc­turne de la 72 avait entière­ment dévis­sé les super­struc­tures de l’am­phi Poin­caré : bancs, tables, bureaux, estrades. Les vis avaient été rem­placées par un réseau de ficelles reliées aux poignées des portes. Lorsque le pro­fesseur et ses assis­tants pénétrèrent dans l’am­phi, ils entendirent un vacarme effrayant, et virent s’ef­fon­dr­er, comme un château de cartes, le mobili­er qui ornait ce haut lieu de la science.

Le formidable chahut qui s’est déroulé en pleine nuit, le 22 octobre, au lycée Saint-Louis à Paris, a été une révélation pour nos états-majors. Il a prouvé que nos élèves de l’École polytechnique qui, depuis quelques années, montraient une certaine répugnance pour la carrière des armes, gardaient d’exceptionnelles vertus militaires. La stupéfiante opération de commando qu’ils ont montée contre un ennemi cependant sur ses gardes : un concierge qui ne dort jamais que d’un œil, un censeur redoutable, d’athlétiques surveillants, des taupins merveilleusement éveillés par la pratique intensive des mathématiques, a constitué une véritable prouesse guerrière. Le plan en avait été conçu dans les moindres détails. L’exécution fut foudroyante. Les portes étaient soigneusement verrouillées, car on s’attendait cette année, comme les années précédentes, à quelques manifestation nocturne vers la fin d’octobre ou le début de novembre. Mais son ampleur balaya toutes les traditions. Sans doute les X eurent-ils l’élégance de ne pas faire sauter la porte. Ils entrèrent par la fenêtre, encore que certains prétendent qu’ils passèrent par les égouts et d’autres par la cheminée. Une fois à l’intérieur, ce fut terrible. Comme des démons les X se répandirent dans les dortoirs des grands, stupéfièrent les bizuths à coups de pétards, les aveuglèrent avec des émissions de fumée, les firent sangloter grâce à des gaz lacrymogènes, anéantirent les surveillants, aplatirent le censeur, bouleversèrent tous les lits, barbouillèrent d’augustes symboles, puis disparurent en bon ordre. Protégés par le secret militaire, ces savants guerriers qui restent incognito n’en ont pas moins été punis de quinze jours d’arrêts.
France-Dimanche 23 octobre 1953

A Palaiseau, sur la bonne terre bet­ter­av­ière, l’e­sprit de fan­taisie des jeunes Poly­tech­ni­ciens con­tin­ue de fleurir. Il a sus­cité un cer­tain nom­bre d’opéra­tions de styles divers, telles que :

  • démé­nage­ment et réin­stal­la­tion com­plète des bureaux de deux colonels, l’un sur l’île au milieu du lac, l’autre sur les fer­mes du grand hall, à quinze mètres de hauteur.
  • trans­for­ma­tion du bâti­ment de divi­sion en mai­son de passe.
  • french-can­can de l’équipe de rug­by pen­dant un amphi.
  • démon­tage de l’am­phi Ara­go rem­placé par le salon du coiffeur.

J’en passe …

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1. Pour la petite his­toire : le chef,ou l’un des chefs de la manœu­vre fut le Lt Thuil­liez, de la pro­mo 17 (un sapeur !) la pièce fut naturelle­ment démon­tée. Opéra­tion déli­cate ; de plus le tube seul pesait 460 kg.
2. Un élève fut sérieuse­ment brûlé. Ne voulant pas, par pru­dence. se ren­dre à l’in­firmerie, il fut soigné en salle et au casert par ses cocons

L'ours Martin au Jardin des Plantes
La vis­ite à l’ours Martin

Mar­tin vivait en 1822. C’est à cette date, du moins, que les Poly­tech­ni­ciens com­mencèrent à se lier avec lui. Ils allaient fréquem­ment le voir au Jardin des Plantes, et tou­jours en grande tenue. Mar­tin était sen­si­ble aux égards qu’on avait pour lui et, dis­ent les chroniqueurs de l’époque, il en récom­pen­sait les Poly­tech­ni­ciens en exé­cu­tant devant eux des tours prodigieux.

Ces vis­ites durèrent jusqu’en 1873 (je pense qu’elles se fai­saient alors à Mar­tin fils). Elles furent inter­rompues par un pénible inci­dent. Un con­scrit de cette époque conçut une détestable plaisan­terie ; Il cacha un cig­a­re dans un petit pain qu’il ten­dit à Mar­tin, et rit bruyam­ment au spec­ta­cle des nausées qu’il provo­qua chez le pau­vre animal.

Mar­tin ne par­don­na pas cette plaisan­terie aux Poly­tech­ni­ciens ; Il rompit toutes rela­tions avec eux et la grande tenue fut sup­primée l’an­née suivante.

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