Auberges et Cabarets polytechniciens

Dossier : La Tradition et les Traditions de l'X des origines à nos joursMagazine N°331 Juin 1978Par : François DUPONT (72)
N° 331 Juin 1978
Sous le pre­mier Empire, la fréquen­ta­tion des cafés était inter­dite aux Poly­tech­ni­ciens. Ordre du 6 avril 1813 — Indépen­dam­ment de l’ar­ti­cle 19 du règle­ment pro­vi­soire qui défend aux élèves de sta­tion­ner dans les cafés et dans le Palais Roy­al, il leur est inter­dit d’en­tr­er dans les maisons de jeu, bil­lards publics et dans tout lieu réprou­vé par les bonnes mœurs.

Sous le pre­mier Empire, la fréquen­ta­tion des cafés était inter­dite aux Polytechniciens.

Ordre du 6 avril 1813 — Indépen­dam­ment de l’ar­ti­cle 19 du règle­ment pro­vi­soire qui défend aux élèves de sta­tion­ner dans les cafés et dans le Palais Roy­al, il leur est inter­dit d’en­tr­er dans les maisons de jeu, bil­lards publics et dans tout lieu réprou­vé par les bonnes mœurs.

Sous la Restau­ralion, les élèves fréquen­tèrent le café Lem­blin où se réu­nis­saient les officiers bonapartistes.

Après 1830, on les ren­con­tra dans le quarti­er Saint-Ger­main, au café Pro­cope, ren­dez-vous d’au­teurs. d’ac­teurs et de jour­nal­istes ; au café Foy, dans le Palais-Roy­al, où venaient des artistes et des hommes politiques.

Le café Souf­flet un jour de sortie

Au Soufflet - Le vestiaire du costume fumiste
Au Souf­flet — Le ves­ti­aire du cos­tume fumiste

Mais un des pre­miers cafés recon­nu comme cen­tre de réu­nion des Poly­tech­ni­ciens fut le Col­bert, dans le pas­sage de ce nom, rue Vivi­enne. Il devait être rem­placé peu après par le « Café Hol­landais », le fameux « Holl » de la galerie Mont­pen­si­er, où les élèves dis­po­saient de deux salles. avec entrée indépen­dante, et où se déroulaient. nous l’avons vu, les céré­monies finales de l’absorption.

Le « Holl » fut aban­don­né par les Poly­tech­ni­ciens après 70. Il devait d’ailleurs dis­paraître en 1885. C’est le café Souf­flet, au coin du boule­vard Saint-Michel et de la rue des Écoles, qui reçut la clien­tèle polytechnicienne.

Aux envi­rons des années 30, les X se ren­con­traient dans un petit café du boule­vard Saint-Michel, le Palais du Café. La nuit, en tenue de β ils se rendaient au « Péli­can », un cabaret de Mont­par­nasse : là fréquen­taient leurs « petites alliées » dont cer­taines, Nita ou Chif­fon, con­nurent une pas­sagère notoriété.

Le « Palais du Café » a été trans­for­mé en snack-bar : le Péli­can a dis­paru. Et les petites alliées, Nita ou Chif­fon, que sont-elles devenues ?

Tout près de l’É­cole, au coin de la place Sainte-Geneviève1 , s’ou­vrait autre­fois la « man­nezingue » de la Pros­per, encore dénom­mée Mère Leblanc ou « Mer­le Blanc ».

Il sem­ble que, dès l’époque du pre­mier Empire, les éléves aient déjà fréquen­té ce cabaret, et déjà l’aient util­isé pour tro­quer leurs uni­formes con­tre des habits de fumistes2. Sous le sec­ond Empire, en tout cas, ils venaient nom­breux chez la Pros­per. Au pre­mier étage de son étab­lisse­ment, une salle étroite et basse, à laque­lle on accé­dait par un escalier crasseux, enroulé en pas de vis, leur était réservée.

Jusqu’en 1968, les Élèves n’eurent pas le droit de revêtir la tenue civile en dehors de l’ École. L’uniforme étant peu compatible avec certaines de leurs activités extérieures, ils changeaient de tenue, soit dans le vestiaire du Soufflet, soit, plus tard, dans les chambres d’hôtels de la rue des Écoles qu’ ils louaient au mois, à quinze ou vingt.
Fumiste est un vieux mot d’argot. Se mettre en fumiste, se fumister, c’était troquer l’uniforme contre une tenue civile.

C’est là que tous les mer­cre­di et dimanche soir, au moment de la ren­trée, les Poly­tech­ni­ciens qui voulaient jouir de leur liber­té jusqu’à la dernière sec­onde, s’ar­rê­taient et savouraient une « prune à l’eau de vie », l’or­eille ten­due vers l’hor­loge du Pavil­lon, jusqu’à ce que le pre­mier coup de dix heures donne le sig­nal de la retraite.

Les années ont passé. Mais il n’y a qu’une rue à tra­vers­er. Une ruelle plutôt. Et l’on trou­ve le « bar de l’X », où les actuels Poly­tech­ni­ciens s’assem­blent à l’heure de la ren­trée. sous le regard bien­veil­lant de « la Marie », Mer­le Blanc 1958. Pour évo­quer La Marie. pas­sons la plume à un jeune cama­rade qui fréquen­ta son bar avec une remar­quable assiduité. François Dupont. de la 72.

Le Bar de l’X et La Marie, 1943–1975

Un jour de juin 1943. ils arrivèrent et s’in­stal­lèrent sur la Mon­tagne Sainte Geneviève. A ce moment-là. les X étaient à Lyon et divers rég­i­ments sta­tion­naient sur la Mon­tagne. Et puis un rég­i­ment très par­ti­c­uli­er arri­va, habil­lé de manière hétéro­clite, en artilleurs, en chas­seurs ou en zouaves.… suiv­ant leur taille et les stocks disponibles. Ces sol­dats très spé­ci­aux sym­pa­thisèrent vite avec Antoine et Marie, les deux nou­veaux patrons du café « en face ».

Antoine et Marie apprirent l’ar­got de l’X. et depuis lors, pen­dant plus de trente ans, ils con­sti­tuèrent une annexe de l’É­cole. Les X avaient un compte ouvert chez « Marie », un télé­phone fut branché à tra­vers les égouts sur le stan­dard de l’É­cole. la clef du Beta était là disponible à toute heure, des mag­nans étaient pré­parés pen­dant le week-end pour les élèves au micral.

Lors du départ à Palaiseau, Marie et Antoine, désolés, jugèrent qu’ils n’avaient plus rien à faire sur la « Mon­tagne », et ils repar­tirent dans leur pays natal, à Per­ros Guirec, où ils ouvrirent un hôtel restaurant.

Nous avons tous gardé le sou­venir de ce bar, plus poly­tech­ni­cien que l’É­cole, lieu de ren­dez-vous priv­ilégié et dont l’am­biance per­me­t­tait d’ou­bli­er les cours et les problèmes.

La Marie fut pen­dant plus de trente ans la spec­ta­trice et par­fois la com­plice souri­ante et généreuse de tous les « exploits » poly­tech­ni­ciens. C’est avec une joie mêlée d’un peu de nos­tal­gie qu’elle en a évo­qué quelques-uns devant moi, à Per­ros-Guirec : les pris­on­niers du micral, une nuit, à trois heures du matin, court-cir­cui­tant la sirène d’alarme et affolant tout le quarti­er pen­dant vingt min­utes ; les portes des cap­i­taines, murées en une nuit ; les essais bal­is­tiques effec­tués avec l’un des canons de l’É­cole, et qui provo­quèrent quelques dégâts rue de la Mon­tagne Sainte-Geneviève ; Fer­di­nand Lopp inau­gu­rant les ves­pasi­ennes après une récep­tion solen­nelle ; la pein­ture en jaune et rouge du dôme du Pan­théon ; cer­tain numéro de clochards musi­ciens, place de l’Hô­tel de Ville, qui con­tribua à financer la cam­pagne de Kés ; des dépor­ta­tions qui aboutirent à Dijon ou Coëtquidan ; les deux lévri­ers de la Générale, qui se per­daient régulière­ment, et qui furent peints, l’un en jaune et l’autre en rouge, pour être retrou­vés plus facile­ment ; et puis … et puis … mais atten­tion à la censure.

Le Bar de l'X et la Marie
Le Bar de l’X et la Marie

« Les Pipos », ancien cabaret de la Mère Leblanc.
Juste en face :« Les Pipos », ancien cabaret
de la Mère Leblanc.

On ren­tre à Car­va chez Labutte
Ça vient, on n’sait pas trop comment !
Quand d’puis des heures on vous bahutte
On veut s’re­pos­er un moment,
On s’boc­carde el puis si ça boume,
En trem­blant d’être découvert,
On gagne par des sesquis désert
L ‘chiott des boums !

La mili c’est beau. mais c’est triste
Car ça manque un peu d’distractions :
On perd son temps si on insiste !
Pour avoir une permission.
Évi­tant le basoff qui rôde
Pour voir un vieux film au Champo
On retire douce­ment le barreau
de la diode !

Com­ment on n’peut pas vivre sans sortir
Si d’puis longtemps. on est cranté
Un soir après l’ap­pel on S’tire
Lais­sant dans son lit un synthé
On s’trou­v’ra Sylvie ou Monique
Ou Brigitte aux lourds cheveux blonds :
On fait le bêta des violons
D’la physique !

Y a des soirs de mélancolie
Où on se mor­fond à l’École
Pour échap­per à la folie
On noie son cha­grin dans l’acool :
Depuis qu’chez la Marie on trinque
Pour grimper on n’a plus de bras :
0″ passe en sig­nant Dunabla
L ‘poste Cinq !

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1. Exacte­ment au 52 de la rue de la Mon­tagne Sainte-Geneviève, à l’emplacement aujour­d’hui occupé par le bar « Les Pipos ».
2. Civils.

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